Obligation d’entretien de l’Etat
Adolphe Philippe devenu Adolphe d’Ennery, célèbre dramaturge décédé à Paris le 26 janvier 1899, a légué à l’Etat un hôtel particulier avenue Foch à Paris ainsi que l’importante collection d’objets et d’oeuvres d’arts japonais, chinois et d’Extrême-Orient qui s’y trouvait, ces biens lui ayant été donné par contrat de mariage par son épouse. Le legs a été constitué aux termes de testaments authentiques prévoyant de faire dans l’immeuble, un musée. Le legs était assorti des charges suivantes : i) la fondation d’un musée accessible gratuitement au public et dans lequel sera exposée la collection d’objets légués par Monsieur d’Ennery, ii) le musée devra porter la dénomination de Musée d’Ennery qui sera inscrite au frontispice de l’Hôtel, iii) les objets de la collection devront être présentés dans les conditions les plus favorables à leur exposition et devront être conservés dans l’organisation où ils se trouveront au moment du décès [de Monsieur d’Ennery].
Adolphe d’Ennery légua également à l’Etat une rente dont les arrérages étaient destinés à l’entretien du bâtiment et au paiement du traitement du personnel du musée, ainsi que le produit de la vente des objets mobiliers garnissant l’hôtel particulier et non légués autrement, à charge pour l’Etat de l’employer en rente française pour faire face aux travaux de grosse réparation et autres. L’Etat a accepté le legs. Par Décret n° 2003-1301 du 26 décembre 2003 a été créé un établissement public national à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé de la culture, regroupant le musée national Guimet et le musée national d’Ennery, dénommé «Etablissement public du musée des arts asiatiques Guimet ». Le musée a été ouvert au public de 1908 jusqu’en 1996.
L’héritière en ligne directe d’Adolphe d’Ennery a poursuivi l’Etat français aux motifs que ce dernier souhaitait rendre l’accès au musée national d’Ennery payant. L’Etat faisait valoir que l’évolution des conditions économiques du legs et de l’entretien et du fonctionnement du Musée d’Ennery ont rendu la charge de gratuité de l’accessibilité du musée au public extrêmement difficile et sérieusement dommageable.
Pour l’Etat, l’abrogation de la charge de gratuité n’avait pas pour effet de dénaturer le legs, dans la mesure où, selon l’article L 442-6 du code du patrimoine, les droits d’entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser l’accès de ces musées au public le plus large. Le musée Guimet mettrait ainsi en œuvre une politique de tarifs réduits et d’exonération ciblée, notamment pour les moins de 18 ans, les enseignants, et les plus démunis.
L’héritière a fait valoir qu’aucun gros travail n’a été effectué entre 1968 et 1992, l’Etat, selon elle, laissant alors dépérir l’immeuble sans songer à demander la révision de la charge. Les seuls travaux d’importance effectués par l’Etat entre la fermeture du Musée et l’assignation étaient la remise en état de l’appartement du conservateur. Ces travaux représentant presque 50.000€ selon les propres explications de l’Etat, qui auraient (selon l’héritière) pu être investis dans l’accueil du public plutôt que dans l’accueil du seul conservateur du Musée.
Le tribunal n’a pas retenu que l’Etat a abandonné le musée qu’il avait la charge d’entretenir et de faire visiter gratuitement.
Pour trancher la contestation, le tribunal a essentiellement eu égard à la volonté du disposant qui, effectivement, avait voulu pérenniser la collection en l’offrant en un musée accessible à tout un chacun, dédié à l’éducation de tous, pour cela gratuit, afin de perpétuer ainsi l’entreprise de son épouse. S’agissant de la dimension économique du legs, il apparaît essentiellement que la rente avait pour fonction d’assurer l’autonomie de fonctionnement du musée qui ne devait pas être une charge pour l’Etat. Significativement, le disposant a expressément prévu et chiffré le salaire du personnel du musée, conservateur compris.
Il est constant que le capital de la rente léguée ne pouvait pas faire l’objet d’acte de disposition selon les prévision du legs, le raisonnement implicite du testateur ayant été manifestement marqué du sceau de la stabilité monétaire connue depuis le franc germinal et achevée en 1914, mais volontiers perçue à cette époque comme étant promise à une perpétuité analogue à celle voulue pour un tel legs.
Par ailleurs, la rente a presque totalement fondu par l’effet d’une histoire économique qui a dépassé toute les prévisions du testateur. Plus de quarante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, qui avait achevé de réduire la rente à une somme dérisoire, l’entretien du legs et le fonctionnement du musée étaient entièrement passés à la charge de l’Etat.
Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché à l’Etat légataire la circonstance dans laquelle, au milieu des années 1990, le musée s’est trouvé dans une situation telle que les planchers étaient instables et devaient être refaits entièrement dans certaines salles, telle que l’installation électrique était devenue hors normes minimales, et telle qu’il fallait refaire les installations assurant la sécurité des collections.
Mise en place d’un droit d’entrée payant
La dépréciation de la rente et la nécessité d’engager des dépenses sans commune mesure avec cette rente pour répondre aux normes de sécurité des personnes et des biens apparaissait bien de nature à rendre l’exécution des charges grevant le legs extrêmement difficile, et surtout extrêmement dommageable pour l’Etat puisque l’équilibre économique voulu par le disposant, lequel devait assurer l’autonomie budgétaire du legs, a été bouleversé. Le budget du musée est de fait à la charge pleine et entière de l’Etat depuis de très nombreuses années, et ce sans aucune compensation véritable.
Par ailleurs, alors que la gratuité voulue par le disposant marque une volonté privée manifestement soucieuse de promouvoir – par le seul moyen alors envisageable- la démocratisation culturelle, à une époque où cela revêtait un caractère pionnier, la loi, depuis, a, d’une part et de longue date, assimilé cet objectif, comme le révèle en dernier lieu l’article L410-1 du code du patrimoine (le musée y est défini comme « toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public »), d’autre part, institué des alternatives à la gratuité totale, permettant de pérenniser l’ambition de démocratisation culturelle, tout en demeurant dans un compromis de réalité avec les nécessités économiques et budgétaires. C’est ainsi que le tribunal a considéré que toute politique tarifaire qui sera appliquée dans le respect des dispositions légales et réglementaires ordonnées au respect de cet objectif de démocratisation culturelle ne portera pas atteinte à l’objectif véritablement recherché par le disposant lorsqu’il a voulu la gratuité.
De sorte que, sans crainte de manquer au respect de la volonté d’Adolphe d’Ennery, le tribunal a fait droit à la demande de rendre le Musée payant, à charge pour l’Etat de ne pas dépasser les limites de ce qui est raisonnable eu égard à la tarification des musées nationaux.
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