Responsabilité du gardien et indemnisation des préjudices corporels suite à un accident sur un chantier.

·

·

Responsabilité du gardien et indemnisation des préjudices corporels suite à un accident sur un chantier.

L’Essentiel : Le 14 décembre 2016, Monsieur [K] a été blessé par des éclats de verre d’une baie vitrée de l’Institut de cancérologie de Lorraine, suite à un accident impliquant une grue de chantier. Après une plainte classée sans suite, il a assigné la société ABM CONSTRUCTION et l’Institut de cancérologie pour obtenir une expertise médicale et une indemnité. Le tribunal a retenu la responsabilité de l’Institut, considérant qu’il n’avait pas assuré la protection de la vitre pendant les travaux. Monsieur [K] a été indemnisé à hauteur de 26.615,25 €, et Madame [K] pour un préjudice moral de 5.000 €.

Exposé du litige

Le 14 décembre 2016, Monsieur [W] [K] a été blessé par des éclats de verre provenant d’une baie vitrée de l’Institut de cancérologie de Lorraine, suite à un accident impliquant une grue de chantier manœuvrée par un salarié de la société ABM CONSTRUCTION. Monsieur [K] a subi des blessures aux mains et au cuir chevelu, nécessitant une opération le lendemain.

Exposé des faits et de la procédure

Une plainte pénale a été déposée le 7 avril 2017, mais a été classée sans suite en avril 2018. En mars 2019, Monsieur [K] a assigné la société ABM CONSTRUCTION et son assureur AXA ASSURANCES pour obtenir une expertise médicale et une indemnité provisionnelle. En juillet 2019, il a également assigné l’Institut de cancérologie de Lorraine pour joindre les deux procédures. Le juge des référés a ordonné une expertise, mais a rejeté la demande d’indemnité provisionnelle. Le rapport d’expertise a été déposé en décembre 2020. En février 2022, Monsieur et Madame [K] ont assigné l’ICL et la CPAM de Meurthe-et-Moselle devant le tribunal judiciaire de Nancy.

Prétentions et moyens des parties

Monsieur et Madame [K] demandent la reconnaissance de leur action et l’indemnisation de leurs préjudices, affirmant que l’ICL a une obligation de sécurité envers le public. Ils soutiennent que l’accident est survenu en raison de travaux à proximité des locaux de l’ICL, et que l’ICL doit être tenu responsable. L’ICL, en revanche, conteste sa responsabilité, arguant que la grue était sous la garde d’un tiers et que la vitre n’était pas dangereuse en soi. Il souligne également que les mesures de sécurité étaient de la responsabilité des entreprises de construction.

Motifs du jugement

Le tribunal a retenu la responsabilité de l’ICL en tant que gardien de la baie vitrée, considérant que l’absence de protection de la vitre pendant les travaux a contribué à l’accident. L’ICL a été condamné à indemniser Monsieur [K] pour ses préjudices, évalués selon le rapport d’expertise. Les préjudices incluent des frais de transport, une assistance tierce personne, un déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, un préjudice esthétique temporaire, un déficit fonctionnel permanent, et un préjudice sexuel.

Indemnisation des préjudices

L’indemnisation totale des préjudices de Monsieur [K] a été fixée à 26.615,25 €, incluant divers postes de préjudice. Madame [K] a également été reconnue comme ayant subi un préjudice moral, pour lequel elle a été indemnisée à hauteur de 5.000 €. L’ICL a été condamné aux dépens et à verser des frais non compris dans les dépens.

Conclusion

Le tribunal a déclaré l’Institut de cancérologie de Lorraine responsable de l’accident et a ordonné le paiement des indemnités à Monsieur et Madame [K], ainsi que la déclaration du jugement commun à la CPAM. L’exécution provisoire du jugement a été également confirmée.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’Institut de Cancérologie de Lorraine (ICL) dans l’accident survenu le 14 décembre 2016 ?

L’Institut de Cancérologie de Lorraine (ICL) est tenu responsable sur le fondement de l’article 1242 du code civil, qui stipule que « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. »

Dans cette affaire, l’ICL était le gardien de la baie vitrée qui a causé les blessures de Monsieur [K].

La responsabilité du gardien d’une chose inerte, comme une vitre, est engagée lorsque celle-ci présente un caractère anormal ou dangereux.

Il a été établi que la vitre était particulièrement vulnérable en raison des travaux effectués à proximité, et qu’aucune mesure de protection n’avait été mise en place.

Les témoignages recueillis ont confirmé l’absence de protection, ce qui a conduit à la conclusion que l’ICL n’a pas pris les précautions nécessaires pour assurer la sécurité des personnes présentes dans ses locaux.

Quels sont les préjudices indemnisables pour Monsieur [K] ?

Monsieur [K] a droit à une indemnisation pour plusieurs types de préjudices, conformément aux conclusions du rapport d’expertise et aux articles du code civil.

Les préjudices indemnisables incluent :

1. **Préjudices patrimoniaux temporaires** : Cela comprend les frais divers, tels que les frais de transport pour se rendre à des consultations médicales, et l’assistance tierce personne, qui est l’aide apportée par un proche pour les actes de la vie quotidienne.

2. **Préjudices extra-patrimoniaux temporaires** : Cela inclut le déficit fonctionnel temporaire, qui évalue l’incapacité à mener une vie normale pendant la période de guérison, ainsi que les souffrances endurées, qui sont évaluées en fonction de la douleur physique et psychologique subie.

3. **Préjudices extra-patrimoniaux permanents** : Cela concerne le déficit fonctionnel permanent, qui évalue les séquelles durables après la guérison, et le préjudice sexuel, qui est lié à l’impact de l’accident sur la vie sexuelle de la victime.

L’indemnisation totale pour Monsieur [K] a été fixée à 26.615,25 €, incluant tous ces préjudices.

Quel est le fondement juridique du préjudice moral de Madame [K] ?

Le préjudice moral de Madame [K] est fondé sur le fait qu’elle a été témoin de l’accident de son époux et a dû faire face à des conséquences émotionnelles et psychologiques en raison de sa situation.

L’article 1240 du code civil, qui traite de la responsabilité délictuelle, stipule que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Dans ce cas, le préjudice moral de Madame [K] est reconnu car elle a subi une détresse émotionnelle en voyant son époux blessé et en devant lui apporter une assistance quotidienne, tout en étant elle-même en traitement pour une maladie grave.

Il a été décidé d’allouer à Madame [K] une somme de 5.000 € en réparation de son préjudice moral, tenant compte de la souffrance psychologique et des répercussions sur sa qualité de vie.

Comment sont déterminés les frais de justice et les dépens dans cette affaire ?

Les frais de justice et les dépens sont régis par l’article 696 du code de procédure civile, qui stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. »

Dans cette affaire, l’ICL, en tant que partie perdante, a été condamné à payer les dépens, y compris les frais de l’expertise judiciaire.

De plus, l’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer une somme à l’autre partie pour couvrir les frais non compris dans les dépens.

Il a été décidé que l’ICL versera 2.000 € à Monsieur et Madame [K] pour leurs frais non compris dans les dépens, tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

Enfin, l’exécution provisoire du jugement est de droit, conformément à l’article 514 du code de procédure civile, ce qui signifie que la décision est exécutoire immédiatement, sauf disposition contraire.

MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 10 Janvier 2025
DOSSIER N° : N° RG 22/00488 – N° Portalis DBZE-W-B7G-ICMF
AFFAIRE : Monsieur [W] [K], Madame [F] [A] épouse [K] C/ Fondation INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE- [5], CPAM de MEURTHE ET MOSELLE

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANCY

POLE CIVIL section 5
JUGEMENT

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRESIDENT : Madame Mathilde BARCAT,
Statuant par application des articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.

GREFFIER : Madame Emilie MARC

PARTIES :

DEMANDEURS

Monsieur [W] [K], né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8] (54), demeurant [Adresse 4]
représenté par Maître Nicolas BRAUN de la SCP HENNEN/GAMELON/BRAUN, avocats au barreau de BRIEY, avocats plaidant

Madame [F] [A] épouse [K], née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 9] (54), demeurant [Adresse 4]
représentée par Maître Nicolas BRAUN de la SCP HENNEN/GAMELON/BRAUN, avocats au barreau de BRIEY, avocats plaidant

DEFENDERESSES

Fondation INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE- [5] SIRET 783 336 068, dont le siège social est sis [Adresse 6]
représentée par Maître Bertrand GASSE de la SCP GASSE CARNEL GASSE TAESCH, avocats au barreau de NANCY, avocats plaidant, vestiaire : 11

CPAM de MEURTHE ET MOSELLE, dont le siège social est sis [Adresse 3]
défaillant

Clôture prononcée le : 12 septembre 2023
Débats tenus à l’audience du : 13 novembre 2024
Date de délibéré indiquée par le Président : 10 janvier 2025
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 10 janvier 2025

le
Copie+grosse+retour dossier : Maître Nicolas BRAUN et Maître Bertrand GASSE

EXPOSE DU LITIGE

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 14 décembre 2016, Monsieur [W] [K] accompagnait son épouse, suivie pour traitement à l’Institut de cancérologie de Lorraine [5] à [Localité 11], lorsqu’il a été blessé par des éclats de verre issus d’une baie vitrée de l’accueil de l’Institut. Cette baie avait été percutée par une grue de chantier manœuvrée par un salarié de la société ABM CONSTRUCTION, chargée de la construction d’un bunker de radiothérapie.

Monsieur [K] a été blessé au niveau des mains et du cuir chevelu, et opéré le 15 décembre 2016.

Une plainte pénale contre X a été déposée le 7 avril 2017. Elle a fait l’objet d’un classement sans suite le 24 avril 2018.

Par acte d’huissier en date du 7 mars 2019, Monsieur [K] a fait assigner la société ABM CONSTRUCTION et son assureur responsabilité civile la société AXA ASSURANCES devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy, aux fins de solliciter, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’expertise médicale avec mission habituelle et la condamnation solidaire des défendeurs à lui verser une indemnité provisionnelle de 10.000 € à valoir sur le préjudice qu’il a subi, une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

Par acte d’huissier en date du 9 juillet 2019, Monsieur [K] a fait assigner l’Institut de cancérologie de Lorraine [5] (ci-après « l’ICL ») devant la même juridiction afin d’ordonner la jonction des deux procédures et de voir condamner solidairement l’ICL avec les autres défendeurs. Les deux dossiers ont été joints à l’audience du 23 juillet 2019.

Par ordonnance du 3 septembre 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nancy a fait droit à la demande d’expertise qu’il a confiée au Docteur [H] [E] mais il a rejeté les demandes formées aux fins de versement d’une indemnité provisionnelle.

Le rapport d’expertise a été déposé le 8 décembre 2020.

Par actes d’huissier signifiés le 7 et le 10 février 2022, Monsieur et Madame [K] ont fait assigner l’ICL et la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE (CPAM) DE MEURTHE-ET-MOSELLE devant le tribunal judiciaire de Nancy.

L’ICL a constitué avocat par acte notifié par RPVA le 17 février 2022.

Bien que régulièrement assignée par remise de l’acte à personne morale, la CPAM DE MEURTHE-ET-MOSELLE n’a pas constitué avocat. La notification définitive de ses débours en date du 29 décembre 2021 est néanmoins communiquée aux débats.

La présente décision est réputée contradictoire.

La clôture est intervenue le 12 septembre 2023 par ordonnance du même jour.

Appelée à l’audience du 13 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 10 janvier 2025.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2023, Monsieur et Madame [K] demandent au tribunal, au visa des articles 1242 et suivants du code civil, subsidiairement 1241 du code civil, de :
-déclarer leur action recevable et bien fondée ;
-débouter l’ICL de l’intégralité de ses prétentions ;
-condamner l’ICL à verser la somme de 35.462,25 € à Monsieur [K] [W] au titre de son préjudice corporel ;
-condamner l’ICL à verser la somme de 10.000 € à Madame [K] au titre de son préjudice moral ;
-condamner le défendeur à verser la somme de 5.000 € aux époux [K] au titre de l’article 700 CPC ;
-condamner le défendeur aux dépens et frais de l’instance, comprenant notamment les frais d’expertise judiciaire.

Au soutien de leurs demandes, Monsieur et Madame [K] font valoir que l’ICL est tenu d’une obligation de sécurité de résultat s’agissant de l’accueil du public au sein de son établissement. Ils exposent que l’accident s’est produit compte tenu de la réalisation de travaux à proximité immédiate des locaux recevant les patients, travaux qui étaient réalisés sur la propriété de l’ICL et pour le compte de ce dernier en sa qualité de maître d’ouvrage.
Ils affirment qu’il appartenait à l’ICL d’effectuer les actes nécessaires s’il entendait exercer des recours contre les entreprises intervenantes, mais qu’aucune obligation ne peut être reprochée aux demandeurs à ce titre.
Ils soutiennent que le lien de causalité entre l’accident et le dommage étant établi, l’indemnisation des préjudices subis par Monsieur [K] doit être ordonnée, sur la base des conclusions du rapport d’expertise déposé par le Docteur [E].
Ils sollicitent également la réparation du préjudice moral, constitué par ricochet, de Madame [K], laquelle était en cours de protocole de soins auprès de l’ICL. Ils font valoir que Madame [K] a vu sa consultation reportée et son protocole de soin perturbé, qu’elle a été traumatisée et affectée à la fois personnellement et au regard des souffrances de son époux, et qu’elle n’a plus été conduite et accompagnée par son mari pour la suite de ses traitements.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juin 2022, l’Institut de Cancérologie de Lorraine – [5] demande au tribunal de :
-dire Monsieur et Madame [K] recevables et mal fondés en leur action tant qu’elle est dirigée contre l’ICL ;
-en conséquence, les en débouter et les condamner aux dépens ;
-subsidiairement, constater le caractère satisfactoire des évaluations du concluant s’agissant du préjudice invoqué par Madame [K].

En défense, l’ICL explique avoir fait réaliser des travaux de construction d’un bunker de radiothérapie en s’adressant pour ce faire, à la société ABM CONSTRUCTION, laquelle a confié une mission à un bureau de contrôle, la société DEKRA, qui a fait appel à un bureau d’études STRUCTUREST. Il ajoute avoir mandaté en outre un coordinateur de sécurité, en l’espèce la société SOCOTEC. Il soutient que ce sont les professionnels du bâtiment qui avaient la charge de définir les conditions dans lesquelles les travaux étaient réalisés et de prendre toutes les mesures de sécurité qui s’imposaient.
Il fait valoir que le chantier était sous la garde de l’entreprise qui en était chargée jusqu’à son achèvement, et soutient que les éventuelles précautions qui auraient dû être prises relèvent des professionnels de la construction et du bâtiment. Il observe que si certains sont liés par contrat avec l’ICL, ils ne sont pas sous sa dépendance.
Il relève que les demandeurs ont fondé leur action à son encontre sur les dispositions de l’article 1242 du code civil, soit la responsabilité du fait des choses. Il s’étonne de ce que les époux [K], qui avaient en référé fait assigner la société ABM CONSTRUCTION et la société AXA ASSURANCES, n’aient pas agi dans le cadre de la procédure au fond contre lesdites sociétés.
Il affirme que la responsabilité du fait des choses suppose, s’agissant d’une chose inerte, qu’elle ait présenté un caractère dangereux ; or, la vitre qui s’est brisée n’avait en elle-même aucun caractère dangereux.
Il fait valoir que la responsabilité en l’espèce n’est pas la sienne mais celle d’un tiers qui ne travaillait pas sous ses ordres. Il relève que la grue qui est à l’origine du bris de la vitre était sous la garde du grutier qui avait le pouvoir d’usage, de direction et de contrôle de la chose. Il en déduit qu’il doit être mis hors de cause en raison de l’absence d’anormalité de la vitre.
Subsidiairement, il présente ses observations sur la liquidation des préjudices subis par Monsieur [K].
Il s’oppose à toute indemnisation du préjudice par ricochet de [K], estimant que les préjudices évoqués ne sont pas justifiés et qu’un lien de causalité direct et certain n’est pas démontré.
***

Il sera rappelé qu’en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de chacune des parties pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens.

MOTIFS DU JUGEMENT

1°) SUR L’ACTION EN RESPONSABILITE

Aux termes de l’article 1242 alinéa 1er du code civil, on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.

La garde est caractérisée par les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle que l’on exerce sur la chose.

Pour engager la responsabilité du gardien d’une chose inerte, il appartient au demandeur d’établir que la chose présente un caractère anormal ou dangereux, un vice, une défectuosité et qu’elle n’a pas eu simplement un rôle passif dans la survenance du dommage.

Ce texte institue ainsi une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute du gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage. Dès lors, ce dernier ne peut s’exonérer totalement qu’en prouvant l’existence d’une cause étrangère, du fait d’un tiers ou d’une faute de la victime revêtant les caractères de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité) et partiellement en démontrant l’existence d’une faute de la victime ayant contribué à son dommage.

Lorsque la chose est par nature immobile, la preuve qu’elle a participé de façon incontestable et déterminante à la production du préjudice incombe à la victime qui doit démontrer que la chose, malgré son inertie, a eu un rôle causal et a été l’instrument du dommage par une anormalité dans son fonctionnement, son état, sa fabrication, sa solidité ou sa position.

Le gardien de la chose qui a été l’instrument du dommage, hors le cas où il établit un événement de force majeure totalement exonératoire, est tenu, dans ses rapports avec la victime, à réparation intégrale, sauf son recours éventuel contre le tiers qui aurait concouru à la production du dommage.

En l’espèce, il est établi que Monsieur [K] a été blessé par les éclats d’une baie vitrée dans les locaux de l’ICL, cette vitre ayant été percutée par le crochet d’une grue manœuvrée par un salarié de la société ABM CONSTRUCTION, dans le cadre de travaux effectués sur le site de l’ICL.

L’incident a été décrit de la façon suivante par le directeur adjoint de l’ICL, aux termes d’un courrier adressé à Monsieur [K] le 19 décembre 2016 : « le mercredi 14 décembre 2016, vers 15h, le crochet de grue du chantier a percuté et brisé une baie vitrée de l’accueil de l’ICL, blessant Monsieur [K] [W] […] ».

Plusieurs témoins, présents sur les lieux au moment de l’accident, ont indiqué avoir vu et entendu la grue heurter la baie vitrée, qui s’est brisée provoquant les blessures de Monsieur [K].

Les médecins ayant pris ce dernier en charge quelques minutes après l’accident ont relevé, selon certificat établi le 16 décembre 2016, « des plaies hémorragiques au niveau des faces dorsales des deux mains et au niveau du cuir chevelu. L’origine de ces plaies était des coupures par du verre provenant d’un bris de vitre ».

Si l’ICL soutient que la responsabilité de cet accident incombe au gardien de la grue et reproche au demandeur de n’avoir pas agi à l’encontre des entreprises chargées de la sécurité des travaux, il y a lieu de relever que le défendeur reste libre d’agir contre le tiers qui aurait concouru à la production du dommage. Au demeurant, l’ICL ne conteste pas avoir la qualité de gardien de la baie vitrée, laquelle a directement causé le dommage à Monsieur [K].

S’agissant d’une chose inerte, son anormalité doit être démontrée.

Les caractéristiques de la vitre elle-même ne sont pas mises en cause, aucune fragilité anormale de celle-ci n’étant alléguée face au poids du crochet de la grue.

Cependant, il résulte des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête pénale sur les circonstances de l’accident, qu’aucune mesure de protection de la baie vitrée n’a été prise alors que celle-ci se trouvait particulièrement vulnérable face aux travaux qui se déroulaient à proximité immédiate.

Ainsi, Madame [P] [O] a déclaré, lors de son audition par les services d’enquête le 19 octobre 2017 (PV n°00697/2017/017331/04) : « Je venais en consultation à l’ICL. […] Moi j’étais devant appuyée sur la bande d’accueil et je regardais la grue. Il était en train de taper sur les murs et d’un seul coup j’ai vu l’inertie du balancier qui arrivait près de la fenêtre. Pour moi il était trop prêt et je me disais qu’il allait rentrer dans le hall. Au même moment où je pensais cela, la vitre a explosé et l’armature en métal de la fenêtre est tombée. J’ai vu la poulie se balancer. […]
Q. : Est ce que la fenêtre était protégée ?
R. : Non, il n’y avait pas de protection. Par contre la grue était au milieu du petit parvis et j’ai trouvé qu’elle était prêt. C’était une grosse grue. »

Interrogé sur les circonstances de l’accident, Monsieur [Z] [R], salarié de l’entreprise ABM CONSTRUCTION, chef de chantier et conducteur de la grue, a déclaré le 25 octobre 2017 (PV n°00697/2017/017331/05) : « Nous étions à proximité du bâtiment existant. Il y a eu un effet de ballant et le chariot est venu briser le vitrage. Je vous précise que c’était un petit balancement mais le chariot pesait environ 150 kilos donc la vitre a explosé. J’ai tout de suite reculé et j’ai laissé en position statique le chariot. Avec mes ouvriers, nous sommes allés dans le hall de l’ICL pour voir les dégâts. On a vu le monsieur qui était pris en charge par des infirmières. Nous avons nettoyé et nous avons mis un contre plaqué provisoire sur la vitre qui a été brisée.[…]
Q. : Pourquoi n’y avait-il pas de protection au niveau de la vitre ?
R. : Lors de l’ouverture d’un chantier, il y a un plan de prévention et de sécurité pour évaluer les risques qui est fait au préalable. Le maître d’ouvrage qui est l’ICL, la société SOCOTEC le coordinateur SPS qui vient toutes les semaines, personne n’a jamais évoqué ce point.[…] ».

La question de l’absence de protection des vitres de l’immeuble a également été abordée par les enquêteurs avec Monsieur [X] [Y], coordonnateur de la sécurité, de la protection et de la santé, missionné par le maître d’ouvrage, l’ICL, et entendu le 7 novembre 2017 (PV n° 00697/2017/017331/07) : « Q. : Pourquoi n’y a-t-il pas eu des barreaux sur les fenêtres ?
R. : Il avait été évoqué de mettre des panneaux opaques devant les vitrages ou de déplacer le service du ICL. Ce n’était pas possible de déplacer le service au vu de l’appareillage et du manque de place. Pour les panneaux opaques, cela aurait plongé les gens dans le noir toute la journée, humainement parlant ce n’était pas réalisable. A ce stade, c’était évoqué bien avant l’appel d’offre.[…] ».

Monsieur [G] [J], responsable des services techniques et sécurité incendie de l’établissement de l’ICL, a expliqué pour sa part dans son audition du 17 novembre 2017 (PV n°00697/2017/017331/08) : « Quand je suis arrivé, la victime avait déjà été prise en charge. La première chose que j’ai fait est d’organiser le nettoyage et la sécurisation de la salle d’attente (évacuation des bris de verre, nettoyage et fermeture de la fenêtre cassée). Ensuite nous avons déclenché avec la direction la cellule de crise où nous avons invité le gérant de la société ABM ainsi que le chef de chantier afin de faire un point sur l’accident et les actions à mettre en place immédiatement (sécurisation des fenêtres, communication). […] Le lendemain, la société ABM a mis en place les protections nécessaires au niveau de toutes les fenêtres contiguës au chantier ».

Il y a lieu de constater que l’une des premières mesures prises par l’ICL et les entreprises intervenantes à la suite de l’accident du 14 décembre 2016, a été de protéger les vitres du bâtiment, ainsi que l’a constaté Monsieur [K] qui a indiqué aux services de gendarmerie le 2 août 2017 : « Je pense que toutes les précautions pour ce chantier n’ont pas été prises. En effet, suite à mon accident, le chantier a été arrêté et il n’a pu reprendre que lorsqu’ils avaient mis des grilles devant les fenêtres. Donc je pense que cela aurait dû être fait avant, et je n’aurais pas eu cet accident. »

Il sera retenu que l’ICL, en tant que gardien de la baie vitrée, devait prendre toutes les précautions de nature à assurer la sécurité et la solidité de celle-ci durant les travaux. La vitre se trouvait ainsi dans une position de vulnérabilité anormale face à la grue toute proche.

En conséquence, la responsabilité de l’ICL en qualité de gardien de la baie vitrée, doit être retenue sur le fondement des dispositions de l’article 1242 du code civil.

L’ICL sera condamné à indemniser les préjudices de Monsieur [K].

2°) SUR LA REPARATION DES DOMMAGES

Il y a lieu d’indemniser les préjudices de Monsieur [K] selon les conclusions du rapport d’expertise déposé par le Docteur [E] le 8 décembre 2020, qui sont les suivantes :

– Il existe un lien direct certain concernant les lésions des deux mains, la plaie du cuir chevelu et l’accident initial. Il n’existe pas de lien direct et certain concernant le problème urinaire (état antérieur) ;
– Gêne temporaire totale à 100% pour la période du 14 au 15 décembre 2016 (hospitalisation au Centre [7]) et du 16 au 18 décembre 2016 (attelles plâtrées) ;
– Gêne temporaire partielle à 50% du 19 décembre 2016 au 5 janvier 2017 (port permanent des orthèses) ;
– Gêne temporaire partielle à 15% du 6 janvier 2017 au 15 mars 2018 pour le port intermittent des orthèses dynamiques au niveau des mains ;
– Date de consolidation : 15 mars 2018 ;
– AIPP évaluée à 10% (prise en compte des souffrances psychologiques et de l’état actuel des mains) ;
– Préjudice de loisir : impossibilité de reprendre le bricolage fin et les activités de précision nécessitant une dextérité ;
– Préjudice esthétique temporaire de 1/7 pendant la période de port des orthèses ;
– Souffrances endurées évaluées à 3/7 prenant en compte une intervention initiale, le port des orthèses et les souffrances psychologiques ;
– Pas de préjudice esthétique définitif ;
– Préjudice sexuel positionnel pendant la période de port des orthèses ;
– Assistance tierce personne (aides familiales assurées par l’épouse de Monsieur [K]) : 4 heures par jour pendant les périodes à 100%, 2 heures par jour pendant les périodes à 50% et 1h30 par jour pendant les périodes à 30%.

***
Il convient de liquider les préjudices comme suit :

I. L’indemnisation des préjudices patrimoniaux temporaires

Les frais divers

Il s’agit des frais divers exposés par la victime avant la date de consolidation de ses blessures :
– les honoraires du médecin assistant la victime aux opérations d’expertise ;
– les frais de transport survenus durant la maladie traumatique, dont le coût et le surcoût sont imputables à l’accident ;
– les dépenses liées à l’emploi de tiers pour une activité que la victime ne peut effectuer seule durant cette période temporaire : frais de garde d’enfants, soins ménagers, tierce personne pour les besoins de la vie courante, frais d’adaptation temporaire d’un véhicule ou d’un logement.

a) Les frais de transport

Monsieur [K] sollicite une indemnisation au titre des frais de trajet qu’il a effectués en voiture pour se rendre à ses consultations de chirurgie (7 x 220 km = 1.540 km) et ses séances de kinésithérapie (132 x 20 km = 2.640 km), soit une distance totale de 4.180 km. Il sollicite la somme de 4.180 km x 0,5 = 2.090 €.

L’ICL fait valoir que ces frais sont admissibles si les déplacements sont justifiés.

En l’espèce, le demandeur communique un récapitulatif quotidien des soins et déplacements à la suite de son accident, récapitulatif sur lequel apparaissent chaque séance de rééducation de kinésithérapie ainsi que les visites au CHRU de [Localité 10].

Il produit aux débats un certificat établi le 20 mars 2018 par son kinésithérapeute aux termes duquel Monsieur [K] a effectué 132 déplacements entre le 10 janvier 2017 et le 26 février 2018.

Il justifie également de 7 comptes-rendu de consultation de chirurgie entre le 19 décembre 2016 et le 15 mars 2018.

Les frais de transport étant justifiés, il sera en conséquence fait droit à la demande de Monsieur [K] et une indemnisation de 2.090 € lui sera allouée.
SOUS-TOTAL : 2.090 €

b) L’assistance tierce personne

Le recours à une tierce personne correspond au préjudice lié au recours d’une tierce personne pour aider la victime à effectuer les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie. Il importe peu que des justificatifs des dépenses effectives soient produits pour reconnaître l’existence de ce préjudice.

L’indemnisation au titre de la tierce personne doit en outre correspondre à des soins et une assistance réels, même s’ils sont assurés par la famille.

L’assistance familiale bénévole constitue un préjudice indemnisable au titre du droit à réparation intégrale dès lors qu’elle permet soit d’éviter une perte de gains professionnels, soit de réaliser une économie en ne recourant pas à une tierce personne rémunérée.

Monsieur [K] affirme avoir dû bénéficier de l’assistance de son épouse et sollicite une indemnisation de 987,50 € sur la base d’un taux horaire de 25 euros.

L’ICL propose un tarif horaire de 16 euros.

L’assistance par tierce personne peut être évaluée suivant le montant correspondant au coût d’une heure payée au SMIC, soit au 1er janvier 2016, 9,67 euros bruts/heure soit environ 13,73 euros/heure charges patronales comprises avant éventuelles réductions fiscales et sociales puis de 9,76 euros bruts/heure au 1er janvier 2017. La somme de 16 euros proposée par l’ICL sera en conséquence retenue.

L’expert judiciaire a retenu une assistance tierce personne sous la forme d’une aide familiale assurée par l’épouse de Monsieur [K], à hauteur de 4 heures par jour pendant les périodes à 100%, 2 heures par jour pendant les périodes à 50% et 1 heure 30 par jour pour les périodes à 30%.

Cependant, en réponse aux dires, il a modifié son appréciation des périodes à retenir à 100% pour inclure celle du 16 au 18 décembre 2016. Il a également retenu une gêne temporaire partielle de 50%, et non seulement de 30%, du 19 décembre 2016 au 5 janvier 2017, puis une gêne temporaire partielle à 15% du 6 janvier 2017 au 15 mars 2018. Il n’y a donc plus, selon les conclusions finales de l’expert, de périodes à 30 % à retenir.

Les calculs relatifs à l’assistance tierce personne sont les suivants :
-du 14 au 18 décembre 2016 (100%) : 5 jours x 4 heures x 16 € = 320 €
-du 19 décembre 2016 au 5 janvier 2017 (50%) : 17 jours x 2 heures x 16 € = 544 €

Par conséquent, l’indemnisation sera fixée à la somme de 864 € au titre de l’assistance par tierce personne temporaire.
SOUS-TOTAL : 864 €

II. L’indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux

A. Les préjudices extra-patrimoniaux temporaires

1.Le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique et jusqu’à la date de consolidation. Il comprend notamment le préjudice temporaire d’agrément.

Monsieur [K] sollicite une indemnisation de 2.584,75 € de ce chef, sur la base d’une indemnité journalière forfaitaire de 35 €.

L’ICL fait valoir que le taux journalier habituellement retenu est de 25 €.

En l’espèce, l’expert conclut comme suit :
– Gêne temporaire totale à 100% pour la période du 14 au 15 décembre 2016 (hospitalisation au Centre [7]) et du 16 au 18 décembre 2016 (attelles plâtrées) ;
– Gêne temporaire partielle à 50% du 19 décembre 2016 au 5 janvier 2017 (port permanent des orthèses) ;
– Gêne temporaire partielle à 15% du 6 janvier 2017 au 15 mars 2018 pour le port intermittent des orthèses dynamiques au niveau des mains ;

Sur la base d’un taux horaire de 25 € par jour qui apparaît satisfactoire, il y a lieu de fixer l’indemnisation de ce poste de préjudice de la façon suivante :
-déficit fonctionnel de 100% du 14 au 18 décembre 2016, soit 5 jours x 25 € = 125 €
-déficit fonctionnel de 50% du 19 décembre 2016 au 5 janvier 2017, soit 17 jours x 12,50 € = 212,50 €
-déficit fonctionnel de 15% du 6 janvier 2017 au 15 mars 2018, soit 433 jours x 3,75 € = 1.623,75 €

Par conséquent, l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de Monsieur [K] sera fixée à la somme de 1.961,25 €.
SOUS-TOTAL : 1.961,25 €

2.Les souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime du jour de l’accident à la date de consolidation.

Le rapport d’expertise a évalué à 3/7 les souffrances endurées par Monsieur [K] en prenant en compte une intervention initiale, le port des orthèses et les souffrances psychologiques.

Monsieur [K] sollicite la somme de 6.500 €, que l’ICL approuve.

Il convient en conséquence d’allouer la somme de 6.500 €.
SOUS-TOTAL : 6.500€

3.Le préjudice esthétique temporaire

Il s’agit de l’altération physique subie jusqu’à la date de consolidation.

Monsieur [K] sollicite une somme de 1.000 € compte tenu de la durée de ce préjudice et de la localisation des blessures.

L’ICL fait valoir que cette somme ne saurait excéder 500 € compte tenu de la localisation des blessures et surtout du fait qu’il n’est caractérisé que par le port d’orthèses.

En l’espèce, l’expert évalue à 1/7 le préjudice esthétique temporaire pendant la période de port des orthèses. Il conclut en outre à l’absence de préjudice esthétique définitif.

Au regard de la durée du port des orthèses et des cicatrices constatées lors de l’examen clinique réalisé par l’expert, il sera alloué une somme de 1.000 € pour ce poste de préjudice.
SOUS-TOTAL : 1.000 €

B. Les préjudices extra-patrimoniaux permanents

1.Le déficit fonctionnel permanent

Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d’existence quotidiennes. Ce poste de préjudice doit réparer la perte d’autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

L’expert considère, qu’après consolidation, il subsiste une incapacité permanente partielle de 10%, en prenant en compte les souffrances psychologiques et l’état actuel des mains de Monsieur [K].

A la date de la consolidation, intervenue le 15 mars 2018, Monsieur [K] était âgé de 70 ans comme étant né le [Date naissance 1] 1948. En prenant un point d’indemnisation arrêté à 1.320 €, il lui sera alloué la somme de 13.200 € à ce titre.
SOUS-TOTAL : 13.200 €

2.Le préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément s’entend de l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive, ludique ou de loisirs, ou la limitation de ces activités en raison des séquelles de l’accident (Cass., Civ. 2ème, 29 mars 2018, n° 17-14.499).
Par ailleurs, il appartient à la victime de démontrer l’importance de ce préjudice et de justifier de la pratique des activités invoquées.

Monsieur [K] affirme avoir dû abandonner partiellement plusieurs activités, ayant perdu la précision et la dextérité exigées pour les activités de précision et le bricolage fin. Il soutient ne plus pouvoir exercer les activités de jardinage, en particulier le maniement des engins motorisés et le désherbage compte tenu des douleurs ressenties.

L’ICL soutient que l’existence d’un tel préjudice n’est pas justifiée et que les activités citées n’ont été qu’évoquées par l’expert, s’agissant par exemple d’un bricolage fin.

En l’espèce, l’expert judiciaire retient l’existence de ce poste de préjudice caractérisé par l’impossibilité pour Monsieur [K] de reprendre le bricolage fin et les activités de précision nécessitant une dextérité. Il précise que le jardinage est également affecté en ce qui concerne les petits gestes liés au désherbage, de même que le maniement des engins motorisés (motoculteur et tondeuse).

Monsieur [K] ne rapporte cependant pas la preuve d’une pratique régulière du bricolage ou du jardinage avant son accident.

En outre, le manque de dextérité dans le travail de précision relevé par l’expert et invoqué à l’appui de la demande au titre du préjudice d’agrément se trouve déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent.

En conséquence, la demande d’indemnisation au titre du préjudice d’agrément sera rejetée.
SOUS-TOTAL : 0 €

3.Le préjudice sexuel

Il s’agit de l’ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle :
– le préjudice morphologique, lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;
– le préjudice lié à l’acte sexuel lui- même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;
– le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.

En l’espèce, l’expert judiciaire retient l’existence d’un préjudice sexuel positionnel pendant la période de port des orthèses.

Aussi sera-t-il alloué une indemnisation de 1.000 € au titre de ce poste de préjudice.
SOUS-TOTAL : 1.000 €

***

En définitive, l’indemnisation des conséquences dommageables de l’accident doit être évaluée comme suit :
-frais de transport : 2.090 €
-assistance tierce personne : 864 €
-déficit fonctionnel temporaire : 1.961,25 €
-souffrances endurées : 6.500 €
-préjudice esthétique temporaire : 1.000 €
-déficit fonctionnel permanent : 13.200 €
-préjudice d’agrément : 0 €
-préjudice sexuel : 1.000 €
TOTAL : 26.615,25 €

Selon l’article 1231-7 du code civil, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.

L’ICL sera ainsi condamné à payer à Monsieur [K] la somme de 26.615,25 € à titre de dommages et intérêts en réparation des conséquences de l’accident survenu le 14 décembre 2016, outre intérêts légaux à compter du présent jugement.

3°) SUR LE PREJUDICE DE MADAME [K]

Il est constant que Madame [F] [A] épouse [K] était suivie à l’ICL dans le cadre d’un traitement contre son cancer lorsque son époux a été victime de cet accident.

S’il n’est pas démontré par les pièces versées aux débats que son protocole de soin a été perturbé comme elle le soutient, Madame [K] a cependant nécessairement subi un préjudice moral non seulement le jour même de l’accident, en voyant son époux ainsi blessé, mais également durant les semaines suivantes puisqu’elle a été privée du soutien qu’il lui apportait jusque là et qu’elle a dû en outre lui fournir l’aide et l’assistance quotidienne dont il avait besoin, alors qu’elle se trouvait elle-même face à une grave maladie.

Il sera ainsi retenu l’existence d’un préjudice moral de Madame [K], étant ajouté en outre qu’elle a subi les répercussions du préjudice sexuel affectant son époux.

Il lui sera alloué une somme de 5.000 € en réparation de son préjudice.

4°) SUR LA DECLARATION DE JUGEMENT COMMUN

Lorsqu’une personne victime d’un préjudice corporel agit à l’encontre d’un tiers qu’elle estime responsable de son préjudice, il lui appartient de mettre en cause son organisme de sécurité sociale. La Caisse de Sécurité Sociale peut intervenir volontairement à l’instance civile. A défaut, le tiers payeur doit être cité aux fins de déclaration de jugement commun, en application des articles L. 376-1 alinéa 8 et R. 376-2 du Code de Sécurité Sociale. Devant une juridiction civile, l’organisme de sécurité sociale ne peut être régulièrement mis en cause que par la délivrance d’une assignation, comme en l’espèce.

Il y a lieu de déclarer le présent jugement commun à la CPAM DE MEURTHE-ET-MOSELLE prise en la personne de son représentant légal.

5°) SUR LES FRAIS DU PROCES ET L’EXECUTION PROVISOIRE

a) Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, l’ICL, partie perdante, sera condamné aux dépens, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire du Professeur [E] désigné par ordonnance de référé N° RG 19/293 du 3 septembre 2019 .

b) Sur les demandes au titre des frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer 1° à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

L’ICL, partie condamnée aux dépens, indemnisera Monsieur et Madame [K] de leurs frais non compris dans les dépens par une somme qu’il est équitable de fixer à 2.000 €.

c) Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable à l’espèce, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, compte tenu de l’absence de motif dérogatoire, il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,

DECLARE L’INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE – [5] responsable du dommage causé le 14 décembre 2016 à Monsieur [W] [K] sur le fondement de la responsabilité délictuelle du fait des choses ;

CONDAMNE L’INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE – [5] à payer à Monsieur [W] [K] la somme totale de 26.615,25 € à titre de dommages et intérêts en réparation des conséquences de l’accident survenu le 14 décembre 2016, outre intérêts légaux à compter du présent jugement ;

CONDAMNE L’INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE – [5] à payer à Madame [F] [A] épouse [K] la somme de 5.000 € au titre de son préjudice moral ;

CONDAMNE L’INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE – [5] aux dépens, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire du Professeur [E] désigné par ordonnance de référé N° RG 19/293 du 3 septembre 2019 ;

CONDAMNE L’INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE – [5] à payer à Monsieur [W] [K] et Madame [F] [A] épouse [K] la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DECLARE le présent jugement commun à la CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE-ET-MOSELLE prise en la personne de son représentant légal ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon