Conseil d’Etat, 26 janvier 2021, n° 2021-73
Conseil d’Etat, 26 janvier 2021, n° 2021-73
Type de juridiction : Conseil d’Etat Juridiction : Conseil d’Etat

Résumé

Les nouvelles modalités de la chronologie des médias favorisent les opérateurs de SMAD, tels que Netflix, en leur offrant des fenêtres de diffusion plus avantageuses. En contrepartie, ces plateformes doivent respecter des obligations de production. Canal Plus a tenté de suspendre le décret n° 2021-73, arguant que les investissements des SMAD dans les droits de diffusion compromettaient sa position. Le Conseil d’État a cependant soutenu le Gouvernement, qui vise à réduire l’asymétrie concurrentielle entre les SMAD et les éditeurs de télévision. Ainsi, les plateformes devront investir une part de leur chiffre d’affaires dans la production d’œuvres françaises.

Les nouvelles modalités de la chronologie des médias en faveur des opérateurs de SMAD (Netflix et autres) est confirmée, les nouvelles fenêtres de diffusion (qui leurs sont favorables) sont la contrepartie de leurs prochaines obligations de production.

La société d’édition Canal Plus a demandé en vain la suspension du décret n° 2021-73 du 26 janvier 2021 fixant le délai prévu à l’article 28 de l’ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 pour la conclusion d’un nouvel accord rendu obligatoire portant sur les délais applicables aux différents modes d’exploitation des oeuvres cinématographiques.

Les arguments de Canal Plus

La société a tenté de faire valoir que depuis l’automne 2020, les plateformes SMAD investissent avec des moyens financiers sans commune mesure avec ceux de Canal Plus dans l’acquisition de droits de diffusion de films français. Elle soutenait que la perspective d’une remise en cause imminente de la chronologie des médias, qui offrira aux plateformes des fenêtres de diffusion plus favorables, compromettait gravement, avant même la publication du décret en Conseil d’Etat prévu par ces dispositions, sa situation à très court terme, sans possibilité qu’une décision au fond ne puisse neutraliser cet état de fait.

Elle soulignait qu’eu égard aux sommes que les plateformes SMAD sont en mesure d’investir, cette situation l’expose à une remise en cause des contrats déjà conclus, sur la base de la chronologie actuelle, avec les producteurs européens et français et les  » majors  » américaines.

Elle dénonçait enfin, le caractère irréaliste des délais imposés par le Gouvernement pour renégocier la chronologie des médias, alors que les plateformes SMAD ont en tout état de cause la certitude d’obtenir du pouvoir réglementaire des fenêtres de diffusion plus favorables qu’aujourd’hui.

Négociations entre organisations professionnelles

Le Conseil d’Etat s’est rallié à la position du Gouvernement qui a souhaité faire coïncider au 1er juillet 2021 l’entrée en vigueur d’une nouvelle chronologie des médias avec celle des nouveaux régimes d’obligations d’investissement dans la création française, dont celui relatif aux services de médias audiovisuels par abonnement.

L’objectif est d’améliorer la place relative de ces services dans la chronologie des médias, en contrepartie des obligations nouvelles auxquelles ils sont assujettis depuis le 1er janvier dernier. Le nouveau cadre réglementaire a précisément pour objet de réduire l’asymétrie concurrentielle existant entre les plateformes SMAD et les éditeurs de services de télévision.

Si le pouvoir réglementaire n’a vocation à fixer la chronologie des médias qu’en cas d’échec des négociations entre organisations professionnelles, les plateformes SMAD retrouveront, en l’absence d’accord ou de décret en Conseil d’Etat, une totale liberté dans l’acquisition des droits le 10 février 2022, date d’expiration de l’arrêté du 25 janvier 2019 rendant obligatoire le précédent accord.

En conséquence, la nouvelle politique d’acquisition de droits des plateformes est avant tout due aux obligations qui pèsent sur elles depuis le 1er janvier dernier en termes de contribution au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française.

S’il existe une probabilité élevée que l’actuelle chronologie des médias soit remplacée cet été par un dispositif réglementaire accordant aux plateformes SMAD un traitement plus favorable, il n’est pas possible de prévoir avec certitude les  » fenêtres de diffusion  » qui leur seront accordées ni les conditions qui y seront le cas échéant attachées. Si la perspective d’une évolution de la chronologie des médias en leur faveur a pu également contribuer à l’évolution des pratiques commerciales des plateformes SMAD, avant même qu’un nouveau dispositif soit adopté ou même que les grandes lignes en soient exposées, il n’est pas possible, en l’état de l’instruction, de mesurer le surcroît de pression concurrentielle qui en résulte pour Canal Plus, dans un contexte où l’évolution des technologies et des modes de consommation comme l’arrivée de nouveaux entrants aux capacités financières décuplées bousculent les acteurs en place au moins autant que les changements du cadre réglementaire.

En outre, si Canal Plus fait état d’acquisitions de droits sur des films pour lesquels ces plateformes renoncent à la sortie en salle pour les mettre directement à la disposition du public, ces pratiques ne peuvent en tout état de cause être imputées à l’ordonnance en cause, dès lors que l’absence de sortie en salles d’un film le dispense des obligations de la chronologie des médias.

Nouvelle chronologie des médias et obligations de production des SMAD

Pour rappel, il résulte des dispositions du chapitre III du Livre II du code de cinéma et de l’image animée, intitulé  » Chronologie de l’exploitation des oeuvres cinématographiques « , et notamment de ses articles L. 232-1 à L. 234-1, que si les délais à partir desquels un éditeur de services de médias audiovisuels à la demande ou un éditeur de services de télévision peut mettre à la disposition du public ou diffuser une oeuvre cinématographique après sa sortie en salles est normalement fixé par le contrat d’acquisition des droits, le ministre de la culture peut, lorsque ces délais ont été fixés par voie d’accord professionnel signé par des organisations syndicales représentatives, rendre obligatoire ces accords pour une durée maximale de trois ans.

Par un arrêté du 25 janvier 2019, le ministre de la culture a rendu obligatoires à compter de la publication de cet arrêté, pour une période de trois ans, les stipulations de l’accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018, ensemble son avenant du 21 décembre 2018. Les stipulations en cause s’imposent jusqu’au 10 février 2022 à l’ensemble des éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande et des éditeurs de services de télévision.

D’autre part, la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 permet d’obliger les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande par abonnement établis à l’étranger – et notamment les  » plateformes SMAD  » comme Netflix, Amazon Prime Video et Disney + – à consacrer une part de leur chiffre d’affaires au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française. Il résulte de l’instruction que le Gouvernement français a annoncé son intention d’assujettir les plateformes à de telles obligations dès le début des négociations de cette directive et a, depuis, réaffirmé publiquement cette intention avec constance.

Les articles 19 et 29 de l’ordonnance du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 ont procédé à cette transposition, en précisant que la contribution de ces services à la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française était exigible dès 2021.

Le Gouvernement a soumis à consultation des personnes intéressées début décembre 2020, outre le projet d’ordonnance, un projet de décret en Conseil d’Etat précisant que les services de médias audiovisuels à la demande par abonnement devront consacrer à compter du 1er janvier 2021 une part de 20 % de leur chiffre d’affaires à l’acquisition de tels droits, part portée à 25 %  » lorsqu’ils proposent annuellement au moins une oeuvre cinématographique de longue durée dans un délai inférieur à douze mois après sa sortie en salles en France « .

Indépendamment de toute évolution de la chronologie des médias, les services de médias audiovisuels par abonnement devront consacrer en 2021 une part de leur chiffre d’affaires au développement de la production cinématographique en France et qu’ils ont des raisons sérieuses de penser que cette part ne sera pas inférieure à 20%.

A compter du 1er avril 2021, un décret en Conseil d’Etat pourra fixer, par dérogation, les délais au terme desquels une oeuvre cinématographique peut être mise à la disposition du public par un éditeur de services de médias audiovisuels à la demande ou diffusée par un éditeur de services de télévision.

En l’absence d’un tel décret, que le Gouvernement n’est pas tenu de prendre, les stipulations de l’accord rendu obligatoire par l’arrêté du 25 janvier 2019 du ministre de la culture demeurent applicables jusqu’au 10 février 2022. Cette faculté conférée au pouvoir réglementaire de fixer la chronologie des médias a pour objet d’accélérer une renégociation de l’accord aujourd’hui obligatoire, en vue notamment d’y améliorer la position relative des services de médias audiovisuels à la demande par abonnement, désormais astreints, à consacrer une part de leur chiffre d’affaires au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d’expression originale française.

Enfin, si le Gouvernement choisit de fixer la chronologie des médias par voie d’un décret en Conseil d’Etat, ce décret cessera de s’appliquer dès qu’un nouvel accord professionnel aura été conclu par les parties et rendu obligatoire.

Questions / Réponses juridiques

Quelles sont les nouvelles modalités de la chronologie des médias pour les opérateurs de SMAD ?

Les nouvelles modalités de la chronologie des médias, qui concernent principalement les opérateurs de services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) comme Netflix, ont été confirmées. Ces modalités incluent des fenêtres de diffusion plus favorables pour ces plateformes, en échange d’obligations accrues en matière de production. Ces changements visent à équilibrer la concurrence entre les plateformes SMAD et les éditeurs de services de télévision traditionnels. Les nouvelles fenêtres de diffusion permettront aux SMAD de proposer des contenus plus rapidement après leur sortie en salles, ce qui pourrait influencer la dynamique du marché.

Quels arguments Canal Plus a-t-elle avancés contre le décret n° 2021-73 ?

Canal Plus a fait valoir plusieurs arguments pour contester le décret n° 2021-73. Tout d’abord, la société a souligné que les plateformes SMAD investissent des sommes considérables dans l’acquisition de droits de diffusion de films français, ce qui crée une inégalité de ressources financières. Elle a également exprimé des inquiétudes quant à la remise en cause de la chronologie des médias, qui pourrait compromettre ses contrats existants avec les producteurs. Canal Plus a dénoncé les délais jugés irréalistes imposés par le Gouvernement pour renégocier la chronologie, arguant que les SMAD bénéficieraient d’une position favorable sans avoir à renégocier.

Quel est l’objectif des nouvelles obligations d’investissement pour les SMAD ?

L’objectif des nouvelles obligations d’investissement imposées aux SMAD est de renforcer leur contribution au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles en France. Ces obligations, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021, exigent que les plateformes consacrent une part de leur chiffre d’affaires à la production d’œuvres européennes ou d’expression originale française. Cette mesure vise à réduire l’asymétrie concurrentielle entre les SMAD et les éditeurs de services de télévision, en s’assurant que les plateformes contribuent au financement de la création locale. En conséquence, les SMAD doivent investir au moins 20 % de leur chiffre d’affaires, avec une augmentation possible à 25 % si elles proposent des œuvres rapidement après leur sortie en salles.

Quelles sont les conséquences de l’absence d’accord entre les organisations professionnelles ?

En l’absence d’accord entre les organisations professionnelles, les plateformes SMAD retrouveront une totale liberté dans l’acquisition des droits à partir du 10 février 2022. Cela signifie qu’elles pourront négocier directement avec les producteurs sans être contraintes par les anciennes règles de la chronologie des médias. Cette situation pourrait entraîner une intensification de la concurrence sur le marché, car les SMAD pourraient acquérir des droits de diffusion de manière plus agressive. Cela pourrait également avoir des répercussions sur les contrats déjà en place pour Canal Plus et d’autres éditeurs de télévision, qui pourraient se retrouver désavantagés.

Comment le Gouvernement français a-t-il intégré la directive (UE) 2018/1808 ?

Le Gouvernement français a intégré la directive (UE) 2018/1808 en imposant des obligations aux éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande, y compris ceux établis à l’étranger comme Netflix et Amazon Prime Video. Cette directive permet d’exiger que ces plateformes consacrent une part de leur chiffre d’affaires au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles en Europe. Les articles 19 et 29 de l’ordonnance du 21 décembre 2020 ont précisé que cette contribution est exigible dès 2021. Le Gouvernement a également soumis des projets de décret pour encadrer ces obligations, renforçant ainsi le cadre réglementaire pour les SMAD et leur rôle dans le financement de la création audiovisuelle en France.
 

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