Prêt d’argent et preuve écrite : enjeux de la reconnaissance de dette et de la prescription.

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Prêt d’argent et preuve écrite : enjeux de la reconnaissance de dette et de la prescription.

L’Essentiel : Madame [P] [W] a assigné Madame [N] [B] devant le tribunal judiciaire de Nantes pour le remboursement d’un prêt de 30 000 euros, ainsi que des intérêts. Le tribunal a déclaré irrecevables certaines demandes de Mme [W] pour cause de prescription, mais a reconnu la validité de ses demandes concernant le capital et les intérêts pour les années 2016 à 2019. Après examen des preuves, le tribunal a condamné Mme [B] à rembourser le prêt et a statué sur d’autres demandes, tout en rejetant la demande de dommages-intérêts de Mme [W].

Contexte de l’affaire

Madame [P] [W] a mis en demeure Madame [N] [B] par lettre recommandée le 2 septembre 2019, lui réclamant le remboursement d’un prêt de 30 000 euros consenti le 28 février 2014, ainsi que des intérêts de 900 euros pour les années 2015 à 2019. Face à l’absence de réponse, elle a assigné Madame [B] devant le tribunal judiciaire de Nantes le 11 mai 2020, demandant le remboursement de plusieurs sommes totalisant 90 000 euros.

Décisions du tribunal

Le juge de la mise en état a, par ordonnance du 20 mai 2021, déclaré irrecevables certaines demandes de remboursement de Mme [P] [W] pour cause de prescription, tout en déclarant recevables d’autres demandes, notamment celles relatives au capital du prêt et aux intérêts pour les années 2016 à 2019. Une demande de sursis à statuer de Mme [N] [B] a été rejetée par ordonnance du 5 mai 2022.

Arguments de Madame [P] [W]

Dans ses conclusions du 9 novembre 2022, Mme [P] [W] a demandé au tribunal de débouter Mme [B] de toutes ses demandes et de lui verser diverses sommes, y compris 30 000 euros pour le prêt du 28 février 2014, des intérêts contractuels, et d’autres montants liés à des prêts et à des préjudices subis. Elle a justifié ses demandes par des documents attestant de l’existence des prêts et des engagements de remboursement.

Arguments de Madame [N] [B]

Dans ses conclusions du 12 septembre 2022, Mme [N] [B] a contesté la compétence du tribunal judiciaire de Nantes, arguant que les demandes de Mme [W] étaient liées à des actes de commerce. Elle a également soutenu que les demandes de remboursement étaient prescrites et a demandé le rejet des demandes de Mme [W], tout en réclamant une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Analyse des prêts

Le tribunal a examiné les preuves des prêts allégués. Pour le prêt de 30 000 euros, il a constaté l’existence d’une reconnaissance de dette et d’un contrat de prêt, ce qui a conduit à la condamnation de Mme [B] à rembourser cette somme avec intérêts. Concernant le prêt de 5 000 euros, bien qu’aucun écrit n’ait été établi, le tribunal a jugé que les éléments fournis par Mme [W] constituaient un commencement de preuve suffisant pour établir l’existence du prêt.

Remboursement des cautions

Le tribunal a également statué sur la demande de remboursement de 26 694,71 euros, liée à la caution que Mme [W] avait fournie pour une société. Il a constaté que Mme [W] avait payé sa quote-part et a condamné Mme [B] à lui rembourser cette somme.

Demande de dommages-intérêts

La demande de dommages-intérêts de Mme [W] a été rejetée, le tribunal estimant qu’elle n’avait pas démontré un préjudice distinct de celui causé par le défaut de paiement, qui était déjà réparé par les intérêts de retard.

Conclusion du jugement

Le tribunal a déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par Mme [B] et a condamné cette dernière à verser plusieurs sommes à Mme [W], tout en rejetant ses demandes et en la condamnant aux dépens de l’instance.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence du tribunal judiciaire dans ce litige ?

La question de la compétence du tribunal judiciaire de Nantes est soulevée par Mme [N] [B], qui argue que les demandes de Mme [P] [W] relèvent des actes de commerce, ce qui devrait renvoyer l’affaire au tribunal de commerce.

L’article 789 du code de procédure civile stipule que :

« Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure. »

En l’espèce, l’exception d’incompétence est une exception de procédure.

Mme [B] n’invoque pas d’éléments nouveaux survenus après le dessaisissement du juge de la mise en état.

Ainsi, l’exception d’incompétence est déclarée irrecevable.

Quelles sont les conditions de preuve d’un prêt non consenti par un établissement de crédit ?

La preuve d’un prêt non consenti par un établissement de crédit est soumise au droit commun, selon l’ancien article 1315 du code civil, qui précise que :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »

De plus, l’article 1341 ancien du code civil exige que :

« L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant 1 500 euros doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

L’article 1326 ancien précise également que :

« L’acte juridique par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme en toutes lettres et en chiffres. »

Ainsi, la preuve d’un contrat de prêt doit être apportée par écrit, et la preuve par témoins ou présomptions est prohibée.

Quelles sont les conséquences de la prescription sur les demandes de remboursement ?

La prescription est un moyen de défense qui peut être soulevé par la partie défenderesse.

L’article 2224 du code civil dispose que :

« La durée de la prescription est de cinq ans. »

Dans le cas présent, le juge de la mise en état a déclaré irrecevables comme prescrites certaines demandes de remboursement, notamment celles concernant les intérêts du prêt du 28 février 2014 pour l’année 2015 et les chèques émis en 2014.

Cela signifie que les demandes de Mme [P] [W] concernant ces sommes ne peuvent plus être valablement revendiquées en raison de l’écoulement du délai de prescription.

Comment se prouve l’existence d’un prêt entre particuliers ?

Pour prouver l’existence d’un prêt entre particuliers, il est nécessaire de se référer aux articles du code civil relatifs à la preuve des obligations.

L’article 1347 ancien du code civil indique que :

« Un commencement de preuve par écrit est un acte par écrit émané de celui contre lequel la demande est formée, qui rend vraisemblable le fait allégué. »

Dans cette affaire, Mme [W] a produit une reconnaissance de dette signée par Mme [B], ainsi qu’une déclaration de contrat de prêt.

Ces documents constituent un commencement de preuve, rendant vraisemblable l’existence du prêt de 30 000 euros.

Quels sont les droits d’une caution ayant payé une dette ?

L’article 2312 du code civil stipule que :

« En cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part. »

Dans le cas présent, Mme [W] a payé sa quote-part en tant que caution solidaire et a donc le droit de réclamer à Mme [B] le remboursement de la somme qu’elle a réglée.

Cela signifie que Mme [B] est tenue de rembourser à Mme [W] la somme de 26 694,71 euros, correspondant à la quote-part que Mme [W] a dû payer suite à la condamnation solidaire.

Quelles sont les conditions pour obtenir des dommages-intérêts en cas de préjudice ?

Pour obtenir des dommages-intérêts, il est nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice distinct du simple non-paiement d’une dette.

Mme [W] a tenté de justifier un préjudice en raison du refus de Mme [B] de rembourser les prêts, mais le tribunal a constaté qu’elle n’a pas démontré un préjudice distinct.

En effet, les versements effectués par Mme [W] s’inscrivaient dans le cadre d’un projet d’investissement, et le préjudice allégué ne peut être dissocié du défaut de paiement.

Ainsi, la demande de dommages-intérêts a été rejetée, car Mme [W] n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice distinct.

IC

FC

LE 19 NOVEMBRE 2024

Minute n°

N° RG 20/02090 – N° Portalis DBYS-W-B7E-KUNJ

[P] [W]

C/

[N] [B]

Le 19.11.124

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à :
– Me Bruno Denis
– Me Cédric Robert

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
———————————————-

PREMIERE CHAMBRE

Jugement du DIX-NEUF NOVEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président : Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
Assesseur : Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur : Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,

Greffier : Isabelle CEBRON

En présence d’[Y] [S], greffier stagiaire

Débats à l’audience publique du 10 SEPTEMBRE 2024 devant Marie-Caroline PASQUIER, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 12 NOVEMBRE 2024 prorogé le 19 NOVEMBRE 2024

Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.

—————

ENTRE :

Madame [P] [W]
née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 7] (LOIRE ATLANTIQUE), demeurant [Adresse 3]
Rep/assistant : Maître Bruno DENIS de la SCP CADORET TOUSSAINT DENIS & ASSOCIES, avocats au barreau de SAINT-NAZAIRE, avocats plaidant

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

Madame [N] [B]
née le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 6] (ESSONNE), demeurant [Adresse 5]
Rep/assistant : Maître Cédric ROBERT de la SELEURL CEDRIC ROBERT, avocats au barreau de NANTES

DEFENDERESSE.

D’AUTRE PART

Exposé du litige

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 septembre 2019, Madame [P] [W], par l’intermédiaire de son conseil, a mis en demeure Madame [N] [B] de lui payer la somme de 34 500 euros correspondant à la somme de 30 000 euros qu’elle lui avait prêtée le 28 février 2014 et qui était exigible à compter du 1er mars 2019, outre les intérêts de 900 euros sur les années 2015 à 2019.

Cette mise en demeure n’ayant pas été suivie d’effet, par acte d’huissier du 11 mai 2020, Madame [P] [W] a fait assigner Madame [N] [B] devant le tribunal judiciaire de Nantes en remboursement de plusieurs sommes d’argent qu’elle prétend lui avoir prêtées pour un montant total de 90 000 euros.

Par ordonnance du 20 mai 2021, le juge de la mise en état, saisi par Mme [N] [B], a notamment :
Déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de remboursement présentées par Mme [P] [W] :- Au titre des intérêts du prêt du 28 février 2014 pour l’année 2015, portant sur la somme de 900 euros,
– Au titre des chèques émis les 8 mars, 23 mai, 17 et 24 juillet 2014, portant sur la somme globale de 55 000 euros ;
Déclaré recevables le surplus des demandes formées par Mme [P] [W] :- Au titre du remboursement du capital du prêt du 28 février 2014 et des intérêts pour les années 2016 à 2019,
– Au titre du chèque de 5 000 euros du 7 janvier 2015 ;
Débouté Mme [N] [B] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par ordonnance du 5 mai 2022, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par Mme [N] [B].

En l’état de ses dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 9 novembre 2022, Mme [P] [W] demande au tribunal, sur le fondement des articles 1902 et 1904, 1347 anciens et suivants, 1154 et 1326 anciens, 2312 du code civil, de :
Débouter Mme [B] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 30 000 euros au titre du prêt du 28 février 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019 ;Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 3 600 euros au titre des intérêts contractuels avec intérêt au taux légal sur chaque échéance de 900 euros de 2016 à 2019 ;Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre du prêt du 15 janvier 2015, avec intérêts au taux légal à compter du jugement jusqu’à parfait paiement ;Condamner Mme [B] à lui verser la somme de 26 694,71 euros ;Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice ;Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner Mme [B] aux entiers dépens ;Rejeter toute demande tendant à voir écarter l’exécution provisoire de la décision.
A l’appui de sa demande en remboursement de la somme de 30 000 euros, elle expose que le 26 novembre 2013, elle a remis un chèque d’un montant de 30 000 euros à Mme [B] dans le cadre d’un investissement dans un restaurant « Hôtel du commerce », encaissé le lendemain, et que par acte sous seing privé du 10 janvier 2014, celle-ci a reconnu avoir personnellement reçu cette somme et s’engager à la rembourser au bout de cinq années. Elle précise que le 28 février 2014, un contrat de prêt a été signé entre les parties et déclaré aux services des impôts. Elle souligne que la reconnaissance de dette a été constatée dans un titre qui comporte sa signature ainsi que la mention écrite par elle-même de la somme due en toutes lettres et chiffres. Elle relève que Mme [B] admet elle-même l’existence du prêt qu’elle qualifie de personnel.
Elle s’oppose à l’exception soulevée par Mme [B]. D’une part, elle conteste la qualification d’acte de commerce, soulignant qu’elle n’exerce ni la profession de commerçante, ni n’accomplit d’acte de commerce à titre habituel. D’autre part, elle précise que s’il avait été effectivement évoqué initialement un apport pour constituer une société, celle-ci n’a jamais été créée.

A l’appui de sa demande en remboursement de la somme de 5 000 euros, Mme [W] expose avoir prêté la somme de 5 000 euros par chèque le 7 janvier 2015. Elle précise que Mme [B] lui avait alors remis un chèque du même montant, à encaisser au mois d’avril de la même année, mais que ce chèque avait été refusé pour défaut ou insuffisance de provision.

A l’appui de sa demande en paiement de la somme de 26 694,71 euros, elle expose qu’elle s’était portée caution des engagements souscrits par la société TTH créée par Mme [B] et son compagnon, M. [U], qu’à la suite du jugement du 9 mai 2019 du tribunal de commerce de Nantes, elle a payé sa quote-part le 17 juillet 2019 et qu’elle a reçu un commandement de payer le 28 septembre 2022 portant sur la somme de 26 694,71 euros, au titre des sommes dues par Mme [B] et non remboursées, qu’elle a donc dû régler à l’huissier.

A l’appui de sa demande en dommages-intérêts, Mme [W] fait valoir que le refus de Mme [B] de rembourser les prêts contractés lui a causé un préjudice, dans la mesure où, du fait de leur relation amicale, elle n’a pas exigé un écrit à chaque emprunt, de sorte que la plupart des sommes versées ne sera pas recouvrée. Elle expose se sentir trahie. Elle précise qu’elle a dû contracter un prêt moindre pour l’achat de sa résidence principale, ne disposant plus des fonds suffisants et qu’elle a été contrainte d’abandonner son projet d’achats de parts sociales de la SARL Le Club Bio qui l’embauchait à l’époque, alors que ce rachat aurait pu lui permettre d’assurer sa retraite.

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Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 12 septembre 2022, Mme [N] [B] demande au tribunal de:

In limine litis, déclarer le tribunal judiciaire de Nantes incompétent pour toutes les demandes de Mme [W], au profit du tribunal de commerce de Nantes ;débouter en tout état de cause Mme [P] [W] de l’ensemble de ses demandes ;condamner Mme [P] [W] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
In limine litis, elle soutient que Mme [W] réclame le paiement de sommes liées à des actes de commerce, ce qui a pour conséquence de rendre le tribunal judiciaire de céans incompétent matériellement au détriment du tribunal de commerce de Nantes, dans la mesure où la somme de 30 000 euros a été consentie dans le cadre d’un engagement et dépôt de fonds pour une société à constituer. Elle fait valoir qu’il en est de même pour la cause du chèque du 7 janvier 2015.

Sur le fond, elle relève que de janvier à octobre 2014, Mme [W] a émis vingt chèques, dont un de 50 000 euros le 7 janvier 2014, de sorte qu’elle serait familière des libéralités. S’agissant de la dette de 30 000 euros, elle soutient que celle-ci est née le [Date naissance 4] 2014, si bien qu’elle était éteinte lors de l’assignation du 11 mai 2020. Elle en conclut que les demandes de Mme [W] concernant le capital et les intérêts de ce prêt sont prescrites. S’agissant de la somme de 5 000 euros, elle fait observer que la demanderesse admet n’avoir aucun écrit de sa part et qu’elle a attendu cinq ans pour venir réclamer le paiement d’un chèque non provisionné.

Elle s’oppose en outre à la demande en dommages-intérêts, Mme [W] ne démontrant aucun préjudice.

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Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs dernières conclusions susvisées.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 juin 2024.

MOTIFS
A titre liminaire, il sera précisé que les articles du code civil applicables au présent litige sont ceux dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, soit le 1er octobre 2016, au regard de la date de souscription des contrats de prêt allégués.

Sur l’exception d’incompétence du tribunal judiciaire de Nantes au profit du tribunal de commerce de Nantes

L’article 789 du code de procédure civile dispose que, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge.
Or, l’exception d’incompétence est une exception de procédure.
Au cas d’espèce, l’affaire a été instruite sous le contrôle d’un juge de la mise en état et Mme [B] n’invoque pas d’éléments qui seraient survenus ou se seraient révélés postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
Il convient en conséquence de prononcer l’irrecevabilité de l’exception d’incompétence d’attribution soulevée par la défenderesse.

Sur le remboursement des sommes prétendument prêtées

La preuve d’un prêt non consenti par un établissement de crédit est soumise au droit commun, de sorte que c’est à celui qui s’en prévaut d’en prouver l’existence, conformément à l’ancien article 1315 du code civil, la preuve de remise de fonds ne suffisant pas à justifier l’obligation pour la personne qui les a reçus de les restituer.
Il résulte de l’article 1341 ancien du code civil et du décret n° 2004-836 du 20 août 2004 que l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant 1 500 euros doit être prouvé par écrit sous signature privé ou authentique.
L’article 1326 ancien du même code prévoit en outre que l’acte juridique par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres.

Il s’ensuit que la preuve d’un contrat de prêt, qui incombe à celui qui demande la restitution des sommes versées, ne peut être apportée que par écrit, la preuve par témoins ou présomptions étant prohibée.

L’article 1347 ancien du même code prévoit cependant que cette règle reçoit exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit et précise qu’on appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu’il représente et qui rend vraisemblable le fait allégué.

Deux conditions sont ainsi exigées pour qu’un écrit puisse constituer un commencement de preuve au sens de ce texte :
d’abord, il doit d’agir d’un écrit émanant de celui contre lequel la demande est formée, de sorte que le demandeur ne peut se prévaloir d’un écrit dont il est l’auteur. Ce n’est là qu’une application particulière du principe général selon lequel nul ne peut se constituer de titre à lui-même.Ensuite, l’écrit doit rendre vraisemblable le fait allégué. Il appartient au demandeur qui a rapporté un commencement de preuve par écrit de le parfaire par d’autres éléments tels que témoignages ou indices et les juges du fond apprécient souverainement si ce complément de preuve a été fourni.
Selon l’article 1154 ancien du même code, les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur le prêt allégué du 28 février 2014
En l’espèce, il ressort des pièces produites que :
Mme [W] a émis un chèque d’un montant de 30 000 euros au profit de Mme [B] le 28 novembre 2013, encaissé le 6 décembre 2013 ;Mme [B] a signé le 10 janvier 2014 un document intitulé « reconnaissance de dette » écrit manuscritement portant sur la somme de 30 000 euros, somme mentionnée en lettres et en chiffres, au profit de Mme [W], dans laquelle il est précisé que « ce prêt sera remboursable à son terme cinq ans, produit d’intérêt au taux légal » , étant précisé que ce document est signé tant par Mme [W] que Mme [B] ;Mme [B] a établi une déclaration de contrat de prêt le 28 février 2014, établie sur un formulaire Cerfa du ministère du budget, dans laquelle il est fait état d’un prêt consenti par Mme [W] d’un montant de 30 000 euros d’une durée de cinq ans, au taux de 3% ; sous la rubrique observations, il est indiqué que « les intérêts [d’un montant de 900 euros] seront versés à date anniversaire du prêt, soit la première fois le 28 février 2015 ».Ces éléments établissent suffisamment que Mme [W] a versé à Mme [B] la somme de 30 000 euros, somme que cette dernière s’est engagée à rembourser, ce qui implique qu’il ne s’agissait pas d’une libéralité mais bien d’un prêt d’argent. Les termes explicites de « contrat de prêt » ne permettent pas d’ailleurs d’envisager la qualification de libéralité.
Il sera par ailleurs rappelé que l’éventuelle prescription de ce contrat de prêt relève de la compétence du juge de la mise en état et que celui-ci, par ordonnance du 20 mai 2021, a déclaré recevable la demande de remboursement présentée par Mme [W] au titre du remboursement du capital du prêt du 28 février 2014.
Mme [B] sera ainsi condamnée à verser à Mme [W] la somme de 30 000 euros au titre du capital prêté le 28 février 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019.
En application du contrat de prêt du 28 février 2014, Mme [B] devait régler à Mme [W] au titre des intérêts contractuels la somme de 900 euros le 28 février 2015, la même somme le 28 février 2016, puis le 28 février 2017, le 28 février 2018 et enfin le 28 février 2019. Mme [W] réclame les intérêts pour les années 2016 à 2019, soit la somme de 3 600 euros, dont rien n’établit qu’elle ait été acquittée, étant rappelé que le juge de la mise en état, par ordonnance du 20 mai 2021, a déclaré irrecevable comme prescrite la demande de Mme [W] de remboursement au titre des intérêts du prêt du 28 février 2014 pour l’année 2015.
Mme [B] sera dès lors condamnée à verser à Mme [W] la somme de 3 600 euros au titre des intérêts du prêt du 28 février 2014, avec intérêts au taux légal à chaque échéance du 28 février 2016 au 28 février 2019.
Sur le prêt allégué du 7 janvier 2015
Il s’en suit de ce qui précède que le prêt allégué devait être passé par écrit.
Il n’est pas discuté qu’aucun écrit n’a été établi entre Mme [W] et Mme [B] concernant le prêt que la première prétend lui avoir consenti le 7 janvier 2015.
Pour justifier de ce prêt, Mme [W] produit :
La liste des mouvements du compte bancaire de Mme [W] faisant apparaître un débit d’un montant de 5 000 euros réglé par chèque le 7 janvier 2015 ;Une copie d’un chèque émis le 7 janvier 2015 par « Mme [N] [B] – Hotel restaurant Le Commerce » au profit de Mme [W] d’un montant de 5 000 euros ;Une attestation de rejet établie par la banque BNP Paribas du 23 novembre 2015, exposant que ce chèque a été rejeté « pour défaut ou insuffisance de provision ». Le chèque établi par Mme [B] peut être considéré comme un commencement de preuve par écrit rendant vraisemblable l’obligation de celle-ci de rembourser la somme indiquée, puisqu’il s’agit d’un acte que celle-ci reconnaît avoir signé. Ce chèque daté du 7 janvier 2015 peut être mis en lien avec le débit de la somme d’un même montant du compte de Mme [W], même si le bénéficiaire de ce transfert de fonds n’est pas identifié, étant précisé que Mme [B] ne conteste pas expressément avoir reçu cette somme.
Par suite, l’existence du prêt est démontrée.
Mme [W] est ainsi fondée à obtenir de Mme [B] le remboursement de la somme de 5 000 euros qui lui a été versée à titre de prêt, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement.
Sur le paiement de la somme de 26 694,71 euros
Aux termes de l’article 2312 du code civil, en cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part.
Il est constant que par jugement du 9 mai 2019, le tribunal de commerce de Nantes a notamment condamné solidairement Mme [W] et Mme [B] en leur qualité de caution solidaire à payer à la société Brasserie Heineken Entreprise la somme de 47 416,73 euros, outre les intérêts.
Il résulte des pièces versées à la procédure que Mme [W] a réglé sa quote-part le 19 juillet 2019 et qu’elle a reçu un commandement de payer le 28 septembre 2022 de la somme de 26 694,71 euros au titre de cette condamnation, Mme [B] n’ayant effectué que quelques versements irréguliers de 500 euros chacun. Mme [W] justifie du règlement de cette somme par virement du 6 octobre 2022.
Mme [B] ne formule aucun moyen opposant à cette demande.
Elle sera par conséquent condamnée à payer cette somme à Mme [W].
Sur la demande en dommages-intérêts
Il est constant qu’outre les deux prêts du 28 février 2014 et du 7 janvier 2015, Mme [W] avait sollicité le remboursement d’autres prêts portant sur la somme totale de 55 000 euros (un prêt de 5 000 euros, deux prêts de 20 000 euros chacun et un prêt de 10 000 euros), ces demandes ayant été déclarée irrecevables, comme prescrites, par le juge de la mise en état dans son ordonnance du 20 mai 2021.
Mme [W] justifie par ailleurs de son implication dans un projet de participation à la reprise de l’entreprise qui l’employait en juillet 2015, auquel elle a dû renoncer « pour cause d’un manque de financement ». Il doit cependant être relevé que si ce projet s’est concrétisé postérieurement à l’octroi des deux prêts objet du présent litige, le remboursement du prêt du 28 février 2014, le plus important, ne devait intervenir que cinq ans plus tard, soit en 2019.
Mme [W] ne justifie pas de sa renonciation à d’autres projets.
Il doit par ailleurs être rappelé que les divers versements faits par Mme [W] à Mme [B] s’inscrivaient dans le cadre d’un projet de constitution d’une société en vue de l’acquisition d’un hôtel-restaurant à [Localité 8], qui n’a finalement pas eu lieu. Mme [W] n’a ainsi pas versé ces sommes par amitié dont Mme [B] aurait profité, comme elle le prétend dans ses écritures, mais dans le cadre d’un investissement censé lui rapporter de l’argent mais également susceptible d’engendrer des pertes.
Par conséquent, Mme [W] échoue à démontrer un préjudice distinct de celui causé par le défaut de paiement et réparé par les intérêts de retard. Sa demande de dommages-intérêts sera dès lors rejetée.

Sur les autres demandes

Succombant, Mme [B] sera condamnée aux dépens. Elle ne peut dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît, en revanche, équitable qu’elle prenne en charge les frais que Mme [W] a dû engager pour faire valoir ses droits en justice, évalués à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,

le Tribunal:

Déclare Madame [N] [B] irrecevable à soulever l’exception d’incompétence du tribunal judiciaire de Nantes ;

Condamne Madame [N] [B] à verser à Madame [P] [W] les sommes suivantes :
30 000 euros au titre du remboursement du capital prêté le 28 février 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2019, date d’échéance du prêt ;3600 euros au titre des intérêts contractuels, avec intérêt au taux légal sur chaque échéance annuelle de 900 euros, du 28 février 2016 au 28 février 2019 ;5 000 euros au titre du remboursement du prêt du 7 janvier 2015 ;26 694,71 euros au titre de son recours personnel entre cautions ;3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par Madame [P] [W] ;

Rejette la demande présentée par Madame [N] [B] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [N] [B] aux dépens de la présente instance.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Isabelle CEBRON Marie-Caroline PASQUIER


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