Responsabilité et expertise : enjeux de l’intervention d’un tiers dans un contexte de dommages immobiliers.

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Responsabilité et expertise : enjeux de l’intervention d’un tiers dans un contexte de dommages immobiliers.

L’Essentiel : Monsieur [H] [I], propriétaire d’une maison, a subi des dommages suite à l’effondrement d’un mur de soutènement causé par des eaux de ruissellement lors de fortes pluies en juin 2022. Malgré des expertises amiables, aucune solution n’a été trouvée, poussant Monsieur [I] à demander une expertise judiciaire. La S.A.S. RENON a assigné la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST pour rendre les opérations d’expertise communes. Le juge a rejeté l’argument d’irrecevabilité de la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST, ordonnant que les opérations d’expertise soient communes et opposables, avec un délai supplémentaire de quatre mois pour le rapport de l’expert.

Contexte de l’affaire

Monsieur [H] [I] est propriétaire d’une maison située en contrebas d’un lotissement en construction par la société SAS [Adresse 8]. Suite à de fortes pluies survenues les 26 et 27 juin 2022, des eaux de ruissellement ont provoqué l’effondrement d’un mur de soutènement de sa propriété, entraînant un envahissement par des terres et gravats provenant du chantier.

Expertises et démarches entreprises

Des opérations d’expertise amiable ont été lancées par l’assureur de Monsieur [I], en collaboration avec le promoteur et la commune. Malgré ces efforts, aucune solution amiable n’a été trouvée, incitant Monsieur [I] à demander une expertise judiciaire. Un expert judiciaire a été désigné, mais a été remplacé par un autre expert peu après.

Assignation et audience

Le 27 août 2024, la S.A.S. RENON et son assureur ont assigné la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST pour que les opérations d’expertise en cours lui soient rendues communes et opposables. L’affaire a été renvoyée à plusieurs audiences, où la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST a contesté la recevabilité de la demande.

Arguments des parties

La S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST a soutenu que la demande était irrecevable, arguant qu’aucun avis de l’expert judiciaire n’avait été fourni pour justifier sa mise en cause. En réponse, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont affirmé que cet avis n’était pas nécessaire pour leur demande d’intervention.

Décision du juge

Le juge a écarté l’argument d’irrecevabilité, précisant que la demande portait sur l’intervention de la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST pour rendre les opérations d’expertise communes, et non sur une extension de la mission de l’expert. Il a également constaté que des désordres avaient affecté la propriété de Monsieur [I] et que la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST était impliquée dans les travaux concernés.

Conséquences de la décision

Le juge a déclaré que les opérations d’expertise seraient communes et opposables à la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST, l’obligeant à répondre aux convocations de l’expert et à fournir les documents nécessaires. Un délai supplémentaire de quatre mois a été accordé à l’expert pour déposer son rapport. La S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont été condamnées aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 145 du Code de procédure civile dans le cadre de la demande d’expertise judiciaire ?

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Cet article permet à une partie de demander des mesures d’instruction avant le procès, afin de préserver des preuves essentielles à la résolution d’un litige.

Dans le cas présent, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont invoqué cet article pour justifier leur demande d’extension des opérations d’expertise.

Elles ont démontré qu’il existait un motif légitime, à savoir les désordres affectant la propriété de Monsieur [I], qui pourraient être liés aux travaux entrepris par la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST.

Ainsi, l’article 145 a été fondamental pour établir la nécessité d’une expertise judiciaire, permettant de garantir que les preuves soient préservées avant le procès.

Quelles sont les implications de l’article 331 du Code de procédure civile concernant la mise en cause d’un tiers ?

L’article 331 du Code de procédure civile stipule que :

« Un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d’agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement. Le tiers doit être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense. »

Cet article permet à une partie d’inclure un tiers dans une procédure judiciaire, ce qui est crucial lorsque ce tiers pourrait être responsable des faits litigieux.

Dans le litige en question, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont demandé que la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST soit rendue commune aux opérations d’expertise.

Cela signifie qu’elles cherchent à établir la responsabilité de la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST dans les désordres subis par Monsieur [I].

L’article 331 garantit que le tiers a le droit de se défendre et d’être informé des procédures le concernant, ce qui est essentiel pour assurer un procès équitable.

Comment l’article 245 du Code de procédure civile influence-t-il la mission de l’expert judiciaire ?

L’alinéa 3 de l’article 245 du Code de procédure civile précise que :

« Le juge ne peut, sans avoir préalablement recueilli les observations du technicien commis, étendre la mission de celui-ci ou confier une mission complémentaire à un autre technicien. »

Cet article encadre strictement les interventions du juge concernant les missions d’expertise.

Il impose que toute extension de la mission de l’expert soit précédée d’une consultation de celui-ci, garantissant ainsi que les décisions prises soient fondées sur des avis techniques appropriés.

Dans le cas présent, la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST a soulevé l’irrecevabilité de la demande en arguant qu’aucun avis de l’expert n’avait été fourni pour justifier son inclusion dans les opérations d’expertise.

Cependant, les S.A.S. RENON et SMA ont démontré que leur demande ne visait pas à étendre la mission de l’expert, mais à rendre les opérations d’expertise communes, ce qui a permis de contourner l’argument d’irrecevabilité.

Quelles sont les conséquences de la décision du juge des référés sur les frais de la procédure ?

La décision du juge des référés a stipulé que :

« La S.A.S. RENON et la S.A. SMA, demanderesses, supporteront in solidum la charge des dépens. »

Cela signifie que les deux parties demanderesses sont conjointement responsables des frais de la procédure.

En droit, le principe de la solidarité dans le paiement des dépens implique que chaque partie peut être tenue de payer la totalité des frais, même si l’autre partie est également responsable.

Cette décision vise à éviter que les frais ne soient répartis de manière inéquitable entre les parties, garantissant ainsi une certaine équité dans le processus judiciaire.

Il est important de noter que cette disposition est courante dans les procédures où plusieurs parties sont impliquées, afin de simplifier la gestion des frais et d’assurer que les coûts soient couverts.

CG/EB

Ordonnance N°
du 26 NOVEMBRE 2024

Chambre 6

N° RG 24/00778 – N° Portalis DBZ5-W-B7I-JWAF
du rôle général

S.A.S. RENON
S.A. SMA

c/

S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST
[Y] & [W]
la SCP TEILLOT & ASSOCIES

GROSSES le

– la SARL [Y] & [W]
– la SCP TEILLOT & ASSOCIES

Copies électroniques :

– la SARL [Y] & [W]
– la SCP TEILLOT & ASSOCIES

Copies :

– Expert ([E] [Z])
– Dossier RG 24/778
– Dossier RG 23/196 minute 23/385

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE CLERMONT-FERRAND

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

rendue le VINGT SIX NOVEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE,

par Madame Catherine GROSJEAN, Présidente du Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND

assistée de Madame Laetitia JOLY, greffière

dans le litige opposant :

DEMANDERESSES

La S.A.S. RENON agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par la SCP TEILLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

La S.A. SMA, en qualité d’assureur de la SAS RENON, agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 5]

représentée par la SCP TEILLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

ET :

DEFENDERESSE

La S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par la SARL JOUCLARD & VOUTE, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

Après débats à l’audience publique du 05 Novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré à ce jour, la décision étant rendue par mise à disposition au greffe.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [H] [I] est propriétaire d’une maison d’habitation située [Adresse 3] (63), en contrebas d’un lotissement en cours de construction dans le cadre d’un programme immobilier entrepris par la société par actions simplifiées SAS [Adresse 8] comprenant 25 terrains.

Il expose que suite à de fortes pluies dans la nuit du 26 au 27 juin 2022, les eaux de ruissellement recueillies par le lotissement ont traversées la voie communale et occasionnées l’effondrement du mur de soutènement implanté en aspect ouest de sa parcelle et son envahissement par un important volume de terre, de sable et de graviers en provenance du chantier.

Des opérations d’expertise amiable ont été initiées par l’assureur multirisques habitation de monsieur [I] au contradictoire du promoteur et de la commune.

En dépit des démarches entreprises, aucune solution amiable n’a été trouvée entre les parties.

Monsieur [I] a sollicité l’organisation d’une expertise judiciaire.

Suivant ordonnance de référé en date du 6 juin 2023, Monsieur [L] [S] a été désigné en qualité d’expert judiciaire.

Suivant ordonnance du 28 juin 2023, Monsieur [B] [Z] a été désigné en lieu et place de Monsieur [S].

Suivant ordonnance de référé en date du 7 mai 2024, les opérations d’expertise ont été rendues communes et opposables à la S.A.S. BISIO ET ASSOCIES, son assureur MMA, la S.A.S. RENON et son assureur la S.A. SMA.

Par acte en date du 27 août 2024, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont assigné la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST devant la Présidente du Tribunal statuant en référé afin d’obtenir, en application des articles 145 et 331 du Code de procédure civile, que les opérations d’expertise en cours lui soient rendues communes et opposables.

Appelée à l’audience des référés du 24 septembre 2024, l’affaire a été renvoyée à celle du 5 novembre au cours de laquelle les débats ont eu lieu.

Par des conclusions en défense, la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST a conclu à l’irrecevabilité de la demande et, à titre subsidiaire, a formulé des protestations et réserves.

Par des conclusions en réponse, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA ont réitéré leur demande et ont conclu au rejet des demandes de la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST.

Pour le surplus, il est renvoyé à l’assignation et aux conclusions régulièrement déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

1/ Sur l’irrecevabilité de la demande

L’alinéa 3 de l’article 245 du Code de procédure civile dispose que  » Le juge ne peut, sans avoir préalablement recueilli les observations du technicien commis, étendre la mission de celui-ci ou confier une mission complémentaire à un autre technicien « .

Les alinéas 1,2 et 3 de l’article 12 du Code de procédure civile dispose que  » Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles entendent limiter le débat « .

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que  » S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé « .

L’article 331 du Code de procédure civile dispose que  » Un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d’agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement. Le tiers doit être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense « .

Pour conclure à l’irrecevabilité de la demande, la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST oppose que les demanderesses ne versent aucun avis ni préconisation de l’expert judiciaire tendant à sa possible mise en cause. Elle estime qu’en l’absence d’un tel avis, le juge ne peut lui étendre la mesure sans contrevenir aux dispositions de l’article 245 du Code de procédure civile.

Les S.A.S. RENON et S.A. SMA rétorquent que cet avis préalable n’est pas une exigence conditionnant une demande d’appel en cause.

Il résulte des écrits de la S.A.S. RENON et de la S.A. SMA que la demande qui intéresse la présente procédure porte sur l’intervention forcée de la
S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST aux fins de lui rendre communes et opposables les opérations d’expertise judiciaire ordonnées précédemment. Ainsi, elle ne peut être confondue avec une demande d’extension des opérations d’expertise judiciaire, laquelle permet d’étendre la mission de l’expert afin d’approfondir ses investigations sur des points précis et discutés, auquel s’applique l’article 245 alinéa 3 du CPC.

Par conséquent, le moyen d’irrecevabilité, mal orienté, sera écarté.

2/ Sur la demande d’extension des opérations d’expertise

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que  » S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé « .

L’article 331 du Code de procédure civile dispose que  » Un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d’agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement. Le tiers doit être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense « .

A l’appui de leur demande, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA versent notamment au dossier :

– un marché forfaitaire voirie et réseaux divers en date du 11 juin 2021,
– un marché forfaitaire bâtiment, équipements et aménagements accessoires en date du 11 juin 2021,
– une ordonnance de référé en date du 6 juin 2023.

Il est constant que la propriété de Monsieur [I], située en contrebas du programme immobilier entrepris par la S.A.S. [Adresse 8], a été affecté de désordres ayant justifié le recours à une expertise judiciaire prononcée par le juge des référés le 6 juin 2023.

Il est également constant que les opérations d’expertise ont été rendues communes et opposables à la S.A.S. RENON, sous-traitant, et son assureur la S.A. SMA au motif que le premier accedit de l’expert judiciaire, datant du 14 septembre 2023, supposait la possibilité que le sinistre ait été causé par les travaux entrepris pour l’édification du programme immobilier.

Or, il résulte des marchés forfaitaires précités que la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST s’est vu confier plusieurs lots, notamment de voirie, dans les travaux litigieux, lesquels travaux peuvent être concernés par les désordres en cause, quand bien même l’expert ne les a pas expressément mentionnés.

Ainsi, la S.A.S. RENON et la S.A. SMA justifient d’un motif légitime pour voir ordonner que les opérations d’expertise en cours soient déclarées communes et opposables à la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST.

En conséquence, la demande sera accueillie.

3/ Sur les frais

La S.A.S. RENON et la S.A. SMA, demanderesses, supporteront in solidum la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés, statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire, prononcée par mise à disposition au greffe,

DÉCLARE communes et opposables à la S.A.S. INTERNATIONAL CONSTRUCTIONS EST, les opérations d’expertise confiées à Monsieur [Z], par ordonnance de référé initiale en date du 6 juin 2023 et par conséquent les ordonnances subséquentes,

DIT, en conséquence, que la partie appelée en cause sera tenue de répondre aux convocations de l’expert et de lui remettre tous les documents que celui-ci estimera nécessaires à l’accomplissement de sa mission, d’assister aux opérations d’expertises ou de s’y faire représenter et d’y faire toutes les observations qu’elle jugera utiles,

ACCORDE à l’expert un délai supplémentaire de quatre mois à compter de la dernière échéance ou prorogation pour déposer son rapport,

DIT qu’une copie de la présente décision sera adressée à Monsieur [E] [Z], expert judiciaire,

DIT n’y avoir lieu à référé sur toutes autres demandes,

CONDAMNE in solidum la S.A.S. RENON et la S.A. SMA aux dépens,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

La Greffière, La Présidente,


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