Prêt immobilier en devises : clauses abusives et conséquences financières

·

·

Prêt immobilier en devises : clauses abusives et conséquences financières

L’Essentiel : Entre 2008 et 2010, BNP Paribas Personal Finance a proposé un crédit immobilier en devises étrangères, « Helvet Immo », ciblant des particuliers. M. et Mme [J] ont accepté ce contrat le 2 juin 2009, pour un montant de 307 587,77 CHF, remboursable en euros. La fluctuation des taux de change a entraîné des difficultés de remboursement, conduisant à une information judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné BNP Paribas le 26 février 2020, décision confirmée en appel le 28 novembre 2023. Les époux ont demandé l’annulation du contrat et des restitutions, mais leurs demandes de dommages et intérêts ont été rejetées.

Contexte de l’affaire

Entre 2008 et 2010, BNP Paribas Personal Finance a proposé un contrat de crédit immobilier en devises étrangères, nommé « Helvet Immo », où le franc suisse était la monnaie de compte et l’euro celle de paiement. Ce produit visait principalement des particuliers souhaitant acquérir des biens immobiliers à usage locatif.

Acceptation du contrat par M. et Mme [J]

M. et Mme [J] ont accepté l’offre de crédit le 2 juin 2009, pour un montant de 307 587,77 francs suisses, remboursable en euros sur 25 ans avec un taux d’intérêt initial de 3,80%. Le montant libéré était de 200 491 euros, avec des frais de change de 3 007,36 euros.

Évolution des taux de change et conséquences

Les emprunteurs ont constaté que la fluctuation défavorable des taux de change entre le franc suisse et l’euro a significativement impacté le montant à rembourser. En conséquence, une information judiciaire a été ouverte, entraînant la mise en cause de BNP Paribas Personal Finance pour pratiques commerciales trompeuses.

Jugement du tribunal correctionnel

Le 26 février 2020, le tribunal correctionnel de Paris a condamné BNP Paribas Personal Finance pour pratiques commerciales trompeuses et a ordonné une indemnisation des parties civiles. La société a interjeté appel, mais la cour d’appel de Paris a confirmé cette décision le 28 novembre 2023.

Assignation de BNP Paribas Personal Finance

Le 15 novembre 2016, M. et Mme [J] ont assigné BNP Paribas Personal Finance devant le tribunal judiciaire de Paris, dénonçant le caractère abusif des clauses du contrat « Helvet Immo » et demandant l’annulation du contrat ainsi qu’une indemnisation.

Décisions judiciaires successives

Le juge de la mise en état a suspendu les demandes en attendant une décision de la Cour de cassation sur la prescription de l’action en déclaration de clause abusive. En 2023, l’affaire a été renvoyée pour plaidoiries, et le tribunal a décidé de rouvrir les débats pour permettre aux parties de formuler de nouvelles conclusions.

Demandes des parties

M. et Mme [J] ont demandé la nullité du contrat et des restitutions intégrales, ainsi qu’une indemnisation pour préjudice moral et patrimonial. BNP Paribas Personal Finance a demandé la réouverture des débats et a renoncé à contester la demande d’annulation du contrat.

Analyse des clauses abusives

Le tribunal a examiné les clauses du contrat, concluant qu’elles créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, rendant ainsi le contrat abusif et donc nul rétroactivement. Les clauses d’indexation et de révision des taux d’intérêt ont été jugées particulièrement problématiques.

Restitutions et compensations

Suite à l’annulation du contrat, le tribunal a ordonné des restitutions réciproques. M. et Mme [J] devaient restituer le capital libéré, tandis que BNP Paribas Personal Finance devait rembourser les sommes versées par les emprunteurs. Le tribunal a également pris en compte une indemnisation antérieure pour le préjudice financier.

Demande de dommages et intérêts

Les demandes de M. et Mme [J] pour préjudice moral et patrimonial ont été rejetées, le tribunal considérant qu’ils avaient déjà été indemnisés pour le préjudice moral par le juge pénal. Leur demande pour atteinte à la liberté patrimoniale a également été rejetée, faute de preuves suffisantes.

Conclusion du jugement

Le tribunal a prononcé l’anéantissement rétroactif du contrat de prêt, condamnant M. et Mme [J] à verser une somme à BNP Paribas Personal Finance, tout en ordonnant des restitutions réciproques. Les demandes des époux pour dommages et intérêts ont été rejetées, et ils ont été condamnés aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conséquences juridiques de la reconnaissance de clauses abusives dans le contrat de prêt « Helvet Immo » ?

La reconnaissance de clauses abusives dans un contrat de prêt entraîne des conséquences significatives, notamment l’anéantissement rétroactif du contrat. Selon l’article L. 132-1 du Code de la consommation, les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties sont considérées comme abusives.

En vertu de cet article, il est précisé que :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

Ainsi, lorsque des clauses sont déclarées abusives, elles sont réputées non écrites, ce qui signifie qu’elles n’ont jamais eu d’effet. Cela entraîne l’anéantissement du contrat, remettant les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de celui-ci.

En conséquence, les emprunteurs doivent restituer les sommes perçues, tandis que le prêteur doit restituer les montants versés par les emprunteurs. Cette restitution vise à rétablir l’équilibre entre les parties, conformément au principe de la restitution intégrale.

Comment se déroule le processus de restitution après l’anéantissement d’un contrat de prêt ?

Le processus de restitution après l’anéantissement d’un contrat de prêt est régi par le principe de remise des parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat. Selon l’article 1352 du Code civil, « la restitution est due en nature, sauf si cela est impossible ou si cela entraîne un enrichissement sans cause ».

Dans le cadre d’un contrat de prêt, cela signifie que :

1. **Restitution des sommes perçues** : L’emprunteur doit restituer au prêteur la somme d’argent qu’il a reçue. Dans le cas présent, M. et Mme [J] doivent restituer la somme de 200 491 euros, correspondant au capital libéré.

2. **Restitution des paiements effectués** : Le prêteur doit restituer toutes les sommes versées par l’emprunteur en exécution du contrat. Cela inclut les mensualités, les frais de dossier, et tout autre paiement effectué. Dans ce cas, la BNP Paribas Personal Finance doit restituer 208 634,83 euros, incluant les frais de change.

3. **Compensation des créances** : Les restitutions peuvent être compensées. Si l’emprunteur doit une somme au prêteur et vice versa, ces montants peuvent être compensés pour déterminer le solde final à payer.

Ainsi, le tribunal a ordonné que M. et Mme [J] doivent payer un solde de 82 674,98 euros à la BNP Paribas Personal Finance, après avoir pris en compte les restitutions réciproques.

Quelles sont les implications de la décision de la Cour d’appel concernant le préjudice moral des emprunteurs ?

La décision de la Cour d’appel concernant le préjudice moral des emprunteurs repose sur l’appréciation de la nature et de l’ampleur du préjudice subi. Selon l’article 1240 du Code civil, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cas présent, M. et Mme [J] ont demandé des dommages et intérêts pour préjudice moral, arguant que la pratique commerciale trompeuse de la BNP Paribas Personal Finance a causé un préjudice psychologique. Cependant, le tribunal a rejeté cette demande en considérant que :

1. **Indemnisation antérieure** : Les emprunteurs avaient déjà été indemnisés par le juge pénal, qui leur a accordé 20 000 euros chacun pour le préjudice moral. Cette indemnisation couvre déjà les conséquences psychologiques de la situation.

2. **Absence de préjudice distinct** : Les emprunteurs n’ont pas réussi à prouver qu’ils avaient subi un préjudice moral distinct de celui déjà réparé par le juge pénal. Le tribunal a souligné qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour justifier une nouvelle indemnisation.

Ainsi, la Cour a confirmé que les demandes de M. et Mme [J] au titre du préjudice moral étaient infondées, et leur demande a été rejetée. Cela souligne l’importance de l’autorité de la chose jugée et la nécessité de prouver un préjudice distinct pour obtenir une nouvelle indemnisation.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

à
Me FABRE
Me METAIS

9ème chambre 1ère section

N° RG 16/18088
N° Portalis 352J-W-B7A-CJM42

N° MINUTE : 1

Assignation du :
15 Novembre 2016

JUGEMENT
rendu le 13 Janvier 2025
DEMANDEURS

Monsieur [E] [J]
et
Madame [N] [J]
demeurant ensemble
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentés par Maître Cyril FABRE de la SELARL YDES Avocats, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #K0037 et Maître Anne-Valérie BENOIT, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

La Société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Philippe METAIS du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R030
Décision du 13 Janvier 2025
9ème chambre 1ère section
N° RG 16/18088 – N° Portalis 352J-W-B7A-CJM42

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, 1er Vice-président adjoint
Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente
Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente

assistés de Chloé DOS SANTOS, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 18 Novembre 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue le 13 Janvier 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Au cours des années 2008 à 2010, la société anonyme BNP Paribas Personal Finance a commercialisé un contrat de crédit immobilier libellé en devises étrangères et dénommé « Helvet Immo ». Dans ce contrat, le franc suisse est la monnaie de compte et l’euro la monnaie de paiement.

Ces offres de crédit ont été proposées à des particuliers, principalement par l’intermédiaire de mandataires et en vue de l’achat de biens immobiliers à usage locatif ou de parts de sociétés immobilières.

M. [E] [J] et Mme [N] [J] ont accepté le 2 juin 2009 l’offre de crédit immobilier « Helvet Immo » portant sur une somme de 307 587,77 francs suisses remboursable en euros sur 25 ans selon un taux d’intérêt révisable, fixé initialement à 3,80% l’an.

Le montant libéré en faveur de M. et Mme [J] s’élève à 200 491 euros. Le coût des frais de change lors de la libération du capital s’élève à 3 007,36 euros.

M. et Mme [J] considèrent que l’évolution défavorable des taux de change entre le franc suisse et l’euro depuis la date de conclusion du prêt a eu une incidence notable sur le montant à rembourser en principal.

A l’issue d’une information judiciaire, la société BNP Paribas Personal Finance a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de pratique commerciale trompeuse.

Par jugement du 26 février 2020, le tribunal correctionnel de Paris a condamné la société BNP Paribas Personal Finance pour pratique commerciale trompeuse. Le tribunal correctionnel l’a également condamnée à indemniser les parties civiles.

La société BNP Paribas Personal Finance a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 28 novembre 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de la société BNP Paribas Personal Finance.

Par acte d’huissier en date du 15 novembre 2016, M. et Mme [J] ont fait assigner la société BNP Paribas Personal Finance devant le tribunal judiciaire de Paris. Ils dénoncent notamment le caractère abusif des clauses instituant le mécanisme financier prévu par le contrat  » Helvet Immo  » et demandent l’anéantissement du contrat ainsi que l’indemnisation de leur préjudice.

Par ordonnance rendue le 24 juin 2019, le juge de la mise en état a sursis à statuer sur l’ensemble des demandes formées par les parties dans l’attente de la décision de la Cour de cassation portant sur la prescription de l’action en déclaration de clause abusive.

Par conclusions notifiées par RPVA le 17 novembre 2021, M. et Mme [J] ont sollicité la remise au rôle de l’affaire.

Le juge de la mise en état a clôturé l’instruction de l’affaire par ordonnance du 16 octobre 2023 et renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 29 janvier 2024 se tenant en juge rapporteur.

Par jugement rendu le 25 mars 2024, le tribunal a :
– révoqué l’ordonnance de clôture du 16 octobre 2023 ;
– prononcé la réouverture des débats ;
– ordonné le renvoi de l’affaire à l’audience de mise en état du 17 juin 2024 pour permettre aux demandeurs d’établir de nouvelles conclusions récapitulatives et laisser aux parties un délai suffisant pour entamer des discussions en vue d’un éventuel accord.

Le 17 juin 2024, le juge de la mise en état a clôturé l’instruction de l’affaire et renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 23 septembre 2024 se tenant en juge rapporteur.

Par conclusions notifiées par RPVA le 5 septembre 2024, la BNP Paribas Personal Finance demande la révocation de l’ordonnance de clôture et formule de nouvelles demandes.

M. et Mme [J] ont également notifié de nouvelles conclusions par message RPVA du 6 septembre 2024.

Par ailleurs, l’avocat des demandeurs a sollicité par message RPVA du 10 septembre 2024 le renvoi de l’affaire à une audience composée d’une formation collégiale.

Par ordonnance du 23 septembre 2024, le juge de la mise en état a :
– déclaré recevables les conclusions notifiées par la BNP Paribas Personal Finance le 5 septembre 2024 ;
– déclaré recevables les conclusions notifiées par M. et Mme [J] le 6 septembre 2024 ;
– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 17 juin 2024 ;
– prononcé la clôture de l’instruction :
– renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience de plaidoiries du 18 novembre 2024 à 10h30, qui se tiendra en formation collégiale.

Demandes et moyens de M. et Mme [J]

Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 6 septembre 2024, M. et Mme [J] demandent au tribunal de :

 » Recevoir Mr et Mme [J] en leurs demandes et les dire bien fondées,
En conséquence :

I. SUR LA NULLITE DU CONTRAT ET LES RESTITUTIONS INTEGRALES
– DIRE ET JUGER que les clauses n°1 à 9 du contrat HELVET IMMO sont abusives
En conséquence,
– DIRE ET JUGER que le contrat de prêt dans son ensemble est non écrit ou inexistant.
Ce faisant,
– ORDONNER la restitution par les emprunteurs des sommes mises à leur disposition par le prêteur ET à celui-ci de restituer l’ensemble des sommes qui lui ont été versées par les emprunteurs en ce compris tous les frais afférents à la conclusion du prêt (commission d’ouverture de compte + frais de conversion au moment du déblocage) et à son fonctionnement (frais de change correspondant à toutes les conversions, en francs suisses, de toutes les échéances en euros), jusqu’au jour de la décision à intervenir et ce, en prononçant la compensation entre les sommes à devoir par l’emprunteur et celles à devoir par le prêteur ;
– PRONONCER la compensation entre ces créances réciproques ;
– CONDAMNER BNP PPF à verser aux emprunteurs le solde résultant de cette compensation, soit au 10 avril 2024, 6 355,27 €, somme à parfaire à la lumière du décompte qui sera transmis par la banque
– ENJOINDRE à BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE de transmettre aux demandeurs, dans un délai de 21 jours à compter de la décision à intervenir, et au besoin sous astreinte de 500 euros par jour et par demandeur, décompte de nullité, intégrant tous les paiements intervenus (mensualités, commission d’ouverture, frais de tenue de compte, frais de change, y compris ceux correspondant au déblocage du montant du prêt).

II. SUR LE PREJUDICE MORAL
– DIRE ET JUGER que le comportement fautif de BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE est à l’origine d’un préjudice moral pour les demandeurs,
En conséquence,
– CONDAMNER BNP PARIBAS à leur payer la somme de 100 000 €.

III. SUR LE PREJUDICE PATRIMONIAL
– CONDAMNER BNPPPF à indemniser l’emprunteur de son préjudice résultant de l’atteinte portée à sa liberté patrimoniale, soit la somme de 70 550,58 € ;

IV. SUR L’ARTICLE 700 ET LES DEPENS
– CONDAMNER BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE à payer aux demandeurs la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– CONDAMNER BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Cyril FABRE, Avocat au barreau de Paris, conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile.

V. SUR LE TAUX D’INTERET LEGAL
-DIRE que toutes les condamnations qui seront prononcées à l’encontre de la banque seront assorties du taux d’intérêt légal, à compter de la date de l’assignation, soit le 15 novembre 2016

VI. SUR LA CAPITALISATION DES INTERETS
-ORDONNER la capitalisation des intérêts sur l’ensemble de ces condamnations, conformément à l’article 1154 du code civil.  »

Demandes et moyens de la société BNP PPF

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 5 septembre 2024, la société BNP Paribas Personal Finance demande au tribunal de :

 » – Prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture du 17 juin 2024 ;
– Prononcer la réouverture des débats pour permettre à Monsieur et Madame [J] de prendre connaissance des conclusions récapitulatives régularisées par BNP Paribas Personal Finance et d’y répondre le cas échéant, respectant ainsi le principe du contradictoire ;

Sur les demandes formées par Monsieur et Madame [J] tendant à l’annulation du contrat de prêt Helvet Immo sur le fondement du droit des clauses abusives
– Donner acte à BNP Paribas Personal Finance de ce qu’elle renonce à contester la demande d’annulation du contrat de prêt Helvet immo ;
– Ordonner l’annulation du contrat de prêt de Monsieur et Madame [J] ;
– En conséquence, juger que les parties sont remises dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant de contracter, comme si le contrat de prêt n’avait jamais existé ;

– Ordonner la restitution par Monsieur et Madame [J] :
* de la contrevaleur en euros du capital libéré en francs suisses par application du taux de change initial, soit la somme de 200.491,00 euros ;
* de la somme de 90.818,81 euros versée par BNP Paribas Personal Finance en exécution de l’Arrêt pénal, en réparation du préjudice financier correspondant à la neutralisation du risque de change ;
– Ordonner la restitution par la BNP Paribas Personal Finance de toutes les sommes perçues au titre du prêt, soit la somme de 206.846,27 euros arrêtée au 10 août 2024 sauf à parfaire ;
– Ordonner la compensation entre les restitutions réciproques à opérer ;
– Ordonner le maintien des inscriptions hypothécaires sur le bien immobilier objet financé par le prêt jusqu’au parfait remboursement par Monsieur et Madame [J] des sommes dues au titre des restitutions.
A titre subsidiaire et reconventionnel, si le Tribunal, après avoir ordonné l’annulation du prêt, condamnait BNP Paribas Personal Finance à restituer à Monsieur et Madame [J] toutes les sommes prélevées au titre du prêt sans déduire le montant du préjudice financier :
– Juger que l’annulation du contrat de prêt de Monsieur et Madame [J] fait naître une créance de restitution au bénéfice de BNP Paribas Personal Finance d’un montant de 90.818,81 euros, correspondant au montant du préjudice financier alloué à Monsieur et Madame [J] en exécution de l’Arrêt pénal;
– Ordonner la compensation entre la créance de restitution de BNP Paribas Personal Finance (soit 90.818,81 euros) et le solde des restitutions compensées (soit 200.491,00 euros – 206.846,27 euros) ;
– Ordonner le maintien des inscriptions hypothécaires sur le bien immobilier objet financé par le prêt jusqu’au parfait remboursement par Monsieur et Madame [J] de la somme de 84.463,54 euros, correspondant au solde des restitutions compensées, augmenté de la créance de restitution de BNP Paribas Personal Finance ;

Sur la demande de dommages et intérêts sur le fondement du préjudice moral
A titre principal,
– Juger que Monsieur et Madame [J] ne souffrent d’aucun préjudice et débouter ces derniers de leur demande au titre du préjudice moral qu’ils prétendent subir ;
A titre subsidiaire,
– Déduire des dommages et intérêts versés au titre du préjudice moral les sommes versées par BNP Paribas Personal Finance en exécution du Jugement pénal rendu le 26 février 2020 par la 13ème chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris;

Sur la demande fondée au titre de l’atteinte à la liberté patrimoniale de Monsieur et Madame [L] (sic)
A titre principal,
– Juger que Monsieur et Madame [J] sont privés d’intérêt à agir dans la mesure où BNP Paribas Personal Finance renonce à contester leur demande d’annulation du contrat de prêt sur le fondement des clauses abusives ;

– En conséquence, juger que la demande sur le fondement de l’atteinte à la liberté patrimoniale de Monsieur et Madame [J] est irrecevable ;
A titre subsidiaire,
– Juger que la demande sur le fondement de l’atteinte à la liberté patrimoniale de Monsieur et Madame [J] est mal fondée ;
– Les débouter ;

En tout état de cause
– Débouter Monsieur et Madame [J] de l’intégralité de leurs demandes ;
– Débouter Monsieur et Madame [J] de leur demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et donner acte à BNP Paribas Personal Finance qu’elle renonce à toute demande sur ce fondement ;
– Condamner Monsieur et Madame [J] aux entiers dépens.  »

* * *

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes et de leurs défenses.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur les clauses abusives et l’anéantissement rétroactif des contrats

1.1. Moyens et arguments des parties

M. et Mme [J] font valoir que le prêt Helvet Immo expose l’emprunteur à un risque financier illimité et hors de son contrôle qui résulte du cumul du risque de change et du risque de variabilité du taux d’intérêt qu’il supporte seul.

Ils observent que par arrêt du 10 juin 2021, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), a considéré que l’absence de termes ou d’explications avertissant de manière explicite le consommateur sur l’existence de risques particuliers liés aux contrats de prêt en devise étrangère permet de caractériser l’absence de clarté et d’intelligibilité d’une clause d’indexation. Ils ajoutent que la CJUE qualifie d’abusive une clause d’indexation faisant supporter le risque de change exclusivement sur le consommateur dès lors qu’elle crée un déséquilibre significatif au détriment de celui-ci.

Ils remarquent qu’à la suite de cet arrêt de la CJUE, les juridictions françaises ont admis que le prêt Helvet Immo contient des clauses abusives ce qui entraîne son anéantissement rétroactif.

M. et Mme [J] constatent que la BNP Paribas Personal Finance leur a transmis un courrier, reçu le 3 avril 2024, dans lequel elle reconnaissait la nullité du prêt et proposait un décompte des restitutions à opérer.

La BNP PPF reconnaît que le coût total du prêt souscrit par les emprunteurs dépend de la variation du taux de change entre l’euro et le franc suisse, d’une part, et de la variation du taux d’intérêt, d’autre part. Elle admet qu’au cours de l’exécution du prêt, le taux de change a évolué en défaveur des emprunteurs. Toutefois, elle insiste sur l’évolution du taux d’intérêt favorable aux emprunteurs puisque le taux d’intérêt fixé initialement à 3,80% s’établit désormais à 1,98%. Au surplus, elle observe que M. et Mme [J] ont fait le choix de maintenir la monnaie de compte de leur prêt en francs suisses lors des quatre périodes d’option qui leur ont été ouvertes.

Elle se prévaut d’une analyse effectuée à sa demande par le cabinet Finexsi dont il ressort que le prêt Helvet Immo a été plus coûteux par rapport à un prêt en euros à taux fixe, à hauteur de 0,30% seulement. Elle conteste que le prêt Helvet Immo ait placé les emprunteurs dans une situation ruineuse.

Elle affirme que le prêt Helvet Immo est un prêt à taux variable mais à mensualité constante pendant la durée initiale d’amortissement et que la répercussion de la variation des taux n’affecte pas, à la hausse ou à la baisse, le montant de la mensualité mais seulement la durée initiale d’amortissement du prêt.

A cet égard, elle souligne que :
– si la variation des taux est défavorable, la période d’amortissement est augmentée dans la limite de 5 ans,
– si la période complémentaire de 5 ans apparaît insuffisante pour rembourser complètement le prêt, le montant de la mensualité peut être augmenté,
– tous les 3 ans, les emprunteurs peuvent exercer l’option de convertir le prêt en euros à taux d’intérêt fixe ou à taux d’intérêt variable,
– elle a adressé en mars 2020 à tous les emprunteurs une proposition commerciale les incitant à convertir leur prêt Helvet Immo en un prêt en euros à taux fixe.

La BNP PPF indique qu’elle a conclu un accord transactionnel avec la Confédération de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie (CLCV) et qu’à la suite de cet accord, elle a proposé aux époux [J] l’annulation de leur prêt.

La BNP PPF renonce à contester la demande d’annulation du contrat de prêt des époux [J].

1.2. Réponse du tribunal

En vertu de l’article L. 132-1 du code de la consommation, issu de la transposition de la directive n°93/13/CEE, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. L’appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Il en résulte que lorsqu’une clause définit l’objet principal du contrat, elle échappe au mécanisme des clauses abusives, à condition d’être rédigée de façon claire et compréhensible. Définissent l’objet principal du contrat les clauses qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci.

Les demandeurs dénoncent comme abusive la clause implicite d’indexation figurant dans le prêt ainsi que la clause de révision des indices de variation du taux d’intérêt.

En l’espèce, s’agissant de la clause implicite d’indexation, celle-ci s’induit de cinq clauses figurant dans l’offre de prêt :
– clause « description de votre crédit », selon laquelle le contrat a pour objet la mise à disposition d’une somme d’argent pour le financement d’un bien immobilier, à charge pour l’emprunteur d’en rembourser le capital. Cette clause prévoit alors que la monnaie de compte sera le franc suisse et que la dette comprend le montant du financement et des frais de change,
– clause « financement de votre crédit », qui prévoit que le crédit en francs suisses est financé par un emprunt de la Banque souscrit en francs suisses et que la somme libérée sera en euros,
– clause « ouverture d’un compte interne en euros et compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit », qui précise que la monnaie de compte est le franc suisse et la monnaie de paiement est l’euro,
– clause « opération de change », qui prévoit que le montant du financement en euros est définitivement arrêté à la date de l’acceptation de l’offre et que des opérations de change auront lieu au cours de la vie du crédit,
– clause « remboursement de votre crédit » qui prévoit les remboursements en euros et l’amortissement du capital emprunté en francs suisses.

Il est acquis aux débats que les cinq clauses litigieuses définissent l’objet principal du contrat puisqu’elles décrivent l’obligation principale de l’emprunteur.

Cette clause d’indexation implicite repose sur la combinaison de plusieurs clauses auxquelles l’emprunteur doit se reporter simultanément pour appréhender le mécanisme financier du contrat de prêt. Le contrat ne comporte pas d’informations et d’explications explicites et synthétiques pour en exposer le fonctionnement concret et n’invoque pas les risques spécifiques du prêt, en particulier le risque de change.

Les conséquences de ce risque sur l’emprunteur, et notamment le risque d’augmentation du capital à rembourser en euros, ne sont pas exposées de manière explicite dans le contrat.

L’emprunteur est tenu de supporter l’évolution des taux de change sur le long terme, durant la vie du contrat de prêt et n’est pas à l’abri de devoir se trouver à rembourser un capital restant dû en euros d’un montant bien supérieur au montant initial selon les variations du taux de change du franc suisse. Ainsi, la clause d’indexation implicite fait supporter à l’emprunteur un risque de change illimité et disproportionné et crée de ce fait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au seul détriment de celui-ci.

Par conséquent, les clauses n°1 à 5 doivent être déclarées abusives et sont, de ce fait, réputées non-écrites.

La lecture et l’analyse de ces clauses révèlent qu’elles forment un tout indivisible. Les modalités de remboursement stipulées au contrat et les opérations de change y nécessaires n’étant pas maintenues, alors que le montant du prêt est en francs suisses, l’entièreté du prêt est affectée.

En conséquence, le contrat de prêt consenti par la société BNP Paribas Personal Finance aux époux [J] sera déclaré anéanti de manière rétroactive.

2. Sur les restitutions

2.1. Moyens et arguments de M. et Mme [J]

La BNP PPF estime que M. et Mme [J] doivent lui rembourser la contrevaleur en euros du capital libéré en francs suisses par application du taux de change initial, soit la somme de 200 491,00 euros. Elle accepte de restituer aux emprunteurs les mensualités qu’ils ont versées, soit la somme de 206 846,27 euros. Cependant, elle souhaite que les emprunteurs lui remboursent également la somme de 90 818,81 euros qu’elle leur a versés en exécution de l’arrêt pénal du 28 novembre 2023, au titre de leur préjudice financier. Il en résulte un solde en sa faveur de 84 463,54 euros.

M. et Mme [J] s’y opposent. Ils estiment que la banque confond restitution et réparation alors que  » restituer n’est pas réparer  » selon la consultation du Professeur [R] qu’ils versent aux débats. Ils soutiennent que l’action visant à l’anéantissement d’un contrat n’a pas le même objet qu’une action visant à être indemnisé d’un préjudice découlant de la commission d’une infraction. Ils reprochent à la banque de considérer que restitution et indemnisation réparent un préjudice.

M. et Mme [J] critiquent l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, chambre 10, rendu le 24 juin 2024 dans lequel la Cour commet, selon eux, l’erreur de considérer que le juge pénal comme le juge civil procède à des restitutions. Ils rappellent que la 6ème chambre de la Cour d’appel comme le Tribunal judiciaire de Paris ont rendu des décisions estimant que l’emprunteur pouvait tout à la fois obtenir la restitution des sommes versées et une indemnisation au pénal.

M. et Mme [J] reprochent à la consultation du professeur [Y], produite par la banque, de contrevenir au principe de restitution intégrale, alors que ce principe est consacré par le droit positif français comme par le droit de l’Union. Ils soulignent qu’en ne restituant que partiellement les sommes dues à la suite de l’anéantissement du contrat, la banque tire profit des clauses abusives.

M. et Mme [J] affirment en outre que les priver de l’indemnisation que leur a accordée le juge pénal est contraire à l’autorité de la chose jugée.

Ils rejettent les arguments développés dans la consultation du Professeur [T] selon lequel la nullité du contrat de prêt supprime rétroactivement l’acte juridique et donc le dommage de telle sorte que l’indemnisation octroyée au pénal serait un paiement indû. Ils rappellent que restitutions et indemnisations reposent sur des fondements différents et que l’infraction ne disparaît pas avec l’anéantissement rétroactif du contrat.

M. et Mme [J] demandent d’opérer une compensation entre :
– la créance de la banque qui correspond au montant du capital effectivement libéré, soit 200 491 euros,
– les sommes qu’ils ont remboursées au titre du prêt soit 206 846,27 euros au 10 avril 2024, soit un solde en leur faveur de 6 355,27 euros que la banque devra être condamnée à leur payer.

2.2. Moyens et arguments de la société BNP Paribas Personal Finance

La BNP PPF constate que suite à l’annulation du prêt et aux restitutions qui en découlent les emprunteurs auront bénéficié de la mise à disposition gratuite des fonds leur ayant permis l’acquisition d’un bien immobilier. En outre, ils conservent le bénéfice des loyers perçus et des crédits d’impôts associés.

La BNP PPF rappelle que la Cour d’appel, dans son arrêt du 28 novembre 2023, l’a condamnée à verser aux époux [J] la somme de 90 818,81 euros au titre de leur préjudice financier. Elle en déduit que la perte financière liée à la variation du taux de change a d’ores et déjà été effacée par cette indemnisation et ne peut être réparée une seconde fois dans le cadre des restitutions qui seraient prononcées par le présent jugement.

La BNP PPF se prévaut du principe de la réparation intégrale du préjudice pour refuser de réparer deux fois un même préjudice. Elle remarque que l’arrêt pénal a annulé la charge supplémentaire liée à la variation du taux de change entre l’euro et le franc suisse en appliquant le taux de change initial fixé au contrat à toute la durée du prêt.

La BNP PPF considère que l’effet des restitutions demandées par les emprunteurs revient à supprimer les deux charges liées à l’effet de change et au taux d’intérêt de sorte que les emprunteurs se retrouvent dans une situation correspondant à un prêt gratuit.

Décision du 13 Janvier 2025
9ème chambre 1ère section
N° RG 16/18088 – N° Portalis 352J-W-B7A-CJM42

Elle en déduit que les emprunteurs bénéficient deux fois de la réparation du préjudice financier causé par la variation du taux de change et qu’ils tirent un profit de la réparation, contrairement au principe de la réparation intégrale.

La BNP PPF admet la nature juridique distincte de l’action en indemnisation et de l’action en restitution. Cependant, elle s’appuie sur la consultation du Professeur [Y] pour affirmer qu’il faut tenir compte de l’effet produit par l’allocation simultanée d’une indemnisation et d’une restitution. Elle en déduit que le juge civil ne peut ordonner la restitution de ce qui a déjà été restitué dans le cadre pénal.

La BNP PPF demande à titre reconventionnel que les époux [J] soient condamnés à lui verser la somme de 90 818,81 euros qui leur a été accordée au titre de leur préjudice financier.

Elle se réfère à la consultation du Professeur [T] selon lequel l’action en indemnisation et l’action en restitution sont incompatibles. Elle soutient que l’annulation du contrat de prêt supprime rétroactivement l’acte juridique mais aussi, par voie de conséquence, le dommage et que, en prononçant la nullité et donc la disparition du contrat, le juge civil rend indu le paiement de dommages et intérêts reposant sur l’exécution dudit contrat.

2.3. Réponse du tribunal

L’annulation d’un contrat entraîne la remise des parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de ce contrat, qui est censé n’avoir jamais existé. Dans le cas d’un contrat de prêt, l’annulation emporte l’obligation pour chaque partie, prêteur et emprunteur, de restituer l’ensemble des sommes payées à l’autre en exécution du contrat.

Les restitutions auxquelles il est procédé à la suite de l’annulation d’un prêt n’ont pas de nature indemnitaire. Elles n’ont pas pour objectif de réparer un préjudice mais de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’exécution du contrat. Dans la mesure où les restitutions ne réparent pas un préjudice, elles peuvent se cumuler avec une indemnisation.

A la suite de l’annulation du contrat, M. et Mme [J] doivent restituer toutes les sommes qu’ils ont reçues de la banque à la suite de l’exécution du contrat de prêt.

Lors du déblocage du prêt, la société BNP PPF a payé la somme de 200 491 euros. M. et Mme [J] doivent donc restituer la somme de 200 491 euros à la société BNP PPF.

Inversement, la BNP PPF doit restituer aux époux [J] toutes les sommes qu’ils lui ont versées en application du contrat de prêt.

La BNP PPF dit avoir perçu des emprunteurs la somme de 206 846,27 euros arrêtée au 10 août 2024. Cependant, le dernier décompte actualisé qu’elle produit est celui annexé au courrier de proposition d’annulation du 12 janvier 2024 (pièce n°14 de la défenderesse).

M. et Mme [J] versent aux débats le courrier que leur a adressé la BNP PPF le 3 avril 2024 pour leur proposer l’annulation du contrat et auquel est annexé un décompte arrêté au 15 mars 2024 (pièce n°4 des demandeurs). Selon ce décompte, les versements effectués par M. et Mme [J] s’établissent au 15 mars 2024 à la somme de 205 627,47 euros. Il convient d’y ajouter les frais de change payés par les emprunteurs au moment du déblocage des fonds soit la somme de 3 007,36 euros.

La BNP PPF devra donc leur restituer la somme de 208 634,83 euros, arrêtée au 15 mars 2024.

M. et Mme [J] ont également reçu de la BNP PPF, en application de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 novembre 2023, la somme de 90 818,81 euros au titre de l’indemnisation du préjudice matériel que leur a causé l’infraction de pratique commerciale trompeuse.

Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, l’indemnisation d’un préjudice ne se confond pas avec les restitutions et peut même se cumuler avec les restitutions.

Cependant, le principe de restitution intégrale suppose de remettre les parties en l’état où elles se trouveraient si le contrat n’avait jamais existé.

Il ressort de l’arrêt du 28 novembre 2023 que le préjudice indemnisé est celui résultant du risque de change et que la cour d’appel a calculé le montant de l’indemnisation afin de neutraliser le risque de change « de sorte que le taux de change fixé au contrat sera retenu comme s’appliquant durant toute la durée du prêt ».

L’existence d’un risque de change est l’un des éléments du contrat de prêt dit « Helvet Immo ». Le déficit d’information des emprunteurs sur ce risque de change fonde la reconnaissance de l’existence de clause abusives ainsi que cela a été développé précédemment.

La condamnation pour pratique commerciale trompeuse se fonde également sur la dissimulation du risque de change. Ainsi, l’arrêt du 28 novembre 2023 relève que : « la banque a dispensé, au travers des documents contractuels et pré-contractuels, une information peu lisible et dispersée ne permettant pas à l’emprunteur d’appréhender la nature et la portée de ses engagements et a adopté, envers ses agents et les intermédiaires en charge de la commercialisation du prêt, une communication lacunaire et trompeuse en insistant sur la sécurité de ce prêt et l’effort d’épargne réduit et en masquant le risque de change pourtant à la charge exclusive de l’emprunteur et les conséquences potentielles de celui-ci alors même qu’elle en avait connaissance, puisque des débats en interne avaient soulevé ce point et que lors de la première présentation du produit, ce risque de change était souligné ».

La cour souligne que le dommage des emprunteurs résulte de la contrainte « de rembourser des sommes bien supérieures à celles qu’ils pensaient devoir « .

Ce dommage résulte ainsi directement de l’exécution du contrat de prêt comme la cour le précise également : « les emprunteurs justifient d’un préjudice personnel, né de l’exécution du contrat ».

La cour calcule ensuite le préjudice résultant du risque de change : « Ainsi, le préjudice financier des emprunteurs est constitué d’une part par le capital restant dû à la date d’arrêté de compte produit par la partie civile, somme dont il convient de soustraire le capital restant dû tel que figurant à la même date sur le tableau d’amortissement prévisionnel intégré à l’offre de prêt, étant précisé qu’il conviendra de le convertir au préalable en euro sur la base du taux de change exprimé dans l’offre et d’autre part par la différence entre le montant total des sommes versées par les emprunteurs à la date de l’arrêté de compte et le montant des sommes dues à la même date telles que résultant du tableau d’amortissement, sommes qu’il conviendra d’additionner. »

La somme de 90 818,81 euros comprend ainsi tous les versements que les époux [J] ont effectués, pendant l’exécution du contrat du prêt, en raison de l’indexation des paiements sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse.

Il en résulte que l’indemnisation du préjudice financier a conduit de fait la banque à rembourser aux emprunteurs des sommes qu’ils avaient réglées au titre de l’exécution du contrat de prêt. Or, l’annulation du contrat de prêt entraîne la restitution de l’ensemble des sommes payées à l’autre en exécution du contrat.

La somme de 90 818,81 euros correspond, au regard de son mode de calcul, à une somme née de l’exécution du contrat et qui doit être prise en compte dans les restitutions.

M. et Mme [J] s’opposent au remboursement de la somme de 90 818,81 euros en soulignant qu’un tel remboursement porte atteinte à l’autorité de chose jugée.

L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.442).

La prise en compte de l’indemnisation du préjudice telle qu’elle a été calculée par le juge pénal ne remet pas en cause la qualification de pratique commerciale trompeuse ni la culpabilité de la BNP PPF. Elle ne remet pas en cause non plus la reconnaissance de l’existence du préjudice matériel des emprunteurs mais tire les conséquences du fait que ce préjudice matériel est constitué, selon le juge pénal, par des remboursements effectués en application du risque de change.

Ainsi, la prise en compte de l’indemnisation du préjudice dans les restitutions ne remet pas en cause l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 28 novembre 2023.

M. et Mme [J] soutiennent que la banque tire un profit des clauses abusives en cas de remboursement de la somme de 90 818,81 euros.

Cependant, à la suite de l’annulation du contrat de prêt, la banque doit restituer aux emprunteurs toutes les sommes qu’ils lui ont versées ce qui comprend non seulement les sommes liées au risque de change mais également tous les intérêts et les frais. La banque conserve à sa charge les coûts engendrés par la commercialisation et la gestion du crédit et par son propre refinancement.

Dans ces conditions, la banque ne retire aucun profit de la stipulation des clauses abusives de telle sorte que l’effet dissuasif de la directive 93/13/CE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives est préservé.

Par conséquent, M. et Mme [J] devront également payer à la BNP PPF la somme de 90 818,81 euros.

Au total, M. et Mme [J] doivent payer à la BNP PPF la somme de 291 309,81 euros (200 491 + 90 818,81) et la BNP PPF doit payer aux époux [J] la somme de 208 634,83 euros, arrêtée au 15 mars 2024.

Il en résulte un solde de 82 674,98 euros en faveur de la BNP PPF que les époux [J] seront condamnés à lui payer.

Le prêt étant toujours en cours, les époux [J] ont continué à verser des mensualités à la BNP PPF. Cette somme devra être actualisée en fonction des versements effectués par M. et Mme [J] depuis le 15 mars 2024.

3. Sur la demande de dommages et intérêts formée au titre du préjudice moral

3.1. Moyens et arguments des parties

M. et Mme [J] exposent que la violation de l’ordre public consumériste est nécessairement la source d’un préjudice moral pour les emprunteurs. A l’appui de leur demande au titre du préjudice moral, ils se réfèrent à la motivation du jugement et de l’arrêt rendus au pénal.

La BNP PPF estime que les époux [J] ont déjà été indemnisés de leur préjudice moral par la Cour d’appel qui leur a accordé à chacun 20 000 euros. A titre subsidiaire, elle demande la déduction des dommages et intérêts accordés par le juge pénal de l’éventuelle indemnisation que pourra prononcer le juge civil.

3.2. Réponse du tribunal

M. et Mme [J] distinguent à juste titre la violation de l’ordre public consumériste et l’atteinte à l’intégrité physique et psychologique engendrée par la commission d’une infraction.

Cependant, ils ne justifient pas avoir subi à titre personnel un préjudice moral distinct de celui qui a déjà été réparé par le juge pénal, lequel leur a alloué à chacun 20 000 euros.

Par conséquent, leur demande au titre du préjudice moral sera rejetée.

4. Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice patrimonial

4.1. Moyens et arguments des parties

M. et Mme [J] font valoir que le fonctionnement du prêt les a mis dans l’impossibilité de se libérer de leur dette et a ainsi porté atteinte à leur liberté patrimoniale. Ils indiquent que  » ce préjudice de congélation patrimoniale se calcule à partir de de ce que l’emprunteur n’a pas pu emprunter en l’état de l’accroissement inattendu de sa dette en capital, rapporté au taux de disponibilité patrimoniale (ratio d’endettement prudentiel) de 35% « . Ils affirment que si l’amortissement du prêt s’était déroulé comme cela leur avait été présenté par la banque, ils auraient recouvré une capacité d’endettement à hauteur de 35%.

M. et Mme [J] comptaient bénéficier d’une plus-value en revendant le bien immobilier au bout de neuf ans, comme leur avait fait espérer l’argumentaire des commerciaux. Toutefois, ils constatent que l’augmentation imprévue du capital les a empêchés de procéder à la revente du bien et de recouvrer leur disponibilité patrimoniale.

Pour calculer leur préjudice patrimonial, M. et Mme [J] partent du capital restant dû, soit 195 217,82 euros, dont ils retranchent le capital initialement libéré, soit 200 491 euros, et auquel ils ajoutent toutes les mensualités réglées soit 206 846,27 euros. Ils multiplient la somme ainsi obtenue par 35%, soit un préjudice patrimonial de 70 550,58 euros.

La BNP PPF fait valoir que la demande au titre du préjudice patrimonial est irrecevable pour cause de défaut d’intérêt à agir et de prescription. Elle soutient qu’en présence d’un contrat anéanti rétroactivement, celui qui entend obtenir une condamnation à des dommages et intérêts ne peut invoquer des manquements contractuels pour engager la responsabilité de son contractant. Elle ajoute que les demandeurs ont formé leur demande au titre du préjudice patrimonial pour la première fois dans leurs conclusions du 30 mai 2024 alors que le délai de prescription de 5 ans court à compter du jour de l’acceptation de l’offre de prêt .

Sur le fond, la BNP PPF conteste toute atteinte à la liberté patrimoniale des emprunteurs alors que l’annulation du prêt entraîne pour eux le bénéfice d’un prêt gratuit, outre celui des loyers perçus et des avantages fiscaux tandis que la banque conserve à sa charge les coûts liés au prêt. Elle relève que les emprunteurs ne justifient pas de leur situation patrimoniale ni de démarches pour revendre leur bien immobilier et constate que, selon les termes du prêt, l’amortissement court jusqu’en 2034 de sorte qu’il ne peut être affirmé que les emprunteurs auraient déjà dû recouvrer leur capacité d’endettement.

4.2. Réponse du tribunal

4.2.1. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L’existence du droit invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès.

En soutenant que les époux [J] ne peuvent invoquer des manquements contractuels alors que le contrat est anéanti, la BNP PPF conteste l’existence de leur droit à demander réparation du préjudice d’atteinte à la liberté patrimoniale et non pas leur intérêt à le faire.

Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir sera rejetée.

4.2.2. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, en raison de l’existence de clauses abusives dans le contrat de prêt, les emprunteurs n’ont pu réaliser le risque financier encouru. L’étendue et les conséquences de ce risque sont portés à leur connaissance au jour où ces clauses sont déclarées abusives.

Par conséquent, le point de départ de leur action au titre de l’atteinte à la liberté patrimoniale est fixé au jour auquel ces clauses sont jugées abusives, soit à compter du prononcé du présent jugement.

Il en résulte que l’action n’est pas prescrite.

4.2.3. Sur l’atteinte à la liberté patrimoniale

S’agissant de leur préjudice d’atteinte à la liberté patrimoniale, M. et Mme [J] ne justifient pas de leurs revenus et charges de telle sorte que leur capacité d’endettement ne peut être appréciée.

En outre, le prêt a été conclu pour une durée de 25 ans si bien qu’ils ne peuvent affirmer qu’ils auraient dû être libérés de leur prêt au terme d’une période de neuf ans.

Par conséquent, leur demande au titre du préjudice d’atteinte à la liberté patrimoniale sera rejetée.

5. Sur le maintien de l’inscription hypothécaire

La demande formée par la banque tendant à voir prononcer le maintien de l’inscription hypothécaire jusqu’au paiement par l’emprunteur des sommes dues au titre des restitutions est sans objet, dès lors qu’aucune demande de mainlevée de l’inscription ne lui est opposée.

6. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Partie perdante à l’instance, M. et Mme [J] seront condamnés aux dépens, sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.

Pour la même raison, il n’y a pas lieu de faire droit à leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

DIT que les clauses n°1 à 5 du contrat de prêt Helvet Immo consenti à M. et Mme [J] par la société anonyme BNP Paribas Personal Finance le 2 juin 2009, intitulées « Description de votre crédit, Financement de votre crédit, Ouverture d’un compte interne en euros et d’un compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit, Opérations de change et Remboursement de votre crédit », sont abusives et réputées non écrites ;

PRONONCE l’anéantissement rétroactif du contrat de prêt Helvet Immo consenti à M. [E] et Mme [N] [J] par la société anonyme BNP Paribas Personal Finance le 2 juin 2009;

CONDAMNE en conséquence M. [E] [J] et Mme [N] [J] à verser à la société anonyme BNP Paribas Personal Finance la somme de 82 674,98 euros, arrêtée au 15 mars 2024 ;

DIT que cette somme devra être actualisée en fonction des paiements effectués par les époux [J] depuis cette date ;

REJETTE les demandes des époux [J] au titre de leur préjudice moral ;

REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par la société anonyme BNP Paribas Personal Finance à raison du défaut d’intérêt à agir et de la prescription au titre de l’atteinte à la liberté patrimoniale ;

REJETTE la demande de M. et Mme [J] au titre de l’atteinte à la liberté patrimoniale ;

REJETTE la demande de la société anonyme BNP Paribas Personal Finance de maintien de l’inscription hypothécaire sur le bien immobilier financé par le prêt consenti le 2 juin 2009 ;

CONDAMNE M. [E] [J] et Mme [N] [J] aux dépens ;

REJETTE la demande de M. [E] [J] et Mme [N] [J] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.

Fait et jugé à Paris le 13 Janvier 2025.

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon