Prise de photographie dans les salles de spectacles
Prise de photographie dans les salles de spectacles

Une ouvreuse d’Opéra a été licenciée pour avoir, pendant le salut intervenant à la fin d’un spectacle, demandé de façon appuyée à un journaliste malvoyant, de ne pas utiliser son téléphone portable (celle-ci avait tapé son bras afin qu’il cesse de prendre des photos).

La salariée avait bien pour consigne de faire respecter l’ordre en salle, notamment, par l’interdiction de prise de photos mais a commis une faute. Toutefois, le licenciement constituait une sanction disproportionnée par rapport à la faute commise, alors que la salariée n’a fait l’objet d’aucune sanction, pendant sept ans, avant ce licenciement, et qu’il entrait dans sa mission de s’assurer que les spectateurs, fussent-ils journalistes, ne prenaient pas de photos.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2021

N° RG 19/00489 – N° Portalis DBVF-V-B7D-FJH7

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation

paritaire de DIJON, section ACTIVITÉS DIVERSES, décision attaquée en date du 13 Juin 2019,

enregistrée sous le n° 18/00295

APPELANTE :

B X

[…]

[…]

21850 SAINT-APOLLINAIRE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/003698 du 24/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Dijon)

représentée par Me Isabelle-Marie DELAVICTOIRE de la SCP GAVIGNET ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉE :

Etablissement COLLECTIVITÉ LOCALE A CARACTÈRE INDUSTRIEL ET COMMERCIAL OPÉRA DE DIJON

[…]

[…]

représentée par Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Maître Harmonie TROESTER, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 Octobre 2021 en audience publique devant la Cour composée de :

H I, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : F G,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par H I, Président de chambre, et par F G, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme X (la salariée) a été engagée le 9 octobre 2010 par contrat à durée indéterminée intermittent, à temps partiel, en qualité d’ouvreuse par l’établissement public local à caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon (l’employeur).

Elle a été licenciée le 7 novembre 2017 pour motif disciplinaire.

Estimant ce licenciement infondé et bénéficier d’un contrat à temps plein, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 13 juin 2019, a rejeté toutes ses demandes sauf sur l’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La salariée a interjeté appel le 5 juillet 2019.

Elle demande le paiement des sommes de :

—  46 733,29 euros de rappel de salaires après requalification,

—  4 673,33 euros de congés payés afférents,

—  1 940,54 euros de rappel de prime de fin d’année,

—  4 248,91 euros d’indemnité de licenciement,

—  19 423,63 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1 500 euros de dommages et intérêts pour préjudice distinct,

—  3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

et réclame la délivrance sous astreinte de 50 euros par jour de retard, d’un certificat de travail, de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de paie sur la période de préavis.

L’employeur conclut à la confirmation du jugement sauf sur le licenciement et sollicite le paiement de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 24 décembre 2019 et 15 septembre 2021.

MOTIFS :

Sur la requalification du contrat en contrat à temps plein :

L’article L. 3123-31 du code du travail, alors applicable, dispose que : « Dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ».

L’article L. 3123-33 du même code précise, dans sa rédaction applicable à l’espèce, que : « Le contrat de travail intermittent est un contrat à durée indéterminée. Ce contrat est écrit.

Il mentionne notamment :

1° La qualification du salarié ;

2° Les éléments de la rémunération ;

3° La durée annuelle minimale de travail du salarié ;

4° Les périodes de travail ;

5° La répartition des heures de travail à l’intérieur de ces périodes ».

L’article L. 3123-38 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, prévoit une adaptation par accord ou convention des horaires de travail dans certains cas.

L’article D. 3123-4 détermine les dispositions applicables au secteur du spectacle vivant et enregistré.

Les articles V 13. 1 et V 13.2 de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles prévoient que le contrat de travail d’intermittent doit comporter une mention sur les conditions dans lesquelles le salarié peut refuser les dates et les horaires de travail qui lui sont notifiés et ajoutent que l’employeur est dispensé d’indiquer la répartition des temps de travail dans le contrat, mais doit préciser les conditions d’application, la planification des périodes de travail et les délais de prévenance.

L’article V 13.3 de la même convention précise que l’employeur remet au salarié un planning annuel de la période de référence un mois avant le début de cette période, soit le 1er août, et que le planning mensuel définitif est remis avec un mois d’avance.

Ce planning peut être modifié sous réserve d’un délai de prévenance de 7 jours.

A défaut du respect de ces règles, le contrat est présumé à temps plein, mais l’employeur peut apporter la preuve contraire.

Il lui appartient, s’il le conteste, d’établir la durée annuelle minimale convenue, que le salarié connaissait les jours où il devait travailler et selon quels horaires et que ce salarié n’était pas obligé de se tenir constamment à sa disposition.

En l’espèce, la salariée indique que la mention relative aux conditions dans lesquelles elle peut refuser les dates et les horaires de travail qui lui sont notifiés, ne figure pas au contrat de travail.

Elle ajoute qu’aucun planning annuel prévisionnel ne lui a été adressé pour la période 2011/2015 et la saison 2016/2017, ou après le 1er août pour les saisons 2015/2016 et 2017/2018 et qu’elle est restée à la disposition de l’employeur.

Celui-ci se réfère au contrat de travail dont les stipulations portent sur la durée annuelle minimale de travail, la rémunération, la planification des périodes de travail et les délais de prévenance.

La durée annuelle minimale a été modifiée par avenant du 16 avril 2014.

Sur les conditions de refus des dates et horaires de travail, le contrat indique : « chaque année l’employeur fournit un planning collectif prévisionnel indiquant les périodes de travail proposées sur la saison à venir ainsi qu’un document indiquant la répartition des heures de travail à l’intérieur de ces périodes. Ce document sera envoyé à la salariée qui devra y indiquer ses éventuelles disponibilités selon le planning. L’employeur remettra le planning individuel avec un mois d’avance. Le planning devra être renvoyé signé par la salariée dans les meilleurs délais ».

Il en résulte que les conditions de refus sont mentionnées, dès lors que la salariée peut refuser les horaires proposés selon ses disponibilités et en informe l’employeur par retour du planning éventuellement amendé.

La présomption de contrat à temps plein ne peut être retenue sur ce point.

Cependant, l’employeur ne justifie pas avoir adressé le planning annuel prévisionnel et le planning mensuel définitif pour toutes les saisons concernées ou encore dans le délai conventionnel requis.

Les lettres émanant apparemment de Mmes Y et Z décrivent le déroulement de la transmission des plannings de façon générale mais ne permettent pas de s’assurer qu’il en a été ainsi pour la salariée. De plus, ces lettres ne sont pas des attestations car non-accompagnées de copies d’une pièce d’identité.

Enfin, l’employeur ne démontre pas que la salariée exerçait une autre activité ou qu’elle n’était pas obligée de se tenir à sa disposition.

En conséquence, à défaut pour la salariée de connaître, au moins à temps, ses périodes de travail et la répartition des heures de travail dans ces périodes, le contrat doit être requalifié de contrat à temps plein.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

La demande de rappel de salaire sera accueillie.

Il en va de même pour le rappel de prime de fin d’année, calculée en fonction du salaire perçu.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement reproche à la salariée, le 6 octobre 2017, lors de la représentation du spectacle intitulé Pinocchio, pendant le salut intervenant à la fin du spectacle, d’avoir demandé à un journaliste malvoyant, de ne pas utiliser son téléphone portable et d’avoir tapé son bras afin qu’il cesse de prendre des photos.

La lettre ajoute que cette personne « sous le choc et désorienté par ce geste extrêmement agressant » a dû être accompagnée par la directrice de la communication, vers la sortie, avant la fin des applaudissements et que ce journaliste s’était déjà plaint du comportement de la salariée.

Cette lettre se termine en affirmant que le geste reproché nuit gravement à l’image que l’employeur défend auprès du public et aux bonnes relations entretenues, notamment, avec la presse écrite.

L’employeur produit une attestation de ce journaliste, M. A (pièce n° 13), qui relate le comportement de la salariée tel que décrit dans la lettre de licenciement en précisant que : « l’ouvreuse a tenté de me faire lâcher mon smartphone, non sans une certaine violence ».

Mme D-E, assistante de direction atteste avoir rencontré M. A ce jour et qu’il était très contrarié par le comportement agressif reproché à la salariée.

La salariée rappelle qu’elle avait pour consigne de faire respecter l’ordre en salle, notamment, par l’interdiction de prise de photos.

Elle précise qu’elle a demandé à une personne prenant des photos de cesser, ce qu’il n’a pas fait, puis revenant vers lui a tapoté le bras pour attirer son attention en lui demandant à nouveau d’arrêter.

Selon elle, il lui a répondu : « je tweete sur Internet avec votre directeur, vous allez entendre parler de moi ».

L’attestation de M. A est suffisamment circonstanciée et permet de retenir une faute, même si l’atteinte à l’image de l’employeur n’est pas démontrée.

Toutefois, le licenciement constitue une sanction disproportionnée par rapport à la faute commise, alors que la salariée n’a fait l’objet d’aucune sanction, pendant sept ans, avant ce licenciement, et qu’il entrait dans sa mission de s’assurer que les spectateurs, fussent-ils journalistes, ne prenaient pas de photos.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a qualifié d’abusif le licenciement.

Au regard du contrat de travail requalifié à temps complet, l’indemnité de licenciement sera évaluée à 4 248,91 euros.

Pour un salaire mensuel de 2 427,95 euros et une ancienneté de 7,5 ans, le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué, en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, à la somme de 7 500 euros.

Sur les autres demandes :

1°) La salariée réclame des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Elle précise qu’elle s’est trouvée à la disposition constante de l’employeur pendant toute la durée de l’exécution du contrat de travail et que certaines heures de travail ont été annulées sans être remplacées, ce qui lui a causé un préjudice financier important, notamment sur l’indemnisation du chômage, n’ayant pas réalisé un nombre d’heures de travail suffisant.

Cependant, la requalification du contrat en contrat de travail à temps plein permet d’indemniser, par le paiement d’un rappel de salaire, le préjudice subi, peu important qu’il soit limité « par le jeu de la prescription » comme indiqué page 13 des conclusions.

De plus, le préjudice financier allégué n’est pas justifié.

En conséquence, la demande de paiement de dommages et intérêts sera rejetée.

2°) L’employeur remettra à la salariée les documents demandés, sans astreinte, laquelle ne se justifie pas faute de risque avéré de refus ou retard.

3°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer à la salariée la somme de 1 000 euros.

L’employeur supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

— Infirme le jugement du 13 juin 2019, sauf en ce qu’il dit le licenciement de Mme X sans cause réelle et sérieuse, ordonne la remise à l’intéressée d’un certificat de travail, de l’attestation Pôle emploi et des bulletins de paie sur la période de préavis, ordonne le remboursement aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme X dans la limite de six mois d’indemnité et en ce qu’il rejette la demande de Mme X en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Statuant à nouveau sur les autres chefs :

— Requalifie le contrat de travail liant Mme X à l’établissement public local à caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon en contrat de travail intermittent à durée indéterminée à temps complet ;

— Condamne l’établissement public local à caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon à payer à Mme X les sommes de :

* 46 733,29 euros de rappel de salaires à la suite de la requalification du contrat de travail,

* 4 673,33 euros de congés payés afférents,

* 1 940,54 euros de rappel de prime de fin d’année,

* 4 248,91 euros d’indemnité de licenciement,

* 7 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant :

— Dit que la remise des documents visés dans le jugement par l’établissement public local à caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon à Mme X se fera sans astreinte ;

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’établissement public local à

caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon et le condamne à payer à Mme X la somme de 1 000 euros ;

— Condamne l’établissement public local à caractère industriel et commercial L’opéra de Dijon aux dépens d’appel.

Le greffier Le président


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