Refus d’accès à une base de données : l’abus de position dominante

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Affaire OneKey

Bel exemple de jonction entre propriété intellectuelle et droit de la concurrence : la Cour de cassation a confirmé la condamnation de la société Cegedim pour abus de position dominante (près de 6 millions d’euros) pour refus d’accès à l’un de ses concurrents, de sa base de données OneKey, le fichier mondial de référence des professionnels de santé. Par décision n° 14- D-06 du 8 juillet 2014, l’Autorité avait jugé que la  société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en mettant en oeuvre, entre octobre 2007 et avril 2013, sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, un abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données OneKey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris.

Reconnaissance d’un marché pertinent

Il existe, de la part des laboratoires pharmaceutiques, une demande spécifique de données relatives aux noms, adresses et spécialités des médecins prescripteurs de médicaments ou de produits relatifs à la santé, afin de connaître quels sont les médecins qui prescrivent leurs médicaments et les zones géographiques les plus concernées par leurs offres et de pouvoir entrer en contact avec ces professionnels pour leur faire connaître leurs médicaments et produits.

Ces informations, qui répondent à un besoin particulier et propre aux laboratoires pharmaceutiques, leur sont indispensables pour connaître les besoins de leur clientèle et ne peuvent être substituées par d’autres informations portant, par exemple, sur un ou plusieurs autres secteurs d’activités, qui ne seraient d’aucune utilité pour eux. A cette demande spécifique et non substituable répond une offre de fourniture de ces informations, qui émane de divers acteurs, dont la société Cegedim.

La rencontre de cette offre et de cette demande, portant sur des produits spécifiques non substituables, constitue bien un marché pertinent, défini comme celui des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales.

Position dominante en parts de marché

L’existence d’une position dominante correspond à une situation de puissance économique qui donne à l’entreprise qui la détient le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents et de ses clients (CJUE 17-02-2011, C-52/ 09 aff. TeliaSonera Sverige).

Il se déduit de cette définition que si la détention d’une part de marché importante constitue un critère de détermination de l’existence d’une position dominante, ce quantum n’est pas le seul élément à prendre en compte. En conséquence, les incertitudes sur le montant exact de la part du marché pertinent détenue par l’entreprise en cause peuvent être compensées par d’autres indices, dès lors que l’ensemble des éléments relevés permet de conclure que celle-ci peut faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur ce marché, sa situation lui donnant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents et de ses clients.

Appliqué au cas d’espèce, la société Cegedim évaluait à tort la part de marché de sa base de données à 22 % et celle des bases concurrentes à 6 % mais ne fournissait aucun chiffre pour les bases de données internes aux entreprises. La part de marché détenue par des opérateurs non identifiés correspondait à celle de l’autoproduction mais celle-ci ne doit pas être prise en compte dans le calcul des parts de marché. Il en déduit que l’Autorité était en droit d’évaluer à 78 % la part de marché de la société Cegedim. L’importance de cette part de marché était confortée par  le fait que les plus grands laboratoires sont clients de la société Cegedim et utilisent son fichier OneKey, ainsi que par les informations que cette société a elle-même diffusées au public sur son site internet. La puissance de marché de la société Cegedim résultait également des qualités de la base de données Onekey, telles son exhaustivité et sa mise à jour quotidienne, lesquelles réclament un investissement important et continu, ce qui constitue une réelle barrière à l’entrée.

La société Cegedim se trouvait donc en position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques, peu important que la base OneKey ne puisse pas être qualifiée d’infrastructure essentielle, faute de remplir les conditions particulières nécessaires à cette qualification.

Refus de vente anticoncurrentiel

Il était établi que la société Cegedim refusait de vendre sa base de données Onekey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, alors qu’elle acceptait de la vendre à des utilisateurs ayant recours à des logiciels concurrents.

Ce refus discriminatoire a eu un effet anticoncurrentiel en créant, au préjudice de la société Euris, sans justification économique ou juridique, un désavantage en termes de coûts et d’image par rapport à l’ensemble de ses concurrents sur le marché des logiciels de gestion de la relation clients (logiciels CRM) dans le secteur de la santé, faussant ainsi le jeu de la concurrence sur ce marché.

Impact des soupçons de contrefaçon

Le refus de vendre peut être reconnu comme une légitime défense et être un fait exonératoire de responsabilité en toute matière ; il y a légitime défense lorsque la personne poursuivie adopte un comportement constitutif d’une infraction ou d’une faute, alors qu’elle pouvait « raisonnablement croire à l’imminence d’un péril ». En effet, toute entreprise, fût-elle placée dans une position dominante, dispose, dans une mesure raisonnable, de la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts (CJCE, United Brands, 15 février 1978, aff 27/ 76).

La société Cegedim a excipé en vain de soupçons de contrefaçon pour légitimer son refus de vente à l’encontre de la société Euris. Le refus de vente ne s’est pas limité à un seul refus mais s’était inscrit dans le cadre d’une stratégie commerciale consistant à opposer à tous les utilisateurs, actuels et potentiels, du logiciel de la société Euris un refus d’accès à la base de données OneKey. Des éventuelles pratiques de contrefaçon ne peuvent conduire qu’à introduire des actions judiciaires prévues pour la protection des droits.

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