L’Essentiel : Madame [W] [K], cliente du Crédit Lyonnais, a signalé des transactions non autorisées sur sa carte bancaire, entraînant un préjudice de 15.323 euros. Malgré sa plainte et sa demande de remboursement, la banque a rejeté sa requête, invoquant une négligence de sa part. En juin 2022, elle a demandé le rachat de son contrat « Financement obsèques » avant de décéder. Ses héritières, les consorts [E], ont mis en demeure la banque de rembourser les sommes détournées. Le tribunal a finalement déclaré leur action recevable, rejetant la forclusion soulevée par la banque et condamnant celle-ci à verser des frais de justice.
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Contexte de l’affaireMadame [W] [K], née en 1935, était cliente du Crédit Lyonnais (LCL) où elle avait ouvert un compte de dépôt et souscrit un contrat de « Financement obsèques ». Elle a été hospitalisée à Paris entre novembre et décembre 2020, puis admise dans un centre de réhabilitation gériatrique. Plainte pour utilisation frauduleuseEntre le 11 décembre 2020 et le 27 janvier 2021, Madame [K] a signalé des transactions non autorisées sur sa carte bancaire, entraînant un préjudice de 15.323 euros. Elle a déposé une plainte au commissariat et a contesté ces paiements auprès de la banque, qui a rejeté sa demande de remboursement en invoquant une négligence de sa part. Demande de rachat et décèsEn juin 2022, Madame [K] a demandé le rachat de son contrat « Financement obsèques » et a réitéré sa demande de remboursement des sommes détournées. Elle est décédée le [Date décès 5] 2022, laissant ses deux filles, [P] [E] et [H] [E], comme héritières. Actions des consorts [E]Les consorts [E] ont mis en demeure la banque LCL de rembourser les sommes détournées et la valeur de rachat du contrat. En juillet 2023, ils ont assigné la banque en justice pour obtenir le remboursement des opérations non autorisées, des intérêts, ainsi qu’une réparation pour préjudice moral. Réponse de la banque LCLLa banque LCL a soulevé une fin de non-recevoir pour forclusion, arguant que les demandes des consorts [E] étaient irrecevables en raison du délai de treize mois prévu par le code monétaire et financier pour contester les opérations non autorisées. Arguments des consorts [E]Les consorts [E] ont contesté cette forclusion, affirmant avoir respecté le délai de notification des opérations contestées. Ils ont soutenu que la banque n’avait pas fourni les informations nécessaires pour justifier la forclusion et que le délai de treize mois ne devait pas être interprété comme un délai d’action en justice. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la fin de non-recevoir pour forclusion soulevée par la banque LCL, déclarant recevable l’action des consorts [E]. L’affaire a été renvoyée à une audience de mise en état pour le 11 avril 2025, et la banque a été condamnée à verser 1.500 euros aux consorts pour les frais de justice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article L133-24 du code monétaire et financier concernant la forclusion des demandes de remboursement d’opérations non autorisées ?L’article L133-24 du code monétaire et financier stipule que l’utilisateur de services de paiement doit signaler sans tarder une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, et ce, au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, sous peine de forclusion. Ce texte précise que le non-respect de ce délai entraîne l’irrecevabilité de la demande de remboursement. En effet, l’article dispose : « L’utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion… » Ainsi, la banque LCL soutient que l’acte introductif d’instance, daté du 18 juillet 2023, est irrecevable car les opérations litigieuses ont eu lieu entre le 10 décembre 2020 et le 23 février 2021, dépassant le délai de treize mois. Cependant, les consorts [E] contestent cette interprétation, arguant que le délai de forclusion ne doit pas être confondu avec un délai d’action en justice. Ils soutiennent que la simple notification de l’opération contestée suffit à respecter le délai de notification prévu par l’article L133-24. Comment l’article L133-18 du code monétaire et financier s’applique-t-il aux opérations de paiement non autorisées ?L’article L133-18 du code monétaire et financier impose au prestataire de services de paiement de rembourser immédiatement l’utilisateur en cas d’opération de paiement non autorisée, après avoir été informé de cette opération. Cet article précise : « En cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l’opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l’opération… » Cela signifie que la banque LCL a l’obligation de rembourser les sommes en question, sauf si elle a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de la part de l’utilisateur. Dans le cas présent, la banque a rejeté la demande de remboursement en invoquant une négligence grave de la cliente, ce qui soulève des questions sur la validité de cette justification au regard des obligations prévues par l’article L133-18. Quelles sont les implications de la directive DSP 2 sur le litige en cours ?La directive DSP 2, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2017/1252, vise à renforcer la protection des utilisateurs de services de paiement. Elle impose des obligations d’information et de notification aux prestataires de services de paiement. L’article 71 de cette directive stipule que l’utilisateur doit notifier toute contestation d’une opération non autorisée dans un délai de treize mois, mais ne précise pas que ce délai inclut l’obligation d’intenter une action en justice. Le considérant 70 de la directive précise que : « L’utilisateur de services de paiement devrait informer dès que possible le prestataire de services de paiement de toute contestation relative à des opérations de paiement prétendument non autorisées… » Cela renforce l’argument des consorts [E] selon lequel le délai de treize mois est un délai de notification et non un délai d’action, permettant ainsi à l’utilisateur de contester une opération sans être contraint d’intenter une action en justice dans ce même délai. Quelles sont les conséquences de la décision du juge sur la recevabilité de l’action des consorts [E] ?La décision du juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, déclarant recevable l’action des consorts [E]. Cette décision repose sur l’interprétation des articles L133-18 et L133-24 du code monétaire et financier, ainsi que sur les dispositions de la directive DSP 2. Le juge a considéré que le délai de treize mois ne constitue pas un délai d’action, mais un délai de notification, permettant ainsi aux consorts [E] de poursuivre leur demande de remboursement. En conséquence, la banque LCL est tenue de répondre aux demandes des consorts [E] concernant le remboursement des opérations non autorisées et la valeur de rachat du contrat de financement obsèques, ce qui pourrait avoir des implications financières significatives pour l’établissement bancaire. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies
délivrées le :
à
Me DEHALLE
Me MARTINET
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9ème chambre 2ème section
N° RG 23/09424 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2KUA
N° MINUTE : 5
Assignation du :
18 Juillet 2023
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 31 Janvier 2025
DEMANDERESSES
Madame [P] [V] [E], agissant en son nom propre et en sa qualité d’ayant droit de Madame [W] [K]
[Adresse 10]
[Localité 1] (ITALIE)
représentée par Maître Roxane DEHALLE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E2253 et Maître Davide PADULA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire E2253
Madame [H] [P] [E], agissant en son nom propre et en sa qualité d’ayant droit de Madame [W] [K]
[Adresse 10]
[Localité 1] (ITALIE)
représentée par Maître Roxane DEHALLE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E2253 et Maître Davide PADULA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire E2253
DEFENDERESSE
S.A.S. LCL
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Maître Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1329
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Augustin BOUJEKA, Vice-Président, juge de la mise en état,
assisté de Diane FARIN, Greffière.
DEBATS
A l’audience du 13 décembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 31 Janvier 2025.
ORDONNANCE
Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Madame [W] [K], veuve [E], née le [Date naissance 4] 1935, était titulaire d’un compte de dépôt ouvert dans les livres du Crédit Lyonnais (ci-après la banque LCL) et avait souscrit auprès de cet établissement bancaire un contrat « Financement obsèques ».
Du 12 novembre 2020 au 21 décembre 2020, Madame [K] a été hospitalisée à Paris et à partir du 21 décembre 2020, a été admise dans un centre de réadaptation gériatrique à [Localité 7].
Selon procès-verbal dressé le 10 mars 2021, Madame [K] a déposé plainte auprès du commissariat du [Localité 3] pour utilisation frauduleuse de sa carte bancaire, au cours de la période courant du 11 décembre 2020 au 27 janvier 2021, invoquant un préjudice de 15.323 euros.
Ces paiements frauduleux ont été contestés le 20 mai 2021 par Madame [K], la banque LCL ayant rejeté la demande de remboursement afférente à cette contestation le 4 juin suivant en invoquant une négligence grave de sa cliente.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2022, Madame [K] a sollicité le rachat de son contrat « Financement obsèques » auprès de la banque LCL.
Le 2 août suivant, Madame [K] a de nouveau sollicité auprès du Crédit Lyonnais le remboursement des sommes frauduleusement détournées par utilisation illicite de sa carte, pour un montant de 15.323 euros (à parfaire), ainsi que des informations sur les suites données à la demande de rachat de son contrat « Financement obsèques ».
Le [Date décès 5] 2022, [W] [K] est décédée, laissant pour lui succéder ses deux filles [P] [V] [E] et [H] [P] [E] (ci-après les consorts [E]).
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 novembre 2022, le conseil des consorts [E] a mis en demeure la banque LCL de rembourser, sans délai, la somme de 17.063,50 euros représentant les sommes frauduleusement détournées au détriment d’[W] [K], ainsi que la valeur de rachat du contrat « Financement obsèques ».
C’est dans ce contexte que par acte du 18 juillet 2023, les consorts [E] ont fait assigner la banque LCL pour demander à ce tribunal, au visa des articles L133-18 et L133-19 du code monétaire et financier, 1231-1 et 1240 du code civil, L132-21 du code des assurances, de :
« Sur le remboursement des opérations non autorisées :
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E], en leur qualité d’ayant droit de Madame [W] [K] la somme 13.170,50€ en principal,
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E], en leur qualité d’ayant droit de Madame [W] [K] la somme 5.561,06€ au titre des intérêts au taux légal majoré, conformément à l’article L133-18 du CMF, arrêté au 27.05.2023 et à parfaire à réception des fonds
Sur le versement de la valeur de rachat du contrat de financement obsèques :
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E], en leur qualité d’ayant droit de Madame [W] [K] la somme 2.935,91€ en principal
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E], en leur qualité d’ayant droit de Madame [W] [K] la somme 176,71€ au titre des intérêts au taux légal majoré, conformément à l’article L132-21du CMF, arrêtés au 23 mai 2023 soit 176,71€ et à parfaire à réception des fonds
Sur le préjudice moral :
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E] la somme de 1.000€ chacun en réparation du préjudice moral qu’elles ont subi,
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
• CONDAMNER le CREDIT LYONNAIS à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E] la somme de 1.800€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens. »
La clôture intervenue le 22 mars 2024, par ordonnance du juge de la mise en état, a été révoquée le 7 juin 2024.
Par conclusions d’incident signifiées le 19 septembre 2024, réitérées en dernier lieu le 11 décembre 2024, la banque LCL demande au juge de la mise en état près ce tribunal de :
Prononcer la forclusion de la demande tendant au remboursement des opérations ;
Condamner Mmes [P] et [H] [E] au paiement, au profit du Crédit Lyonnais, d’une indemnité de 2.000 € chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions en réponse d’incident signifiées le 24 octobre 2024, les consorts [E] demandent au juge de la mise en état près ce tribunal, au visa de l’article L133-24 alinéa 1er du code monétaire et financier, de :
• Rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par Le Crédit Lyonnais,
• Condamner le Crédit Lyonnais à payer à Madame [P] [E] et Madame [H] [E] la somme de 2.000€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens,
• Renvoyer l’affaire à une prochaine audience de mise en état, à tout le moins afin de statuer sur la demande de condamnation du Crédit Lyonnais au versement de la valeur de rachat du contrat de financement obsèques.
L’affaire a été appelée à l’audience du 13 décembre 2024 et mise en délibéré au 31 janvier 2025.
Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la forclusion
A l’appui de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion qu’elle oppose aux demandes des consorts [E], la banque LCL se prévaut des dispositions de l’article L.133-24 du code monétaire et financier et de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 2 septembre 2021 (C-337/20, pt 35), ainsi que d’un arrêt de la cour d’appel de [Localité 8] du 21 mars 2024, notamment, pour dire que l’acte introductif de la présente instance étant en date du 18 juillet 2023 alors que les opérations de paiement litigieuses ont été effectuées entre le 10 décembre 2020 et le 23 février 2021, l’écart de plus de deux ans existant entre celles-ci et celui-là absorbe et dépasse le délai de treize mois prévu dans le texte précité. Elle affirme que le délai de forclusion querellé représente un cadre temporel précis, garant de la sécurité juridique qui ne saurait, sans aller à l’encontre des objectifs du mécanisme, permettre de retenir, comme l’affirment les consorts [E], qu’une simple notification de l’opération contestée, prenant n’importe quelle forme, suffise à interrompre ledit délai. Elle rappelle qu’un délai de forclusion est préfixe et étroitement lié à l’action. Elle estime que raisonner autrement nuirait en outre à l’intelligibilité des autres mécanismes de forclusion. Elle souligne que le délai de forclusion n’est susceptible ni de suspension, ni d’interruption, son régime étant de surcroît étranger à celui de la prescription, la seule manière d’en arrêter le cours consistant à introduire l’action, ce que n’ont pas fait les consorts [E] avec ponctualité, de telle sorte que leurs demandes doivent être déclarées irrecevables.
En réplique, les consorts [E] concluent au rejet de la fin de non-recevoir opposée par la banque LCL. Elles font valoir, à cet effet, que l’arrêt de la CJUE du 2 septembre 2021 dont se prévaut la banque LCL est étrangère aux présents débats en ce qu’il statue sur la nature de la responsabilité alors contestée. Elles estiment, de plus fort, que cette décision ne peut fonder une fin de non-recevoir qui, au regard de l’article 58 de la directive DSP 1, décide que le délai de treize mois querellé impose à l’utilisateur de carte de paiement, victime d’un paiement non-autorisé, de signaler, alerter, informer le prestataire de services de paiement de ce fait afin d’obtenir remboursement du montant du paiement, sans imposer à cet utilisateur d’assigner le prestataire en justice pour obtenir ce remboursement. Elles soulignent, plus encore et surtout, que l’argument de la LCL est contraire à la lettre de l’article 71 de la directive DSP n°2015/366 du 25 novembre 2015 dite « DSP 2 », qui ne fait peser sur l’utilisateur qu’une simple information du prestataire de service de paiement sans lui imposer un délai d’action. A cet effet, elles invoquent notamment un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 mai 2024 (n°22-18.074), ainsi qu’un arrêt de la cour d’appel de [Localité 9] du 10 juillet 2024 (n°22/02145), estimant avoir contesté les opérations de paiement litigieuses dans le délai légal, de telle sorte que leur action est recevable.
Sur ce,
En application de l’article L.133-18 du code monétaire et financier, en cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l’opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l’opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s’il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l’utilisateur du service de paiement et s’il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu.
En outre, en application des dispositions de l’article L.133-24 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable, l’utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n’ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III.
Par ailleurs, il sera rappelé que ces textes sont issus de l’ordonnance n° 2017/1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur dite « DSP 2 ».
De plus, cette directive est, en application de son article 107, d’harmonisation totale, réserve faite des dérogations limitativement énumérées dans les dispositions de cet article 107.
De surcroît, le considérant 70 de cette directive DSP 2 énonce « Afin de réduire les risques et les conséquences des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, l’utilisateur de services de paiement devrait informer dès que possible le prestataire de services de paiement de toute contestation relative à des opérations de paiement prétendument non autorisées ou mal exécutées, à condition que le prestataire de services de paiement ait rempli ses obligations d’information au titre de la présente directive. Si l’utilisateur de services de paiement respecte le délai de notification, il devrait pouvoir faire valoir ces revendications sous réserve des délais nationaux de prescription. Les autres litiges entre utilisateurs et prestataires de services de paiement ne devraient pas être affectés par la présente directive. »
Au cas particulier, la banque LCL soutient que le délai de forclusion de 13 mois prévu par le second de ces textes enferme nécessairement celui de saisine d’un tribunal par un utilisateur sollicitant du prestataire le remboursement du montant d’un paiement non autorisé.
A cet effet, elle se prévaut de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu le 2 septembre 2021 (C-337/20, point 35) ainsi que d’un arrêt de la cour d’appel de [Localité 8] rendu le 21 mars 2024 (RG 2023/02376).
Cependant, l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 27 septembre 2021, cité par cet établissement, loin de se prononcer sur le point de savoir si le délai de forclusion querellé enferme celui de saisine d’un tribunal national en contestation d’un paiement non autorisé, outre qu’elle se prononce sur une disposition issue de la directive DSP 1 alors que le présent litige est régi par la directive DSP 2, tranche la question de la responsabilité du prestataire de services de paiement, laquelle relève du fond du litige, par définition étrangère au présent incident.
Certes, l’arrêt de la cour d’appel de [Localité 8] mentionné plus avant retient que le délai de forclusion de l’article L.133-24 du code monétaire et financier, constitue une règle spéciale venant déroger au régime de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, son épuisement devant alors éteindre le droit d’action de l’utilisateur de services de paiement sollicitant le remboursement de la somme afférente à un paiement non autorisé.
Sur ce dernier point, il sera rappelé que le délai de treize mois prévu à l’article L.133-24 du code monétaire et financier a été introduit dans ce dernier code, en première mouture, par l’article 1er de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 « relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement ».
Cette ordonnance porte notamment transposition de la directive n°2007/64/CE du 13 novembre 2007 « concernant les services de paiement dans le marché intérieur » dite « Directive DSP 1 ».
Le rapport présenté au Président de la République sur cette ordonnance précise en page 3 : « L’article 1er définit également la responsabilité des prestataires de services de paiement en cas de mauvaise exécution d’un ordre de paiement et précise les modalités pratiques et les délais à respecter en cas d’opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées ».
Ce rapport précise en outre que l’article 1er de l’ordonnance « allonge à treize mois le délai durant lequel une opération non autorisée ou mal exécutée peut être signalée par l’utilisateur ».
Si ce rapport ne fait aucune référence au délai de forclusion, en revanche, il indique que le délai de treize mois est imposé à l’utilisateur pour procéder au « signalement » de l’opération non autorisée.
Par ailleurs, il sera également relevé que le considérant n° 31 de la directive DSP 1 expose : « afin de réduire les risques et les conséquences des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées, l’utilisateur de services de paiement devrait notifier dès que possible au prestataire de services de paiement toute contestation relative à des opérations de paiement prétendument non autorisées ou mal exécutées, à condition que le prestataire de services de paiement ait rempli ses obligations d’information en vertu de la présente directive. Si l’utilisateur de services de paiement respecte le délai de notification, il devrait pouvoir faire valoir sa revendication dans la limite des délais de prescription conforme au droit national. »
Le considérant n°70 de la directive DSP 2, cité plus avant, reprend significativement le même motif.
Il sera relevé que si l’un et l’autre de ces considérants font référence aux délais de prescription prévus en droit national, il n’y figure aucune mention relative à la forclusion.
Plus encore, l’article 58 de la directive DSP 1 présente le délai de treize mois comme un « délai de notification », l’article 71 de la directive DSP 2 agissant de même, l’utilisateur étant tenu de notifier sa contestation d’un paiement non autorisé dans ce laps de temps avant d’obtenir, selon la terminologie des deux directives, la « correction » de l’opération.
Par ailleurs, le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement est énoncé respectivement à l’article 60 de la directive DSP 1 et à l’article 73 DSP 2.
En droit français, les dispositions de l’article 58 de la directive DSP 1 et de l’article 71 de la directive DSP 2 ont été transposées à l’article L.133-18 du code monétaire et financier alors que celles de l’article 60 de la directive DSP 1 et de l’article 73 DSP 2 ont été transposées à l’article L.133-24 du code monétaire et financier.
Il doit en outre être relevé que le régime de responsabilité de l’article L.133-24 tient compte de la contestation, dans le délai de treize mois, formulée par l’utilisateur de services de paiement, le défaut de diligence de l’utilisateur devant, d’une manière ou d’une autre, limiter la responsabilité du prestataire.
Ceci étant dit, aucune disposition contenue dans la directive DSP 2 et de l’ordonnance du 9 août 2017 la transposant en droit français ne prévoit que ce délai de treize mois impose à l’utilisateur d’un service de paiement contestant un paiement qu’il a effectué, en vain auprès du prestataire, de saisir un tribunal aux fins du règlement du litige afférent et ce dans le même délai de treize mois.
Si le délai de treize mois prévu à l’article L.133-24 du code monétaire et financier devait être interprété comme imposant un délai d’action à l’utilisateur de services de paiement qui, après l’écoulement de ce délai, devait être considéré comme forclos, cela signifierait que pareil utilisateur devrait non seulement notifier au prestataire la contestation de l’opération, mais plus encore introduire une action en justice contre ce prestataire en cas de refus explicite ou implicite du prestataire avant l’écoulement dudit délai.
Pareille action en justice devrait en effet impérativement s’imposer à l’utilisateur dans la mesure où le délai de forclusion, qui peut être interrompu par l’action en justice, ne peut être suspendu, en application des dispositions de l’article 2220 du code civil.
Ainsi, dans l’hypothèse d’une conciliation ou d’une médiation engagée entre l’utilisateur d’un service de paiement et le prestataire, dans le contexte des dispositions des articles L.133-18 et L.133-24 du code monétaire et financier, le délai de treize mois devrait être considéré comme intangible dès lors qu’entendu comme de forclusion, il ne pourrait faire l’objet d’une suspension, en application des dispositions de l’article 2238 du code civil lues en combinaison avec celles de l’article 2220 du même code.
Cependant, si les dispositions de l’article 71 de la directive DSP 2 avaient entendu faire du délai de treize mois un délai d’action en justice et non pas seulement un délai de notification de la contestation d’un paiement non autorisé, elles l’auraient clairement indiqué.
Pour autant et encore que cette dernière directive soit d’harmonisation totale en vertu de son article 107, il est permis aux Etats membres, en application du principe de l’autonomie procédurale, de tirer les conséquences procédurales du délai de treize mois prévu à l’article 71 de la même directive.
C’est en vertu de ce principe d’autonomie procédurale que l’article L.133-24 du code monétaire et financier sanctionne par la forclusion le défaut de contestation d’une opération non autorisée, dans ce délai de treize mois.
Or considérer ce délai de treize mois comme enfermant le droit d’agir de l’utilisateur contestant vainement un paiement non autorisé, priverait d’effet utile les dispositions de l’article 71 de la directive DSP 2, en contraignant l’utilisateur se prévalant d’un paiement non autorisé à devoir systématiquement faire assigner le prestataire en justice pour obtenir remboursement dans une démarche dont la conformité aux objectifs de la directive DSP 2 ne va pas de soi.
En réalité, le délai de treize mois prévu par ce dernier texte, transposé en droit français par l’article L.133-24, s’analyse en un délai de contestation contraignant l’utilisateur, arguant d’un paiement non autorisé, à solliciter le remboursement de ce paiement, après l’écoulement duquel cet utilisateur n’est plus recevable à agir contre le prestataire s’il s’est abstenu de procéder à cette contestation.
A titre surabondant, il sera relevé que dans l’hypothèse inverse d’un paiement autorisé par l’utilisateur mais contesté ultérieurement en raison d’une fraude liée à l’opération économique sous-jacente, l’utilisateur bénéficie du délai de prescription quinquennal prévu à l’article 2224 du code civil en matière d’action mobilière.
Dès lors, retenir que le délai de treize mois prévu à l’article L.133-24 du code monétaire et financier est un délai d’action reviendrait à traiter moins favorablement la victime d’un paiement non autorisé que l’utilisateur ayant effectué un paiement autorisé mais recherchant la responsabilité du prestataire pour un motif étranger au mécanisme de paiement.
Par suite, c’est à tort que la banque LCL allègue la forclusion de treize mois prévue à l’article L.133-24 et la fin de non-recevoir dont elle se prévaut doit être rejetée.
En conséquence, l’affaire est renvoyée à l’audience de mise en état de la 2ème section de la 9ème chambre de ce tribunal du vendredi 11 avril 2025 à 9h30, la banque LCL devant avoir signifié des conclusions au fond avant cette date.
Sur les demandes annexes
Succombant à l’incident, la banque LCL sera condamnée à verser à Madame [P] [V] [E] et Madame [H] [P] [E], prises ensemble, la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens sont réservés.
Nous, Augustin Boujeka, juge de la mise en état, statuant publiquement par ordonnance contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la forclusion ;
DÉCLARONS recevable l’action de Madame [P] [V] [E] et de Madame [H] [P] [E] ;
RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état de la 2ème section de la 9ème chambre de ce tribunal du vendredi 11 avril 2025 à 9h30, Le Crédit Lyonnais devant avoir signifié des conclusions au fond avant cette date ;
CONDAMNONS Le Crédit Lyonnais à verser à Madame [P] [V] [E] et [H] [P] [E], prises ensemble, la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
RÉSERVONS les dépens.
Faite et rendue à Paris le 31 Janvier 2025
LA GREFFIÈRE LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
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