La société SCRIBEO a assigné GOWORK.ES SP ZO.O. pour la publication de faux avis nuisant à sa réputation. Dans sa demande, SCRIBEO a exigé la suppression de la page litigieuse, une astreinte de 1 000 euros par jour, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral. GOWORK a refusé, affirmant que les avis étaient conformes à la loi et que certains avaient déjà été supprimés. SCRIBEO a soutenu que GOWORK ne respectait pas ses obligations légales, notamment en matière de modération des avis. Le tribunal a finalement jugé que SCRIBEO n’avait pas prouvé l’illicéité des avis contestés.. Consulter la source documentaire.
|
Une plateforme en ligne telle que visée à l’article 6 de la LCEN renvoyant au i) de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 (dit “Règlement sur les services numériques”) exploite « un service d’hébergement qui, à la demande d’un destinataire du service, stocke et diffuse au public des informations (…) ». Il s’agit par exemple des plateformes de publication d’avis en ligne ou celles proposant l’accès à des données sans contributions rédactionnelles de type éditorial.
Le “destinataire actif d’une plateforme en ligne” est au sens du point p) du même article 3, un « destinataire du service qui a été en contact avec une plateforme en ligne, soit en demandant à la plateforme en ligne d’héberger des informations, soit en étant exposé aux informations hébergées par la plateforme en ligne et diffusées via son interface en ligne (cela peut donc être une société dont les informations sont publiées en ligne). La plateforme en ligne est considérée comme un “service intermédiaire” tel que défini au sein du même paragraphe g du Règlement précité, à savoir “un des services de la société d’information, c’est-à-dire “tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services” aux termes de l’article 1er , paragraphe 1, b de la Directive (UE) 2015/1535, et susceptible de contribuer à la mise en œuvre des mesures visées par l’article 6-3 de la LCEN. Lorsque l’action engagée devant le tribunal en application des dispositions de l’article 6-3 de la LCEN (retrait de contenus illicites comme des avis négatifs qualifiables de dénigrement ou de diffamation), oppose non pas la personne qui s’estime lésée ou diffamée à la personne qui l’aurait lésée ou diffamée mais la première au service d’hébergement du contenu critiqué, aucun débat contradictoire n’est rendu possible pour évaluer la réalité de l’atteinte. Dans ces conditions, seul un abus caractérisé peut justifier que le juge prenne des mesures telles qu’un retrait de contenu, même partiel, ou la fermeture d’un support de diffusion de propos, celles-ci devant être adaptées et proportionnées au dommage dont la réalisation ou l’imminence est reconnue. Pour rappel, aux termes de l’article 6. I. 8 de la LCEN, devenu 6-3 aux termes de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Il convient néanmoins de rappeler qu’une mesure ne peut être ordonnée à ce titre que si elle est justifiée par le dommage, qu’elle est légalement admissible, et qu’elle ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’auteur des propos, à son droit à la protection de ses données personnelles, garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la même Convention. S’agissant de droits fondamentaux, il revient au juge d’apprécier l’illicéité et la gravité du dommage visé à l’article 6-3 afin de déterminer si les mesures sollicitées de suppression de compte, de suppression de contenus et d’identification de leur auteur, par nature attentatoires au droit à la liberté d’expression et au droit à la vie privée de ce dernier, sont nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Par ailleurs, les avis négatifs doivent être impérativement reproduits dans les conclusions et l’assignation. En la cause, ni l’assignation de la société SCRIBEO ni ses conclusions ne citent ni ne précisent le contenu des commentaires considérés comme litigieux, la société demanderesse renvoyant à l’examen d’un constat d’huissier établi le 23 novembre 2023 comportant 152 pages, sans préciser, par la mention de leur date, de leur auteur et de la page du constat concerné, quels sont les commentaires ainsi évoqués. Ce constat, dont la plupart des pages contenant les captures d’écran sont illisibles en raison de la taille des caractères, contient « des captures d’écran agrandies », en page 41 et suivantes, dont la lecture est rendue difficile en raison de la mauvaise qualité de la reproduction, puis à nouveau en page 82 et suivantes, seuls les commentaires en captures agrandies figurant aux pages 117 et suivantes s’avérant parfaitement lisibles. Aucune explication n’est donnée quant aux choix de reproduction des messages, tour à tour laudateurs ou critiques sur les méthodes de l’entreprise, dans un recensement qui ne semble obéir à aucun ordre chronologique. Plus encore, il apparaît à la lecture du constat du 23 novembre 2023, sur lequel reposerait la demande, que de nombreux avis ont été modérés, puisque certains ont été supprimés (mention « commentaire supprimé par l’administrateur pour non-respect des règles du forum ») tandis que, dans certains autres, des termes ont été supprimés (terme remplacé par la mention « supprimé par l’administrateur »), de sorte que le tribunal ignore quels sont les propos originels qui avaient motivé la mise en demeure adressée le 3 octobre 2023 à la société GoWork.ES de retirer la page de l’entreprise SCRIBEO et quels sont ceux dont le caractère illicite subsisteaux yeux du demandeur. La société demanderesse est ainsi mal fondée à invoquer l’existence d’un dommage qui résulterait de la teneur de messages dont aucun n’est reproduit dans ses demandes, dont aucun n’est individualisé ni précisé dans son contenu, et qui ont été modifiés consécutivement aux mesures de modération prises par l’hébergeur. Ce faisant, outre qu’elle laisse parfaitement indéterminés les commentaires qu’elle considère illicite, la société demanderesse ne caractérise pas non plus le dommage qui justifierait l’intervention judiciaire sollicitée. Sauf à faire valoir, en des termes particulièrement généraux, une « atteinte à sa e-réputation », la demanderesse ne se propose pas de préciser les modalités et le contenu de cette atteinte, dès lors qu’elle ne se propose pas d’expliciter en quoi des commentaires lui prêteraient des agissements pénalement répréhensibles ou à tout le moins civilement sanctionnables. En définitive, en ne se proposant ni d’identifier les propos litigieux, ni leur caractère illicite, ni encore le dommage qu’ils occasionnent, la société SCRIBEO ne fonde pas sa demande au regard des exigences de l’article 6-3 de la LCEN et en sera par conséquent déboutée. Pour ces mêmes motifs, qui établissent l’absence de fait générateur de responsabilité imputable à la société GOWORK.ES, la société SCRIBEO a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts. |
Laisser un commentaire