L’Essentiel : En 2006 et 2007, la SARL Protect’Toitures a rénové la toiture de la société Avrillon, utilisant un produit de la société Henkel. En 2013, des fuites et une usure anormale ont conduit Avrillon à saisir le tribunal, qui a ordonné une expertise révélant une responsabilité partagée. L’assureur L’Auxiliaire a refusé de garantir Protect’Toitures, entraînant une contestation devant le tribunal de grande instance. Ce dernier a débouté Protect’Toitures, mais en appel, la cour a infirmé cette décision, condamnant L’Auxiliaire à verser 26’000 € à Protect’Toitures, rétablissant ainsi ses droits face à son assureur.
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Contexte de l’affaireEn 2006 et 2007, la SARL Protect’Toitures a effectué des travaux de rénovation de toiture pour la société Avrillon, utilisant un produit étancheur fourni par la société Henkel. Les travaux ont concerné une surface totale de 3’120 mètres carrés, incluant des bureaux et un atelier. Réclamations et expertise judiciaireLa société Avrillon a signalé des fuites en toiture et, en 2013, une usure anormale du produit étancheur. Elle a alors saisi le tribunal de commerce d’Annecy, qui a ordonné une expertise judiciaire. Le rapport d’expertise a révélé un partage de responsabilité entre Avrillon, Protect’Toitures et Henkel, estimant le coût des réparations à 153’000 €. Refus de garantie de l’assureurLa société d’assurance L’Auxiliaire a refusé de garantir Protect’Toitures, arguant que les désordres n’étaient pas de nature décennale et que la police d’assurance avait été résiliée en 2007. Ce refus a été contesté par Protect’Toitures, qui a assigné L’Auxiliaire devant le tribunal de grande instance de Lyon. Jugement du tribunal de grande instanceLe tribunal a déclaré irrecevables certaines conclusions de L’Auxiliaire, a débouté Protect’Toitures de ses demandes et a condamné cette dernière à payer 1’000 € à L’Auxiliaire au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Le tribunal a estimé que Protect’Toitures n’avait pas prouvé un manquement contractuel de son assureur. Appel de Protect’ToituresProtect’Toitures a interjeté appel de cette décision, demandant la réformation du jugement et la reconnaissance de la responsabilité de L’Auxiliaire pour le refus de garantie. Elle a soutenu que les désordres relevaient de la garantie souscrite et que le refus de L’Auxiliaire n’était pas justifié. Arguments de L’Auxiliaire en appelL’Auxiliaire a demandé la confirmation du jugement de première instance, invoquant la prescription de l’action de Protect’Toitures et l’inopposabilité du protocole d’accord signé entre Protect’Toitures et Avrillon. Elle a également contesté la nature décennale des désordres. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par L’Auxiliaire concernant la prescription, déclarant Protect’Toitures recevable dans ses demandes. Elle a infirmé le jugement de première instance, condamnant L’Auxiliaire à verser 26’000 € à Protect’Toitures au titre de la garantie responsabilité décennale. Conséquences financièresEn plus de la somme de 26’000 €, L’Auxiliaire a été condamnée à payer 3’000 € à Protect’Toitures pour les frais irrépétibles, ainsi qu’à supporter les dépens de première instance et d’appel. La cour a ainsi rétabli les droits de Protect’Toitures face à son assureur. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de la garantie applicable dans le cadre des travaux réalisés par la SARL Protect’Toitures ?La SARL Protect’Toitures a souscrit une police d’assurance « Pyramide Artisans du Bâtiment » auprès de la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, garantissant sa responsabilité décennale. Selon l’article 1792 du Code civil, « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. » Cette garantie décennale ne s’applique que si une réception a eu lieu. En l’absence de réception formalisée, la réception tacite peut être présumée en cas de paiement intégral des travaux et de prise de possession par le maître de l’ouvrage. Dans cette affaire, la cour a établi que la réception tacite de l’ouvrage était présumée être intervenue le 18 avril 2007, date à laquelle la société Avrillon a pris possession des lieux et a acquitté l’intégralité des factures. Quelles sont les conséquences du refus de garantie opposé par l’assureur ?La société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire a opposé un refus de garantie à la SARL Protect’Toitures, arguant que les désordres constatés n’étaient pas de nature décennale et que la police avait été résiliée. L’article L.242-1 du Code des assurances précise que « l’assureur est tenu de garantir l’assuré contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qu’il peut encourir du fait des dommages causés à des tiers. » Cependant, le tribunal a retenu que le refus de garantie de l’assureur n’était pas justifié, car les désordres constatés par l’expert judiciaire étaient de nature décennale. La cour a également noté que la société Protect’Toitures avait engagé son action en garantie contre l’assureur dans le délai imparti, ce qui a permis de valider ses demandes. Comment la prescription des actions en matière d’assurance est-elle régie par le Code des assurances ?La société d’assurance L’Auxiliaire a soulevé la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances, qui stipule que « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. » Le cinquième alinéa de cet article précise que « quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier. » Dans cette affaire, la cour a retenu que la société Protect’Toitures avait indemnisé la société Avrillon le 24 février 2017, ce qui a constitué le point de départ du délai de prescription. L’assignation délivrée le 21 janvier 2019 était donc dans les délais, et la fin de non-recevoir soulevée par l’assureur a été rejetée. Quelles sont les implications de la réception tacite des travaux sur la responsabilité décennale ?La réception tacite des travaux a des implications significatives sur la responsabilité décennale. Selon l’article 1792 du Code civil, la responsabilité décennale ne s’applique que si une réception a eu lieu. En l’absence de réception formalisée, la réception tacite peut être présumée, notamment lorsque le maître de l’ouvrage a pris possession des lieux et a payé l’intégralité des travaux. Dans cette affaire, la cour a constaté que la société Protect’Toitures avait produit des preuves suffisantes pour établir que la réception tacite avait eu lieu le 18 avril 2007. Les désordres étant apparus après cette date, la société Protect’Toitures a pu engager sa responsabilité décennale, ce qui a conduit à la condamnation de l’assureur à verser une indemnité au titre de la garantie décennale. |
Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Lyon
au fond du 03 mars 2022
RG : 19/00997
S.A.R.L PROTECT’TOITURES
C/
Compagnie d’assurance AUXILIAIRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 08 Janvier 2025
APPELANTE :
La société PROTECT’TOITURES, société à responsabilité limitée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CHAMBERY sous le numéro 493 476 998, dont le siège social est situé [Adresse 3], représentée par son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Xavier LADRET, avocat au barreau de LYON, toque : 922
Ayant pour avocat plaidant Me Florent FRANCINA, avocat au barreau de THONON LES BAINS
INTIMÉE :
La Mutuelle L’AUXILIAIRE, société d’assurance mutuelle inscrite au SIREN sous le n° 775 649 056 dont le siège social est sis [Adresse 1], prise en la personne de son Représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, toque : 1983
Ayant pour avocat plaidant la SELARL TRAVERSO-TREQUATTRINI & Associés, Avocat plaidant au Barreau d’ANNECY
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Date de clôture de l’instruction : 14 Octobre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Novembre 2024
Date de mise à disposition : 08 Janvier 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Bénédicte BOISSELET, président
– Véronique DRAHI, conseiller
– Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Courant 2006 et 2007, la SARL Protect’Toitures, assurée auprès de la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, a réalisé des travaux de rénovation de la toiture des locaux industriels de la société Avrillon situés à [Localité 2] consistant notamment en l’application d’un produit étancheur et protecteur fourni par la société Henkel sur une surface de 292 mètres carrés correspondant à la partie bureaux et sur une surface de 2’828 mètres carrés correspondant à la partie atelier.
Se plaignant de fuites en toiture, puis, en 2013, d’une usure anormale du produit étancheur, la société Avrillon a saisi la formation de référé du tribunal de commerce d’Annecy et, par ordonnance du 9 avril 2014 rendue au contradictoire de la société Henkel et de son assureur, appelés en cause par le couvreur, une mesure d’expertise judiciaire a été confiée à M. [I] [W].
Pendant le cours des opérations d’expertise et par courrier du 23 juin 2014, la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire a opposé à la société Protect’Toitures un refus de garantie au motif que les désordres n’étaient pas de nature décennale et que la garantie facultative n’était pas applicable dans la mesure où la police avait été résiliée le 31 décembre 2007.
Sur la base du rapport d’expertise [W] déposé le 30 septembre 2014 qui conclut en un partage de l’imputabilité des désordres entre les sociétés Avrillon, Protect’Toitures et Henkel et qui estime le coût de reprise de ces désordres à 153’000 €, un protocole d’accord a été signé le 21 juillet 2016 aux termes duquel le maître de l’ouvrage a été indemnisé à hauteur de 24’750 € par le fournisseur du produit étancheur et à hauteur de 26’000 € par le couvreur.
Par exploit du 21 janvier 2019, la SARL Protect’Toitures a fait assigner la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire devant le tribunal de grande instance de Lyon et, par jugement rendu le 3 mars 2022, le Tribunal Judiciaire de Lyon a’:
Déclaré irrecevables les conclusions n°2 déposées par la compagnie L’Auxiliaire après l’ordonnance de clôture,
Débouté la société Protect’Toitures de ses demandes,
Condamné la société Toitures à payer à la compagnie L’Auxiliaire la somme de 1’000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société Protect’Toitures aux dépens, distraits au profit de la société d’avocat Levy Roche Sarda, avocat, sur son affirmation de droit.
Le tribunal a retenu en substance’:
Que la société Protect’Toitures, qui a indemnisé la société Avrillon en exécution d’un protocole d’accord transactionnel, n’a pas exercé contre son assureur de recours en paiement de la garantie qu’elle estimait lui être due en exécution de la police d’assurance mais qu’elle recherche la responsabilité contractuelle de son assureur pour refus de garantie injustifié’; qu’or, la demanderesse n’invoque aucun manquement contractuel de son assureur’; que ce dernier a pris en compte sa déclaration de sinistre et a opposé un refus de garantie motivé et qu’une éventuelle erreur dans l’appréciation de ces motifs ne constitue pas une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle’:
Qu’il ne peut être reproché à l’assureur de ne pas avoir respecté les dispositions de l’article L.242-1 du Code des assurances qui s’appliquent exclusivement à l’assurance dommages-ouvrage.
Par déclaration en date du 15 mai 2022, la SARL Protect’Toitures a relevé appel de cette décision en tous ses chefs, à l’exception de celui ayant déclaré irrecevables les conclusions adverses.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 12 février 2023 (conclusions d’appelant n°2), la SARL Protect’Toitures demande à la cour’:
Vu l’article L.241-1 du Code des assurances, ensemble les articles 1792 et 1792-2 du Code civil,
Vu l’article 1147 du Code civil, dans sa version applicable aux faits de l’espèce,
Réformer le jugement rendu le 3 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon en ce qu’il a :
Débouté la société Protect’Toitures de l’ensemble de ses demandes,
Condamné la société Protect’Toitures au paiement de la somme de 1’000 € au titre des dispositions de l’article 700 du CPC,
Condamné la société Protect’Toitures aux dépens.
Statuant à nouveau,
Dire la société Protect’Toitures recevable et bien-fondée,
Débouter la mutuelle d’assurances L’Auxiliaire de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Dire que les désordres constatés par M. l’Expert relèvent bien de la garantie souscrite par la Société Protect’Toitures auprès de la Compagnie L’Auxiliaire,
Dire que le refus de garantie de la Compagnie L’Auxiliaire au titre de ce sinistre n’est pas justifié,
En conséquence,
Condamner la mutuelle d’assurances L’Auxiliaire à verser la somme de 26’000,00 € à la Société Protect’Toitures,
Condamner la mutuelle d’assurances L’Auxiliaire à verser la somme de 3’000,00 € à la Société Protect’Toitures au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la même aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Xavier Ladret, avocat au Barreau de Lyon, sur son affirmation de droits,
Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
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Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 10 mars 2023 (conclusions d’intimée n°2), la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire demande à la cour’:
Vu les dispositions des articles L.114-1 et suivants du Code des assurances,
Vu les dispositions de l’article 1147 (ancien) du Code civil,
Vu les dispositions de l’article 1792 et suivants du Code civil,
Vu les dispositions de l’article L.242-1 du Code des assurances,
Vu l’article L.124-2 du Code des assurances,
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Lyon le 3 mars 2022 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il :
« Déboute la société Protect’Toitures de ses demandes,
Condamner la société Protect’Toitures à payer à la compagnie L’Auxiliaire la somme de 1000 € titre de l’article 700 du code de procédure civile »,
En tant que de besoin et statuant à nouveau :
Déclarer prescrite l’action diligentée par la SARL Protect’Toitures à l’encontre de la Mutuelle L’Auxiliaire,
Débouter la SARL Protect’Toitures de l’ensemble de ses demandes aux fins et prétentions à l’encontre de la Mutuelle L’Auxiliaire,
A titre subsidiaire,
Déclarer inopposable à la mutuelle L’Auxiliaire le protocole d’accord régularisé le 26 juillet 2016 entre la société Avrillon, la société Henkel France et la société Protect’Toitures et ainsi intervenu en dehors de sa présence,
A titre infiniment subsidiaire,
Constater que les garanties souscrites auprès de la Mutuelle L’Auxiliaire ne sont pas mobilisables,
En tout état de cause :
Débouter la SARL Protect’Toitures de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la Mutuelle L’Auxiliaire,
Condamner la SARL Protect’Toitures à payer à la Mutuelle L’Auxiliaire une somme de 5’000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile,
Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la SCP Ligier de Mauroy & Ligier en application des dispositions de l’article 699 du Code de Procédure civile.
***
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l’appui de leurs prétentions.
A titre liminaire, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à voir la cour «’constater’» ou «’dire et juger’» lorsqu’elles ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
La cour rappelle qu’en application de l’article 954 du Code de procédure civile, elle ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties et qu’elle ne peut de ce fait se prononcer sur des prétentions qui n’y seraient pas intégrées.
Sur la prescription de l’action de la société Protect’Toitures’:
La société d’assurances mutuelle L’Auxiliaire oppose, à titre principal, aux demandes de la société Protect’Toitures la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances. Elle fait valoir qu’au terme de la transaction du 21 juillet 2016, l’indemnisation de 26’000 € a été versée dans les 10 jours de la signature de l’acte, soit au plus tard le 31 juillet 2016. Elle en conclut que l’assignation délivrée le 21 janvier 2019 et tardive. Elle conteste que la société Protect’Toiture ait été indemnisée en avril 2017 comme le prétend. Elle ajoute que les conditions générales de la police rappellent expressément les règles applicables à la prescription des actions dérivant d’un contrat d’assurance.
La société Protect’Toitures conteste la prescription soulevée par la société l’auxiliaire en affirmant que la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances ne lui est pas opposable en application de l’article R.112-1 tel qu’interprété par la Cour de cassation, imposant de rappeler dans la police les causes d’interruption de la prescription, les différents points de départ de ce délai et plus généralement toutes informations utiles de manière claire et apparente.
À titre subsidiaire sur ce point, elle conteste l’acquisition de la prescription puisque le point de départ de celle-ci est, en application de l’article L.114-1, la date à laquelle l’assuré a indemnisé le tiers lésé et elle justifie avoir indemnisé la société Avrillon le 24 février 2017, soit moins de deux ans avant son assignation du 21 janvier 2019. Elle ajoute en tout état de cause que le moyen tiré de la prescription n’avait pas été soulevé en première instance et qu’il ne peut être invoqué en cause d’appel en application des articles 560 et suivant du Code de procédure civile.
Sur ce,
L’article L.114-1 du Code des assurances énonce que toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance.
Le cinquième alinéa de ce texte précise’: «’Quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier.’».
En l’espèce, si le protocole d’accord transactionnel signé le 21 juillet 2016 prévoyait que la société Protect’Toiture devait, pour l’indemnisation de la société Avrillon, transmettre un chèque de 26’000 € au conseil de cette dernière société dans les 10 jours de la signature du protocole d’accord, il était également précisé que ce chèque ne serait encaissé auprès de la CARPA qu’après communication aux parties du jugement du tribunal de commerce d’Annecy constatant que la société Avrillon se désistait d’instance et d’action et que les autres parties acceptaient ce désistement. Il est dès lors indifférent que le délai de 10 jours expirait le 31 juillet 2016 puisque la société appelante justifie que le conseil de la société Avrillon a informé ses confrères, par un courrier officiel du 24 février 2017, qu’il déposait au greffe ses conclusions de désistement et qu’il remettait à la société Avrillon les chèques précédemment reçus, dont celui de 26’000 €.
Il est ainsi suffisamment établi que la société Avrillon a été effectivement indemnisée par la société appelante, au sens du cinquième alinéa de l’article L.114-1 précité, postérieurement au 24 février 2017, cette date constituant ainsi le point de départ le plus ancien possible du délai biennal de prescription.
La société Protect’Toiture ayant engagé son action en garantie contre l’assureur le 21 janvier 2019, elle a valablement interrompu le délai biennal de prescription, sans qu’il ne soit nécessaire de statuer sur l’opposabilité de cette prescription pour non-respect de l’article R.112-1 tel qu’interprété par la Cour de cassation.
La fin de non-recevoir soulevée par la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire tirée de la prescription de l’action engagée à son encontre, recevable en ce qu’elle tend à faire écarter les prétentions adverses au sens de l’article 564 du Code de procédure civile, est en conséquence rejetée, et la cour déclare en conséquence la société Protect’Toiture recevable en ses demandes.
Sur la demande de garantie de l’assureur’:
La société Protect’Toiture sollicite, à titre principal, la mobilisation de la garantie responsabilité décennale de la société l’auxiliaire au titre du chantier ouvert en 2006 et 2007 et qui a fait l’objet d’une déclaration de sinistre en 2013. Elle rappelle que l’assureur, qui a ouvert un dossier après sa déclaration de sinistre, avait mandaté la société Elex pour assister aux opérations de l’expertise judiciaire. Elle invoque une réception tacite des travaux dès lors que la société Avrillon a pris possession des lieux en avril 2007 et a acquitté l’intégralité des factures. Elle affirme que s’il résulte du rapport d’expertise de la société Elex que les désordres ne seraient pas de nature décennale, cette position a été arrêtée avant que l’expert judiciaire n’ait finalisé ses opérations. Or, elle prétend que la nature décennale a été retenue par l’expert [W] qui a constaté des infiltrations et des fissures des plaques de tôles constituant la toiture.
La société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire invoque d’abord l’inopposabilité de la transaction qui est intervenue hors de sa présence. Elle cite des décisions de jurisprudence ayant validé les clauses insérées dans les conditions générales d’un contrat d’assurance rappelant cette règle.
À titre infiniment subsidiaire, elle rappelle que le contrat d’assurance a été résilié le 31 décembre 2007 et elle affirme qu’aucune des garanties souscrites n’est mobilisable.
Concernant la garantie «’responsabilité décennale’», elle considère en effet que la société appelante ne rapporte la preuve, ni d’une réception, ni de désordres de nature décennale. Elle rappelle que les travaux ont été réalisés sans le suivi d’un maître d »uvre de sorte qu’il est impossible d’établir les modalités de réception. Elle conteste la portée que son adversaire donne à son courrier du 23 juin 2014, se défendant avoir reconnu la mobilisation d’une garantie décennale.
Elle affirme qu’à la lecture du protocole transactionnel signé par les parties, seule la responsabilité contractuelle de la société Protect’Toiture a été retenue. Elle fait valoir que la réception tacite ne peut être admise qu’en présence du maître d’ouvrage et elle considère que la société appelante ne rapporte pas la preuve de la volonté non équivoque de ce dernier de recevoir l’ouvrage. Au demeurant, elle relève que l’appelante ne précise pas à quelle date serait intervenue la réception. Elle affirme que l’expert [W] ne considère pas que les désordres rendent le bâtiment impropre à sa destination mais qu’il retient qu’ils résultent d’un défaut de conseil de la part de la société appelante et de la société Henkel. Elle en conclut que seule la responsabilité contractuelle de son assuré peut être recherchée.
Elle conteste la mobilisation de sa garantie «’responsabilité civile hors construction’» qui ne garantit pas le paiement des dommages causés aux tiers en application de l’article 1 des conditions générales applicables.
Elle conteste également la mobilisation de sa garantie «’assurance de dommages’» en l’état de la rédaction de l’article 14 des conditions générales.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.113-5 du Code des assurance, lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà.
Aux termes de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
La garantie décennale prévue par le texte précité ne s’applique que s’il y a eu réception.
En l’absence de réception contradictoire formalisée par les parties, la preuve d’une réception tacite peut être rapportée et elle est présumée en cas de paiement de l’intégralité des travaux et de prise de possession par le maître de l’ouvrage.
En l’espèce, les conditions générales de la police «’Pyramide Artisans du Bâtiment’» souscrite par la société Protect’Toiture contiennent une clause prévoyant l’inopposabilité de toute transaction intervenue hors la présence de l’assureur et cette clause est valide en application de l’article L.124-2 du Code des assurances. Toutefois, l’inopposabilité à la société L’Auxiliaire du protocole d’accord transactionnel signé le 21 juillet 2016 par son assuré avec le tiers lésé et la société Henkel est sans incidence sur la solution du litige puisque la société Protect’Toiture ne prétend pas que ce protocole d’accord constituerait la réalisation du risque. En effet, la société appelante entend rapporter la preuve de la réalisation du risque en produisant notamment le rapport d’expertise judiciaire dont l’assureur ne discute pas l’opposabilité.
Sous cette précision, il résulte d’abord du rapport d’expertise judiciaire que la peinture de revêtement de toiture appliquée par la société appelante, produit de marque Henkel suite au rachat de Rhodia Silicone, présente un vieillissement prématuré affectant la totalité de la couverture. L’expert a ensuite relevé des phénomènes localisés de cloquage des tôles avec efflorescence qui conduisent à la rupture de tôle par fissurations localisées générant des fuites d’eau aléatoires et il a souligné le caractère évolutif et la gravité de ce phénomène compte tenu de la désagrégation de la matière constitutive des tôles.
A l’état de ces constatations, la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire n’est manifestement pas fondée à discuter la gravité décennale des désordres affectant l’ouvrage réalisé par son assuré. En effet, le vieillissement prématuré du produit étancheur appliqué par la société Protect’Toiture rend la toiture rénovée fuyarde, et dès lors, impropre à sa destination. En outre, les phénomènes localisés de cloquage constatés compromettent la solidité de l’ouvrage par voie de désagrégation des tôles de la toiture.
Par ailleurs, il est constant que les travaux n’ont pas fait l’objet d’un procès-verbal de réception signé par la société Protect’Toiture et la société Avrillon et l’expert judiciaire a pu indiquer qu’en l’absence de maîtrise d »uvre impliqué pour le suivi du chantier, il ne disposait pas d’informations sur les modalités de la réception. Pour autant, la cour relève que la société appelante verse d’abord aux débats les deux factures se rapportant à ses prestations de rénovation des toitures émises les 25 septembre 2006 et 18 avril 2007. Comme indiqué dans le rapport d’expertise du cabinet Elex mandaté par la société L’Auxiliaire, ces dates correspondent aux dates auxquelles les travaux de rénovation de la partie bureau et de la partie atelier ont été respectivement finalisés.
La société appelante produit ensuite les quatre télécopies que le maître de l’ouvrage lui a adressées les 5 juillet 2007, 7 janvier 2008, 30 octobre 2008 et 1er décembre 2009 pour lui signaler l’apparition de désordres liés à des fuites d’eau. Ces télécopies sont exemptes de tout indice de refus de la part de la société Avrillon de prendre possession de l’ouvrage. En effet et contrairement à l’analyse faite par la société intimée, il s’infert de ces télécopies, comme d’ailleurs des termes de l’assignation en référé-expertise délivrée le 29 janvier 2014, soit près de 6 années après la fin des travaux, une acceptation de l’ouvrage, sauf à dénoncer l’apparition de désordres et à solliciter la recherche de mesures réparatoires. Enfin, si les factures émises les 25 septembre 2006 et 18 avril 2007 par la société Protect’Toitures n’avaient pas été acquittées dans l’intervalle, cette circonstance serait nécessairement mentionnée notamment dans les écritures respectives des parties au stade de l’instance en référé, ce qui n’est pas le cas. De même, la cour relève l’absence de toute référence à un solde impayé dans les réponses apportées par le couvreur de manière manuscrite sur les télécopies reçues entre juillet 2007 et décembre 2009.
A la lueur de ces éléments, le paiement intégral des travaux et la prise de possession de l’ouvrage sont suffisamment établis, ce dont il résulte que la réception tacite de l’ouvrage est présumée être intervenue le 18 avril 2007. Or, la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, qui conteste toute réception, ne rapporte pas la preuve contraire, étant observé qu’elle n’a pas fait appeler en cause le maître de l’ouvrage pour, le cas échéant, renverser cette présomption.
Enfin, il résulte de la date de la première réclamation formulée le 5 juillet 2007, ainsi que du rapport d’expertise judiciaire, que les désordres sont apparus postérieurement à cette réception.
A supposer que le protocole d’accord transactionnel signé par la société Protect’Toiture et la société Avrillon retienne à l’égard du couvreur une responsabilité de nature contractuelle, la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire ne serait pas fondée à s’en prévaloir puisque ce protocole ne lui est pas opposable comme elle le fait elle-même valoir. Ainsi, il résulte de ce qui précède que la société intimée échoue à discuter que la société Protect’Toiture a engagé sa responsabilité décennale à l’égard de la société Avrillon compte tenu de la gravité décennale des désordres affectant l’ouvrage, apparus postérieurement à la réception.
Les conditions de la mobilisation de la garantie responsabilité décennale de l’assureur sont ainsi réunies, étant relevé qu’il n’est pas discuté que la société Protect’Toiture avait souscrit auprès de la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire une police «’Pyramide Artisans Bâtiment’» garantissant cette responsabilité. En outre, la cour relève que le coût des travaux de reprise, évalué par l’expert judiciaire à la somme de 153’000 € HT, n’est pas discuté.
Au final et compte tenu des nouveaux moyens invoqués par le couvreur au soutien de ses prétentions conformément aux prévisions de l’article 563 du Code de procédure civile, le jugement attaqué, en ce qu’il a rejeté toutes les demandes de la société Protect’Toiture, est infirmé. Statuant à nouveau, la cour condamne la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire à payer à son assuré la somme de 26’000 € au titre de la garantie responsabilité décennale souscrite.
Les moyens invoqués à titre principal par la société Protect’Toiture étant accueillis, il n’est pas nécessaire d’examiner les moyens invoqués à titre subsidiaire.
Sur les demandes accessoires’:
La société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire succombant à l’instance, la cour infirme la décision attaquée qui a condamné la société Protect’Toiture aux dépens de première instance et à payer à son assureur la somme de 1’000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Statuant à nouveau et y ajoutant, la cour condamne la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire aux dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement au profit de Maître Xavier Ladret, avocat, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile.
La société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire est déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et elle est condamnée à indemniser la société Protect’Toiture des frais irrépétibles qu’elle a exposés à hauteur de la somme de 3’000 €.
La cour,
Infirme le jugement rendu le 3 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions critiquées,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir, soulevée par la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, tirée de la prescription de l’action engagée par la SARL Protect’Toiture,
Déclare la SARL Protect’Toiture recevable en ses demandes,
Condamne la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, prise en la personne de son représentant légal, à payer à la SARL Protect’Toiture la somme de 26’000 € au titre de la garantie responsabilité décennale souscrite,
Condamne la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement au profit de Maître Xavier Ladret, avocat, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile,
Condamne la société d’assurance mutuelle L’Auxiliaire, prise en la personne de son représentant légal, à payer à la SARL Protect’Toiture la somme de 3’000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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