Vidéos de mariage : pas d’atteinte à la vie privée 

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Vidéos de mariage : pas d’atteinte à la vie privée 

Un journaliste est en droit de publier sur sa page Facebook, des vidéos en direct du mariage d’une personnalité publique dès lors que les scènes sont filmées à l’extérieur de la mairie. La  la scène objet de la diffusion litigieuse portait sur la seule arrivée des futurs époux en mairie ; elle était filmée en extérieur, en un lieu public, et concernait un mariage, acte d’état-civil soumis à publicité conformément à l’article 169 du code civil.

La diffusion, qui ne contient que l’information de l’union des époux et du lieu de la célébration, ne comprend aucune révélation qui constituerait une atteinte à la vie privée.

Il n’y a pas non plus d’atteinte au droit à l’image des époux dès lors que l’image diffusée ne porte aucune atteinte au droit au respect dû à leur image.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 30 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/17518 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCX3X

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 27 Novembre 2020 -Président du TJ de Paris – RG n° 20/55271

APPELANTS

Mme E Z

[…]

94100 SAINT-MAUR-DES-FOSSÉS

Représentée par Me Jean-Sébastien BONNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0164

M. G A

[…]

94100 SAINT-MAUR-DES-FOSSÉS

Représenté par Me Jean-Sébastien BONNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0164

INTIME

M. I C

[…]

[…]

Représenté par Me William BOURDON de l’AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R143

Assisté par Me Charly SALKAZANOV, avocat au barreau de PARIS, toque : R143

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Mai 2021, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Carole CHEGARAY, Conseillère

Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

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Mme E Z, fille de M. X, industriel malgache, et M. G A se sont mariés le […] à la marie de Saint-Maur-des-Fossés (Val de Marne).

M. Y, qui se présente comme journaliste, a posté, le […], sur sa page Facebook, deux vidéos en direct du mariage de Mme Z et de M. A. Une troisième vidéo a été postée le 28 mars 2020 où sont mentionnés le numéro de vol de l’avion à destination de Madagascar et le numéro de passager des époux A.

Le 24 avril 2020, les époux A ont mis en demeure M. B de procéder au retrait des vidéos litigieuses.

Le 9 juin 2020, les époux A ont assigné M. Y devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de le voir condamner à supprimer les trois vidéos litigieuses et à leur payer, à titre provisionnel, la somme de 20.000 euros en réparation de leur préjudice.

Par ordonnance de référé contradictoire rendue le 27 novembre 2020, le président du tribunal judiciaire de Paris a :

— débouté M. I Y de sa demande visant à voir l’assignation déclarée irrecevable ;

— débouté M. I Y de sa demande visant à voir déclarer incompétent le juge des référés ;

— déclaré irrecevable M. I Y en sa demande visant à voir déclarer incompétent ‘le tribunal judiciaire’ ;

— dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de Mme E Z et de M. G A dirigées contre M. I Y ;

— condamné in solidum Mme E Z et M. G A à payer à M. I Y la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

— condamné in solidum E Z et G A aux dépens ;

— rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit nonobstant appel.

Mme Z et M. A ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 3 décembre 2020.

Par dernières conclusions en date du 10 mars 2021, au visa des articles 9 du code civil, 835, alinéa 2, du code de procédure civil, 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ils demandent de :

— les déclarer recevables et bien-fondés en leur écritures ;

y faisant droit,

— infirmer l’ordonnance de référé rendue le 27 novembre 2020 par le président du tribunal judiciaire de Paris ;

statuant à nouveau,

— condamner M. Y à verser à Mme Z et à M. A la somme de 20.000 euros à valoir sur la liquidation de leur préjudice ;

— condamner M. Y à verser à Mme Z et à M. A la somme de 5.000 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ils affirment que chacun a droit au respect de sa vie privée. L’atteinte aux droits de la personne caractérise l’urgence au sens de l’article 9 du code civil. Ils soutiennent que M. Y n’est pas journaliste et a usurpé cette qualité. L’utilisation d’une caméra cachée ne peut être retenue dans le cadre d’une enquête journalistique.

Ils considèrent que les informations relatives au mariage sont protégées au titre de l’article 9 du code civil ; le fait de filmer les mariés, le lieu de mariage, plusieurs invités ainsi que les circonstances de leur union est constitutif d’une atteinte à leur vie privée. La publicité de l’acte d’état civil ne fait pas obstacle à la violation de l’article 9 dès lors que la publication litigieuse vise une activité intime. Dans une autre vidéo, M. Y révèle un voyage privé des époux ainsi que leur numéro de vol et leur place. De plus, aucune circonstance ne justifie la révélation du mariage et du voyage des époux puisqu’ils ne sont pas des personnalités publiques et que les révélations de ces événements ne sont pas d’intérêt général. Ils affirment également que les révélations faites par M. Y ne sont pas justifiées et ne concernent pas, comme il le soutient, la fermeture de l’espace aérien malgache durant la pandémie de covid-19. Aucun lien n’est fait dans ses vidéos entre les évènements filmés et la Covid-19 ou la date de fermeture de l’espace aérien et les événements filmés. Ils en infèrent que leur demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Ils soutiennent enfin si les vidéos ont été supprimées, l’atteinte à leur vie privée leur ouvre droit à réparation.

M. Y, par dernières conclusions remises le 8 avril 2021, demande à la cour, au visa des articles 9, 16 et 63 du code civil, 700 du code de procédure civile et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de :

— confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

— condamner in solidum Mme Z et M. A à payer la somme de 5.000 euros à M. Y en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Il soutient que l’utilisation de la caméra cachée est admise si la proportionnalité est respectée entre le devoir d’information et la protection de la vie privée. Il ajoute qu’il n’a pas porté atteinte au droit à l’image ni à l’intimité de la vie privée : en effet, dans les deux vidéos du […], les époux ne sont pas identifiables et aucune révélation n’est faite à cette occasion puisque le mariage est un événement public faisant l’objet de publicité, les faits étaient donc déjà connus avant la diffusion des vidéos. Il précise que ces révélations font suite au débat lié à la pandémie de la Covid-19 et plus particulièrement à la fermeture des frontières aériennes malgaches afin d’éviter la propagation de l’épidémie. L’intérêt général d’être informé de ces informations prévalait sur la vie privée des appelants. Enfin, il considère que les époux A n’ont pas subi de préjudice puisque les vidéos ont été supprimées, de sorte qu’ils ne sont pas fondés à demander le paiement de dommages et intérêts.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Les appelants ne critiquent pas les dispositions de l’ordonnance entreprise relatives à la recevabilité de l’assignation et à la compétence d’attribution du premier juge.

L’article 9 du code civil dispose : ‘Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.’

Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, ‘Le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.’

L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image. L’article 10 de cette même convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.

Sur les deux vidéos diffusées le […]

Il est établi que M. C a filmé, à l’extérieur de la mairie de Saint-Maur-des-Fossés (Val de Marne), les mariés, Mme Z et M. A, et plusieurs invités à la cérémonie, et qu’il a diffusé ces images dans deux vidéos postées le […] sur sa page Facebook.

Toutefois, la scène objet de la diffusion litigieuse porte sur la seule arrivée des futurs époux en mairie ; elle est filmée en extérieur, en un lieu public, et concerne un mariage, acte d’état-civil soumis à publicité conformément à l’article 169 du code civil. Il n’est pas contesté que la diffusion, qui ne contient que l’information de l’union des époux et du lieu de la célébration, ne comprend aucune révélation qui constituerait une atteinte à la vie privée.

Sur le droit à l’image, M. A n’apparaît à aucun moment sur les vidéos numéros 1 et 2 citées par les appelants. Mme Z apparait en revanche à l’image ; son identification ne laisse pas place au doute, la vidéo n°2 indiquant que ‘les enfants de ‘ Mamy Z ‘ se marient en France ‘. Toutefois, c’est à raison que le premier juge a retenu que l’image diffusée de Mme Z ne présentait aucun caractère dévalorisant et ne portait aucune atteinte au droit au respect dû à son image. L’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé de ce chef.

Sur la vidéo diffusée le 28 mars 2020

Les appelants font grief à cette vidéo de contenir des informations sur leurs conditions de retour à Madagascar en ce qu’elle contient la diffusion d’une liste de passagers du vol opéré par Air Madagascar entre Paris et Tananarive et cite les noms de Mme Z et de M. A.

S’il n’est pas contestable que les informations concernant le voyage privé de Mme Z et de M. A relèvent de la vie privée, il ressort de la procédure que ces informations n’ont été communiquées qu’à titre illustratif :

— dans le cadre d’un débat sur les conditions de rapatriement de ressortissants malgaches et sur la gestion de l’urgence sanitaire à Madagascar – la fermeture du transport aérien malgache ayant été décrétée le surlendemain du retour des époux Z – A – ainsi que cela ressort du commentaire de cette vidéo selon lequel, ‘ si les frontières de Madagascar n’ont pas encore été fermées par Messieurs D et Z, c’est parce que leurs enfants doivent d’abord rentrer ‘, débat que M. C, en sa qualité d’homme politique malgache – qualité reconnue par les appelants – et de journaliste (l’intéressé justifiant de la détention d’une carte de presse – pièce C n°1) était autorisé à porter sur les réseaux sociaux ;

— en raison du caractère influent de la famille de Mme Z, qui reconnaît être ‘ la fille d’une personnalité publique malgache de premier plan ‘ et dont la proximité avec le président de la République de Madagascar, M. G D, n’est pas contestée, M. C étant, pour sa part, un adversaire politique notoire du Président D.

En l’absence, dès lors, de démonstration d’un trouble manifestement illicite fondé sur des atteintes aux droits de la personnalité, l’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise ;

Condamne in solidum Mme Z et M. A aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Les condamne in solidum à payer à M. C la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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