Bien qu’étant propriétaire des supports (négatifs) réalisés par ses photographes, un éditeur de presse ne peut les détruire sans risquer une condamnation pour atteinte aux droits d’auteur.
Affaire La Dépêche du Midi
Suite à la destruction de ses négatifs, un reporter photographe du Groupe La Dépêche du Midi a obtenu près de 60 000 euros en réparation de son préjudice. Lors de sa collaboration pendant une dizaine d’années, le reporter avait été amené à rédiger des articles et à prendre des milliers de photographies lors de reportages. Les pellicules argentiques étaient fournies par le journal et les négatifs étaient après utilisation conservés dans les locaux du journal. Aucune cession des droits n’avait été conclue entre les parties.
Indemnisation du photographe
Le photographe avait demandé à l’éditeur, la possibilité d’utiliser les photographies faites par lui pour le compte de la société, afin de numériser les négatifs. Ce à quoi il lui a été répondu que les négatifs avaient été détruits. Le photographe a fait assigner la société aux fins d’indemnisation du préjudice matériel et moral du fait de la destruction des 87 300 photographies dont il était l’auteur.
Délais pour agir
Le délai de prescription n’était pas écoulé. La prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil avait pour point de départ la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer, soit le jour de la demande de communication des négatifs.
Responsabilité du dépositaire
Il est constant que le support matériel des photographies constituées par les négatifs était la propriété de l’éditeur, celui-ci fournissant les pellicules et assurant les frais de développement. Il était également acquis que le photographe avait une liberté totale quant au choix de réalisation de la photographie, seul le sujet du reportage lui étant imposé. Au sens de l’article L 112’2 9° sont considérées comme des oeuvres de l’esprit des œuvres photographiques et celles réalisées avec les à l’aide de techniques analogues à la photographie.
S’agissant de la responsabilité, la juridiction a retenu que le droit de propriété du support matériel peut, en application de l’article L 111-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, être susceptible d’un abus notoire, le droit d’auteur constituant une limite aux prérogatives découlant du droit de propriété. Pour plaider l’abus, il appartient au demandeur à l’action en protection d’un droit d’auteur d’une photographie de définir précisément ce qui caractérise l’originalité de la photographie où se trouve l’empreinte de sa personnalité.
Le photographe s’est livré à une analyse de chaque photographie et a explicité les choix effectués, en se référant au format, au cadrage, à la distance focale, à l’angle de prise de vue, à la profondeur du champ, à la zone de netteté, la lumière, la couleur et la composition. Il a également précisé les intentions créatives et les marques d’originalité de l’auteur. Il a donc décrit de façon précise les éléments caractérisant l’empreinte de sa personnalité, les choix par lui opérés étant libres et personnels compte-tenu de l’autonomie dont il disposait dans le processus de réalisation des photographies. L’originalité des photographies était suffisamment démontrée de sorte que la protection au titre du droit d’auteur était acquise. En détruisant les négatifs, support matériel des oeuvres du photographe, la société l’a mise dans l’impossibilité d’exercer les droits patrimoniaux et moraux dont il était titulaire et notamment le droit de divulguer son oeuvre, ce fait constituant l’abus notoire par la société de son droit de propriété du support matériel des photographies prises pour son compte par le photographe.
Faute par négligence de l’éditeur
La société Groupe la Dépêche du Midi a pris le parti de détruire purement et simplement les négatifs, supports matériels des oeuvres dont le photographe était l’auteur, le mettant dans l’impossibilité d’exercer les droits patrimonial et moral dont il était titulaire sur celles-ci et notamment le droit de divulguer ses oeuvres. Professionnelle de l’édition, elle ne s’est pourtant entourée d’aucune précaution préalable alors qu’il est établi que le photographe pouvait être contacté. La faute imputable à la société était en conséquence suffisamment établie pour avoir volontairement détruit les négatifs sans respect du droit de l’auteur, le préjudice résultant de l’impossibilité d’exercer les droits précités. Télécharger la décision