L’Essentiel : Le 3 octobre 2018, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire pour la SAS Les Editions du Privilège, représentée par M. [D] [K]. Maître [U] a été désigné mandataire judiciaire. Le 18 septembre 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. La Société Générale a déclaré une créance de 90 451,16 euros. Des interrogations sur la comptabilité ont conduit à une mise en demeure de la SELARL Koppa Audit. En avril 2023, le mandataire a demandé la reconnaissance de la dette de M. [D] [K], qui a contesté les accusations, soutenant une bonne comptabilisation du prêt.
|
Ouverture de la procédure de redressement judiciaireLe 3 octobre 2018, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SAS Les Editions du Privilège, représentée par son président, Monsieur [D] [K]. Maître [U] de la SELARL [U] MJO a été désigné comme mandataire judiciaire. Le 18 septembre 2019, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire suite à la cession de l’entreprise, ordonnée par un jugement du 3 juillet 2019. Déclaration de créance par la Société GénéraleLe 8 novembre 2018, la Société Générale a déclaré sa créance au mandataire judiciaire, s’élevant à 77 261,96 euros pour le solde débiteur du compte courant de la société et à 13 189,20 euros pour le solde d’un prêt souscrit le 25 août 2010, d’un montant initial de 80 000 euros. Interrogations sur la comptabilitéLe 13 juin 2019, le mandataire judiciaire a contacté la SELARL Koppa Audit, l’expert-comptable de la SAS Les Editions du Privilège, concernant le solde d’emprunt déclaré par la Société Générale, qui n’était pas comptabilisé au passif du bilan. Il a soulevé des questions sur la comptabilisation de l’apport de trésorerie résultant du prêt, qui avait été enregistré comme un apport en compte courant de M. [K], et a critiqué la gestion de ces opérations. Mise en demeure et assignationEn l’absence de réponse, le 2 août 2019, le mandataire judiciaire a mis en demeure la SELARL Koppa Audit de rembourser la somme de 91 515,51 euros, correspondant au montant du prêt, plus intérêts. En septembre 2020, la SELARL MJO a assigné M. [D] [K] et la société Koppa Audit en paiement de cette somme. Demandes du mandataire liquidateurDans ses conclusions du 7 avril 2023, la SELARL MJO a demandé au tribunal de reconnaître que M. [D] [K] était débiteur envers la société Les Editions du Privilège pour le prêt consenti, et de condamner M. [K] à verser la somme de 91 515,51 euros, ainsi que des intérêts. Elle a également demandé la condamnation de la société Koppa Audit pour fautes commises au préjudice de la société. Réponse de M. [D] [K]M. [D] [K] a contesté les demandes, affirmant que le prêt avait été correctement inscrit au passif du bilan et que la société Koppa Audit en avait connaissance. Il a également soutenu que la société Les Editions du Privilège n’avait pas supporté la charge des remboursements du prêt. Arguments de la SELARL Koppa AuditLa SELARL Koppa Audit a demandé le rejet des demandes contre elle, affirmant qu’elle avait agi selon les informations fournies par M. [K] et qu’elle n’était pas responsable des erreurs comptables. Elle a également souligné qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la véracité des informations transmises par son client. Jugement du tribunalLe tribunal a conclu que M. [D] [K] avait commis une faute détachable de ses fonctions en souscrivant un prêt pour financer son apport personnel sans le comptabiliser correctement. Il a été condamné à verser 494,17 euros à la SELARL MJO. La demande de garantie contre la SELARL Koppa Audit a été rejetée, tout comme les demandes de M. [K] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. M. [K] a également été condamné aux dépens de l’instance. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de la responsabilité de M. [D] [K] dans le cadre de la souscription du prêt ?La responsabilité de M. [D] [K] peut être engagée sur le fondement de l’article L. 223-22 du Code de commerce, qui stipule que les gérants d’une société à responsabilité limitée (SARL) sont responsables, individuellement ou solidairement, envers la société ou les tiers, des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables, des violations des statuts, ainsi que des fautes commises dans leur gestion. En l’espèce, il est établi que M. [K] a souscrit un prêt au nom de la SAS Les Editions du Privilège pour financer son apport personnel, sans que cette opération ne soit correctement comptabilisée dans les bilans de la société. Il a également été démontré que M. [K] n’a pas remboursé régulièrement les mensualités du prêt, ce qui a eu un impact sur la trésorerie de la société. La jurisprudence précise que pour engager la responsabilité personnelle d’un gérant, il faut qu’il ait commis une faute détachable de ses fonctions, c’est-à-dire une faute intentionnelle d’une particulière gravité. Dans ce cas, la dissimulation de la dette et le non-remboursement des mensualités constituent des fautes d’une telle gravité, engageant ainsi la responsabilité personnelle de M. [K]. Quelles sont les conséquences de la non-comptabilisation du prêt dans les bilans de la société ?La non-comptabilisation du prêt dans les bilans de la SAS Les Editions du Privilège a des conséquences significatives sur la situation financière de la société. Selon l’article 123-1 du Code de commerce, les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. En omettant de comptabiliser le prêt, M. [K] a non seulement dissimulé une dette importante, mais il a également induit en erreur les associés et les créanciers sur la santé financière de la société. Cette omission a conduit à une présentation inexacte des comptes, ce qui peut constituer une infraction aux obligations comptables. De plus, la société a été placée en redressement judiciaire, et la créance de la Société générale a été déclarée, augmentant ainsi le passif de la société, alors que cette dette aurait dû être considérée comme personnelle à M. [K]. Ainsi, la non-comptabilisation du prêt a non seulement des implications juridiques, mais elle a également des conséquences sur la solvabilité et la pérennité de la société. Quelle est la responsabilité de la SELARL Koppa Audit dans cette affaire ?La responsabilité de la SELARL Koppa Audit peut être examinée à la lumière de l’article 1231-1 du Code civil, qui stipule que le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par son manquement à une obligation contractuelle. L’expert-comptable a une obligation de moyen et doit s’assurer de la cohérence et de la vraisemblance des comptes. Dans ce cas, la SELARL Koppa Audit a comptabilisé les opérations telles qu’elles lui ont été présentées par M. [K], sans vérifier la véracité des informations fournies. La lettre de mission précise que l’expert-comptable n’est pas responsable des informations erronées fournies par le client. Cependant, il doit faire preuve d’esprit critique et s’assurer que les informations sont cohérentes. En l’espèce, la SELARL Koppa Audit n’a pas relevé d’anomalies dans les comptes, malgré le fait que les mensualités du prêt étaient prélevées sur le compte de la société. Cela soulève des questions sur la diligence de l’expert-comptable dans l’exercice de sa mission. Si la SELARL Koppa Audit avait agi avec plus de rigueur, elle aurait pu détecter l’irrégularité dans la comptabilisation du prêt et alerter M. [K] sur les conséquences de ses actions. Quelles sont les implications de la décision du tribunal concernant les demandes de M. [D] [K] ?La décision du tribunal a des implications significatives pour M. [D] [K], notamment en ce qui concerne sa responsabilité personnelle et les demandes de garantie qu’il a formulées à l’encontre de la SELARL Koppa Audit. Le tribunal a condamné M. [K] à verser une somme de 494,17 euros à la SELARL MJO, ce qui souligne sa responsabilité dans la dissimulation de la dette et le non-remboursement des mensualités. De plus, la demande de garantie de M. [K] à l’égard de la SELARL Koppa Audit a été rejetée, ce qui signifie qu’il ne pourra pas se retourner contre son expert-comptable pour obtenir réparation. Cela souligne l’importance de la diligence dans la gestion des affaires d’une société et la nécessité pour les dirigeants de s’assurer que les informations comptables sont exactes et complètes. En conséquence, M. [K] doit assumer les conséquences de ses actions et ne peut pas se décharger de sa responsabilité sur son expert-comptable, ce qui pourrait avoir des répercussions sur sa réputation et sa situation financière personnelle. |
F.C
LE 09 JANVIER 2025
Minute n°
N° RG 20/03961 – N° Portalis DBYS-W-B7E-KZU7
S.E.L.A.R.L. MJO représentée par Maître [N] [U], mandataire liquidateur de la SAS LES EDITIONS DU PRIVILEGE suivant jugement du Tribunal de Commerce de NANTES en date du 18 septembre 2019
C/
[D] [P], [H] [K]
S.E.L.A.R.L. KOPPA AUDIT
Le 09/01/2025
copie exécutoire
et
copie certifiée conforme
délivrée à
Me MICHAUD
copie certifiée conforme
délivrée à
Me MERCIER
Me SOUBEILLE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
—————————————–
PREMIERE CHAMBRE
Jugement du NEUF JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ
Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :
Président : Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur : Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
Assesseur : Florence CROIZE, Vice-présidente,
GREFFIER : Audrey DELOURME
Débats à l’audience publique du 05 NOVEMBRE 2024.
En présence d’[W] [J], auditrice de justice.
Prononcé du jugement fixé au 09 JANVIER 2025, date indiquée à l’issue des débats.
Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.
—————
ENTRE :
S.E.L.A.R.L. MJO représentée par Maître [N] [U], mandataire liquidateur de la SAS LES EDITIONS DU PRIVILEGE suivant jugement du Tribunal de Commerce de NANTES en date du 18 septembre 2019, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Lise-marie MICHAUD de la SELARL A4, avocats au barreau de NANTES
DEMANDERESSE.
D’UNE PART
ET :
Monsieur [D] [P], [H] [K]
né le [Date naissance 3] 1951 à [Localité 6] (LOIRE ATLANTIQUE), demeurant [Adresse 2]
Représenté par Maître Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX, avocats au barreau de RENNES
S.E.L.A.R.L. KOPPA AUDIT, dont le siège social est sis [Adresse 5]
Représentée par Maître Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE & ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES
DEFENDEURS.
D’AUTRE PART
Par jugement du 3 octobre 2018, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SAS Les Editions du Privilège, représentée par son président, Monsieur [D] [K], et désigné en qualité de mandataire judiciaire Maître [U] de la SELARL [U] MJO. Par jugement du 18 septembre 2019, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire, à la suite de la cession de l’entreprise ordonnée par jugement du 3 juillet 2019.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 8 novembre 2018, reçue le 13 novembre 2018, la Société générale a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire à hauteur de 77 261,96 euros au titre du solde débiteur du compte courant de la société et à hauteur de 13 189,20 euros au titre du solde du prêt souscrit le 25 août 2010 d’un montant initial de 80 000 euros.
Par courrier du 13 juin 2019, le mandataire judiciaire a interrogé la SELARL Koppa Audit, cabinet d’expertise comptable de la SAS Les Editions du Privilège depuis 2011, au sujet du solde d’emprunt déclaré par la Société général au passif du redressement judiciaire et non comptabilisé au passif du bilan. Il exposait que lors de la souscription de ce prêt le 25 août 2010, l’apport de trésorerie en résultant a été comptabilisé comme étant un apport en compte courant de M. [K], bien qu’il ait été versé directement par la banque, apport qui lui a été remboursé immédiatement, sans que la dette de la banque ne soit constatée au bilan. Il indiquait que les mensualités de remboursement ont ensuite été prélevées sur le compte de la société Les Editions du Privilège, ces opérations étant compensées par des abandons de créances successifs de M. [K] dont la réalité restait selon lui à démontrer. Il jugeait ces opérations “très critiquables d’un point de vue juridique et comptable”.
En l’absence de réponse, Me [U], par l’intermédiaire de son conseil, a mis en demeure, par courrier du 2 août 2019, la SELARL Koppa Audit de lui transmettre la somme de 91 515,51 euros, correspondant au montant du prêt accordé, outre les intérêts contractuels au taux de 3,89% l’an, et ce, dans un délai de 15 jours. Il lui rappelait qu’il était de sa responsabilité d’expert-comptable d’alerter M. [K] sur les conséquences des mouvements évoqués dans son précédent courrier, représentant selon lui une confusion de patrimoine mais également un délit de présentation de comptes sociaux inexacts.
Par message électronique du 3 août 2019, Monsieur [H] [M] de la société Koppa Audit a confirmé l’analyse du mandataire judiciaire, précisant cependant que “les opérations ont été comptabilisées telles qu’elles m’ont été présentées et expliquées par M. [K], à savoir : “l’encaissement de 80 000 constitue un apport en compte courant d’associé de M. [K] en provenance d’un emprunt souscrit à titre personnel”. Je découvre comme vous, au moment du RJ la réalité du montage et le contrat de prêt qui ne m’avait jamais été communiqué (puisque considéré comme personnel)”.
Par actes du 17 et du 21 septembre 2020, la SELARL MJO, représentée par Maître [N] [U], mandataire judiciaire, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Les Editions du Privilège, a assigné devant le tribunal judiciaire de Nantes M. [D] [K] et la société d’exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique Koppa Audit en paiement de la somme de 91 515,51 euros en remboursement du prêt souscrit le 25 août 2010, outre les intérêts contractuels, à titre principal par M. [K] et à titre subsidiaire par la société Koppa Audit.
*
* *
En l’état de ses dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 7 avril 2023, la SELARL MJO, représentée par Maître [N] [U], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Les Editions du Privilège demande au tribunal, sur le fondement des articles 1103 et suivants, 1240 et suivants du code civil, L. 132-12 du code de commerce, de :
à titre principal,
juger que M. [D] [K] reconnaît que le prêt consenti par la société Les Editions du Privilèges auprès de la Société Générale par acte sous seing privé en date du 25 août 2010 constitue une dette personnelle dont il se trouve débiteur envers la société Les Editions du Privilège ;par conséquent,
condamner M. [D] [K] à lui verser la somme de 91 515,51 euros en remboursement de l’intégralité du montant du prêt litigieux, outre les intérêts contractuels ;
à titre subsidiaire,
dire que la société Koppa Audit a commis des fautes au préjudice de la société Les Editions du Privilèges, représentée par la SELARL MJO, prise en la personne de Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur ;par conséquent,
condamner la société Koppa Audit à verser à la société Les Editions du Privilège, représentée par la SELARL MJO, prise en la personne de Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur, la somme de 91 515,51 euros en réparation de son préjudice ;condamner M. [D] [K] et la société Koppa Audit à verser à à la société Les Editions du Privilège, représentée par la SELARL MJO, prise en la personne de Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur, la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
A titre principal, la SELARL MJO, représentée par Maître [N] [U], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Les Editions du Privilège, entend préciser qu’elle ne sollicite pas de voir engager la responsabilité de M. [K] pour une faute de gestion qui aurait eu une conséquence sur l’insuffisance d’actif de la société Les Editions du Privilège, mais pour une faute personnelle.
Elle soutient qu’il n’est pas contestable que M. [K] a fait financer son apport en capital au sein de la société Les Editions du Privilège par cette même société, en lui faisant contracter un prêt d’un montant de 80 000 euros auprès de la Société générale et ce, sans en informer son associé, M. [Y]. Il souligne que l’apport de trésorerie de 60 000 euros résultant du prêt litigieux a par la suite été comptabilisé comme un apport en compte courant au profit de M. [K], sans qu’il ait d’explications sur la différence entre 80 000 euros et 60 000 euros, sur laquelle M. [K] devra, selon lui, s’expliquer.
En réponse aux conclusions de M. [K], elle fait valoir, d’une part, que les prétendues compensations par des abandons de créance, notamment de frais kilométriques, sont invérifiables et, d’autre part, qu’il apparaît étonnant de la part d’un dirigeant avisé de signer un contrat de prêt devant l’engager personnellement, sans vérifier, ni même s’apercevoir d’une erreur sur le bénéficiaire du prêt et sans ne rien faire par la suite pour modifier cette erreur. Il souligne la contradiction entre M. [D] [K] et son cabinet d’expert-comptable, ce qui confirme, selon elle, son analyse selon laquelle le montage opéré constitue une irrégularité au profit de M. [K] et ce, au détriment de la société. Elle fait observer que si la dette envers la Société générale n’était pas comptabilisée au bilan de la société Les Editions du Privilège entre 2010 et 2017, elle apparaît au bilan 2018 comme une dette de la société Les Editions du Privilège, de sorte que soit M. [K] et la société Koppa Audit ont décidé de dresser des comptes non sincères en ne faisant pas apparaître cette dette, soit M. [K] a caché la situation à son conseil. Elle relève par ailleurs qu’en signant l’acte de caution du prêt, M. [K] savait de fait que le prêt était souscrit par la société Les Editions du Privilège. Elle assure qu’il n’est pas démontré que M. [K] ait remboursé l’intégralité des échéances de prêt réglées par la société Les Editions du Privilège, les compensations pour des sommes qui lui étaient dues au titre de remboursement d’indemnités kilométriques ou de prestations de représentations étant invérifiables et M. [K] ne supportant pas lui-même la charge des remboursements. Elle estime que ce prêt a pesé depuis son origine sur la trésorerie de la société. Ainsi, c’est à la procédure collective de la société que la Société générale a déclaré sa créance, venant augmenter son passif, et ce, alors que cette dette est en réalité une dette personnelle de M. [K]. Elle en conclut que la volonté de dissimulation de M. [K] n’est pas contestable et qu’elle constitue une faute personnelle d’une particulière gravité, commise de manière intentionnelle, engageant sa responsabilité.
A titre subsidiaire, elle invoque la responsabilité de la société Koppa Audit, l’expert-comptable ne pouvant se contenter d’enregistrer les données fournies par son client, sans en vérifier la véracité et se devant, dans le cadre de la présentation des comptes annuels, attester de la régularité et de la sincérité des comptes. Elle relève que le prêt souscrit le 25 août 2010 n’a pas été comptabilisé au bilan de la société Les Editions du Privilège, alors qu’elle aurait dû y figurer, dans la mesure où les fonds ont été libérés sur le compte de la société et que c’était celle-ci qui réglait mensuellement les échéances du prêt auprès de la Société générale. Elle estime que la société Koppa Audit aurait dû vérifier l’origine des fonds, et ce, étant donné que ces derniers ont été versés directement sur le compte de la société Les Editions du Privilège par la banque elle-même. Elle en conclut que la société Koppa Audit a commis une faute en ne vérifiant pas les dires de M. [K] sur le prêt litigieux et en ne l’intégrant pas au passif. Elle souligne que la société Koppa Audit, en charge de la comptabilité de la société Les Editions du Privilège sur une durée totale de huit années, ce qui inclut la tenue comptable, ne pouvait pas ignorer l’existence du prêt du fait des prélèvements des échéances, sur lesquels elle aurait dû interroger M. [K].
Elle estime en outre qu’en intégrant cette dette au bilan 2018, la société Koppa Audit aurait dû faire mention que “la cohérence et la vraisemblance” des comptes annuels précédents se trouvaient être remis en cause. Elle s’interroge sur le fait que la société Koppa Audit a intégré cette créance dans la ligne “autre dette” et non dans la ligne “emprunt et dette auprès des établissements de crédit”. Elle en conclut que cette manière de procéder et de ne pas alerter sur l’existence du prêt litigieux et du montage financier qui en a découlé constitue une nouvelle faute de la part de la société Koppa Audit et ce, d’autant plus dans le contexte de l’ouverture du redressement judiciaire ouvert le 3 octobre 2018.
Au soutien du préjudice subi par la société Les Editions du Privilège, elle fait valoir que la lecture du compte courant de M. [K] ne permet pas d’affirmer que ce dernier a abondé son compte courant par des acomptes en numéraire ou pour des compensations justifiées. Elle relève qu’en 2011, 2013, 2014, 2015 et 2016, le compte courant d’associé de M. [K] s’est trouvé en position débitrice tout ou partie de l’année et qu’au 31 décembre 2014, le solde débiteur de ce compte courant au détriment de M. [K] s’inverse par deux factures: une correspondant à des indemnités kilométriques qui sont invérifiables et l’autre correspondant à une prestation exceptionnelle pour un montant de près de 24 000 euros, sans que l’on sache à quoi cela corresponde. Elle fait état de ce que la Société générale a déclaré au titre du solde débiteur du compte courant de la société Les Editions du Privilège la somme de 77 261,96 euros au passif de cette dernière, outre un montant de 13 189,20 euros, au titre du solde du prêt. Sur cette dernière somme, elle souligne que M. [K] ne démontre pas avoir réglé ledit solde dans le cadre de sa condamnation en qualité de caution.
*
* *
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par RPVA le 9 juin 2023, M. [D] [K] sollicite du tribunal de voir :
dire et juger que la souscription du prêt litigieux a fait l’objet d’une inscription au passif du bilan de la société Les Editions du Privilège, au moyen de mouvements créditeurs observés sur le compte courant de Monsieur [D] [K] ;dire et juger que le Cabinet Koppa Audit avait nécessairement connaissance de l’opération, pour avoir mouvementé en conséquence le compte courant d’associé de Monsieur [D] [K] ;dire et juger que Monsieur [S] [Y] avait nécessairement connaissance de l’opération, en ce que cette dernière apparaissait lisiblement de l’étude du compte courant d’associés de Monsieur [D] [K] ;
En toute occurrence
dire et juger que Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Editions du Privilège, n’appuie sa demande de condamnation sur aucun fondement juridique pertinent de nature à permettre au Tribunal d’entrer en voie de condamnation à l’encontre de Monsieur [D] [K] ;
dire et juger qu’une telle demande ne pouvait être fondée que sur les dispositions de l’article L. 651-2 du code de commerce relatif à la responsabilité pour insuffisance de l’actif, et devaient en conséquence être présentées devant le Tribunal de commerce de Nantes ;
En conséquence,
débouter Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur de la Société Les Editions du Privilège, de toutes ses demandes, fins, et conclusions exposées contre Monsieur [D] [K] ;
Subsidiairement,
dire et juger que la société Les Editions du Privilège n’a pas supporté la charge du remboursement partiel du prêt à hauteur de 40 000 €, lequel a été réglé au moyen de fonds personnels de Monsieur [D] [K] apportés suivant mouvement du 27 janvier 2011 ;dire et juger que la société Les Editions du Privilège n’a pas supporté la charge du remboursement du solde du prêt jusqu’à l’ouverture de la procédure collective, pour avoir fait supporter à Monsieur [D] [K] la charge définitive des échéances d’emprunt, par l’inscription au débit de son compte courant de sommes équivalentes aux échéances d’emprunt ;dire et juger que la société Les Editions du Privilège n’a pas supporté la charge du solde du prêt constaté au jour du Jugement d’ouverture de la procédure collective, pour n’avoir jamais réglé cette somme lors des opérations de répartition des actifs ;En conséquence,
dire et juger que la société Les Editions du Privilège n’a pas supporté la charge définitive des dettes d’emprunt contractées auprès de la Société Générale ;débouter Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur de la Société Les Editions du Privilège, de toutes ses demandes, fins, et conclusions exposées contre Monsieur [D] [K] ;
à titre infiniment subsidiaire,
dire et juger que le Cabinet Koppa Audit avec connaissance de l’opération litigieuse lors de sa conclusion par Monsieur [D] [K] ;dire et juger qu’en s’abstenant de dissuader Monsieur [D] [K] de poursuivre cette opération, mais à l’inverse en lui donnant une traduction comptable par le mouvement opérés sur son compte courant d’associé le Cabinet Koppa Audit a manqué à ses obligations de conseil et de présentation sincère des comptes ;dire et juger que le Cabinet Koppa Audit a, ce faisant, engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de Monsieur [D] [K] ;
En conséquence,
condamner le Cabinet Koppa Audit à garantir Monsieur [D] [K] de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre par le tribunal judiciaire de Nantes ;
en toutes hypothèses,
condamner maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Editions du Privilège, subsidiairement le Cabinet Koppa Audit, à payer à M. [D] [K] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;condamner Maître [N] [U], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Les Editions du Privilège, subsidiairement le Cabinet Koppa Audit, à supporter les entiers dépens de la présente instance ;faire exception à l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir.
A titre principal M. [K] souligne que la société demanderesse, ès qualités, n’invoque au soutien de sa demande en paiement aucun fondement juridique pertinent et que de jurisprudence constante, seule la voie de la responsabilité pour insuffisance d’actif était ouverte au liquidateur, toute action sur un fondement textuel différent, notamment l’action délictuelle de droit commun, étant par principe irrecevable, s’agissant de fautes alléguées commises avant le jugement d’ouverture.
Sur le fond, il entend faire valoir que son expert-comptable est responsable du traitement comptable des opérations de la société et que l’emprunt était bien porté au passif du bilan, en tant qu’apport en compte courant d’associé. Il assure que la société Koppa Audit ne pouvait ignorer cet emprunt, ayant pris des écritures comptables adaptées à chaque étape de l’opération, au moyen d’intitulés dépourvus d’équivoques, tels que “emprunt” ou “remboursement partiel prêt”. Il estime que M. [Y] pouvait se reporter à l’analyse des bilans et Grands Livres de la société et procéder à l’analyse détaillée des comptes sociaux, comme les statuts le lui permettaient.
A titre subsidiaire, M. [K] soutient que la société Les Editions du Privilège n’a subi aucun préjudice, dès lors qu’elle n’a jamais eu à supporter la charge finale des échéances du prêt. Il fait observer que la somme de 11 151,51 euros réclamée au titre des intérêts contractuels n’est pas expliquée. Il expose qu’il convient de distinguer trois postes distincts au sujet de cette dette :
– la somme de 40 000 euros, qu’il a remboursé par virement du 27 janvier 2011, au moyen de fonds personnels lui appartenant, ce qui a conduit la Société générale à revoir l’échéancier du prêt ;
– la somme de 36 503,89 euros ou 35 056,03 euros (les deux sommes sont mentionnées dans les écritures), dont les paiements opérés par la société Les Editions du Privilège ont fait l’objet d’inscriptions au débit de son compte courant d’associé entre 2010 et 2016, si bien qu’ils ont toujours été comptabilisés comme des dettes personnelles et réglées par lui au moyen de compensations opérées sur son compte courant. Il précise que pour chaque échéance ou somme au titre des intérêts réglée par la société, un mouvement débiteur a été porté dans son compte courant d’associé avec pour intitulé “emprunt”, qu’il apportait régulièrement des sommes à la société pour venir rembourser ses dettes à son égard et qu’il ne prélevait pas les sommes qui lui étaient dues par la société pour remboursement de ses indemnités kilométriques ou pour paiement de ses prestations de représentations, étant rappelé qu’il ne percevait aucune rémunération de son activité. En réponse aux conclusions du mandataire liquidateur, il indique que lors de l’établissement de chaque bilan comptable, il a transmis à la société Koppa Audit les pièces de nature à justifier les mouvements créditeurs effectués sur son compte courant d’associé, dont il n’est plus en possession aujourd’hui, que la société d’expertise-comptable devrait cependant être en mesure de produire. Il rappelle que l’expert-comptable a confirmé la pertinence des éléments qu’il a produits pour procéder consécutivement à des mouvements créditeurs sur son compte courant d’associé ;
– la somme de 12 189,20 euros correspondant au solde du prêt au jour du jugement d’ouverture qui n’a jamais été réglé à la banque par la société Les Editions du Privilège et qui a donné lieu à déclaration de créance par l’établissement bancaire. Il rappelle qu’il a été condamné à assumer cette dette à titre personnel, en qualité de caution et que la créance de la Société générale, déclarée à titre chirographaire, ne pourra pas être réglée par la liquidation judiciaire de la société Les Editions du Privilège, eu égard au faible montant des actifs constatés au jour du jugement de conversion.
Il assure que pour ces trois sommes, la société Les Editions du Privilège n’a jamais supporté la charge finale de la dette.
A titre infiniment subsidiaire, M. [K] sollicite la garantie de la société Koppa Audit, qui a, selon lui, manqué à son obligation de conseil, ainsi qu’à son obligation de présentation sincère des comptes. Il expose que c’est sur le conseil de l’expert-comptable que le prêt litigieux contracté par la société Les Editions du Privilège a été traité par des écritures comptables mouvementées dans son compte courant d’associé, qu’il ne l’a jamais dissuadé et qu’il a, au contraire, entériné la situation en adoptant des écritures comptables de nature à justifier l’opération. En réponse aux conclusions de la société Koppa Audit, il soutient que celle-ci avait nécessairement conscience du fait que la société Les Editions du Privilège était débitrice de l’emprunt litigieux, dans la mesure où elle a observé que la somme de 80 000 euros avait été virée depuis le compte de la banque et non de son compte personnel, où la banque avait fait le choix de prélever les échéances sur le compte de la société Les Editions du Privilège et où il lui appartenait de solliciter la communication de toutes pièces comptables susceptibles d’établir précisément la nature de l’opération comptabilisée.
*
* *
Au terme de ses dernières conclusions communiquées par RPVA le 12 septembre 2022, la SELARL Koppa Audit demande au tribunal, au visa de l’article 1231-1 du code civil, de :
débouter la SELARL MJO, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Editions du Privilège, de l’ensemble de ses demandes dirigées contre elle ;débouter M. [D] [K] de sa demande en garantie et plus globalement, de toutes ses demandes dirigées contre elle ;condamner la SELARL MJO, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Editions du Privilège, ou à défaut, M. [D] [K] à lui régler une somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;condamner la SELARL MJO, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Editions du Privilège, ou à défaut, M. [D] [K] aux entiers dépens de l’instance.
Elle indique qu’elle a comptabilisé les opérations telles qu’elles lui ont été présentées par M. [K], qu’à chaque paiement opéré par la société Les Editions du Privilège à la Société générale, le compte courant d’associé de M. [K] était mouvementé en débit à hauteur de l’échéance réglée et que les intérêts d’emprunt n’ont pas été comptabilisés en charges pour la société Les Editions du Privilège.
Pour s’opposer à la demande subsidiaire de la société MJO, ès qualités, elle soutient que l’expert comptable obtient les informations destinées à remplir sa mission auprès du dirigeant de l’entreprise, qui est son interlocuteur naturel et que ce n’est pas son rôle de remettre en cause la véracité des informations transmises par son client. Elle précise que les relevés bancaires de la société Les Editions du Privilège ont été restitués à son client à qui revient l’obligation de les conserver, l’obligation de conservation de l’expert comptable ne portant que sur les documents de travail.
Elle estime qu’à supposer une faute de sa part établie, la SELARL MJO ès qualités ne rapporte pas la démonstration d’un préjudice en lien de causalité direct avec le manquement allégué, ni d’une perte de chance.
Pour s’opposer à la demande en garantie présentée par M. [K], elle rappelle que l’expert comptable n’est pas le garant de son client et que selon la lettre de mission du 23 février 2011, sa responsabilité ne peut être engagée en cas d’information erronée, ce qui est le cas en l’espèce. Elle fait observer qu’elle n’était pas encore mandatée lors de la souscription du prêt, de sorte qu’elle ne pouvait pas délivrer un conseil adapté à son client qui ne lui avait pas communiqué une information complète et sincère.
*
* *
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux dernières conclusions susvisées des parties.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2024.
Sur la demande en paiement formée à l’encontre de Monsieur [D] [K]
Pour engager sa responsabilité envers les tiers, le gérant d’une Sarl doit avoir commis une faute séparable de ses fonctions. Constitue notamment une faute détachable celle commise intentionnellement d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.
Selon l’article L. 223-22 du code de commerce, relatif aux SARL, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.
La jurisprudence en a déduit qu’engage sa responsabilité personnelle le gérant qui commet une faute détachable (ou séparable) de ses fonctions sociales, mais que seule une faute intentionnelle, d’une particulière gravité, à ce titre incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales, peut être qualifiée de faute détachable.
En l’espèce, il est établi que le 25 août 2010 la SAS Les Editions du Privilège, représentée par Monsieur [D] [K], en sa qualité de président, a souscrit un contrat de prêt auprès de la Société générale d’un montant de 80 000 euros, remboursable en 78 mensualités de 1 162,42 euros chacune, afin d’acquérir “un fonds de commerce de régie publicitaire, d’édition, de communication et de publicité sis et exploité [Adresse 1]”.
Il n’est toutefois pas contesté que cette dette de la SAS Les Editions du Privilège n’a pas été comptabilisée au bilan de la société, à l’exception du bilan de l’année 2018, sous la rubrique “autres dettes”.
Il s’avère en effet à la lecture du compte courant d’associé de M. [K] que celui-ci fait apparaître dans la colonne crédit la somme de 40 000 euros le 27 août 2010 puis le 24 septembre 2009, sous l’intitulé “emprunts”.
Il n’est ainsi pas contesté que ce prêt souscrit par la société Les Editions du Privilège a en réalité servi à financer l’apport de M. [K]. Ce dernier soutient que si les mensualités du prêt étaient prélevées sur le compte de la société par l’établissement bancaire, il remboursait la société et que le montant de ces mensualités a été réduit du fait du remboursement partiel du prêt de façon anticipée par ces soins.
Le compte courant d’associé de M. [K] fait ainsi état, le 27 janvier 2011, en débit d’une opération libellée “remboursement partiel prêt” d’un montant de 40 000 euros.
Il en ressort en outre que ce compte a été débité de la somme de 594,17 euros, sous le libellé “emprunts”, les 26 mars 2011, 27 avril 2011, 26 mai 2011, 28 juin 2011, 26 juillet 2011, 26 août 2011, 27 septembre 2011, 26 octobre 2011, 26 novembre 2011, 27 décembre 2011.
Cette même somme a été débitée de son compte courant tous les mois en 2012, sous le libellé “emprunts”, sauf pour le débit du 27 novembre 2012 libellé “échéance prêt n° 210236007208″.
Il en est de même en 2013. Il convient toutefois de relever que cette somme n’a pas été débitée au mois de mars, mais il est indiqué le 8 avril 2013 “régul impayé prêt”. A compter du mois d’octobre, le libellé est modifié et devient “échéance prêt”.
Cependant, en 2014, aucun débit de ce montant n’apparaît au juin, ni en septembre, mais il est toutefois mentionné le 3/10 : “régul ech pret 25/09/2014″, ni en octobre, mais il est toutefois indiqué le 19/11/2014 “régul impayé prêt”. Les débits de la somme de 594,17 euros sont libellés soit “emprunts”, soit “échéance emprunt”, soit “échéance prêt”.
Il en résulte que la mensualité du mois de juin n’a pas été réglée par M. [K] et deux mensualités ont été remboursées avec retard.
Celui-ci invoque cependant des compensations avec des remboursements d’indemnités kilométriques et de frais de représentation. En effet, le 31 décembre 2014, son compte courant est crédité de la somme de 10 297,47 euros sous le libellé “IK M. [K]” et de la somme de 24 000 euros sous le libellé “Prestations HL – Exceptionnelles”. Aucun élément n’est produit pour conforter ces éléments ou préciser de quelles prestations exceptionnelles il s’agissait. Il convient par ailleurs de relever que son compte courant pour les années antérieures ne mentionnent pas de telles opérations.
En 2015, la somme de 594,47 euros n’a pas été débitée de son compte courant au mois de janvier, mais le 27 mars 2015 il est mentionné “régul impayé 01.2015″, ni au mois de février mais le 27 mars 2015 il est indiqué “régul impayé 02.2015″, ni en juin, ni en septembre mais le 10 septembre 2015 il est renseigné “régul ech.impayé prêt”, ni en octobre, mais le 18 novembre il est fait état d’une “régularisation echéance impayée prêt”.
Ainsi, de nouveau l’échéance de juin n’a pas été réglée et quatre échéances ont été remboursées avec retard. Son compte courant est toutefois crédité le 31/12/2015 de la somme de 3 987,33 euros au titre de “frais KM HL 2014″, étant rappelé qu’au 31 décembre 2014, M. [K] avait perçu la somme de 10 297,47 euros au titre du remboursement de ses indemnités kilométriques et de la somme de 24 000 euros au titre de “Prestation admin HL”.
En 2016, la somme de 594,17 euros n’a été débitée de son compte courant qu’aux mois de janvier et février. Son compte courant est cependant crédité le 31/12/2016 de la somme de 9 000 euros au titre de “Prestations HL”.
Il en ressort que non seulement M. [K] a contracté en tant que président de la SAS Les Editions du Privilège un prêt pour financer son apport personnel, qui n’apparaît pas au bilan de la SAS Les Editions du Privilège, dissimulant ainsi cette opération mais qu’en outre, il n’a pas régulièrement remboursé la société Les Editions du Privilège du montant des mensualités du prêt. Il a en effet réglé en retard certaines échéances ou remboursé certaines mensualités par des compensations de remboursement de frais kilométriques ou de paiement de prestations le dernier jour de l’année, dont il n’est pas justifié de la réalité et en tout état de cause, sans comptabilité précise. En effet, ces remboursement et paiement pour l’année 2014 dépassent largement le montant de la mensualité de juin 2014 non réglée.
Ces éléments caractérisent une faute de la part de M. [K].
Cette faute est d’une particulière gravité, dans la mesure où le règlement des mensualités a pesé sur la trésorerie de la SAS Les Editions du Privilége, puisque M. [K] ne remboursait pas la SAS Les Editions du Privilège concomitament au règlement par celle-ci des mensualités du prêt contracté par la société pour financer son apport personnel.
Il apparaît difficilement contestable que cette faute est intentionnelle, M. [K] ne pouvant sérieusement ignorer souscrire un prêt au nom de la société, et ce, d’autant plus qu’il a veillé à écrire manuscritement qu’il signait le contrat de prêt en sa qualité de président de la société Les Editions du Privilège.
Ainsi, la faute commise par M. [K] revêt les caractères de la faute détachable des fonctions sociales et engage sa responsabilité.
Sur le préjudice
Ainsi qu’il résulte des développements précédents, M. [K] justifie avoir réglé la somme de 40 000 euros. Il s’en suit que la SELARL MJO, ès qualités, ne peut sérieusement réclamer le montant initial du prêt, soit 80 000 euros, à M. [K].
Il n’est par ailleurs pas établi que la SAS Les Editions du Privilège a payé la somme de 13 189,20 euros au titre du solde du prêt souscrit le 25 août 2010 déclarée par la Société générale, ni qu’elle soit en mesure de le faire, et ce, alors que M. [K] a été condamné, par jugement du tribunal de commerce de Nantes du 5 juillet 2018, en tant que caution, solidairement avec la société Les Editions du Privilège, à régler à la Société générale notamment la somme de 11 969,57 euros, outre les intérêts au taux de 7,89%.
M. [K] démontre également avoir remboursé à la SAS Les Editions du Privilège :
– 10 mensualités de 594,17 euros chacune en 2011 (soit 5 941,70 euros),
– 12 mensualités de 594,17 euros chacune en 2012 (soit 7 130,04 euros),
– 12 mensualités de 594,17 euros chacune en 2013 (soit 7 130,04 euros),
– 11 mensualités de 594,17 euros chacune en 2014 (soit 6535,87 euros),
– 11 mensualités de 594,17 euros chacune en 2015 (soit 6 535,87 euros),
– 2 mensualités de 594,17 euros chacune en 2016 (soit 1188,34 euros),
soit au total la somme de 34 561,86 euros.
La SELARL MJO, es qualités, soutient dans ses dernières écritures que “ce jeu d’écriture ne correspondait à aucun versement d’argent en numéraire par M. [K] mais au contraire correspondait à un emprunt que faisait ce dernier auprès de sa société, qui avait déjà emprunté en ses lieux et place, pour régler virtuellement par le jeu d’écritures comptables la dette que lui-même envers elle.” Elle ne produit cependant aucun élément permettant de considérer que les sommes de 594,17 euros mentionnées en débit sur le compte courant de M. [K] n’étaient pas réellement versées.
M. [K] invoque en outre des compensations avec des remboursements d’indemnités kilométriques et de paiements de prestations particulières. Il n’est toutefois pas apporté le moindre élément, ni même explication sur ces prestations, qui apparaissent en 2014 et 2015 pour le même montant particulièrement important de 24 000 euros. De même, s’agissant des indemnités kilométriques, celles-ci apparaissent en 2014, pour un montant non négligeable de plus de 10 000 euros. Enfin, il n’est démontré aucune corrélation entre ces montants et le non-remboursement des mensualités réglées par la société Les Editions du Privilège.
Ainsi, alors qu’aucune des parties ne verse de pièces permettant d’établir avec certitude le nombre de mensualités acquittées par la SAS Les Editions du Privilège, que la somme de 35 056,03 euros, correspondant à 59 mensualités de 594,17 euros, avancée par M. [K] n’est pas contestée et qu’aucun autre préjudice n’est chiffré, il convient de considérer que le préjudice subi par la SAS Les Editions du Privilège en lien de causalité avec la faute personnelle de M. [K] s’élève à la somme de 494,17 euros (=35 053,03 – 34 561,86 euros), que M. [K] sera condamné à verser à la SELARL MJO, ès qualités.
Sur la garantie de la SELARL Koppa Audit
M. [K], qui sollicite la garantie de la SELARL Koppa Audit, doit établir l’existence d’un manquement contractuel de celle-ci constitutif d’une faute lui ayant occasionné un préjudice.
L’expert-comptable est tenu d’une obligation de moyen. Sa responsabilité s’apprécie au regard des limites de la mission que lui a confiée son client.
Il ressort de la lettre de mission du 23 février 2011 liant la SAS Les Editions du Privilège et la SELARL Koppa Audit que cette dernière s’est vue confier par M. [K], en sa qualité de président de la SAS Les Editions du Privilège une mission de présentation des comptes annuels et d’établissement des déclarations fiscales afférentes.
Il est précisé que la mission de présentation “vise à permettre à l’expert comptable d’attester, sauf difficultés particulières, qu’il n’a rien relevé qui remette en cause la régularité en la forme de la comptabilité ainsi que la cohérence et la vraisemblance des comptes annuels résultant des documents et informations fournis par l’entreprise. […] Cette mission n’est ni un audit, ni un examen des comptes annuels. Elle ne comporte pas le contrôle de la matérialité des opérations, ni le contrôle des inventaires physiques des actifs de l’entreprise à la clôture de l’exercice comptable (stocks, immobilisations, espèces en caisse notamment). La recherche systématique d’erreurs, fraudes, actes illégaux ou de détournements éventuels pouvant ou ayant existé dans l’entreprise ne relève pas des techniques mises en oeuvre dans ce type de mission”.
Cette lettre de mission comporte un paragraphe intitulé “responsabilité” qui exclut la responsabilité de l’expert comptable “dans l’hypothèse où le préjudice subi par le client est une conséquence :
– d’une information erronée ou d’une faute ou négligence commise par le client ou ses salariés,
– du retard ou de la carence du client à fournir une information nécessaire au cabinet,
– des fautes commises par des tiers intervenant chez le client.”
M. [K] soutient que le montage mis en place pour financer son apport dans la société lui a été conseillé par la SELARL Koppa Audit, ce que celle-ci conteste et qui ne ressort d’aucune pièce versée à la procédure. Force est de constater que M. [K] ne verse à la procédure aucun échange avec son expert comptable. Au contraire, dans un message électronique du 5 septembre 2019 adressé à M.[H] [M], son expert comptable, M. [K] indique: “J’ai sollicité un prêt personnel de 80 K€ auprès de la Société générale en août 2010 destiné à financier mes parts pour l’acquisition de la société Acanthe. Ce prêt a été transformé par la Société générale en “prêt d’investissement” au nom des Editions du Privilège. En toute bonne foi, je vous ai confirmé qu’il s’agissait d’un prêt destiné à un apport en compte courant d’associé”.
Il s’en suit qu’aucun manquement de la SELARL Koppa Audit à son devoir de conseil n’est caractérisé.
M. [K] lui reproche en outre d’avoir manqué à son obligation de certification sincère des comptes.
Il convient de rappeler que la lettre de mission du 23 février 2011 énonçait que “la mission de présentation des comptes annuels sont régies par les normes professionnelles de l’ordre des experts comptables”.
Selon la norme NP 2300 applicable, la mission de présentation des comptes est une mission d’assurance de niveau modérée sur la cohérence et la vraisemblance des comptes. L’objectif n’est pas de se prononcer sur la régularité, la sincérité et l’image fidèle de ces comptes.
Elle énonce que les comptes sont établis sous la responsabilité de la direction de l’entité et qu’en conséquence, la direction de l’entité est responsable à l’égard des tiers de l’exhaustivité, de la fiabilité et de l’exactitude des informations comptables et financières ainsi que des procédures de contrôle interne concourant à l’établissement des comptes et qu’elle est responsable des informations communiquées à l’expert-comptable pour les besoins de sa mission.
Néanmoins, l’expert comptable doit faire preuve d’esprit critique vis à vis notamment des documents et informations communiquées par la direction. Pour s’assurer de la cohérence et de la vraisemblance des comptes, il met en œuvre une revue analytique. Lorsque cette revue analytique met en évidence des informations qui ne sont pas en corrélation avec d’autres informations, des variations significatives ou des tendances inattendues, l’expert-comptable détermine les diligences complémentaires à mettre en place pour expliquer ces variations et ces incohérences.
La cohérence s’entend de l’absence d’anomalie apparente ou identifiable par l’expert-comptable à la suite des diligences mises en oeuvre, et la vraisemblance se rapporte au caractère raisonnable d’une information contenue dans les comptes.
En l’espèce, il est suffisamment établi que la comptabilité de la SAS Les Editions du Privilège jusqu’au bilan de l’année 2018 ne mentionne pas le prêt contracté auprès de la Société générale, sans que rien ne permette de démontrer que la SELARL Koppa Audit en avait connaissance, les deux encaissements de 40 000 euros lui ayant été présentés comme des apports personnels en compte courant d’associé provenant d’un emprunt personnel souscrit par M. [K] lui-même. Rien en 2010 ne lui permettait de remettre en cause cette version et de solliciter copie du prêt présenté comme personnel souscrit. Il n’est en outre pas démontré que les interrogations que peut faire naître le paiement mensuel de la même somme par la société Les Editions du Privilège à la Société générale les années suivantes et le versement concomitant d’une somme d’un même montant par M. [K] rentraient dans le cadre du contrôle de cohérence et de vraisemblance des comptes confié à la SELARL Koppa Audit et ne nécessitaient pas des recherches plus approfondies, dépassant le cadre de la mission qui lui avait été confiée.
En tout état de cause, ces écritures comptables reposaient sur les informations données par M. [K] à son cabinet d’expertise comptable, excluant dès lors la responsabilité de la SELARL Koppa Audit.
Il s’en suit que la demande de garantie formée par M. [K] à l’égard de son cabinet d’expertise comptable sera rejetée.
Sur les autres demandes
Succombant, M. [K] sera condamné aux dépens. Il ne peut dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il apparaît équitable qu’il prenne en charge les frais que la SELARL MJO, ès qualités, et la SELARL Koppa Audit ont dû engager, évalués pour chacun à la somme de 3 000 euros.
Le tribunal,
Statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE Monsieur [D] [K] à verser à la SELARL MJO, représentée par Maître [N] [U], mandataire judiciaire, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Les Editions du Privilège, la somme de 494,17 euros ;
REJETTE la demande de garantie présentée par Monsieur [D] [K] à l’égard de la SELARL Koppa Audit ;
REJETTE la demande présentée par Monsieur [D] [K] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [D] [K] à verser à la SELARL MJO, représentée par Maître [N] [U], mandataire judiciaire, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS Les Editions du Privilège, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [D] [K] à verser à la SELARL Koppa Audit la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [D] [K] aux dépens de la présente instance.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Audrey DELOURME Géraldine BERHAULT
Laisser un commentaire