Tribunal judiciaire de Nanterre, 26 novembre 2024, RG n° 21/01585
Tribunal judiciaire de Nanterre, 26 novembre 2024, RG n° 21/01585
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Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nanterre

Thématique : Respect des procédures et preuve d’exposition au risque dans la reconnaissance des maladies professionnelles

Résumé

Mme [E] [M], opératrice à la SAS [4], a demandé la reconnaissance de sa maladie professionnelle, une tendinopathie de l’épaule, acceptée par la caisse d’assurance maladie en avril 2021. Contestant cette décision, la société a saisi le tribunal, arguant de violations procédurales et d’une absence d’exposition au risque. Le tribunal a examiné les manquements et a constaté que la caisse avait respecté les délais de consultation. Cependant, il a relevé des contradictions sur les conditions de travail de Mme [M] et a jugé que l’instruction sur l’exposition au risque était insuffisante, rendant la décision de prise en charge inopposable.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE SOCIAL

Affaires de sécurité sociale et aide sociale

JUGEMENT RENDU LE
26 Novembre 2024

N° RG 21/01585 – N° Portalis DB3R-W-B7F-W6PM

N° Minute : 24/01699

AFFAIRE

Société [4]

C/

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE, [E] [M]

Copies délivrées le :

DEMANDERESSE

Société [4]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Michaël RUIMY, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1309

substitué à l’audience par Me Myriam SANCHEZ, avocate au barreau de PARIS

DEFENDERESSES

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE
Pôle juridique – Service contentieux
[Adresse 5]
[Localité 2]

représentée par Mme [K] [L], munie d’un pouvoir régulier

***

L’affaire a été débattue le 15 Octobre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :

Matthieu DANGLA, Vice-Président
François GUIDET, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Yoann VOULHOUX, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats et du prononcé : Stéphane DEMARI, Greffier.

JUGEMENT

Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon la déclaration du 4 novembre 2020, Mme [E] [M], opératrice au sein de la SAS [4] a établi une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, faisant état d’une tendinopathie fissuraire – coiffe des rotateurs épaule droite – rupture transfixiante sur la base d’un certificat médical initial du 3 novembre 2020, constatant les mêmes symptômes.

Après instruction, la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde a pris en charge le 13 avril 2021 au titre du tableau n°57 des maladies professionnelles concernant la maladie du 19 mai 2020 : affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.

Contestant l’opposabilité de cette décision, la société a saisi le 11 juin 2021, la commission de recours amiable de la caisse, qui n’a pas rendu d’avis dans le délai qui lui était imparti.

Par requête enregistrée le 24 septembre 2021, la société a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre.

L’affaire a été appelée à l’audience du 15 octobre 2024, date à laquelle les parties représentées ont comparu et pu émettre leurs observations.

Aux termes de ses dernières conclusions, la SAS [4] sollicite du tribunal de :
à titre principal,
– juger la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 19 mai 2020 inopposable à la société en raison de la violation par la caisse des dispositions de l’article R461-9 du code de la sécurité sociale ;
à titre subsidiaire,
– juger la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 19 mai 2020 inopposable à la société en raison du fait que Mme [M] n’est pas exposée au risque tel que décrit dans le tableau des maladies professionnelles, l’absence d’enquête complémentaire de la caisse et que la caisse ne pouvait prendre en charge la maladie sans soumettre le dossier au CRRMP ;
– condamner la caisse aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde demande au tribunal de débouter la société de son recours.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer aux conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience du 15 octobre 2024 pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale de la SAS [4] relative au non-respect du délai de consultation du dossier

La société fait valoir, à titre principal, que la caisse a commis des manquements dans le cadre de l’instruction de la maladie professionnelle en ne respectant pas les phases de consultation prévues par l’article R461-9 du code de la sécurité sociale, de sorte que la caisse a rendu sa décision de prise en charge de la maladie le 13 avril 2021, sans que la société ait pu consulter les nouvelles pièces du dossier.

La caisse soutient pour sa part que dans le cadre de l’instruction la procédure est régulière et le contradictoire est respecté dès lors que la société a été en mesure de consulter le dossier et faire connaître ses éventuelles observations sur la période du 1er au 12 avril 2021, correspondant au délai réglementaire de 10 jours francs. Elle rappelle qu’à l’issue de ce délai, le dossier est figé et les parties ne peuvent plus influer sur la décision à intervenir par la formulation d’observation, en précisant que la société n’a pas usé de cette faculté de consulter le dossier ou de présenter des observations.

L’article R461-9 du code de la sécurité sociale, prévoit que :
 » I.-La caisse dispose d’un délai de cent-vingt jours francs pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles mentionné à l’article L. 461-1.
(…)
La caisse adresse un double de la déclaration de maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial à l’employeur auquel la décision est susceptible de faire grief par tout moyen conférant date certaine à sa réception ainsi qu’au médecin du travail compétent.
II.-La caisse engage des investigations et, dans ce cadre, elle adresse, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, un questionnaire à la victime ou à ses représentants ainsi qu’à l’employeur auquel la décision est susceptible de faire grief. Le questionnaire est retourné dans un délai de trente jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire.
La caisse peut également, dans les mêmes conditions, interroger tout employeur ainsi que tout médecin du travail de la victime.
La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur de la date d’expiration du délai de cent-vingt jours francs prévu au premier alinéa du I lors de l’envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l’ouverture de l’enquête.
III.-A l’issue de ses investigations et au plus tard cent jours francs à compter de la date mentionnée au deuxième alinéa du I, la caisse met le dossier prévu à l’article R. 441-14 à disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur auquel la décision est susceptible de faire grief.
La victime ou ses représentants et l’employeur disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.
La caisse informe la victime ou ses représentants et l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.  »

En l’espèce, le 29 décembre 2020, la caisse a informé les parties de la nécessité de mener des investigations en leur demandant de remplir un questionnaire en ligne sous 30 jours. Ce courrier précisait que les parties avaient  » la possibilité d’en consulter les pièces et de formuler [des] observations du 1er avril au 12 avril 2021, directement en ligne sur le même site internet « . Au-delà de cette date, le dossier restait consultable jusqu’à la décision de la caisse, qui devait intervenir au plus tard le 21 avril 2021.

Il résulte que la caisse a bien informé l’employeur des dates précises d’ouverture et de clôture des deux phases de consultations, la première de 30 jours au cours de laquelle la société a la possibilité de consulter le dossier, de faire des observations et d’y ajouter des pièces et la deuxième phase de 10 jours, qui permet la consultation du dossier et la formulation d’observations mais exclut l’ajout de nouvelles pièces.

La caisse a respecté le délai réglementaire de 10 jours francs du 1er au 12 avril 2021 pour permettre à la société de consulter les pièces du dossier et d’émettre ses observations, peu important que la caisse ait pris sa décision le 13 avril 2021, soit dans le délai imparti à la caisse pour rendre sa décision avant le terme du délai de consultative passive.

Ce premier moyen sera donc rejeté.

Sur la demande subsidiaire tendant à faire constater l’absence de respect de la condition relative à l’exposition au risque visée au tableau 57 A des maladies professionnelles

Selon l’article L461-1 du code de la sécurité sociale,  » est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau « .

Le tableau 57 A des maladies professionnelles vise notamment au titre des affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM.

Elle indique comme liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces affections,  » des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.  »

En l’espèce, la société conteste, à titre subsidiaire, le caractère professionnel de la maladie déclarée soutenant que la condition relative à l’exposition au risque n’est pas établie par la caisse. A ce titre, elle argue que :
– Mme [M] occupait un poste d’opératrice de fabrication ;
– l’intitulé du poste ne peut suffire à démontrer une exposition au risque telle que décrite au tableau n°57 A ;
– la salariée effectuait pendant moins d’une heure par jour des travaux comportant des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 60 % ;
– elle effectuait entre une heure et deux heures par jour des travaux comportant des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 90 % ;
– ce mouvement n’est aucunement répété.

Le tribunal relève des contradictions dans les questionnaires rapportés sur les horaires de travail, le poste occupé, les absences et des conditions de travail de la salariée.

En effet, il ressort du questionnaire rempli par Mme [M] qu’elle effectuait :
– des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 60°, sans soutien (exemple : chaîne de fabrication, caisse, travaux sur établi) plus de deux heures par jour et plus de trois jours par semaine ;
– des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 90°, sans soutien (exemple : travaux en hauteur) plus de deux heures par jour et plus de trois jours par semaine.

Selon questionnaire rempli par la société, la salariée effectuait :
– des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 60°, sans soutien (exemple : chaîne de fabrication, caisse, travaux sur établi) moins d’une heure par jour et plus de 3 jours par semaine ;
– des mouvements ou postures avec le bras décollé du corps d’au moins 90°, sans soutien (exemple : travaux en hauteur) entre 1 heure et 2 heures par jour et plus de 3 jours par semaine.

S’appuyant sur ces éléments, la caisse a considéré que l’exposition au risque était établie.

Il s’avère toutefois que la société a invoqué que le mouvement n’est aucunement répété, de sorte qu’il n’y a pas une exposition habituelle à la réalisation répétée du mouvement.

Or, la caisse n’a réalisé aucun acte d’enquête complémentaire pour examiner cet argument qui présentait un caractère sérieux et sa décision ne repose ainsi sur aucun élément objectif permettant de vérifier le respect des conditions posées par le tableau n°57 des maladies professionnelles.

Il s’en déduit que la caisse ne rapporte pas la preuve de l’exposition au risque qui lui incombe et que l’instruction menée par la caisse est insuffisante à démontrer l’exposition au risque professionnel requis par le tableau 57 A.

Par conséquent, il y aura lieu de déclarer inopposable à la société, la décision de prise en charge de la pathologie.

Sur les demandes accessoires

En application de l’article 696 du code de procédure civile, il conviendra de condamner la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde aux dépens, dès lors qu’elle succombe.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort et mis à disposition au greffe

DÉCLARE inopposable à la SAS [4] la décision de prise en charge par la caisse d’assurance maladie de la Gironde du 13 avril 2021 de prendre en charge l’affection déclarée par Mme [E] [M] au titre de la législation sur les risques professionnels ;

REJETTE toutes les autres et plus amples demandes ;

CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde aux dépens.

Et le présent jugement est signé par Matthieu DANGLA, Vice-Président et par Stéphane DEMARI, Greffier, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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