1. Il est important de comprendre que les établissements bancaires ont une obligation de vigilance mais également une obligation de non-ingérence dans les affaires de leurs clients. Ils ne sont pas tenus de vérifier la destination des fonds ou l’opportunité des opérations effectuées par leurs clients, sauf en cas d’anomalies manifestes qu’ils doivent détecter.
2. En cas de litige avec une banque concernant des opérations financières, il est essentiel de fournir toutes les informations nécessaires pour chaque opération litigieuse, y compris l’identité et les coordonnées des bénéficiaires. Il est également important de communiquer toute information pertinente à la banque pour éviter tout malentendu.
3. En cas de demande de réparation de préjudices liés à des investissements frauduleux, il est crucial de prouver que la banque a manqué à ses obligations spécifiques de vigilance et de déclaration en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il est également important de comprendre que la banque n’a pas le droit d’informer son client des déclarations qu’elle peut être amenée à faire auprès des autorités compétentes.
M. [N] a effectué plusieurs virements vers des comptes bénéficiaires situés dans différents pays européens, suite aux conseils de conseillers de plates-formes en ligne. Deux virements ont été rejetés. Ne parvenant pas à récupérer ses fonds, il a déposé des plaintes contre X et a ensuite assigné la SA ING Bank N.V. en recherche de responsabilité pour obtenir une indemnisation. M. [N] estime que la banque n’a pas rempli son devoir de vigilance en ne décelant pas les anomalies apparentes dans le fonctionnement de son compte, ce qui a causé un préjudice financier. La SA ING Bank N.V. conteste ces allégations, affirmant avoir respecté ses obligations en tant que prestataire de service de paiement. L’affaire a été plaidée en audience et mise en délibéré pour le 07 février 2024.
Sur la responsabilité de la ING Bank N.V.
Dans cette affaire, la responsabilité de la ING Bank N.V. a été examinée en ce qui concerne sa vigilance et son obligation de non-ingérence. Il a été conclu que la banque n’était pas tenue de s’immiscer dans les affaires de son client ni de contrôler la finalité des opérations effectuées. La banque devait simplement s’assurer de la bonne exécution des ordres de virement reçus. En l’espèce, la banque a respecté ses obligations en exécutant les virements demandés par le client sans avoir connaissance de la fraude alléguée. Par conséquent, les demandes contre la ING Bank N.V. ont été rejetées.
Sur les demandes accessoires
Sur les frais du procès
M. [N] a été condamné à payer à la SA ING Bank N.V. une somme de 4.000 euros au titre des frais de procès, en plus des dépens.
Sur l’exécution provisoire
L’exécution provisoire de la décision a été écartée en raison de sa nature.
– M. [J] [N] est débouté de ses demandes.
– M. [J] [N] est condamné aux dépens.
– M. [J] [N] doit payer à la SA ING Bank N.V. une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Aucune exécution provisoire n’est accordée.
Réglementation applicable
– Article 1231-1 du Code civil : Prévoit les conditions de réparation des préjudices résultant de l’inexécution d’une obligation contractuelle.
– Article 1104 du Code civil : Énonce les principes de bonne foi dans la formation et l’exécution des contrats.
– Article 700 du Code de procédure civile : Permet à une partie de demander une indemnité pour les frais non couverts par les dépens qu’elle a engagés au cours d’un procès.
– Article L.133-21 du Code monétaire et financier : Définit les conditions de répudiation d’une opération de paiement non autorisée.
– Article L.133-24 du Code monétaire et financier : Précise les obligations du prestataire de services de paiement en cas d’opération de paiement incorrectement exécutée.
– Article L.561-5 du Code monétaire et financier : Oblige les établissements financiers à identifier leur client et à exercer une vigilance constante sur les transactions.
– Article 1231-4 du Code civil : Traite de la réparation du préjudice en cas de manquement à une obligation résultant d’un contrat.
– Article 455 du Code de procédure civile : Règle la rédaction des jugements et la manière dont les motifs doivent être exposés pour justifier la décision.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Maître Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS
– Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST
Mots clefs associés
– Investissement
– M. [J] [N]
– Virements internationaux
– Plates-formes en ligne frauduleuses (Blue Diams, Prestige Invest, CBRE Security Place)
– Plaintes contre X
– SA ING Bank N.V.
– Mise en demeure
– Tribunal judiciaire de Paris
– Responsabilité bancaire
– Indemnisation
– Devoir de vigilance
– Anomalies dans les virements
– Rejet technique de virements
– Liste noire de l’AMF
– Préjudice financier
– Articles du code civil et code monétaire et financier
– Défense de la banque
– Absence de faute et de lien causal
– Obligation de non-ingérence
– Négligences de M. [N]
– Audiences et délibérations judiciaires
Chargement en cours…
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
9ème chambre
2ème section
N° RG 22/00706
N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DX
N° MINUTE : 1
Assignation du :
11 Janvier 2022
JUGEMENT
rendu le 07 Février 2024
DEMANDEUR
Monsieur [J], [V], [U] [N]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Maître Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C907
DÉFENDERESSE
S.A. ING Bank N.V,
prise en la personne de son représentant légal
prise en sa succursale parisienne
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #Ll0015
Décision du 07 Février 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/00706 – N° Portalis 352J-W-B7G-CV4DX
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Gilles MALFRE, 1er Vice-président adjoint
Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge
Monsieur Augustin BOUJEKA, Vice-Président
assistés de Clarisse GUILLAUME, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 13 Décembre 2023 tenue en audience publique devant Monsieur PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 7 février 2024.
JUGEMENT
rendu publiquement par mise à disposition
contradictoire
en premier ressort
FAITS ET PROCEDURE
Désireux de faire un investissement, M. [J] [N] a procédé entre les 4 avril et 29 août 2017, à partir de son compte ouvert dans les livres de la SA ING Bank N.V., à quatorze virements pour un montant total de 337.146 euros, vers des comptes bénéficiaires situés au Danemark, Luxembourg, Royaume-Uni, en Pologne et en Slovaquie dont les coordonnées lui ont été transmises par des personnes se présentant comme les conseillers des plates-formes en ligne Blue Diams (www.bluediams.com), Prestige Invest (www.prestige-invest.com) et CBRE Security Place «(www.cbre-securityplace.com).
Deux des virements émis pour une somme totale de 52.700 euros ont été rejetés.
N’ayant pas pu obtenir la restitution de ses fonds et s’estimant victime de faits pénalement répréhensibles, M. [N] a déposé auprès du Procureur de la République d’où ? des plaintes contre X le 14 février 2017 (plate-forme CBRE Security Place), le 2 novembre 2017 (plate-forme Prestige Invest) et le 26 mars 2018 (plate-forme Blue Diams), toutes suivies de l’ouverture d’informations judiciaires.
Par lettre de son conseil en date du 7 octobre 2021, M. [N] a adressé une mise en demeure à la SA ING Bank N.V. d’avoir à l’indemniser de son préjudice financier qui est demeurée infructueuse.
C’est dans ces conditions que par exploit d’huissier de justice du 11 janvier 2022, il a fait assigner l’établissement bancaire devant le tribunal judiciaire de Paris en recherche de sa responsabilité aux fins d’obtenir une indemnisation.
Aux termes de ses dernières écritures communiquées par voie électronique le 26 septembre 2023, aux visas des articles 1231-1 et 1104 du code civil, il est demandé au tribunal de :
« • DÉCLARER qu’ING Bank N.V. n’a pas décelé les anomalies apparentes présentes dans le fonctionnement du compte de Monsieur [J] [N] ;
• DÉCLARER qu’ING Bank N.V. n’a pas rempli son devoir général de vigilance ;
• DÉCLARER que les irrégularités et légèretés coupables d’ING Bank N.V. ont causé à Monsieur [J] [N] un important préjudice.
En conséquence,
• CONDAMNER ING Bank N.V. au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 178.428 euros au bénéfice de Monsieur [J] [N] en réparation de son préjudice financier ;
• DÉBOUTER ING Bank N.V. de ses demandes, fins et conclusions ;
Concernant l’exécution provisoire,
• ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir s’il est fait droit à tout ou partie des demandes d’ING Bank N.V. ;
Concernant les frais irrépétibles,
• DÉBOUTER ING Bank N.V. de sa demande au titre de l’article 700 ou la FIXER à une plus juste proportion ;
• CONDAMNER ING Bank N.V. à 2.300 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens de la présente instance. »
A l’appui de ses prétentions, M. [N] expose à titre liminaire que la SA ING Bank N.V. avait nécessairement connaissance des escroqueries en ligne et de leur mode opératoire dénoncés régulièrement depuis mars 2016 par les autorités de régulation et judiciaires qui ont appelé à une mobilisation des établissements bancaires pour protéger leurs clients notamment par la mise en place de systèmes d’alertes et de signalements auprès des autorités au-delà des obligations légales de dénonciation qui leur incombent.
Elle fait valoir dès lors que la banque, à laquelle elle ne reproche pas de ne pas s’être assurée de la licéité des opérations réalisées, en sa qualité de professionnelle avertie et de partie forte au contrat, a manqué à son devoir général de vigilance issu de la relation contractuelle avec ses clients qui déroge au principe de non-immixtion, et qui lui impose de déceler, outre le caractère non autorisé des opérations, les anomalies matérielles et/ou intellectuelles apparentes présentes dans le fonctionnement du compte bancaire de ses clients, et ce dès la première opération.
Au cas particulier, elle soutient que la SA ING Bank N.V. ne rapporte pas la preuve d’avoir exercé une telle vigilance à l’égard de son compte bancaire et de l’avoir ainsi alerté en dépit des anomalies intellectuelles apparentes révélatrices d’un fonctionnement global inhabituel du compte et caractérisées par :
-Les destinations inhabituelles des virements, à savoir le Danemark, le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Pologne et la Slovaquie, pays vers lesquels il n’avait jamais effectué d’opérations auparavant, peu importe qu’il s’agisse d’Etats-membres de l’Union européenne, précisant par ailleurs que les deux derniers pays étaient identifiés par les instances européennes et nationales comme abritant de nombreuses sociétés éphémères servant au blanchiment des fonds issus d’escroqueries et de fraudes ;
-Les montants des virements, compris entre 1.960 et 53.200 euros, qui, pris isolément ou globalement, sont inhabituels au regard du fonctionnement de son compte, peu importe la solvabilité du compte débité ;
-La fréquence d’exécution des virements et notamment de quatre virements entre les 4 et 27 avril 2017 pour un montant total de 67.018 euros, de deux virements entre les 25 et 30 mai 2017 pour un montant total de 81.000 euros et encore de deux autres virements dans la seule journée du 9 juin 2017 pour un montant de 62.700 euros ;
-Le « rejet technique » par la banque réceptrice étrangère des deux virements passés le 9 juin 2017 pour un montant total de 62.700 euros, sur lequel il demande à la défenderesse de produire des éléments ;
-La présence des plates-formes « Blue Diams » et « Prestige Invest » sur la liste noire de l’autorité des marchés financiers (AMF) à compter du 24 juillet 2017, soit antérieurement au dernier virement exécuté le 29 août 2017.
Il ajoute que la banque ne saurait s’exonérer de sa responsabilité sous couvert du caractère autorisé des virements. Ainsi, faute pour l’établissement bancaire de démontrer l’exercice effectif de son devoir de vigilance et donc de l’avoir alerté sur les risques liés aux anomalies existantes, notamment par l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un courriel, ou par la signature d’une décharge ou d’une convocation à un entretien, M. [N] estime que la société défenderesse a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard. Il soutient que les décisions invoquées par la SA ING Bank N.V. ne sont pas pertinentes en ce qu’elles divergent du présent cas en raison notamment du fondement juridique ou de l’absence d’anomalies apparentes et que, par ailleurs, les nombreux développements de la défenderesse sur le caractère autorisé des opérations, qui n’est pas contesté, sont inopérants, le consentement du client étant sans conséquence sur l’application du devoir de vigilance.
Par ailleurs, si le demandeur n’entend pas rechercher la responsabilité de la banque sur le terrain de son obligation spéciale de vigilance, il relève néanmoins que la juridiction de céans ne pourra que constater que la défenderesse n’a pas rempli ses obligations de déclaration de soupçons.
M. [N] fait dès lors valoir un préjudice financier résultant de la perte de chance de n’avoir pas réalisé des investissements au profit des plates-formes frauduleuses, acquise à compter du sixième virement à partir duquel la banque ne pouvait ignorer les anomalies présentes dans le fonctionnement de son compte, qu’il évalue à la somme de 178.428 euros.
Aux termes de ses dernières écritures communiquées par voie électronique le 31 octobre 2023, aux visas des articles L.133-21, L.133-24, L.561-5 et suivants du code monétaire et financier, et 1231-1 et 1231-4 du code civil, la SA ING Bank N.V. demande au tribunal de :
« – DEBOUTER Monsieur [J] [N] de sa demande de paiement de dommages et intérêts d’un montant de 178.428 euros, en ce que celui-ci ne rapporte pas la preuve d’une quelconque faute imputable à la société ING Bank N.V. ni du lien causal devant exister entre la faute et le préjudice allégués,
– DEBOUTER Monsieur [J] [N] de sa demande tendant à ce que soit écartée l’exécution provisoire de la décision à intervenir s’il est fait droit à tout ou partie des demandes formées par ING Bank N.V.,
– DEBOUTER Monsieur [J] [N] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,
– CONDAMNER Monsieur [J] [N] au paiement de la somme de 15.000 euros, au profit de la société ING Bank N.V., au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– CONDAMNER le même aux entiers dépens. »
A l’appui de sa défense, la SA ING Bank N.V. expose à titre liminaire qu’elle n’a jamais été informée des investissements réalisés par M. [N] ni des contacts que ce dernier avait avec les plates-formes frauduleuses.
Elle fait valoir que sa responsabilité en tant que prestataire de service de paiement, seul service qu’il remplissait, ne peut être recherchée que dans les hypothèses d’une opération non autorisée ou d’une opération mal exécutée et qu’en l’espèce aucun manquement ne lui est imputable s’agissant de virements que M. [N] ne conteste pas avoir autorisés et qui ont été exécutés conformément aux IBAN qu’il a communiqués.
Elle soutient par ailleurs qu’à supposer, ce qu’elle conteste, qu’elle ait pu manquer à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, un tel manquement, comme le rappelle le demandeur, ne peut ouvrir un droit à indemnisation.
Elle ajoute avoir satisfait à l’obligation posée par l’article L.561-5 du code monétaire et financier qui, au titre du devoir de vigilance, impose à un établissement bancaire d’identifier son client et non le bénéficiaire effectif de l’opération.
Elle affirme par ailleurs que les opérations contestées ne présentaient pas d’anomalies apparentes en ce que :
Il s’agissait de simples opérations de virement SEPA, qui ne sont pas des opérations complexes ;
Les bénéficiaires indiqués n’étaient pas de nature à l’alerter sur la réalisation d’opérations susceptibles de constituer une fraude; L’origine des fonds alimentant en amont les douze virements litigieux provenaient, selon le libellé des opérations, quasi-exclusivement d’un compte ouvert au nom de M. [N], d’un compte ouvert au nom de son épouse ou d’organismes d’assurance à la suite de rachats de contrats d’assurance-vie ;
Les douze virements étaient à destination d’établissements bancaires de l’espace économique européen et non pas de pays à risques, précisant que la circonstance que les comptes bancaires destinataires soient situés à l’étranger ne constitue pas une irrégularité ;
Les montants des virements étaient cohérents avec les montants entrant sur le compte débité, qui était systématiquement alimenté en conséquence, et ne présentaient pas un caractère exceptionnel au regard de précédents paiement effectués par chèques ou par virements par M. [N] au cours des années 2014, 2015 et 2017.
Critiquant les différentes décisions de justice citées par le demandeur qu’elle estime non transposables au cas particulier, la SA ING Bank N.V. fait valoir qu’en l’absence d’anomalies apparentes et conformément au devoir de non-ingérence qui s’imposait à elle, alors qu’elle n’a jamais été informée des opérations sous-jacentes aux virements, elle n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client et n’a donc commis aucun manquement à son obligation générale de vigilance.
Elle soutient enfin l’absence de tout lien de causalité entre les prétendues fautes qui lui sont imputées et le préjudice allégué qui n’est que la conséquence des propres négligences fautives de M. [N] guidé par le seul appât du gain.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
L’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire a été rendue le 29 novembre 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée à l’audience tenue en juge rapporteur du 13 décembre 2023 à laquelle elle a été évoquée et mise en délibéré au 07 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 – Sur la responsabilité de la ING Bank N.V.
S’il est tenu à une obligation générale de vigilance, il est de principe que l’établissement bancaire teneur de compte est également astreint à une obligation de non-ingérence qui lui interdit de s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait dès lors procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l’identité du bénéficiaire ou l’objet de l’opération, ni intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts. L’établissement bancaire n’a donc pas à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées. Il engage d’ailleurs sa responsabilité s’il n’exécute pas les virements ordonnés par son client.
Il en va différemment s’il se trouve confronté, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’il doit détecter, conformément à son obligation de vigilance.
En l’espèce, loin de remettre en cause l’authenticité des ordres de virement, M. [N] entend seulement demander à la SA ING Bank N.V. réparation des préjudices qu’il a subis en raison du caractère frauduleux de ses investissements. Or, l’obligation de l’établissement bancaire consistait en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus selon les IBAN fournis par le demandeur en application de l’article L.133-21 du code monétaire et financier indépendamment des autres mentions figurant sur l’ordre, et il n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité du destinataire ou de sa qualité en dehors des instructions reçues de sa cliente eu égard à l’exécution des ordres reçus.
Il ne revenait dès lors pas à la SA ING Bank N.V. d’émettre à l’égard des opérations envisagées une quelconque critique ou mise en garde qui aurait dépassé le cadre de son devoir d’information en qualité de simple prestataire de services de paiement.
En revanche, il lui revenait, au titre des virements ordonnés par M. [N], de satisfaire aux obligations découlant de la convention existant entre un donneur d’ordre et la banque qui tient le compte à débiter. Dans ce cadre, la SA ING Bank N.V. devait procéder aux vérifications concernant l’identité du donneur d’ordre et l’état du compte afin de s’assurer notamment qu’il permettait la couverture du virement demandé et ainsi d’exercer une vigilance en matière de fraude en recherchant si des anomalies matérielles ou intellectuelles affectaient les opérations demandées l’obligeant dans ce cas à interroger son client.
Au cas présent, il n’est pas contesté que les ordres de virement donnés à la SA ING Bank N.V. émanaient de M. [N] et ont été portés au débit de son compte courant qui a été suffisamment provisionné en vue de couvrir lesdites opérations.
Il est également constant que M. [N] a fourni les informations nécessaires pour chaque opération litigieuse, à savoir le montant, l’identité et les coordonnées bancaires des bénéficiaires, étant relevé que le libellé des opérations ne désignait pas les plates-formes frauduleuses.
De plus, M. [N] ne rapporte pas la preuve d’avoir informé l’établissement de la nature des opérations sous-jacentes aux virements ni de lui avoir communiqué le nom des plates-formes par l’intermédiaire desquelles il réalisait ces investissements, empêchant dès lors tout rapprochement par la défenderesse avec la liste noire de l’AMF.
Les rejets des deux virements ne présentaient pas d’anomalie dès lors que le motif invoqué par la banque réceptrice était un problème « technique » et que le demandeur ne rapporte pas la preuve que la banque a eu connaissance d’autres éléments justifiant l’exercice de son devoir de vigilance.
La fréquence et/ou les montants des autres virements ne sauraient constituer quant à eux une anomalie dès lors que le compte bancaire de M. [N] a présenté par le passé des opérations similaires telles que des paiements par chèque émis le 21 mars 2014 pour un montant de 100.000 euros et le 24 mars 2014 pour un montant de 35.000 euros, ou des mouvements tels que des virements reçus le 3 juillet 2014 pour des montants respectifs de 65.000 et 34.990 euros, un virement émis le 4 juillet 2014 pour un montant de 100.000 euros, un virement émis le 16 octobre 2014 pour un montant de 15.500 euros, un virement reçu le 26 janvier 2015 pour un montant de 20.000 euros, un virement émis le 27 janvier 2015 pour un montant de 19.754,65 euros, un virement émis le 17 avril 2015 pour un montant de 11.220,57 euros, un virement émis le 31 juillet 2015 pour un montant de 19.015,84 euros, un virement émis le 28 septembre 2015 pour un montant de 12.000 euros, un virement émis le 27 février 2017 pour un montant de 11.000 euros, le demandeur étant par ailleurs libre d’investir seul son épargne comme bon lui semble.
De même, la nature internationale des opérations à destination du Danemark, du Royaume-Uni, du Luxembourg, de la Pologne et de la Slovaquie, pays membres de l’espace économique européen, est insuffisante pour justifier une alerte de la banque qui, en toute hypothèse, aurait porté sur une suspicion de fraude fiscale ou de blanchiment dont seules les autorités compétentes en la matière auraient dû être informées le cas échéant.
L’authenticité des ordres de virement étant avérée et la situation du compte permettant d’effectuer ces opérations étant créditrice, la SA ING Bank N.V. n’était donc pas tenue d’interroger M. [N] sur ses demandes de transfert de fonds et sur leur finalité, et ce dans le respect du principe de non-ingérence, étant relevé que la banque n’est par ailleurs pas obligée par les éventuelles pratiques mises en place, à leur seule initiative, par d’autres établissements, en dehors de tout cadre contraignant réglementaire ou législatif.
M. [N] est dès lors mal fondé à rechercher la responsabilité de la banque, en sa simple qualité de teneur du compte depuis lequel les virements ont été effectués, alors qu’il était déterminé à effectuer les opérations qu’il conteste aujourd’hui, du fait des rendements espérés.
S’agissant des obligations spéciales de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, comme le rappelle lui-même le demandeur, ces dernières ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et poursuivent un objectif d’intérêt général. Il se déduit de ces dispositions que la victime d’agissements frauduleux, qui par ailleurs peut rechercher la responsabilité d’un établissement bancaire sur le fondement de son obligation générale de vigilance comme il a été examiné précédemment, ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour caractériser un manquement de l’organisme financier qui, par ailleurs, n’a pas le droit d’informer son client des déclarations qu’il peut être amené à faire le concernant auprès des autorités compétentes qui seules peuvent s’opposer à l’exécution de l’opération suspecte.
En conséquence, les demandes formulées à l’encontre de la SA ING Bank N.V. sont rejetées.
2 – Sur les demandes accessoires
2.1 – Sur les frais du procès
M. [N] qui succombe supportera les dépens et est condamné au paiement à la SA ING Bank N.V. d’une somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
2.2- Sur l’exécution provisoire
La nature de la décision rendue nécessite d’écarter l’exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE M. [J] [N] de ses demandes ;
CONDAMNE M. [J] [N] aux dépens ;
CONDAMNE M. [J] [N] à payer à la SA ING Bank N.V. la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
ECARTE l’exécution provisoire de droit.
Fait et jugé à Paris le 07 Février 2024
Le GreffierLe Président