Responsabilité et expertise : enjeux d’une intervention d’assureur dans un contexte commercial

·

·

Responsabilité et expertise : enjeux d’une intervention d’assureur dans un contexte commercial

L’Essentiel : Le 26 février 2024, le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire sur la chambre froide d’un local commercial, désignant Monsieur [G] comme expert. Le 12 juin 2024, la société POISSONNERIE LUCINE a assigné l’agence ABEILLE IARD ET SANTE pour étendre les opérations d’expertise. L’agence a demandé à être mise hors de cause, arguant que seule la compagnie d’assurance pouvait mobiliser les garanties. Le tribunal a décidé de recevoir l’intervention de la compagnie d’assurance tout en ordonnant la mise hors de cause de l’agence, justifiant ainsi l’intérêt légitime de la société POISSONNERIE LUCINE.

Ordonnance d’expertise judiciaire

Le 26 février 2024, le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire concernant la chambre froide d’un local commercial, désignant Monsieur [G] comme expert.

Assignation de l’agence d’assurance

Le 12 juin 2024, la société POISSONNERIE LUCINE a assigné l’agence ABEILLE IARD ET SANTE, en tant qu’assureur de la société MAISON FMF, devant le même tribunal pour étendre les opérations d’expertise.

Motifs de la demande

La société POISSONNERIE LUCINE a expliqué avoir confié à la société MAISON FMF l’installation de la chambre froide, et que l’expert a jugé nécessaire d’inclure l’assureur dans le processus pour que le rapport d’expertise soit commun et opposable.

Demandes de l’agence d’assurance

L’agence ABEILLE IARD & SANTE, représentée par Monsieur [T], a demandé au tribunal de la mettre hors de cause, de reconnaître l’intervention de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE, et de déclarer que cette dernière ne s’oppose pas à la demande de la société POISSONNERIE LUCINE.

Arguments de l’agence d’assurance

L’agence a soutenu que la société POISSONNERIE LUCINE avait assigné à tort l’agence plutôt que la compagnie d’assurance, qui est la seule à pouvoir mobiliser les garanties souscrites.

Décision du tribunal

Le tribunal a constaté qu’il n’y avait pas de faute personnelle de l’agent général et a décidé de recevoir l’intervention de la compagnie d’assurance tout en ordonnant la mise hors de cause de l’agence.

Justification de l’expertise

Le tribunal a jugé que la mise en cause de la compagnie d’assurance était nécessaire pour la poursuite de l’expertise, justifiant ainsi l’intérêt légitime de la société POISSONNERIE LUCINE.

Conséquences de la décision

La décision n’a pas modifié la mission de l’expert et n’a pas nécessité de consignation complémentaire. Les dépens ont été laissés à la charge de la société POISSONNERIE LUCINE, sauf s’ils étaient inclus dans un éventuel préjudice global.

Ordonnances finales

Le tribunal a ordonné la mise hors de cause de l’agence, a reçu l’intervention de la compagnie d’assurance, et a stipulé que les opérations d’expertise seraient communes et opposables à cette dernière.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 145 du Code de procédure civile dans le cadre de l’expertise judiciaire ?

L’article 145 du Code de procédure civile stipule que :

« S’il existe un motif légitime de conserver et d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, des mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, notamment en référé. »

Cet article permet donc au juge des référés d’ordonner des mesures d’instruction, comme une expertise judiciaire, lorsque des éléments de preuve sont nécessaires pour la résolution d’un litige.

Dans le cas présent, la société POISSONNERIE LUCINE a justifié sa demande d’expertise en arguant que l’assureur de la société MAISON FMF devait être impliqué pour que le rapport d’expertise soit opposable.

Ainsi, la mise en œuvre de l’article 145 nécessite l’existence d’un litige suffisamment caractérisé, ce qui a été établi par le juge à travers les pièces versées aux débats.

L’ordonnance du juge des référés a donc été fondée sur cette disposition, permettant d’étendre les opérations d’expertise à l’assureur, garantissant ainsi la protection des droits de la société POISSONNERIE LUCINE.

Quelles sont les implications de l’article 149 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 149 du Code de procédure civile dispose que :

« Le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites. »

Cet article confère au juge une certaine flexibilité dans la gestion des mesures d’instruction, lui permettant d’adapter celles-ci en fonction des besoins du litige.

Dans le contexte de l’affaire, le juge a reconnu que la mise en cause de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE était nécessaire pour la poursuite des opérations d’expertise.

Cela signifie que le juge a exercé son pouvoir d’accroître l’étendue des mesures d’instruction en intégrant l’assureur dans le processus, ce qui est conforme à l’esprit de l’article 149.

Cette décision permet également de garantir que toutes les parties concernées par le litige soient présentes lors de l’expertise, ce qui est essentiel pour une évaluation complète et équitable des faits.

En conséquence, l’article 149 a joué un rôle clé dans la décision du juge d’inclure l’assureur dans les opérations d’expertise, renforçant ainsi la légitimité et l’efficacité de la procédure.

Quels sont les effets de la mise hors de cause de l’agence ABEILLE IARD & SANTE ?

La mise hors de cause de l’agence ABEILLE IARD & SANTE, prise en la personne de Monsieur [T], agent général, a des implications significatives sur la procédure.

En effet, le juge a constaté qu’il n’existait pas d’éléments établissant une faute personnelle de l’agent général, ce qui a conduit à la décision de le mettre hors de cause.

Cela signifie que l’agence, en tant que personne morale, ne peut être tenue responsable des obligations d’assurance, car seule la compagnie d’assurance a vocation à mobiliser les garanties souscrites par son assuré.

Cette décision permet de clarifier les responsabilités et d’éviter des confusions dans le cadre de l’expertise judiciaire.

En conséquence, la compagnie ABEILLE IARD & SANTE, en tant qu’assureur, est désormais la seule partie responsable des garanties d’assurance, ce qui simplifie le processus et permet de concentrer les efforts sur l’expertise elle-même.

Ainsi, la mise hors de cause de l’agence contribue à une meilleure gestion du litige et à une plus grande efficacité dans la résolution des questions soulevées par l’expertise.

TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE BORDEAUX

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

54G

Minute n° 24/

N° RG 24/01331 – N° Portalis DBX6-W-B7I-ZF5O

MI : 24/00000433

5 copies

ORDONNANCE
COMMUNE

GROSSE délivrée
le 30/12/2024
à la SELARL RACINE [Localité 8]
la SELARL STEPHANE GUITARD

COPIE délivrée
le 30/12/2024
à

2 copies au service expertise

Rendue le TRENTE DECEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE

Après débats à l’audience publique du 25 Novembre 2024,

Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Par Jacqueline DESCOUT, Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Charlène PALISSE, Greffière.

DEMANDERESSE

La société POISSONNERIE LUCINE
SARL dont le siège social est :
[Adresse 5]
[Localité 4]
Prise en la personne de son(ses) représentant(s) légal(aux) domicilié(s) en cette qualité au dit siège

Représentée par Maître Stéphane GUITARD de la SELARL STEPHANE GUITARD, avocat au barreau de BORDEAUX

DÉFENDERESSE

ABEILLE IARD ET SANTE, Agence de [Localité 9], [Adresse 2] prise en la personne de Monsieur [L] [T], agent général, domicilié en cette qualité audit siège, en sa qualité d’assureur de responsabilité décennale de la SARL MAISON FMF [Localité 8] dont le siège social est :
sis [Adresse 10]
[Localité 3]
actuellement en liquidation judiciaire prononcée par jugement rendu le 16 mars 2023 par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE et désignant la SELARL EKIP’ en qualité de mandataire judiciaire. (Police n°76916035 référence assureur [Numéro identifiant 7])

Représentée par Maître Anaïs MAILLET de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE VOLONTAIRE

La Compagnie ABEILLE & SANTE recherchée en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8], anciennement dénommée AGENCEMENTS & EQUIPEMENTS DES BOULANGERS & PATISSIERS (A.E.B.P)
société anonyme dont le siège social est :
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Maître Anaïs MAILLET de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

EXPOSÉ DU LITIGE

Par ordonnance du 26 février 2024, le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Bordeaux a ordonné une expertise judiciaire portant sur la chambre froide du local commercial situé [Adresse 5] et désigné Monsieur [G] pour y procéder.

Suivant acte du 12 juin 2024 la société POISSONNERIE LUCINE a fait assigner l’agence ABEILLE IARD ET SANTE, en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8] et prise en la personne de Monsieur [T], agent général, devant le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Bordeaux afin de lui voir étendre ces opérations d’expertise au visa de l’article 145 du Code de procédure civile.

Au soutien de sa demande, la société POISSONNERIE LUCINE expose avoir confié à la société MAISON FMF [Localité 8] l’installation de la chambre froide négative, objet du litige, et que l’expert judiciaire a ainsi considéré qu’il était nécessaire que son assureur lors de la déclaration d’ouverture du chantiet et de l’assignation soit attrait à la cause afin que le rapport d’expertise à intervenir lui soit commun et opposable.

L’agence ABEILLE IARD & SANTE prise en la personne de Monsieur [T], agent général, et la compagnie ABEILLE IARD & SANTE, en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8], intervenante volontaire, ont sollicité au Juge des Référés de :

– ordonner la mise hors de cause de l’agence ABEILLE IARD & SANTE, sise [Adresse 2], prise en la personne de Monsieur [T], agent général,

– déclarer et juger recevable l’intervention volontaire de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE, en qualité d’assureur de al société MAISON FMF [Localité 8],
– déclarer et juger que la compagnie ABEILLE IARD & SANTE, assureur de la société MAISON FMF [Localité 8], ne s’oppose pas à la demande de la société POISSONNERIE LUCINE visant à ce que l’expertise judiciaire en cours lui soit déclarée commune et opposable, sous toutes protestations et réserves d’usage,
– déclarer et juger que l’expertise judiciaire continuera de fonctionner aux frais avancés de la société POISSONNERIE LUCINE, en sa qualité de demanderesse à cette mesure.

Elles exposent au soutien de leurs prétentions que la requérante a improprement assigné l’agence ABEILLE IARD & SANTE prise en la personne de son agent général, lequel n’est pas débiteur de garanties d’assuranes, et non le siège de la compagnie d’assurance, qui est la seule à avoir vocation à mobiliser les garanties souscrites par son assuré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En l’absence, en l’état, d’éléments permettant d’établir une faute personnelle de Monsieur [L] [T] en qualité d’agent général, les demandes formées à son encontre ne peuvent prospérer et il convient donc de recevoir l’intervention volontaire de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8] et de prononcer la mise hors de cause de l’agence ABEILLE IARD & SANTE prise en la personne de Monsieur [T], agent général ;

Selon l’article 145 du Code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver et d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, des mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, notamment en référé.

La mise en oeuvre de cette disposition suppose l’existence d’un litige dont l’objet et le fondement sont suffisamment caractérisés.

De même, l’article 149 du Code de procédure civile dispose que le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l’étendue des mesures prescrites.

En l’espèce, les pièces versées aux débats, et notamment la note aux parties n°1 du 06 mai 2024 laissent apparaître que la mise en cause de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8] est nécessaire pour la poursuite des opérations d’expertise. De ce fait, la société POISSONNERIE LUCINE justifie d’un intérêt légitime à faire étendre les opérations d’expertise confiées à Monsieur [G].

Sans que la présente décision ne comporte de préjugement quant aux responsabilités et garanties encourues, il convient de faire droit à la demande.

La présente décision n’entraîne pas de modification de la mission impartie à l’expert. Elle ne nécessite pas de consignation complémentaire, sous réserve de la demande que l’expert pourrait formuler.

À ce stade de la procédure, et alors que la question du fond reste entière, les dépens seront laissés à la charge de la société POISSONNERIE LUCINE, sauf à les inclure dans son éventuel préjudice global.

PAR CES MOTIFS

Le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Bordeaux, statuant par ordonnance contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, et susceptible d’appel ;

ORDONNE la mise hors de cause de l’agence ABEILLE IARD & SANTE prise en la personne de Monsieur [T], agent général ;

RECOIT l’intervention volontaire de la compagnie ABEILLE IARD & SANTE en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8] ;

DIT que les opérations d’expertise confiées à Monsieur [G] par ordonnance de référé du 26 février 2024 seront communes et opposables à  la compagnie ABEILLE IARD & SANTE en qualité d’assureur de la société MAISON FMF [Localité 8] qui sera tenue d’y participer ;

DIT que les opérations d’expertise seront reprises en présence de cette nouvelle partie, et qu’elle sera convoquée à toute réunion d’expertise ultérieure ;

DIT n’y avoir lieu à modifier la mission impartie à l’expert ;

DIT n’y avoir lieu en l’état à consignation complémentaire ;

DIT que la présente décision sera caduque dans l’hypothèse où l’expert aurait déjà déposé son rapport ;

DIT que la société POISSONNERIE LUCINE conservera à sa charge les frais de la présente procédure, sauf à les inclure dans son éventuel préjudice global.

La présente décision a été signée par Jacqueline DESCOUT, Vice-Présidente, et par Charlène PALISSE, Greffière.

Le Greffier, Le Président,


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon