L’Essentiel : M. [S] [T] a investi 84.989,50 euros dans des parts de SCPI via Alch Invest. Après l’absence de restitution des fonds, il a déposé une plainte pour escroquerie en octobre 2020 et a assigné Ing Bank N.V. et Novo Banco S.A. en justice, arguant d’un manquement à leurs obligations de vigilance. En mai 2024, il a demandé à Novo Banco S.A. de produire des documents sur le compte de Benefit Tendency, mais la banque a invoqué le secret bancaire. Le tribunal a rejeté sa demande, considérant que M. [T] n’avait pas prouvé l’exception au secret bancaire, et a renvoyé l’affaire pour conclusions.
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Contexte de l’AffaireM. [S] [T] a souhaité investir dans des parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) via la société Alch Invest, présentée comme un conseiller en gestion de patrimoine. Il a effectué deux virements depuis son compte à la société Ing Bank N.V., totalisant 84.989,50 euros, dont un montant de 80.075,50 euros a été transféré sur le compte d’une société portugaise, Benefit Tendency. Plainte et Démarches de RécupérationAprès avoir constaté l’absence de restitution des fonds, M. [T] a déposé une plainte pour escroquerie le 6 octobre 2020. Par la suite, il a mis en demeure les banques concernées, Ing Bank N.V. et Novo Banco S.A., de lui restituer les sommes investies, mais sans succès. Assignation en JusticeLe 14 et 17 octobre 2022, M. [T] a assigné les deux établissements bancaires devant le tribunal judiciaire de Paris, arguant qu’ils n’avaient pas respecté leurs obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il a demandé des réparations pour préjudice matériel et moral. Demande de Production de DocumentsLe 21 mai 2024, M. [T] a demandé à Novo Banco S.A. de produire des documents attestant des vérifications effectuées lors de l’ouverture et du fonctionnement du compte de Benefit Tendency. Il a également demandé des réparations financières pour les frais engagés. Réponse de Novo Banco S.A.La société Novo Banco S.A. a contesté la demande de M. [T], arguant que les documents étaient couverts par le secret bancaire, tant en vertu du droit portugais que français. Elle a également soutenu que la demande de M. [T] était inopérante et inutile. Décision du TribunalLe tribunal a statué que la loi portugaise était applicable au litige, en raison de la nature extracontractuelle de l’action de M. [T] et du lieu où le dommage s’était produit. Il a rejeté la demande de production de pièces, considérant que M. [T] n’avait pas démontré que sa demande s’inscrivait dans les exceptions au secret bancaire. Conséquences de la DécisionM. [T] a été condamné aux dépens de l’incident, et le tribunal a décidé de ne pas faire droit à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire a été renvoyée pour des conclusions au fond, invitant M. [T] à préciser les fondements juridiques de son action contre Novo Banco S.A. selon la législation portugaise. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la responsabilité des banques en matière de vigilance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux ?La responsabilité des banques en matière de vigilance est encadrée par les articles L.561-1 et suivants du Code monétaire et financier, qui imposent aux établissements financiers de mettre en place des mesures de vigilance à l’égard de leurs clients. Ces articles stipulent que les établissements doivent identifier et vérifier l’identité de leurs clients, ainsi que comprendre la nature de leurs activités afin de détecter toute opération suspecte. En vertu de l’article L.561-5, les établissements doivent également signaler à Tracfin toute opération qui pourrait être liée à du blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Ainsi, la non-conformité à ces obligations peut engager la responsabilité de la banque, notamment si elle n’a pas effectué les vérifications nécessaires lors de l’ouverture d’un compte ou de la réalisation d’opérations. Il est donc essentiel pour les banques de respecter ces obligations pour éviter d’être tenues responsables des préjudices subis par des tiers, comme dans le cas de M. [T]. Quelles sont les implications du secret bancaire dans le cadre de la demande de production de documents ?Le secret bancaire est régi par l’article 78 du décret-loi portugais n° 298/92, qui impose une obligation de confidentialité sur les informations relatives aux clients des établissements de crédit. Cet article précise que les employés et dirigeants des banques ne peuvent divulguer des informations concernant les clients, y compris les mouvements de comptes, sans autorisation. L’article 79 de ce même décret énonce les exceptions à cette règle, permettant la divulgation d’informations uniquement dans des cas précis, tels que les demandes des autorités judiciaires dans le cadre de procédures pénales. Dans le cas de M. [T], sa demande de communication de documents n’entre pas dans ces exceptions, car il ne démontre pas que sa demande est nécessaire pour l’exercice de ses droits ou qu’elle est justifiée par une autorisation explicite. Ainsi, le respect du secret bancaire a conduit à la décision de rejeter sa demande de production de pièces, soulignant l’importance de cette protection dans le cadre des relations bancaires. Comment la loi applicable est-elle déterminée dans les litiges impliquant des banques étrangères ?La détermination de la loi applicable dans les litiges impliquant des banques étrangères est régie par le règlement (CE) n° 864/2007, dit « Rome II », qui précise que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient. L’article 4 de ce règlement stipule que, sauf dispositions contraires, la loi applicable est celle du pays où le dommage se produit, indépendamment du lieu où le fait générateur a eu lieu. Dans le cas de M. [T], le dommage s’est produit au Portugal, sur le compte bancaire de la société Benefit Tendency, ce qui justifie l’application du droit portugais. Le juge a donc conclu que, même si M. [T] était domicilié en France, cela ne suffisait pas à établir un lien suffisamment étroit avec le droit français pour en faire la loi applicable. Cette approche souligne l’importance de la localisation du dommage dans la détermination de la loi applicable dans les litiges transnationaux. Quelles sont les conséquences de l’absence de relations contractuelles entre M. [T] et la banque ?L’absence de relations contractuelles entre M. [T] et la banque a des implications significatives sur la nature de l’action engagée. En effet, M. [T] ne peut pas fonder sa demande sur des obligations contractuelles, mais doit se tourner vers la responsabilité délictuelle. Cela signifie qu’il doit prouver un fait dommageable, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. En l’espèce, le juge a noté que M. [T] ne pouvait pas établir de lien contractuel avec la société Novo Banco S.A., ce qui a conduit à la qualification de son action comme étant de nature extracontractuelle. Cette qualification a des conséquences sur la loi applicable, comme mentionné précédemment, et sur les moyens de preuve que M. [T] peut invoquer. Il doit donc se conformer aux exigences de la loi applicable, en l’occurrence le droit portugais, pour établir la responsabilité de la banque, ce qui complique sa position juridique. Ainsi, l’absence de relations contractuelles limite les recours disponibles pour M. [T] et renforce la nécessité de prouver la responsabilité de la banque sur la base de la législation applicable. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies délivrées le : 15/01/2025
Me CHANDLER – E0159 (certifiée conforme)
Me KLEIMAN – J014 (exécutoire)
Me BELLANCA – L0015 (certifiée conforme)
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9ème chambre 2ème section
N° RG 22/12915 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYCHD
N° MINUTE : 8
Assignation du :
17 Octobre 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 15 Janvier 2025
DEMANDEUR
Monsieur [S] [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représenté par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159, et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSES
S.A. NOVO BANCO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2] – PORTUGAL
représentée par Maître Rémi KLEIMAN du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #J0014
Société ING BANK N.V. prise en succursale de [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE DUBEST BELLANCA, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #L0015
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge, assisté de Madame Alice LEFAUCONNIER, Greffière
DEBATS
A l’audience du 20 novembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 15 Janvier 2025.
ORDONNANCE
Prononcée en audience publique
Contradictoire
En premier ressort
Désireux d’investir dans des parts de sociétés civiles de placement immobilier (ci-après SCPI) par l’intermédiaire d’une société Alch Invest s’étant présentée à lui comme étant conseiller en gestion de patrimoine, M. [S] [T] a procédé depuis son compte ouvert dans les livres de la société Ing Bank N.V. à deux virements pour un montant total de 84.989,50 euros, le premier de 4.914 euros le 16 janvier 2020 et le second de 80.075,50 euros le 11 mars 2020, les fonds de la deuxième opération étant réceptionnés sur le compte bancaire d’une société dénommée Benefit Tendency domiciliée au Portugal au sein de l’établissement Novo Banco S.A.
N’ayant pas pu obtenir la restitution des fonds, M. [T] a déposé le 6 octobre 2020 une plainte auprès des services de gendarmerie de [Localité 3] du chef d’escroquerie.
Par lettres de son conseil du 24 janvier 2022, M. [T] a mis les sociétés Ing Bank N.V. et Novo Banco S.A. en demeure de lui restituer, pour la première, l’intégralité des fonds virés et, pour la seconde, la somme de 80.075,50 euros, et ce en vain.
C’est dans ce contexte que par exploits de commissaire de justice des 14 et 17 octobre 2022, M. [T] a fait assigner les deux établissements bancaires devant le tribunal judiciaire de Paris auquel, aux visas des directives européennes n°91/308/CEE – n°2001/97/CE – n°2005/60/CE – n°2015/849 – n°2018/843, et des articles 1104, 1112-1, 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, il est demandé de :
« A TITRE PRINCIPAL :
Juger que les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
Juger que les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. sont responsables des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 80.075,50 €, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 4.914 €, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE ‘,
Juger que la société ING BANK N.V. a manqué à son devoir général de vigilance.
Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 84.989,50 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
Juger que la société ING BANK N.V. n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur [T].
Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 84.989,50 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens. »
Suivant sommation en date du 21 mai 2024, le conseil des demandeurs a sollicité auprès de la société Novo Banco S.A. la communication des pièces attestant des vérifications qu’elle a effectuées lors de l’ouverture et du fonctionnement du compte de la société Benefit Tendency.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident signifiées le 17 octobre 2024, aux visas des articles 11, 138, 142, 788 et 789 du code de procédure civile, et L.561-5 et suivants, et R.561-5 et suivants du code monétaire et financier, M. [T] demande au juge de la mise en état de :
« • Ordonner à la société NOVO BANCO SA de communiquer à Monsieur [T] :
– Tout document attestant de la vérification d’identité de sa cliente, la société BENEFIT TENDENCY, et de son représentant légal lors de l’ouverture du compte bancaire ayant pour IBAN le numéro [XXXXXXXXXX06] :
_ Une attestation de l’immatriculation de la société au registre du commerce portugais,
_ Les statuts de la société BENEFIT TENDENCY,
_ Une déclaration de résidence fiscale de la société,
_ Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentant légal de la société et du bénéficiaire effectif ;
_ La déclaration de bénéficiaire effectif.
– Tout document attestant de la nature des comptes ouverts :
_ La justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire.
Le relevé de compte bancaire intégral de la société BENEFIT TENDENCY pour le mois de mars 2020,
La facture émise par la société BENEFIT TENDENCY pour justifier de la prestation fournie au titre de l’encaissement des fonds.
Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’Ordonnance à intervenir, durant 2 mois et L’Y CONDAMNER au besoin.
• CONDAMNER la société NOVO BANCO SA à verser à Monsieur [T] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
• CONDAMNER la même aux entiers dépens. »
A l’appui de ses prétentions, le demandeur expose à titre liminaire que sa demande ne tend pas à invoquer à son profit les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (ci-après dispositif de LCB-FT) codifiées aux articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, mais à s’assurer du respect par la banque étrangère de ses obligations de vigilance et de surveillance dans le cadre de sa relation avec sa cliente. Il soutient que bien que tiers à la relation contractuelle existant entre ces deux parties, il est en droit d’invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un préjudice. Il ajoute que la jurisprudence a dégagé récemment plusieurs exceptions permettant d’écarter le secret bancaire qui peut être opposé en principe par la banque à la condition que la partie qui formule la demande de mainlevée du secret démontre son caractère indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et le caractère proportionné aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection dûe à son bénéficiaire. Il fait ainsi valoir que sa demande de communication de pièces sous astreinte aux fins de connaître les vérifications effectuées lors de l’ouverture du compte litigieux et au cours de son fonctionnement constitue le seul moyen pour lui d’établir ou non le respect par la banque de ses obligations. Il souligne le caractère précis de sa demande qui porte sur des pièces expressément visées et identifiées comme celles devant être réclamées par l’établissement dans le cadre du contrôle que lui impose le code monétaire et financier et qui sont nécessaires à l’appréciation par le tribunal de la responsabilité de la défenderesse.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 22 octobre 2024, aux visas du règlement (CE) N° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit « Rome II »), du règlement (UE) N° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « Bruxelles I bis »), des articles 10 et 1353 du code civil, de l’article 700 du code de procédure civile, et des articles 78 et 79 du décret-loi portugais n° 298/92, la société Novo Banco S.A. demande au juge de la mise en état de :
« A titre principal,
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, en ce que :
o il n’a pas encore été statué sur le droit applicable dans la présente affaire ; et
o les articles du Code Monétaire et Financier sur lesquels Monsieur [S] [T] fonde ses demande sont territorialement inapplicables aux opérations litigieuses reprochées à la société NOVO BANCO et ne permettent pas à Monsieur [S] [T] d’en engager la responsabilité ;
A titre subsidiaire,
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, ceux-ci étant couverts par le secret bancaire de droit portugais ;
A titre infiniment subsidiaire :
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, ceux-ci étant couverts par le secret bancaire de droit français ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Monsieur [S] [T] au paiement de la somme de 3.000 euros à la société NOVO BANCO S.A. au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »
A l’appui de ses prétentions, la société Novo Banco S.A. fait valoir à titre principal le caractère inutile de la production des documents sollicités, le fondement de l’action intentée par M. [T], à savoir une prétendue violation de son obligation de vigilance sur le fondement des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier ne pouvant conduire à une condamnation. Elle soutient ensuite l’impossibilité pour le juge de la mise en état de trancher l’incident avant qu’il n’ait statué sur le droit applicable au litige.
A titre subsidiaire, elle conclut à l’application au litige de la loi portugaise sur le fondement de l’article 4 du règlement « Rome II » et du principe selon lequel les lois relatives au secret bancaire sont territoriales et, par conséquence, au rejet de la demande de production de pièces qui ne se fonde sur aucune des exceptions permettant d’écarter le secret bancaire portugais.
A titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où le droit français trouverait à s’appliquer, elle fait valoir que le secret bancaire ne saurait être écarté dès lors qu’elle a démontré que le fondement de l’action de M. [T] est inopérant et que la production des pièces serait en conséquence inutile à la solution du litige.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
L’incident a été évoqué à l’audience de plaidoiries du 20 novembre 2024 et mis en délibéré au 15 janvier 2025.
1 – Sur la demande de production de pièces complémentaires
En application de l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.
En parallèle, l’article 9 du code de procédure civile français pose en principe fondamental de la procédure civile française le fait que : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
S’il est vrai que l’article 10 du code civil prévoit que « Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », c’est seulement sous réserve de ne pas avoir de « motif légitime » pour s’y opposer.
Aux termes de l’article 142 du code de procédure civile, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139 de ce code.
La production de pièces détenues par une partie au litige ne peut être ordonnée que si les pièces à produire sont suffisamment déterminées et peuvent présenter un lien de rattachement quelconque avec un élément de preuve de la cause examinée.
Aux termes de l’article 788 du code de procédure civile, le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et à la production des pièces.
En application des dispositions de l’article L.131-1 alinéa 1 du code des procédures civiles d’exécution, tout juge, juge du fond comme juge des référés ou juge de la mise en état, peut ordonner une astreinte, même d’office, pour assurer l’exécution de sa décision. Il dispose à ce titre d’un pouvoir discrétionnaire, ce qui signifie qu’il n’a pas à motiver sa décision sur ce point s’il prononce une astreinte ou s’il refuse au contraire de la prononcer.
Sur ce,
Il n’est pas de la compétence du juge de la mise en état de statuer sur la pertinence des fondements invoqués par les parties et a fortiori d’en tirer des conséquences juridiques, cet examen relevant du fond de l’affaire.
En revanche, le juge de la mise en état peut statuer sur la loi applicable à la résolution de l’incident et donc rechercher le droit régissant les relations entre les parties.
En l’espèce, l’action engagée par M. [T] à l’encontre de la société Novo Banco S.A. ne peut être que de nature extracontractuelle puisqu’il n’est pas justifié de relations contractuelles entre le demandeur et cette banque.
Dès lors, pour déterminer la loi applicable à cette action, il convient de se référer au règlement (CE) n° 864/200 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « Rome II », qui dispose, en son article 4 1° et 3° que :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».
Le considérant n°7 de ce règlement précise que le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement doivent être cohérents par rapport au règlement CE n°44/2001 du 22 décembre 2000 dit « Bruxelles I », devenu « Bruxelles I bis ».
Dans son assignation, M. [T] expose avoir effectué des virements dont un vers un compte bancaire domicilié au Portugal ouvert dans les livres de la société Novo Banco S.A., affirmant ne pas avoir pu récupérer ces fonds à la suite d’une escroquerie dont il a été victime.
Dans ce cas, le lieu où le dommage est survenu, tant au sens de l’article 4 du règlement dit « Rome II » que de l’article 7.2 du règlement dit « Bruxelles I bis », est le lieu de l’appropriation des fonds, soit en l’espèce le compte bancaire ouvert au Portugal, en l’absence de tout autre élément caractérisé de rattachement et attestant de liens plus étroits, de nature à concourir à la désignation de la loi française.
Le lieu où le fait dommageable s’est produit ne saurait être le centre des intérêts patrimoniaux de la victime. En effet, le seul fait que des conséquences financières affectent le demandeur ne justifie pas l’attribution de compétence aux juridictions du domicile de ce dernier. Les conséquences indirectes du dommage ne doivent pas être prises en compte, seul important le dommage direct.
Le préjudice financier, c’est-à-dire l’atteinte subie dans son patrimoine, revêt un caractère indirect par rapport à la perte des fonds qui s’est produite au Portugal, sur le compte bancaire du destinataire du virement, lieu de survenance du dommage.
Il ne peut donc être soutenu que le dommage subi s’est réalisé sur le compte bancaire ouvert en France.
En conséquence, le droit portugais s’applique aux demandes formées par M. [T] à l’encontre de la société Novo Banco S.A..
Or, M. [T] se fonde exclusivement sur les dispositions de la loi française pour trancher le litige.
Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande de la partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
En l’espèce, l’article 78 du décret-loi portugais n° 298/92 dispose que sont soumis au respect du secret bancaire :
« 1 – Les membres des organes de direction ou de surveillance des établissements de crédit, leurs employés, agents, commissionnaires et autres personnes qui leur fournissent des services à titre permanent ou occasionnel ne peuvent divulguer ou utiliser des informations sur des faits ou des éléments concernant la vie de l’établissement ou ses relations avec ses clients, dont ils ont eu connaissance exclusivement dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou de la fourniture de leurs services.
2 – En particulier, les noms des clients, les comptes de dépôt et leurs mouvements ainsi que les autres opérations bancaires sont soumis au secret.
3 – L’obligation de secret ne cesse pas avec la cessation des fonctions ou des services. »
L’article 79 du même décret-loi précise que les exceptions permettant d’écarter le secret bancaire sont :
« 1 – Les faits ou éléments de la relation du client avec l’institution peuvent être divulgués avec l’autorisation du client, transmise à l’institution.
2 – En dehors du cas prévu au paragraphe précédent, les faits et éléments couverts par l’obligation de secret ne peuvent être divulgués qu’à certaines entités dans des cas précis qui sont :
a) la Banque du Portugal, dans le cadre de ses compétences ;
b) la Commission portugaise du marché des valeurs mobilières, dans le cadre de ses compétences ;
c) L’Autorité de surveillance des assurances et des fonds de pension, dans le cadre de ses compétences ;
d) Fonds de Garantie des Dépôts, le Système d’Indemnisation des Investisseurs et le Fonds de Résolution, dans le cadre de leurs attributions respectives ;
e) Les autorités judiciaires, dans le cadre des procédures pénales ;
f) Les commissions d’enquête parlementaires de l’Assemblée de la République, dans la
mesure strictement nécessaire à l’accomplissement de leur objet, qui comprend notamment l’enquête ou l’examen des actions des autorités chargées du contrôle des établissements de crédit ou de la législation relative à ce contrôle ;
g) L’administration fiscale, dans le cadre de ses compétences ;
h) Lorsqu’il existe une autre disposition légale qui limite expressément l’obligation de secret. »
Au cas particulier, M. [T] ne démontre pas que sa demande de communication de pièces s’inscrit dans le cadre d’une des exceptions précitées permettant de demander à une banque portugaise de produire devant les juridictions civiles et commerciales tous les documents fournis lors de l’ouverture du compte bancaire ainsi que ceux relatifs à son devoir de vigilance comprenant notamment les relevés de compte qui sont couverts par le secret bancaire.
Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de M. [T] de production de pièces.
2 – Sur les autres demandes
M. [T] qui succombe est condamné aux dépens de l’incident.
En revanche, il n’apparaît pas inéquitable de ne pas faire droit à la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DIT la loi portugaise applicable au litige opposant M. [S] [T] à la société Novo Banco S.A. ;
DEBOUTE M. [S] [T] de sa demande de communication de pièces sous astreinte ;
CONDAMNE M. [S] [T] aux dépens de l’incident ;
DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 2ème section du 12 mars 2025 à 13h30 pour les conclusions récapitulatives au fond de M. [T], ce dernier étant invité à préciser les fondements textuels et moyens de droit soutenant son action à l’encontre de la société Novo Banco SA au regard de la législation portugaise.
Faite et rendue à Paris le 15 Janvier 2025
La Greffière Le Juge de la mise en état
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