Un salarié (conducteur chez Keolis) s’expose à un licenciement s’il se filme au travail afin de diffuser des canulars sur les réseaux sociaux.
En l’espèce, l’une des vidéos d’un salarié le mettait en scène au volant de son bus de transport public en circulation (et non pas seulement pendant les temps de pause) où il interpelle un passager qu’il accuse d’être l’auteur d’une déjection trouvée dans le bus, aux fins de filmer ses réactions outragées face à cette accusation injustifiée.
Le fait de se filmer ne constituait pas une violation du règlement intérieur de la société à proprement dit et les vidéos n’ont pas été considérées comme donnant une image dégradante de la victime du canular. L’employeur, dans la mesure où les vidéos ont été filmées au moyen d’une caméra Go Pro installée au-dessus du poste de conduite, n’était pas non plus fondé à reprocher au salarié un manquement aux dispositions de l’article R412-6-1 du code de la route qui prohibe l’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation.
En revanche, le comportement du salarié caractérisait bien une mise en danger des passagers et des usagers de la route ainsi qu’une violation des dispositions de l’article R412-6-2 du code de la route qui prohibe le fait de placer dans le champ de vision du conducteur d’un véhicule en circulation un appareil en fonctionnement doté d’un écran dans la mesure où il ressort du visionnage des vidéos que ce dernier adaptait les prises de vues en même temps qu’il conduisait.
De façon plus générale, en détournant ainsi son intention de la conduite du bus pendant plusieurs minutes, le salarié a adopté un comportement dangereux pour lui-même, pour les clients ainsi que pour les autres usagers de la route, ce qui lui est également reproché dans la lettre de licenciement.
Enfin, de telles images publiées sur le réseau social ‘Facebook’, sont de nature à questionner les usagers sur les conditions de sécurité à bord de ses bus.
Pour rappel, par application de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse. Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail, ce dernier dans sa version antérieure à l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 28 JANVIER 2022
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/07970 – N° Portalis DBVX.-V-B7D-MWPO
X.
C/
Société KEOLIS LYON
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON du 21 Octobre 2019
RG : F16/00357
APPELANT :
A X.
né le […] à […]
2, rue Saint-Gérald
Représenté par Me Emmanuelle BONIN, avocat au barreau de LYON (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/036431 du 19/12/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉE :
Société KEOLIS LYON
Représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON
Ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste TRAN-MINH de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Novembre 2021
Présidée par Sophie NOIR, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de J K, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– L M, présidente
– Sophie NOIR, conseiller
– Olivier MOLIN, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 Janvier 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par L M, Présidente et par J K, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
M. A X. a été embauché par la société Keolis Lyon à compter du 5 décembre 2004 en qualité de conducteur receveur coefficient 210 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Le 20 Octobre 2015, l’employeur lui a notifié une mise à pied disciplinaire de trois jours pour avoir eu un comportement agressif et des propos déplacés envers M. B Z, agent de maîtrise, le 25 septembre 2015.
Le 14 décembre 2015, le salarié a été convoqué à un conseil de discipline fixé au 22 septembre 2015 et mis à pied à titre conservatoire.
Le 23 décembre 2015, le conseil de discipline a émis l’avis suivant: ‘3 voix: 5 jours de mise à pied, 3 voix: licenciement pour faute grave’
M. A X. a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 janvier 2016 dans les termes suivants :
‘ Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave, qui ont motivé votre comparution devant le conseil de discipline le 22 décembre 2015 suite à votre mise à pied conservatoire et dont nous vous avons fait part lors de notre entretien préalable en date du 28 décembre 2015.
En effet, le 11 décembre dernier, nous avons constaté à plusieurs reprises une violation de votre part de votre obligation de loyauté inhérente à votre contrat de travail mais également à vos obligations en matière de sécurité et du code de la route.
Vous avez publié sur Internet en accès public à plusieurs reprises des vidéos de même sur votre lieu de travail en train de travailler.
Cette preuve d’incorrection dans votre comportement vis-à-vis d’un client de vos films et dans le bus.
Lesdites vidéos ont été postées sur votre page public de Facebook dénommée A ambiance’ comme en atteste le constat d’huissier établi le 11 décembre dernier.
Vous êtes filmé en conduisant sur votre lieu de travail pendant le temps de travail. Une des vidéos a même été postée sur le site Facebook pendant le temps de travail comme en atteste votre vacation du 30 novembre et lors du post de ladite vidéo.
Ainsi, vous ne respectez pas les consignes de sécurité prévues dans le cadre de votre activité de conducteur receveur ainsi que les dispositions du règlement intérieur en son article 4-1 sur les consignes spécifiques de sécurité pour la conduite :
‘Il est interdit de téléphoner en conduisant, même en portant une oreillette’de plus, comme le stipule le règlement intérieur de Keolis Lyon en son article 15-1, que les salariés se doivent
‘de faire preuve de correction dans son comportement vis-à-vis de l’ensemble des salariés de Keolis Lyon, des personnes mises à disposition par une société de travail temporaire ou effectuant un stage en entreprise, de la clientèle, ainsi que de tous les intervenants extérieurs’.
Nous vous rappelons également que l’article R 412-6-2 du code de la route prévoit que le fait de placer dans le champ de vision du conducteur d’un véhicule en circulation un appareil en fonctionnement doté d’un écran et ne constituant pas une aide à la conduite ou à la navigation est interdit. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
Sur cette page Facebook votre profession est indiquée en temps que ‘conducteur à Keolis Lyon, au conducteur à TCL corporation et conducteur receveur de bus à Lyon’.
Ces vidéos publiques et notamment celle du 18/11 et du 20/11 portent une atteinte grave et affligeante à l’image de l’entreprise mais également au métier de conducteur ainsi que celui des salariés du PC bus qui sont cités clairement dans l’une de vos vidéos.
De plus, les images pourraient être jugées comme dégradantes pour la personne filmée mais aussi pour le métier de conducteur.
Ce comportement constitue une faute grave du fait de vos fonctions de conducteur receveur et notamment eu égard au réel danger qu’il engendre tant pour vous-même, que pour les clients que vous transportez, ainsi que pour les autres usagers de la route.
Cette conduite met gravement en cause la bonne marche du service et les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 28 décembre 2015 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Par conséquent, nous sommes dans l’obligation de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Nous vous confirmons pour les mêmes raisons, la suspension de service (mise à pied conservatoire) dont vous faites l’objet depuis le 14 décembre 2015. (…)’.
M. A X. a saisi le conseil des prud’hommes de Lyon le 1er février 2016 pour contester le bien fondé du licenciement et obtenir sa réintégration avec maintien des avantages acquis et des dommages et intérêts.
À titre subsidiaire et en cas d’impossibilité de réintégration, le salarié demandait au conseil des prud’hommes de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis, d’un rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 21 octobre 2019, le conseil des prud’hommes a :
– dit et jugé le licenciement dépourvu de faute grave
– dit et jugé que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse
– dit et jugé la période de mise à pied conservatoire infondée
– condamné la société Keolis Lyon à verser à M. A X. les sommes suivantes :
• 2 179,86 à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire et 217,99 euros bruts de congés payés afférents 4 359,72 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement•
• 4 351,72 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 435,97 euros bruts à titre des congés payés afférents
– rappelé qu’aux termes des dispositions de l’article R 1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l’article R 1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois est fixée à la somme de 2397 euros
– rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées condamné à verser à la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté M. A X. du surplus de ses demandes
– débouté la société Keolis Lyon de sa demande reconventionnelle
– condamné la société Keolis Lyon aux éventuels dépens de l’instance.
M. A X. a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 19 novembre 2019.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 30 juillet 2020, il demande à la cour :
– de dire et juger que le licenciement de M. A X. est dépourvu de cause réelle et sérieuse
– de fixer le salaire de référence de M. A X. à la somme de 2 179,86
En conséquence
A titre principal
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. A X. de sa demande visant à voir:
prononcer sa réintégration avec maintien des avantages acquis•
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 13 079,16 euros à titre de dommages et intérêts
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil des prud’hommes
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel
– de confirmer le jugement pour le surplus à savoir :
• de condamner la société Keolis Lyon à lui payer la somme de 4 359,72 euros à titre d’indemnité de licenciement
• de condamner la société Keolis Lyon à lui payer la somme de 4 359,72 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 435,97 euros au titre des congés payés y afférents
• de condamner la société Keolis Lyon à lui payer la somme de 2 179,86 rue à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire et celle de 217,99 euros de congés payés y afférents d’annuler la mise à pied de M. A X. du 20 octobre 2015•
A titre subsidiaire, en cas d’impossibilité de réintégration:
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. A X. de sa demande visant à voir:
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 26’158,32 euros correspondant à 12 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel
• condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil des prud’hommes
– de confirmer le jugement pour le surplus à savoir:
• de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 4 359,72 euros à titre d’indemnité de licenciement
• de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 4 359,72 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 435,97 euros au titre des congés payés y afférents
• de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 2 179,86 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire et celle de 217,99 euros de congés payés y afférents d’annuler la mise à pied de M. A X. du 20 octobre 2015•
• de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
A titre infiniment subsidiaire
– de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
– de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel
– de condamner la société Keolis Lyon à payer à M. A X. les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil des prud’hommes.
Par conclusions notifiée le 20 mai 2020, la société Keolis Lyon demande pour sa part à la cour:
– d’infirmer la décision déférée en ce qu’elle a :
* jugé que licenciement de Monsieur X. est dépourvu de faute grave ;
* jugé la période de mise à pied conservatoire infondée ;
* condamné la SA Keolis Lyon à verser à Monsieur A X. les sommes suivantes :
2.179,86 euros bruts a titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire;•
• 217,99 euros bruts à titre de congés payés afférents au rappel de salaire de la mise a pied conservatoire ; 4.359, 72euros bruts à titre d’indemnité de licenciement ;• 4.359, 72 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;• 435,97 euros bruts à titre de congés payés afférents ;• 1.500,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile•
– de confirmer le jugement déféré pour le surplus
Jugeant à nouveau
A titre principal:
– de juger que le licenciement de Monsieur X. repose sur une faute grave ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
– de débouter Monsieur X. de ses demandes au titre d’une indemnité de licenciement, de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis, outre les conges afférents ;
A titre subsidiaire
– de constater que la société Keolis Lyon justifie de la matérialité des griefs visés à la lettre de licenciement ;
– de dire et juger que ces griefs caractérisent une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement de Monsieur X. ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
A titre infiniment subsidiaire
– de constater que Monsieur X. ne justifie pas du préjudice qu’il prétend avoir subi ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
En tout état de cause
– de le débouter de sa demande au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– de condamner Monsieur X. au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– de condamner le même aux entiers dépens d’instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 12 octobre 2021.
Par conclusions n°3 notifiées le jour même de la clôture, la société Keolis Lyon demande à la cour:
A titre liminaire
– de déclarer irrecevables les pièces 105 à 108 de M. A X.
– à défaut, d’ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture
– de dire recevable les conclusions n°3 de la société Keolis notifiées le (sic)
– d’infirmer la décision déférée en ce qu’elle a :
* jugé que licenciement de Monsieur X. est dépourvu de faute grave ;
* jugé la période de mise à pied conservatoire infondée ;
* condamné la SA Keolis Lyon à verser à Monsieur A X. les sommes suivantes :
2.179,86 euros bruts a titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire;•
• 217,99 euros bruts à titre de congés payés afférents au rappel de salaire de la mise a pied conservatoire ; 4.359, 72euros bruts à titre d’indemnité de licenciement ;• 4.359, 72 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;• 435,97 euros bruts à titre de congés payés afférents ;• 1.500,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile•
– de confirmer le jugement déféré pour le surplus
Jugeant à nouveau
A titre principal:
– de juger que le licenciement de Monsieur X. repose sur une faute grave ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
– de débouter Monsieur X. de ses demandes au titre d’une indemnité de licenciement, de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis, outre les conges afférents ;
A titre subsidiaire
– de constater que la sociéte Keolis Lyon justifie de la matérialité des griefs visés à la lettre de licenciement ;
– de dire et juger que ces griefs caractérisent une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement de Monsieur X. ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
A titre infiniment subsidiaire
– de constater que Monsieur X. ne justifie pas du préjudice qu’il prétend avoir subi ;
En conséquence,
– de débouter Monsieur X. de ses demandes indemnitaires ;
En tout état de cause
– de le débouter de sa demande au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– de condamner Monsieur X. au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– de condamner le même aux entiers dépens d’instance et d’appel.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de «constatations» ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
Sur la demande de rejet des pièces 105 à 108 de M. A X. et la demande de rabat de l’ordonnance de clôture:
En application de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
Au soutien de sa demande de rejet de pièces, la société Keolis Lyon invoque l’existence d’une discordance entre la numérotation des pièces 105 à 108 et celle du bordereau de communication de pièces notifié le 20 septembre 2021 ainsi que la communication tardive et le caractère inexploitable de ces pièces et/ou bordereau.
La cour relève que parmi les pièces 105 à 108 concernées par la demande de rejet, les pièces 105 et 106 respectivement intitulées ‘certificat médical du docteur F C du 15 septembre 2021« et ‘décision MDPH du 5 février 2019 » sont visées dans le dernier bordereau de communication de pièces notifiées par M. A X. le 20 septembre 2021, via le RPVA.
Ces pièces 105 et 106, produites au dossier de l’appelant sous la numérotation mentionnée dans le bordereau de communication de pièces du 20 septembre 2021 et que la société Keolis Lyon reconnaît avoir reçues plusieurs jours avant la clôture, sont recevables par application des dispositions de l’article 15 du code de procédure civile susvisées, cette partie ayant disposé d’un délai suffisant pour en prendre connaissance et y répondre.
S’agissant des pièces 107 et 108, la société Keolis Lyon reconnaît qu’elles lui ont été régulièrement communiquées le 7 octobre 2021, avec un bordereau de communication illisible.
La pièce 107 figurant dans le dossier de l’appelante est une série de décisions de la Maison départementale des personnes handicapées du 5 février 2019 et la pièce 108 une attestation de Mme D E datée du 29 septembre 2021.
Le caractère tardif de la communication de ces deux pièces est incontestable, ce d’autant que les parties ont été informées de la date de la clôture depuis le 23 juin 2020.
De plus, en produisant deux nouvelles pièces le 7 octobre 2021, soit à 3 jours ouvrables de la clôture, M. A X. n’a pas mis la partie intimée en mesure de solliciter les explications de son client et de conclure utilement dessus.
En conséquence, et par application des dispositions de l’article 15 du code de procédure civile susvisée, la cour écarte les pièces 107 et 108 communiqués par la partie appelante.
La cause grave révélée depuis le rendu de l’ordonnance de clôture exigée par l’article 803 pour le rabat de l’ordonnance de clôture n’étant pas démontrée, cette demande sera rejetée.
Sur la mise à pied disciplinaire du 20 octobre 2015 :
Aux termes du dispositif de ses conclusions, M. A X. demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a annulé la mise à pied du 20 octobre 2015.
Cependant, il ressort de la lecture du jugement déféré que cette demande n’a pas été présentée devant les premiers juges et que ces derniers n’ont pas statué sur ce point.
En conséquence, la cour rejette cette demande.
Sur le licenciement :
Par application de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail, ce dernier dans sa version antérieure à l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
En l’espèce, il résulte des termes de la lettre de licenciement retranscrits ci-dessus que le salarié a été licencié pour faute grave en raison de manquements à l’obligation de loyauté, à l’obligation de sécurité, aux dispositions du règlement intérieur relatives aux consignes spécifiques de sécurité pour la conduite (article 4-1) et au comportement à adopter vis-à-vis de la clientèle (article 15-1) ainsi qu’aux règles du code de la route (article R412-6-2, R412-6-1 du code de la route) commis au mois de novembre 2015, caractérisés par des faits suivants :
– s’être filmé en position de conduite au temps et au lieu de travail
– avoir ainsi fait preuve d’incorrection dans son comportement vis-à-vis d’un client et avoir fait courir un danger à lui-même, aux clients transportés et aux autres usagers de la route
– avoir publié à plusieurs reprises en accès public sur son compte Facebook des vidéos de lui-même prises au temps et au lieu de travail, en indiquant sa profession de ‘conducteur à Keolis Lyon, conducteur à TCL Corporation et conducteur receveur de bus à Lyon’, portant ainsi une atteinte grave et affligeante à l’image de l’entreprise et au métier de conducteur, notamment au travers des vidéos du 18 novembre du 20 novembre
Il résulte du constat établi par la Selarl Di Fazio-Decotte-H-I, huissier de justice à Mornant (69) le 11 décembre 2015 et du visionnage des vidéos contenues dans ce constat que M. A X. a publié, sur la page publique du profil ‘Facebook’ de ‘xxxe’ mentionnant son activité professionnelle de ‘conducteur à Keolis Lyon’, trois vidéos les 18 novembre et 20 novembre 2015 prises durant son service.
Ces vidéos, filmées pour l’un d’entre elles alors que le bus conduit par le salarié était en circulation, et non pas seulement pendant les temps de pause, mettent en scène un canular consistant à persuader un passager, manifestement intime de M. A X. puisque ce dernier l’interpelle par son prénom et qu’ils se tutoient, de ce qu’il est l’auteur d’une déjection trouvée dans le bus, à le convaincre de la nettoyer et à filmer ses réactions outragées face à cette accusation injustifiée.
Il n’est pas établi que ce comportement constitue une violation du règlement intérieur dans la mesure où ce document n’est pas versé aux débats.
De même, ces vidéos ne comportent aucune image dégradante de la victime du canular.
Dans la mesure où il est constant que les vidéos ont été filmées au moyen d’une caméra Go Pro installée au-dessus du poste de conduite, l’employeur n’est pas fondé à reprocher au salarié un manquement aux dispositions de l’article R412-6-1 du code de la route qui prohibe l’usage d’un téléphone tenu en main par le conducteur d’un véhicule en circulation.
En revanche, le comportement de M. A X. caractérise bien une mise en danger des passagers et des usagers de la route ainsi qu’une violation des dispositions de l’article R412-6-2 du code de la route qui prohibe le fait de placer dans le champ de vision du conducteur d’un véhicule en circulation un appareil en fonctionnement doté d’un écran dans la mesure où il ressort du visionnage des vidéos que ce dernier adaptait les prises de vues en même temps qu’il conduisait.
De façon plus générale, en détournant ainsi son intention de la conduite du bus pendant plusieurs minutes, M. A X. a adopté un comportement dangereux pour lui-même, pour les clients ainsi que pour les autres usagers de la route, ce qui lui est également reproché dans la lettre de licenciement.
Enfin, de telles images publiées sur le réseau social ‘Facebook’, sont de nature à questionner les usagers sur les conditions de sécurité à bord de ses bus, ce que confirme l’audition du 14 octobre 2015 de M. F G, responsable RH de la société Keolis Lyon, qui révèle que le service communication de l’entreprise a intercepté sur le site Facebook de ‘TCL Partout pour tous’ un post rédigé ainsi : ‘bien vos chauffeurs pendant leurs heures de travail mdr’.
Si l’atteinte à l’image de l’employeur est ainsi démontrée, ces faits ne caractérisent pas un manquement à l’obligation de loyauté du salarié.
Aucune des pièces versées aux débats ne permet d’établir que le véritable motif du licenciement procède d’une volonté de punir le salarié en raison d’un différend l’ayant opposé à Monsieur Z, contrôleur.
Si M. A X. a été effectivement sanctionné d’une mise à pied de trois jours le 20 octobre 2015 pour avoir eu, le 25 septembre 2015, un ‘comportement agressif et des propos déplacés envers un agent de maîtrise’, en l’occurrence M. Z, l’employeur ne justifie pas de ce que ces propos consistaient en des menaces de mort.
La cour relève également que l’employeur ne fait pas état d’une autre sanction disciplinaire durant les 11 ans de service du salarié.
Plusieurs attestations de collègues décrivent M. A X. comme très investi dans son travail et le considèrent comme une personne ressource dans la gestion des conflits entre usagers, qu’il assurait ‘avec souplesse et intelligence’.
La cour relève enfin que le conseil de discipline lui-même s’est prononcé par trois voix en faveur d’une mise à pied disciplinaire et par trois fois en faveur d’un licenciement pour faute grave.
Dans ces conditions, il apparaît que les manquements établis à l’encontre de M. A X. au cours du mois de novembre 2015 ne revêtent pas une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
Ces manquements constituent en revanche une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En conséquence la cour confirme intégralement le jugement déféré, le montant des condamnations prononcées n’étant pas discuté par l’employeur.
Sur les demandes accessoires:
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Keolis Lyon aux dépens et M. A X. supportera la charge des dépens de la procédure d’appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridique.
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Déclare recevables les pièces 105 et 106 communiquées par la partie appelante et irrecevables ses pièces 107 et 108;
Rejette la demande de rabat de l’ordonnance de clôture;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;
Y ajoutant:
Rejette la demande de confirmation du jugement déféré en ce qu’il a annulé la mise à pied de M. A X. du 20 octobre 2015;
Condamne la société Keolis Lyon aux dépens de la procédure d’appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridique;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier La Présidente