Le dirigeant d’une société en difficulté, bénéficiant d’une certaine notoriété, ne peut conclure avec sa société une cession de droit à l’image au montant exorbitant. Cet acte est qualifiable de faute de gestion mais peut également emporter une interdiction de gestion (10 ans dans l’affaire soumise).
Contrat de concession de licence exorbitant
La juridiction a estimé que la société n’était pas en mesure de supporter les sommes mises à sa charge par le contrat de concession et le protocole transactionnel au seul bénéfice du dirigeant, concluant à la caractérisation d’une faute de gestion de ce chef, étant ajouté que la rédaction par un professionnel du droit du protocole transactionnel et du contrat de concession n’est pas de nature à exonérer le dirigeant de sa responsabilité dans la commission de ces actes anormaux et contraires à l’intérêt de la société.
Le contrat de concession de licence d’exploitation des attributs de la personnalité prévoyant une redevance annuelle de 20 000 euros par an à compter de l’année 2016, renouvelable annuellement par tacite reconduction et le protocole transactionnel prévoyant une indemnité de 120 000 euros HT pour le dirigeant, payable en 2 fois sur deux ans, le dédommageant rétroactivement de l’utilisation de ses attributs de personnalité depuis 2008, tous deux datés du 11 janvier 2016, profitent personnellement de façon indéniable au dirigeant, lequel dans ses écritures devant la cour concède d’ailleurs qu’il s’agit d’une rémunération complémentaire déguisée, ce qui constitue en soi déjà une faute de gestion.
Tant le montant de l’indemnité transactionnelle arrêtée que le montant de la redevance annuelle, fixés en 2016, ne sont fondés sur aucun élément objectif, chiffré ou même précisant la manière dont les sommes ont été déterminées, et sur aucune étude mesurant l’impact réel de la participation à l’émission de télé-réalité Koh Lanta, pour les années 2008 et 2010, sur la chalandise de la société et la persistance des effets de cette notoriété sur les résultats de l’entreprise, puisqu’au contraire l’examen des documents comptables de la société démontre une baisse continue et notable du chiffre d’affaires, soit 899 975,11 euros en 2015 puis 673 500 euros en 2016, et enfin 648 314 euros en 2017.
Au contraire cette activité maintenue lui a permis de souscrire des conventions à son profit personnel exclusif et de percevoir deux fois 60 000 euros au titre de l’indemnité transactionnelle souscrite, tandis que sur la même période, et alors qu’une décision définitive était intervenue mettant un terme judiciaire à son litige avec le bailleur, aucune reprise du paiement du loyer en son intégralité est intervenue.
Aucun élément tangible, les quelques articles de journaux et avis sur internet étant insuffisants pour ce faire, ne vient démontrer la réalité de l’exploitation même de l’image du dirigeant sur la période 2008 à 2016 et les gains potentiels tirés par la société de cette exploitation, pas plus que n’est établi le caractère proportionné des montants arrêtés tant au titre de la redevance que de l’indemnité transactionnelle aux gains éventuels.
Au contraire, le chiffre d’affaires était en baisse à cette période et ces conventions ont largement accru les charges pesant sur la société, sans que soit démontré un quelconque gain en contrepartie au profit de la société.
Fautes de gestion multiples
En la cause, les fautes retenues, isolément comme combinées, justifient que le dirigeant, soit condamné au paiement d’une somme de 160 000 euros, montant qui est proportionné au regard de chacune des fautes établies à son encontre, la décision étant confirmée de ce chef.
Contexte de dégradation financière sans actions adéquates
Dans un contexte d’activité largement déficitaire, le dirigeant n’ignorait pas, disposant des bilans mettant clairement en lumière la dégradation de la situation financière de l’entreprise, que la société n’assurait plus le paiement, de manière volontaire, des loyers depuis avril 2016 à raison d’un litige opposant le preneur au bailleur au titre de l’obligation de délivrance, sans pour autant prendre les mesures qui s’imposaient, et notamment user des voies de droit lui permettant d’obtenir une consignation voire une diminution des loyers, prenant ainsi le risque, qui s’est finalement concrétisé, de ne plus pouvoir exploiter.
Malgré la connaissance de cette situation financière délicate, le dirigeant n’explicitait nullement les mesures prises pour enrayer cette dégradation, et notamment réduire les charges, relancer l’activité et éviter la continuation des résultats négatifs, et n’en justifie encore moins, puisqu’au contraire, ont été conclus sur ladite période un protocole transactionnel et une convention de concession de licence d’exploitation des attributs de la personnalité, augmentant sensiblement les charges de la société.
L’intérêt de l’entreprise prime
L’usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, est sanctionné.
Dans le cadre de la faute civile, la contrariété avec l’intérêt de l’entreprise peut être établie dès lors que l’acte entraîne pour elle un risque, sans contrepartie d’une chance raisonnable de gain, ou la prive d’avantages plus importants et plus conformes à ses intérêts.
L’intérêt personnel du dirigeant est entendu très largement, comme un intérêt patrimonial ou moral, direct ou indirect, lui profitant personnellement, ou profitant à un tiers (des proches en général) ou à une personne morale ou entreprise dans laquelle il a des intérêts.
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 03/11/2022
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/06069 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T7PP
Jugement (N° 2021003891) rendu le 09 novembre 2021 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANT
Monsieur [K] [R] ès qualités de gérant de la SARL Pizza Saint [R]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 5], de nationalité française
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assisté de Me David-franck Pawletta, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉES
Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Douai
représenté par M. Christophe Delattre, substitut général
SELARL [W] [E] prise en la personne de Me [E] [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Pizza Saint [R].
ayant son siège social, Centre d’Affaires Molinel [Adresse 4]
représentée par Me Jean-françois Cormont, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
substitué par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai
DÉBATS à l’audience publique du 14 juin 2022 tenue par Nadia Cordier, magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Laurent Bedouet, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 novembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Agnès Fallenot, conseiller, en remplacement de Laurent Bedouet, président empêché et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 mai 2022
****
En date du 07 mai 2018, la SARL Pizza Saint [R], dont le gérant est M. [K] [R], a régularisé une déclaration de cessation des paiements et a sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Par jugement du 14 mai 2018, la procédure de redressement a été ouverte, avec nomination de la SELURL [W], prise en la personne de Me [E] [W] en qualité de mandataire judiciaire, et de la SCP Thuillier Soinne Deguines, prise en la personne de Me [H] en qualité de commissaire-priseur.
La date provisoire de cessation des paiements a été fixée au 14 novembre 2016.
Sur requête conjointe de M. [R] et de Me [W], le tribunal de commerce de Lille Métropole, par jugement en date du 5 juin 2018, a converti cette procédure en liquidation judiciaire, la SELURL [W], prise en la personne de Me [W], étant nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
Suivant requête du ministère public en date du 26 février 2021 et ordonnance du président du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 9 mars 2021, signifiée le 15 mars 2021 selon les dispositions de l’article 658 du code de procédure civile, M [K] [R], né le [Date naissance 2]/1968 à Avesnes-sur-Helpe, a été cité en sanctions, le procureur demandant au tribunal de prononcer une responsabilité pour insuffisance d’actif à hauteur de 170 000 euros et une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de 15 ans.
Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 9 novembre 2021, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a :
vu les articles L 653-1 à L 653-11 du code de commerce (loi du 26 juillet 2005)
— mis à la charge de Monsieur [K] [R] une contribution à l’insuffisance d’actif à hauteur de 160 000 euros ;
— prononcé à l’encontre de Monsieur [K] [R], né le [Date naissance 1] 1968 à Avesnes-sur-Helpe, de nationalité française, demeurant [Adresse 3], une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,
— fixé cette mesure à 10 ans ;
— ordonné l’exécution provisoire du présent jugement en ce qui concerne l’interdiction de gérer ;
— ordonné que les huissiers de justice chargés de la signification du présent jugement à Monsieur [K] [R] indiquent avec précision dans leurs actes, l’ensemble des diligences accomplies, notamment l’ensemble des éventuelles recherches des personnes concernées,
— ordonné la publicité du présent jugement ;
— dépens en frais de procédure.
Par déclaration en date du 3 décembre 2021, M. [K] [R] a interjeté appel, reprenant dans son acte d’appel l’ensemble des chefs de la décision sus-visée.
MOYENS ET PRÉTENTIONS :
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 6 avril 2022, M. [K] [R] demande à la cour de :
Vu les pièces versées au débat,
— déclarer l’appelant recevable en son appel,
— le dire bien fondé,
— infirmer in integrum la décision de première instance,
— à titre principal,
— débouter le ministère public de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
— à titre infiniment subsidiaire,
— dire n’y avoir lieu à interdiction de gérer à l’égard de Monsieur [K] [R],
— réduire à 1 euro symbolique la contribution à l’insuffisance d’actif,
— Dépens comme de droit.
Il fait valoir qu’ :
— il a été un commerçant exemplaire qui a été conduit à la faillite à raison des vicissitudes de sa société liées à des facteurs extérieurs ou à des conseils inadaptés de la part de son entourage ;
— la problématique principale est l’existence d’un immeuble vicié qui empêchait un exercice normal de la restauration ;
— à la suite de la liquidation judiciaire, il est depuis avec son épouse à la tête d’une nouvelle pizzeria qui emploie près de 25 personnes ;
— il a eu jusque 3 établissements en 2010 ouverts dans le sud du département et a « surfé » sur une vague de popularité sans précédent issue des deux émissions Koh-Lanta intervenues en 2008 et 2010 ;
— un fonds de commerce de pizzeria a été racheté en 2011 en banlieue de [Localité 6], après revente des trois précédents fonds de commerce, et un litige est né avec le bailleur lequel n’a pas délivré un immeuble conforme ;
— son conseil parisien lui avait conseillé de ne payer que partiellement le loyer faute de délivrance conforme et a poursuivi une action contre le mandataire judiciaire pour défaut d’information dans le cadre de la cession de fonds de commerce, qui n’a pas prospéré devant le TGI de Douai, lequel, dans son jugement du 29 septembre 2017, a exclu toute faute du mandataire judiciaire et débouté la SARL de toute demande de condamnation contre son bailleur ;
— l’examen du passif fait état d’une dette privilégiée de 216 000 euros, constituée principalement de loyers impayés.
Il estime que :
— le retard dans la déclaration de cessation des paiements doit être apprécié in concreto et à l’aune de ce litige principal qui oppose le preneur à son bailleur ;
— la rémunération du chef d’entreprise était minime et le conseil parisien a estimé que M. [R] pouvait prétendre à une rémunération pour la venue dans son restaurant de la clientèle en raison de son passé télévisuel ;
— cette convention de rémunération n’était ni déraisonnable ni disproportionnée au regard de l’activité et nonobstant les vicissitudes que traversait la société d’exploitation avec son bailleur, l’analyse de ce grief devant être remise en perspective à l’époque des faits, dans leur chronologie et au regard du travail fourni par le chef d’entreprise.
Il conteste le lien de causalité.
Il sollicite la réfaction des sanctions prononcées et revient sur la lecture par le mandataire des faits de la cause plus stricte et plus sévère que celle effectuée par le ministère public.
Par conclusions remises au greffe et adressées par voie électronique aux parties en date du 8 mars 2022, le ministère public demande à la cour la confirmation de la décision querellée sauf en ce qu’elle a condamné l’appelant au paiement de la somme de 160 00 euros et à une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de 10 ans, et propose de fixer la contribution à 120 000 euros et la mesure d’interdiction de gérer à 5 ans.
Il revient sur le protocole transactionnel entre la société et M. [R] et les versements effectués au profit du dirigeant de deux sommes de 60 000 euros, l’une en 2016 et l’autre en 2017, sans plus de précision du mandataire, mais non contestés par l’appelant, et le montant annuel de 20 000 euros prévu au titre des droits d’auteur. Cette reconnaissance de 120 000 euros a été remise en cause en son bien-fondé par les services fiscaux, estimant qu’il s’agissait d’un acte anormal de gestion.
Ces versements sont disproportionnés au regard des résultats obtenus lors des exercices comptables clos en décembre 2016 et 2017, avec une perte de l’ordre de 65 000 euros pour l’un et 108 000 euros pour l’autre. Le paiement de ces sommes est en partie intervenu au cours de la période suspecte puisque la date de cessation des paiements a été fixée le 14 novembre 2016. Il fait état des dires de M. [R] à l’audience de première instance, qui n’ont toutefois pas été repris sur la note d’audience, selon lesquels cette convention avait pour but de récupérer une partie des fonds investis en raison des travaux effectués.
Il estime la poursuite d’activité déficitaire établie de même que la déclaration de cessation des paiements tardive. Au regard de l’ensemble du contentieux avec le bailleur et l’absence de paiement des loyers depuis de très nombreux mois, la faute ne relève pas d’une simple négligence mais constitue une volonté de ne pas régulariser une déclaration de cessation des paiements dans les termes de la loi.
La faute de refus de régler les loyers, quand bien même il existe un contentieux indéniable avec le bailleur et un problème de non-conformité de l’immeuble, est constituée.
Faute de recours à l’article L 651-4 du code de commerce, le quantum doit être revu à la baisse.
Concernant la sanction personnelle, il fait valoir que les trois fautes sont caractérisées.
Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 10 mars 2022, la SELARL [W] [E], prise en la personne de Me [W], en qualité de liquidateur judiciaire, demande à la cour de :
Vu, ensemble, les articles L 651-2, L 653-4, L 653-8 du code de commerce,
— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a mis à la charge de M. [K] [R] une contribution à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la SARL Pizza Saint [R] et prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer. ;
— donner acte à la SELARL [W] [E] es qualités de ce qu’elle fait siennes les demandes du ministère public ;
— débouter M. [K] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
— condamner M. [K] [R] au versement à la procédure collective d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers frais et dépens.
Est constituée la poursuite d’une activité déficitaire tandis que le dirigeant a poursuivi une activité en privilégiant son intérêt personnel. Il en est de même pour la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements.
Le lien de causalité est totalement établi, le fait de signer la convention ayant obéré définitivement la situation de la société. M. [R] ne peut se dédouaner et se retrancher derrière les mauvais conseils de son avocat, aucune action en responsabilité contre ce dernier n’ayant en outre été enclenchée.
***
À l’audience du 14 juin 2022, le dossier a été mis en délibéré au 3 novembre 2022.
MOTIVATION
— Sur la sanction pécuniaire
L’article L.651-2 du code de commerce, tel que modifié par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 article 146, applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours, dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.
S’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l’existence d’une faute de gestion, celle d’un préjudice consistant en une insuffisance d’actif et un lien de causalité entre eux.
Il n’existe pas de définition légale de la notion de faute de gestion, dont les contours ont été dessinés progressivement par la jurisprudence, laquelle, le plus souvent, se réfère au comportement d’un dirigeant normalement avisé, ou encore aux règles minimales de bonne gestion.
Sont retenus aussi bien des actes positifs que des abstentions, à l’exclusion de la faute de simple négligence, depuis la loi du 9 décembre 2016, laquelle est applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours.
— sur l’existence de l’insuffisance d’actif
Il n’est pas nécessaire pour qu’il puisse être fait application des dispositions de l’article L 651-2 du code de commerce, que le passif soit entièrement chiffré, ni que l’actif ait été réalisé, il suffit que l’insuffisance d’actif soit certaine.
L’actif a pu être valorisé à la somme de 6 799,96 euros.
Aucune contestation précise n’est élevée par quiconque, dans le présent litige, sur l’évaluation faite par les premiers juges de cette insuffisance d’actif, et arrêtée à la somme de 268 174,96 euros, hors provisionnel, le ministère public se contentant d’invoquer un passif privilégié, vérifié à hauteur de 249 931,53 euros et le liquidateur judiciaire d’énoncer, sans aucune démonstration et explication, deux sommes distinctes au titre de l’insuffisance d’actif, dans deux paragraphes successifs, à savoir les sommes de 286 730,54 euros et de 336 335,96 euros, lesquelles ne peuvent être retrouvées dans les documents transmis.
Aucun élément n’est apporté conduisant à modifier le montant retenu par les premiers juges au jour où la cour statue.
L’évaluation d’une insuffisance d’actif à hauteur de 268 174,96 euros ne peut qu’être retenue.
— sur les fautes reprochées
Au titre des fautes de gestion, le ministère public relève, pour faute, d’avoir poursuivi une activité déficitaire, d’avoir privilégié ses intérêts personnels par la conclusion d’un protocole d’accord, d’avoir omis de demander l’ouverture d’une procédure dans le délai de 45 jours, d’avoir refusé de régler les loyers.
a) l’omission de demander l’ouverture d’une procédure dans le délai de 45 jours
L’omission de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion au sens de l’article L. 651-2 du code de commerce, s’apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report.
Il n’est fait état d’aucune contestation du jugement ayant prononcé l’ouverture de la procédure en date du 14 mai 2018 et ayant arrêté la date de cessation des paiements au 14 novembre 2016, soit un report de 18 mois, et dès lors plus de 45 jours au préalable, sans qu’ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation.
Le fait qu’un litige ait opposé le preneur et son bailleur et que la déclaration d’état de cessation des paiements ait été régularisée concomitamment à l’ordonnance autorisant l’expulsion du preneur du 18 mai 2018 est, en l’espèce, sans incidence sur ce grief, M. [R] ayant nécessairement conscience qu’il n’honorait plus les loyers depuis avril 2016, en dehors de tout cadre légal, faute de demande consignation voire de diminution du loyer courant, d’autant que par jugement définitif du tribunal de grande instance de Douai en date du 29 septembre 2017, il avait été débouté de ses demandes à l’encontre du bailleur, sans pour autant en reprendre le paiement intégral.
Or, M. [R] qui ne soutient pas ignorer l’obligation faite au dirigeant de demander dans le délai imparti l’ouverture d’une procédure collective, ne méconnaissait pas la situation économique délicate de la société SARL Pizza Saint [R], depuis de nombreux mois, voire années, mise en lumière par les bilans de la société, qui faisaient état de résultats légèrement positifs fin 2015 et largement négatifs au 31 décembre 2016 puis au 31 décembre 2017.
Il avait d’ailleurs parfaitement conscience de cette situation délicate dès début 2016 pour en faire état dans le préambule du protocole transactionnel conclu entre la société SARL Pizza Saint [R] et M. [R] lui-même au titre de l’exploitation des attributs de sa personnalité, en date du 11 janvier 2016, puisqu’il y est mentionné que « la société a refusé ces demandes compte tenu de sa situation de trésorerie et sollicité la réduction des sommes demandées au titre de l’exploitation antérieure, l’octroi de modalités de paiement échelonnées ainsi la réduction du montant forfaitaire annuel pour les années à venir ».
Pour autant, il n’a pris aucune mesure pour enrayer cet état de cessation des paiements, alors même qu’il n’est fait état d’aucun actif permettant de faire face à l’accumulation des dettes, notamment celles de loyer, et qu’une procédure en résiliation de bail était en cours.
Le grief de non-déclaration consciente de l’état de cessation dans le délai de 45 jours est constitué.
b) la poursuite abusive d’une activité déficitaire et le refus de payer les loyers
La poursuite d’une activité déficitaire n’est susceptible de constituer une faute de gestion que si elle est abusive. Tel est le cas, par exemple, lorsque le dirigeant s’abstient de prendre les mesures nécessaires ou encore que la situation est irrémédiablement compromise, de sorte qu’elle a pour seul effet de creuser davantage l’insuffisance d’actif, au préjudice des créanciers.
On peut retenir des pièces versées :
— un compte de résultat au 31 décembre 2015 faisant apparaître un résultat d’exploitation de 24 500 euros environ, soit un résultat net positif de l’exercice clos au 31 décembre 2014, à hauteur de 42 000 euros environ ;
— un résultat net négatif de près de 65 000 euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2016, le résultat d’exploitation étant quant à lui très légèrement positif ( 3 663 euros) ;
— un accroissement sensible des pertes sur l’exercice clos au 31 décembre 2017, le résultat de l’exercice étant de -108 423 euros, le résultat d’exploitation se dégradant notablement (-46 523 euros) ;
— une dégradation notable du chiffre d’affaires entre 2015 et 2016, passant de 899 975,11 euros en 2015 à 673 500 euros en 2016, puis plus limitée lors de l’exercice suivant, avec un chiffre d’affaires en 2017 de 648 314 euros, mais avec un accroissement sensible des charges, et notamment des charges exceptionnelles pour les années 2016 et 2017 ;
— un accroissement conséquent de la dette fournisseurs, portée de 63 683,79 euros au 31 décembre 2015 à 118 575,28 euros au 31 décembre 2016 et à 183 529 euros au 31 décembre 2017 ;
— la présence sur la liste succincte de créances déclarées à hauteur de 343 135,92 euros notamment d’ une créance CGEA d’un montant de 49 625,42 euros et d’une créance privilégiée du bailleur d’un montant de 184 777,79 euros ;
— le non règlement des loyers depuis avril 2016, puis un paiement partiel, alors même que par jugement du tribunal judiciaire de Douai en date du 29 septembre 2017, le preneur avait été débouté de toutes ses demandes à l’encontre du bailleur, sans pour autant reprendre le paiement intégral du loyer, ce qui a donné lieu à une ordonnance du juge des référés constatant l’acquisition de la clause résolutoire et prononçant l’expulsion du preneur suite au commandement de payer du 9 avril 2016, pour persistance du non-paiement des loyers ;
— la fixation dans le jugement de redressement judiciaire du 14 mai 2018 de la date de cessation des paiements au 14 novembre 2016, soit 18 mois auparavant.
Il ressort de ces éléments une poursuite d’une activité largement déficitaire, que M. [R] n’ignorait pas, disposant des bilans mettant clairement en lumière la dégradation de la situation financière de l’entreprise, la société n’assurant plus le paiement, de manière volontaire, des loyers depuis avril 2016 à raison d’un litige opposant le preneur au bailleur au titre de l’obligation de délivrance, sans pour autant prendre les mesures qui s’imposaient, et notamment user des voies de droit lui permettant d’obtenir une consignation voire une diminution des loyers, prenant ainsi le risque, qui s’est finalement concrétisé, de ne plus pouvoir exploiter.
Si M. [R] consacre d’importants développements relatifs au contentieux l’opposant à son bailleur et à l’état du fonds de commerce acquis, il ne peut qu’être constaté que par décision dont il n’a pas été relevé appel, le preneur, débouté de toutes ses demandes, a poursuivi son activité sans pour autant reprendre le paiement du loyer, et aurait dû, de toute façon, dans le cadre de l’acquisition de ce fonds de commerce, s’astreindre à un minimum de vérification avant de s’engager.
Par ailleurs, malgré la connaissance de cette situation financière délicate de la société, M. [R] n’explicite nullement les mesures prises pour enrayer cette dégradation, et notamment réduire les charges, relancer l’activité et éviter la continuation des résultats négatifs, et n’en justifie encore moins, puisqu’au contraire, ont été conclus sur ladite période un protocole transactionnel et une convention de concession de licence d’exploitation des attributs de la personnalité, augmentant sensiblement les charges de la société.
Le simple fait que M. [R] ait pu être mal conseillé, la cour notant toutefois qu’aucune action en responsabilité contre les différents conseils n’a été menée, n’est pas de nature à le dédouaner.
La faute de gestion tenant à la poursuite abusive d’une activité déficitaire et de refus de règlement du loyer se trouve ainsi nettement constituée.
c) l’usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles
En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
Dans le cadre de la faute civile, la contrariété avec l’intérêt de l’entreprise peut être établie dès lors que l’acte entraîne pour elle un risque, sans contrepartie d’une chance raisonnable de gain, ou la prive d’avantages plus importants et plus conformes à ses intérêts.
L’intérêt personnel du dirigeant est entendu très largement, comme un intérêt patrimonial ou moral, direct ou indirect, lui profitant personnellement, ou profitant à un tiers (des proches en général) ou à une personne morale ou entreprise dans laquelle il a des intérêts.
Le contrat de concession de licence d’exploitation des attributs de la personnalité prévoyant une redevance annuelle de 20 000 euros par an à compter de l’année 2016, renouvelable annuellement par tacite reconduction et le protocole transactionnel prévoyant une indemnité de 120 000 euros HT pour M. [R], payable en 2 fois sur deux ans, le dédommageant rétroactivement de l’utilisation de ses attributs de personnalité depuis 2008, tous deux datés du 11 janvier 2016, profitent personnellement de façon indéniable à M. [R], lequel dans ses écritures devant la cour concède d’ailleurs qu’il s’agit d’une rémunération complémentaire déguisée, ce qui constitue en soi déjà une faute de gestion.
Tant le montant de l’indemnité transactionnelle arrêtée que le montant de la redevance annuelle, fixés en 2016, ne sont fondés sur aucun élément objectif, chiffré ou même précisant la manière dont les sommes ont été déterminées, et sur aucune étude mesurant l’impact réel de la participation à l’émission de télé-réalité Koh Lanta, pour les années 2008 et 2010, sur la chalandise de la société et la persistance des effets de cette notoriété sur les résultats de l’entreprise, puisqu’au contraire l’examen des documents comptables de la société démontre une baisse continue et notable du chiffre d’affaires, soit 899 975,11 euros en 2015 puis 673 500 euros en 2016, et enfin 648 314 euros en 2017.
M. [R], unique associé de la SARL Pizza Saint [R] et gérant de cette dernière, était seul habilité à prendre les décisions de gestion de l’entreprise et avait conscience de la situation délicate de la société et du caractère particulièrement inadapté des demandes indemnitaires et de redevance, le préambule précité du protocole en attestant, ce qui d’ailleurs avait motivé une diminution des réclamations faites par M. [R] à titre personnel de 200 000 euros à 120 000 euros pour l’indemnité transactionnelle rétroactive et de 25 000 euros à 20 000 euros pour la redevance annuelle.
Toutefois, au vu des éléments comptables ci-dessus rappelés, quand bien même une ristourne avait été acceptée par M. [R], il n’est nullement établi que ces actes et ces montants soient proportionnés et établis dans l’intérêt de la société, alors même que, selon les bilans établis par son expert-comptable, la société Pizza Saint [R] subissait des pertes à hauteur de 65 079 euros en 2016, date de conclusions de la transaction et du contrat de concession, et de 108 423 euros en 2017.
À juste titre les premiers juges ont estimé que la société n’était pas en mesure de supporter les sommes mises à sa charge par le contrat de concession et le protocole transactionnel au seul bénéfice de M. [K] [R], concluant à la caractérisation d’une faute de gestion de ce chef, étant ajouté que la rédaction par un professionnel du droit du protocole transactionnel et du contrat de concession n’est pas de nature à exonérer M. [R] de sa responsabilité dans la commission de ces actes anormaux et contraires à l’intérêt de la société.
Il est ainsi démontré que M. [R], personne physique, a privilégié volontairement ses intérêts personnels sur les intérêts de la société à associé unique, la SARL Pizza Saint [R] qu’il dirigeait, alors même qu’il n’ignorait pas la situation délicate de cette dernière.
— sur le lien de causalité
Il convient de rappeler que le préjudice doit être en lien avec les fautes reprochées qui ont donc contribué à sa réalisation. Il est suffisant, toutefois, que la faute soit l’une des causes de l’insuffisance d’actif, sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait contribué à la totalité de l’insuffisance d’actif.
Retenant une conception assez lâche du lien de causalité, la jurisprudence admet en effet la condamnation du dirigeant à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif, même si sa ou ses fautes ne sont à l’origine que d’une partie de celle-ci.
Ces faits, ensemble comme isolément, ont tous contribué à l’insuffisance d’actif en ce que :
— M. [R], englué dans son litige avec le bailleur, a, sans avoir pris la précaution d’obtenir l’autorisation de consigner ou diminuer les loyers, cessé leur règlement, soit totalement, soit partiellement depuis avril 2016, accroissant ainsi notablement les dettes de la société, une déclaration de créance privilégiée au profit du bailleur de près de 185 000 euros ayant été régularisée et non contestée ;
— il a par ailleurs par la souscription du contrat de concession et du protocole transactionnel aggravé notablement les charges pesant sur la société, à hauteur de 120 000 euros outre les redevances annuelles échues à hauteur de 40 000 euros au total pour 2016 et 2017, ne contestant pas avoir, à tout le moins, perçu deux fois 60 000 euros au titre de l’indemnité transactionnelle en 2016 et en 2017, alors même que la société accusait pour ces deux années des pertes ;
— l’activité a été poursuivie alors même qu’en 2016, puis en 2017, les pertes se sont accumulées, le chiffre d’affaires étant en baisse constante depuis 2015 tandis que les charges, notamment exceptionnelles et les dettes fournisseurs s’accroissaient notablement ;
— suite à l’omission d’effectuer rapidement une déclaration de l’état de cessation des paiements, les dettes de loyers se sont accumulées et les charges liées à la souscription par M. [R] des contrats sont demeurées impayées, aggravant le préjudice subi par les différents créanciers.
Ainsi, M. [R], qui disposait d’une expérience de gestion depuis 2008 en qualité de gérant, n’a pas pris, en déposant rapidement dès début 2016 une déclaration de cessation des paiements, les mesures qui s’imposaient pour enrayer la situation délicate de la société, qu’il a même au contraire contribué à aggraver en souscrivant des conventions à son profit exclusif et en entretenant un litige avec son bailleur, marqué par le refus d’honorer le loyer en son intégralité, hors de tout cadre légal, ce qui a conduit à priver la société du local d’exploitation.
Il ne saurait se dédouaner derrière les conseils, selon lui, peu avisés de professionnels du droit, à savoir, d’une part, ses avocats précédents pour la gestion du litige avec le bailleur ou pour la souscription des conventions à son bénéfice, d’autre part le mandataire liquidateur de la société dont il avait acquis le fonds de commerce, ayant à tout le moins procédé à une gestion de la société SARL Pizza Saint [R] marquée par une légèreté blâmable.
En conséquence, les fautes retenues, isolément comme combinées, justifient que M. [R], au vu des éléments dont dispose la cour, soit condamné au paiement d’une somme de 160 000 euros, montant qui est proportionné au regard de chacune des fautes établies à son encontre, la décision étant confirmée de ce chef.
Les intérêts courront, au taux légal, à compter du présent arrêt, s’agissant d’une action en responsabilité.
— Sur la sanction personnelle :
L’article L 653-8 du code de commerce prévoit que dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer, contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L’alinéa 3 de ce texte dispose qu’elle peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.
L’article L 653-4 de ce code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008, vise la possibilité de prononcer la sanction de faillite personnelle pour :
3° avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser un autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.
4° avoir poursuivi abusivement, dans son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale.
a) la poursuite abusive d’une activité déficitaire
Conformément aux dispositions de l’article L 653-4-4° du code de commerce, doit être démontrée la poursuite d’une exploitation déficitaire dans un intérêt personnel, qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements.
Il ressort des éléments précédemment décrits, dans le cadre de la faute de gestion au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif, que la poursuite abusive d’une activité déficitaire a d’ores et déjà été caractérisée, puisque la société connaissait des difficultés qui se sont accrues à compter de début 2016 avec le non-règlement persistant des loyers et la souscription par M. [R], en qualité de gérant, sans lien démontré avec l’intérêt de la société, d’une convention de concession et d’un protocole transactionnel, alors que les éléments comptables établissaient l’absence d’actif, une diminution notable du chiffre d’affaires au cours des derniers exercices clos, et des résultats, qui de légèrement positifs en 2015 étaient négatifs en 2016 et 2017, sans qu’il ne soit démontré la prise de mesures d’ampleur de nature à réduire les charges, à relancer l’activité et à éviter la continuation des résultats négatifs.
Au contraire cette activité maintenue lui a permis de souscrire des conventions à son profit personnel exclusif et de percevoir deux fois 60 000 euros au titre de l’indemnité transactionnelle souscrite, tandis que sur la même période, et alors qu’une décision définitive était intervenue mettant un terme judiciaire à son litige avec le bailleur, aucune reprise du paiement du loyer en son intégralité est intervenue.
M. [R] avait parfaitement conscience, au vu des résultats particulièrement obérés et des difficultés rencontrées avec le local d’exploitation, qui selon lui ne permettait pas une activité rentable et sereine, de cette situation sans issue pour l’entreprise, qui risquait à tout moment de perdre son bail, faute d’apurer la dette de loyers, ce qui ne pouvait conduire qu’à l’état de cessation des paiements.
Ainsi, se trouvent établis les deux éléments supplémentaires à caractériser au titre de cette faute pour l’interdiction de gérer, à savoir la poursuite qui ne pouvait conduire qu’à l’état de cessation des paiements de la personne morale et l’intérêt personnel du dirigeant à cette poursuite.
b) l’usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise
Comme démontré précédemment, aucun élément, objectif et patent, ne permet de vérifier l’existence même de retombées réelles sur la chalandise de l’entreprise en lien avec la notoriété de M. [R] à raison de sa participation à l’émission Koh Lanta en 2008 et 2010 et justifiant qu’en 2016, de manière rétroactive, une indemnisation liée à l’exploitation des attributs de la personnalité ait été allouée au bénéfice exclusif de M. [R] à titre personnel pour la période 2008 à 2016 et une redevance annuelle de 20 000 euros ait été envisagée pour les années postérieures.
Aucun élément tangible, les quelques articles de journaux et avis sur internet étant insuffisants pour ce faire, ne vient démontrer la réalité de l’exploitation même de l’image de M. [R] sur la période 2008 à 2016 et les gains potentiels tirés par la société Pizza Saint [R] de cette exploitation, pas plus que n’est établi le caractère proportionné des montants arrêtés tant au titre de la redevance que de l’indemnité transactionnelle aux gains éventuels.
Au contraire, le chiffre d’affaires était en baisse à cette période et ces conventions ont largement accru les charges pesant sur la société, sans que soit démontré un quelconque gain en contrepartie au profit de la société.
Cette faute est donc établie.
c) sur la déclaration de cessation des paiements tardive
Il résulte des dispositions de l’alinéa 3 de l’article L 653-8 du code de commerce et de l’article R 653-1 alinéa 2 que la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d’ouverture de la procédure collective, ou un jugement de report.
Il n’est fait état d’aucune contestation du jugement ayant prononcé l’ouverture de la procédure en date du 14 mai 2018 et ayant arrêté la date de cessation des paiements au 14 novembre 2016, soit un report de 18 mois, et dès lors plus de 45 jours au préalable, sans qu’ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation.
Il ne peut être contesté le caractère conscient et volontaire de cette omission de déclaration, comme précédemment démontré dans le cadre de la sanction pécuniaire, M. [R], qui disposait d’une expérience de gestion depuis 2008, ne pouvant ignorer les difficultés existantes et le caractère compromis de l’activité de la société, laquelle, ne réglant plus les loyers et indemnités d’occupation en raison d’un litige relatif à l’état du local d’exploitation avec le bailleur de longue date, faisait l’objet d’un commandement visant la clause résolutoire et disposait de bilans comptables démontrant une nette dégradation de ses résultats, avec des pertes conséquentes fin décembre 2016, largement accrues en 2017, sans qu’aucune démarche n’ait été réalisée par le gérant pour apaiser la situation, notamment en reprenant le règlement intégral des indemnités mensuelles d’occupation, fixées au montant du loyer et de l’arriéré, alors même que par jugement du tribunal de grande instance du 29 septembre 2017, en outre, le preneur avait été débouté de toutes demandes tant à l’encontre du bailleur qu’à l’égard du liquidateur judiciaire du précédent exploitant du fonds de commerce.
Ce grief est donc établi.
Or, tant prises isolément que réunies, chacune des fautes retenues et ainsi caractérisées à l’encontre de M. [R] justifie que soit prononcée à son encontre une sanction personnelle, qui ne peut être, en l’espèce, qu’une mesure d’interdiction de gérer.
En effet, la naïveté éventuelle de M. [R] face à des professionnels du droit, au mieux mal avisés, n’efface pas la légèreté blâmable avec laquelle il a procédé à l’acquisition même de ce fonds de commerce puis a géré cette société, en laissant s’enkyster, sans user des mesures légales qui s’offraient à lui, un litige avec son bailleur marqué par un non-règlement des loyers dans leur intégralité même une fois pourtant le litige judiciaire clos avec ce dernier, et en n’hésitant pas à privilégier ses propres intérêts par la souscription de conventions accroissant nettement les charges de la société sans gain clairement identifié et justifié pour cette dernière.
Au vu de ces éléments, de l’expérience dans la gestion de société acquise depuis 1994 sans difficulté connue avant la présente liquidation judiciaire, de l’exercice d’une nouvelle activité, sous l’égide de la SARL Ristorante Borsalino, créée concomitamment au dépôt de la déclaration de cessation des paiements de la SARL Pizza Saint [R] et dont la gérance a depuis été transférée à son épouse pour se conformer au jugement déféré assorti de l’exécution provisoire, mais également de la gravité des fautes commises démontrant un mépris pour l’intérêt social et les intérêts des créanciers de la société, la durée de 10 ans est totalement adaptée, ce qui justifie la confirmation du jugement de première instance de ce chef.
— Sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, M. [K] [R] succombant en ses prétentions, il convient de le condamner aux dépens d’appel.
La décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a mis les dépens en frais de procédure.
Il convient en outre de le condamner au paiement d’une indemnité procédurale de 1 000 euros à la SELARL [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Pizza Saint [R] .
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 9 novembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [R] à payer à la SELARL [W], prise en la personne de Me [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Pizza Saint [R] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d’appel.
Le greffierP/le président
Valérie RoelofsAgnès Fallenot