L’Essentiel : M. [J] [S] a été contacté par « Refuge-Patrimoine » pour investir dans des métaux précieux, ce qui l’a conduit à effectuer un virement de 1 925 euros le 10 décembre 2020. Après avoir reçu 79 euros d’intérêts, il a transféré 77 457 euros vers Banco Sabadell, réalisant ensuite qu’il s’agissait d’une escroquerie. Il a déposé plainte le 19 avril 2021 et, en mars 2022, a demandé le remboursement des sommes perdues. Les banques ont contesté la compétence des juridictions françaises, mais le tribunal a affirmé sa compétence, rejetant les demandes de sursis à statuer et renvoyant l’affaire à une audience ultérieure.
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Contexte de l’AffaireM. [J] [S] a été contacté par une entité se présentant comme « Refuge-Patrimoine », qui lui a proposé d’investir dans des métaux précieux. En réponse à cette offre, il a effectué un virement de 1 925 euros le 10 décembre 2020 depuis son compte à la banque CIC Est vers un compte au Crédit Lyonnais. Transactions et RéactionsAprès ce virement, M. [S] a reçu 79 euros le 22 décembre 2020, présentés comme des intérêts. Par la suite, il a réalisé deux autres virements totalisant 77 457 euros vers un compte de la société Banco Sabadell. Se rendant compte qu’il s’agissait d’une escroquerie, il a déposé plainte le 19 avril 2021. Demandes de RemboursementLe 4 mars 2022, le conseil de M. [S] a mis en demeure la banque CIC Est et Banco Sabadell de lui restituer respectivement 79 303 euros et 77 457 euros. La banque CIC Est a refusé cette demande par courrier le 18 mars 2022. Procédures JudiciairesPour obtenir réparation, M. [S] a assigné les deux banques devant le tribunal judiciaire de Strasbourg. Banco Sabadell a demandé au tribunal de se déclarer incompétent, tandis que M. [S] a sollicité un sursis à statuer pour poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Arguments des PartiesBanco Sabadell a soutenu que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes, arguant que le dommage s’était produit en Espagne. M. [S] a rétorqué que le dommage s’était matérialisé en France, où se trouve son compte à la CIC Est. La banque CIC Est a également plaidé pour la compétence des juridictions françaises. Questions PréjudiciellesM. [S] a demandé si les articles de la Directive (UE) n° 2015/849 pouvaient être invoqués par des consommateurs victimes contre leur banque dans le cadre d’une action en responsabilité civile. Les établissements financiers ont contesté la pertinence de cette question, affirmant qu’il n’y avait pas de difficulté d’interprétation. Décisions du TribunalLe tribunal a rejeté l’exception d’incompétence de Banco Sabadell, affirmant que les juridictions françaises étaient compétentes en raison de la matérialisation du dommage. La demande de M. [S] de sursis à statuer a également été déboutée, le tribunal considérant qu’il n’était pas nécessaire d’interroger la CJUE sur les questions préjudicielles. Conclusion de l’OrdonnanceLe tribunal a décidé de renvoyer l’affaire à l’audience de mise en état du 24 avril 2025, sans statuer sur les dépens ni appliquer l’article 700 du Code de procédure civile. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la compétence des juridictions françaises dans le cadre de l’action en responsabilité civile de M. [S] contre la banque Banco Sabadell ?La compétence des juridictions françaises est régie par le règlement (UE) n° 1215/2012, dit règlement Bruxelles I-Bis. Selon l’article 4 de ce règlement, « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Dans le cas présent, M. [S] a subi un préjudice financier en raison de l’escroquerie dont il a été victime, et il a effectué des virements depuis son compte ouvert à la banque CIC Est, située en France. Ainsi, le lieu de réalisation du dommage se situe en France, car c’est là que M. [S] a ordonné les virements et a subi la perte. L’article 7§2 du même règlement précise que, pour les actions délictuelles, « la personne peut être attraite, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Dans cette affaire, bien que la faute reprochée à la banque Banco Sabadell ait eu lieu en Espagne, le dommage s’est matérialisé en France, ce qui justifie la compétence des juridictions françaises. Les articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier peuvent-ils fonder une action en responsabilité civile pour M. [S] ?Les articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier imposent aux établissements financiers des obligations de vigilance à l’égard de leur clientèle, notamment en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’article L. 561-2 stipule que « les personnes assujetties doivent, dans le cadre de leur activité, identifier et vérifier l’identité de leurs clients ». Cependant, la jurisprudence a clairement établi que ces obligations de vigilance n’ont pas pour effet de créer un droit à réparation au profit des consommateurs en cas de manquement. La Cour de cassation a, par exemple, affirmé que « les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » (Cass. com., 28 avril 2004, no 02-15.054). Ainsi, bien que M. [S] puisse invoquer ces articles pour démontrer un manquement de la part des banques, cela ne lui confère pas un droit à réparation en tant que consommateur. Quelles sont les implications de la demande de M. [S] de transmettre des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne ?La demande de M. [S] de transmettre des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne repose sur l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet aux juridictions nationales de demander des éclaircissements sur l’interprétation du droit de l’Union. Cependant, le juge national n’est pas tenu de poser une question préjudicielle si la question ne soulève pas de difficulté d’interprétation. Dans cette affaire, les établissements financiers ont soutenu que la jurisprudence existante exclut la possibilité pour un particulier de se prévaloir de manquements aux règles de vigilance. La Cour de cassation a déjà statué sur ce point, confirmant que les obligations de vigilance ne créent pas de droits pour les consommateurs. Ainsi, le juge a estimé qu’il n’était pas nécessaire de surseoir à statuer pour interroger la CJUE, car il n’existait pas de difficulté d’interprétation sur les articles en question. M. [S] a donc été débouté de sa demande de transmission de questions préjudicielles. |
Tribunal judiciaire
de Strasbourg
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 5]
1ère Ch. Civile Cab. 1
Tél [XXXXXXXX01]
N° de minute :
N° RG 23/02009 – N° Portalis DB2E-W-B7H-LXKE
COPIE A :
Me Nicolas CLAUSMANN
Me Manon FERTE
Me Serge PAULUS
Le
Le greffier
ORDONNANCE
du JUGE DE LA MISE EN ETAT DES CAUSES
du 30 Janvier 2025
DEMANDEUR :
Monsieur [J] [S]
né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 8]
[Adresse 4]
THAILANDE
représenté par Me Nicolas CLAUSMANN, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat postulant, vestiaire : 306, Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSES :
BANQUE CIC EST, immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 754.800.712, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Serge PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant/postulant, vestiaire : 44
Société BANCO DE SABADELL S.A. immatriculée au registre du commerce sous le numéro 000255899, EUID : ES03026.000255899, dont le siège social se situe [Adresse 7] – ESPAGNE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 7]
ESPAGNE
représentée par Me Manon FERTE, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant/postulant, vestiaire : 289
M. [J] [S] a été approché par une structure se présentant comme une société « Refuge-Patrimoine « , qui lui a proposé d’investir dans des métaux précieux.
A ce titre, M. [S] a effectué un virement le 10 décembre 2020 depuis son compte ouvert à la banque CIC Est vers un compte ouvert au Crédit Lyonnais pour un montant de 1 925 euros.
À la suite de ce virement, il a perçu une somme de 79 euros le 22 décembre 2020, virée sur son compte ouvert dans les livres du CIC Est, présentée par son interlocuteur comme les intérêts de ce versement.
Par deux autres virements effectués le 24 février et le 2 mars 2021 vers un compte ouvert dans les livres de la société de droit espagnol Banco Sabadell, M. [S] a viré une somme totale de 77 457 euros.
Comprenant que ces placements sont en réalité une escroquerie, M. [S] a, par l’intermédiaire de son beau-frère, déposé plainte le 19 avril 2021 auprès des services de gendarmerie de [Localité 8].
Le 4 mars 2022, le conseil de M. [S] a mis en demeure la banque CIC Est de lui restituer la somme de 79 303 euros et la banque Sabadell de lui restituer somme de 77 457 euros.
Par courrier daté du 18 mars 2022, la banque CIC Est a refusé d’accéder à cette demande.
Pour obtenir l’indemnisation de son préjudice financier et moral, estimant que sa banque et de la banque destinataire des fonds détournés ont engagé leur responsabilité en raison du manquement à leur obligation de vigilance, M. [S] a, par assignations signifiées le 24 février 2023 et le 20 mars 2023, fait attraire la SA CIC Est et la société de droit espagnol Banco Sabadell devant le tribunal judiciaire de Strasbourg.
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident notifiées le 9 septembre 2024, la société de droit espagnol Banco Sabadell demande au tribunal de :
» In limine litis,
Se déclarer incompétent pour statuer sur la demande formée par Monsieur [S] à l’encontre de la société BANCO SABADELL au profit de la juridiction espagnole et notamment du Tribunal de Commerce d’ALICANTE (Espagne),
En conséquence, renvoyer Monsieur [S] à mieux se pourvoir,
Débouter Monsieur [S] de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner Monsieur [S] à payer à la société BANCO SABADELL la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du CPC,
Débouter la BANQUE CIC EST de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 du CPC,
Condamner Monsieur [S] aux entiers dépens de l’incident « .
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident notifiées le 21 mai 2024, M. [J] [S] demande au tribunal de :
» À TITRE PRINCIPAL :
Prononcer un sursis à statuer et transmettre les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union Européenne :
» Les articles 12 à 31, Chapitre II, de la Directive (UE) n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatifs aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, transposés en droit français aux articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier, peuvent-ils être invoqués, à titre particulier, par les consommateurs victimes à l’encontre de leur établissement bancaire dans le cadre d’une action en responsabilité civile ? »
» Ces mêmes articles peuvent-ils fonder une action en responsabilité civile ? »
À TITRE SUBSIDIAIRE :
Débouter la société BANCO DE SABADELL S.A. de sa demande, au regard de la compétence des juridictions françaises à raison du lieu de la matérialisation du dommage.
Débouter la société BANCO DE SABADELL S.A de sa demande, au regard de la compétence des juridictions françaises à raison de la pluralité de défendeurs.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
Condamner les sociétés BANQUE CIC EST et BANCO DE SABADELL S.A. à verser à Monsieur [S] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner les mêmes aux entiers dépens « .
Aux termes de ses dernières conclusions sur incident notifiées le 15 octobre 2024, la SA CIC Est demande au tribunal de :
» DEBOUTER la société BANCO DE SABADELL de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
SE DECLARER COMPETENT pour statuer des demandes formées par Monsieur [S] à l’encontre de la société BANCO SABADELL,
Sur les questions préjudicielles
DEBOUTER Monsieur [S] de ses demandes de sursis à statuer et de transmission de questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne
CONDAMNER Monsieur [S] à payer à la BANQUE CIC EST la somme de 2.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur [S] aux entiers frais et dépens de la procédure « .
Conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.
Les parties ont pu faire leurs observations à l’audience du 5 décembre 2024 et l’incident a été mis en délibéré au 30 janvier 2025.
Sur l’exception de compétence soulevée par la société Banco Sabadell :
La banque Sabadell estime que les juridictions françaises sont incompétentes au regard de la situation de son siège social, du lieu où la faute qui lui est reprochée aurait été commise et du lieu de réalisation du dommage, à savoir le compte sur lequel l’argent de M. [S] a été détourné, se situant tous en Espagne. Elle conteste tout lien de connexité, dans la mesure où l’action de M. [S] est dirigée contre elle sur le fondement délictuel et contre le CIC Est sur le fondement contractuel.
M. [S] estime que les juridictions françaises sont compétentes dans la mesure où, en matière de délit complexe, il dispose d’un choix entre le for du lieu de l’événement causal et du lieu de réalisation du dommage. Or le lieu de réalisation du dommage se situe à son domicile, puisque c’est à cet endroit qu’il a subi le préjudice, son compte étant ouvert dans les livres du CIC Est. Il prétend encore que le litige présente un lien de connexité avec ses demandes contre la banque CIC Est, pour lesquelles il n’est pas discuté que les juridictions françaises sont seules compétentes.
Le CIC Est soutient également que les juridictions françaises sont compétentes, en raison du lien de connexité qui lie les demandes dirigées contre elle et contre la demanderesse à l’incident et du risque de décisions contradictoires.
En présence d’un litige impliquant deux parties domiciliées sur le territoire d’États membres de l’Union européenne différents – en l’espèce l’Espagne et la France -, les règles de compétence fixées par le droit international privé de l’Union européenne doivent s’appliquer.
La demande de M. [S] dirigée contre la banque Sabadell est fondée sur les règles de la responsabilité civile délictuelle. S’agissant d’une action civile ou commerciale, au sens de l’article 1er du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, les règles de compétence fixées par le règlement Bruxells I-Bis concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciales doivent s’appliquer.
L’article 4 du règlement dispose que, par principe : » Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre « .
En l’espèce, au regard de ce critère de rattachement et dans la mesure où la banque Sabadell est une société de droit espagnol, dont le siège social se situe à [Localité 6], les tribunaux français ne sont pas compétents.
Cependant, l’article 7§2 admet également que cette personne puisse être attraite, lorsque l’action est de nature délictuelle ou quasi-délictuelle, comme c’est le cas en l’espèce, » devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » c’est-à-dire le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal (CJCE, 30 novembre 1976, aff. 21-76, Mines de potasse d’Alsace).
En ce qui concerne l’événement causal, c’est-à-dire la faute reprochée à la banque Sabadell, celui-ci a incontestablement été réalisé – à le supposer démontré – en Espagne, où se situe son siège social. C’est en effet, en ce lieu qu’elle aurait dû procéder aux vérifications dont l’absence lui est reprochée, peu importe qu’il s’agisse d’un » compte de rebond » dans l’opération globale menée par les auteurs de l’escroquerie dont M. [S] s’estime victime. Au titre de ce critère, seules les juridictions espagnoles sont compétentes.
En ce qui concerne la détermination du lieu où le dommage est survenu, il y a lieu de préciser que les analogies opérées par M. [S] avec le droit de la consommation, avec les » cyber-délits » ou avec les atteintes à un droit de la persne sont aucunement pertinentes. Celui-ci ne se trouve dans aucune de ces situations, puisqu’il allègue d’atteintes patrimoniales, dont une entité, avec laquelle il n’est pas en relation consumériste et à qui il reproche une faute civile et non pénale, qu’elle n’a du reste pas commis » en ligne « , serait à l’origine.
L’appréciation des critères de rattachement à la compétence du for de [Localité 10] doit en effet s’opérer au regard du litige purement civil qui opposent les parties présentes à l’instance et non pas se confondre avec l’escroquerie dont s’estime victime le demandeur ni le mode opératoire utilisé par son ou ses auteurs.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’ interprétation préjudicielle que la notion de » lieu où le dommage est survenu « , ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État membre (CJCE, 19 septembre 1995, aff. C-364/93, Antonio Marinari), ni le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (CJCE, 10 juin 2004, aff. C-168/02, Rudolf Kronhofer).
Par ailleurs, si les juridictions du domicile du demandeur peuvent être compétentes, au titre de la matérialisation du dommage allégué, lorsque celui-ci résulte d’un acte illicite commis dans un autre État membre et qu’il consiste en un préjudice financier se réalisant directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions (CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-375/13, Harald Kolassa et CJUE,12 septembre 2018, aff. C-304/17, Helga Löber), c’est à la condition qu’il existe d’autres points de rattachement concourant à attribuer une compétence à ces juridictions (CJUE, 16 juin 2016, aff. C-12/15, Universal Music International Holding).
Le lieu où le dommage a été subi, c’est-à-dire le lieu où le dommage est survenu, se situe donc au lieu où se trouve les comptes de M. [S] depuis lesquels il a ordonné les virements. C’est en effet dès que M. [S] a ordonné le virement que la somme était perdue pour lui et qu’il a donc subi le dommage.
En l’espèce, ces comptes sont ouverts dans les livres de la banque CIC Est, banque française, dont le siège se situe à [Localité 10]. Il convient donc de déduire que le dommage s’est matérialisé en France, qu’en outre, c’est dans cet État que se situe le domicile de M. [S] et qu’il a donc subi les conséquences de ce dommage.
Il y a donc lieu de considérer que les juridictions françaises sont compétentes au titre de la matérialisation du dommage et qu’en conséquence, l’exception d’incompétence soulevée par la banque Sabadell sera rejetée.
Sur la question préjudicielle et la demande sursis à statuer :
M. [J] [S] sollicite du juge de la mise en état qu’il prononce un sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les deux questions suivantes :
» Les articles 12 à 31, Chapitre II, de la Directive (UE) n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatifs aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, transposés en droit français aux articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier, peuvent-ils être invoqués, à titre particulier, par les consommateurs victimes à l’encontre de leur établissement bancaire dans le cadre d’une action en responsabilité civile ?
Ces mêmes articles peuvent-ils fonder une action en responsabilité civile ? « .
Au soutien de sa demande, M. [S] se prévaut des articles 12 et 169 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui imposent de rechercher un niveau élevé de protection des consommateurs lors de la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union européenne. Il vise également le considérant 61 de la directive (UE) no 2015/849 prévoyant l’adoption des normes techniques de réglementation pour assurer la protection des consommateurs.
Les établissements financiers estiment que cette question est sans intérêt en l’absence de toute difficulté d’interprétation, puisque la Cour de cassation a, à deux reprises, exclu la possibilité pour un particulier de se prévaloir de manquements aux règles applicables au litige et qu’en outre, plusieurs juridictions du fond saisies de questions identiques ont déjà rejeté la demande préjudicielle.
L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule que : » La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l’interprétation des traités,
b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais « .
Il en résulte que le juge judiciaire, pour peu que sa décision soit susceptible de recours, n’est pas tenu d’interroger la Cour de justice, même lorsqu’une difficulté d’interprétation survient, les juges nationaux restant titulaires d’un pouvoir partagé d’interprétation du droit de l’Union européenne.
Il sera encore relevé que ladite directive, dont la base juridique réside dans l’harmonisation des législations des États membres fondée sur l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, poursuit un objectif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le but de préserver l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier, en prévoyant des sanctions pénales et administratives qui, adoptées par les États membres, doivent être suffisantes, proportionnées et dissuasives.
Si le considérant 61 envisage la protection des consommateurs, cet objectif demeure incident au regard des finalités principales du texte de l’Union qui s’attache à la préservation de l’intégrité des établissements bancaires et financiers et la stabilité du système financier.
Il s’évince, en outre, de la lecture de tous les considérants préliminaires à la Directive 2015/849 précitée, à l’instar de celles auxquelles elle fait suite, qu’elle a pour objectif de » protéger le système financier contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme par des mesures de prévention, de détection et d’enquête » et il ne peut pas être tiré d’un extrait de son considérant 61 selon lequel » l’adoption de normes techniques de réglementation dans le domaine des services financiers devrait garantir une harmonisation cohérente et une protection adéquate des déposants, des investisseurs et des consommateurs dans l’ensemble de l’Union « , qui ne faire qu’introduire le vœu, pour une amélioration générale des normes européennes, que les Autorités européennes de surveillances élaborent un » projet de normes techniques de réglementation « , qu’elle aurait pour objet, de manière non médiate et directe, la protection du consommateur.
Ainsi, il ne ressort nullement de la directive 2015/849 dont M. [S] se prévaut, que l’obligation de vigilance inhérente à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme est source d’un droit à réparation au profit d’un particulier consommateur en cas de manquements inhérents de la part des établissements bancaires et financiers assujettis.
Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé à deux reprises (Cass. com., 28 avril 2004, no 02-15.054, Bull. civ., IV, no 72 et Cass. com., 21 septembre 2022, no 21-12.335, Publié au bulletin) que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du Code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Contrairement à ce que soutient M. [S], la Cour de cassation a explicitement motivé sa décision, en constatant que l’article L. 561-18 du Code monétaire et financier dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 1er décembre 2016 que la déclaration de soupçon mentionnée à l’article L. 561-15 est confidentielle et qu’il est interdit de divulguer l’existence et le contenu d’une déclaration faite auprès du service mentionné à l’article L. 561-23 (Tracfin), ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l’auteur de l’une des opérations concernées par l’article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l’article L. 561-36 du Code monétaire et financier.
Par ailleurs, aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs et que selon l’article L. 561-30, du même code, sous réserve de l’application de l’article 40 du Code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l’article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d’autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Aussi, en l’absence de difficulté d’interprétation, il n’apparaît pas nécessaire de surseoir à statuer pour interroger les CJUE des questions préjudicielles formulées par M. [S], lequel sera débouté de sa demande en ce sens.
Sur les demandes accessoires :
La présente ordonnance ne mettant pas fin à la procédure, il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens.
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Nous, Stéphanie ARNOLD, Juge de la mise en état, assistée de Audrey TESSIER,
Statuant par ordonnance contradictoire, susceptible de la voie de recours prévue à l’article 795 du Code de procédure civile,
DÉBOUTONS la société de droit espagnol Banco de Sabadell de son exception d’incompétence;
DÉBOUTONS M. [J] [S] de sa demande de sursis à statuer ;
DISONS que les dépens suivront le sort de ceux de l’instance principale ;
DISONS n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état du 24 avril 2025 ;
Le Greffier Le Juge de la mise en état
Audrey TESSIER Stéphanie ARNOLD
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