Photographie portant atteinte à la dignité humaine

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Photographie portant atteinte à la dignité humaine

Le licenciement pour faute grave d’une aide médico-psychologique qui avait pris en photo à son insu, un patient en état de vulnérabilité, photographie transmise à un tiers, a été confirmé en appel.

Droit à l’image des patients diminués

Le résident, comme la majorité des personnes accueillies en maison d’accueil spécialisée, présentait un handicap lourd avec des troubles du comportement. La salariée l’avait pris en photo avec son téléphone portable, alors que celui-ci était déshabillé, allongé sur son matelas au sol. La salariée a envoyé cette photo du résident à un ancien salarié de l’employeur, accompagnée de commentaire, afin de l’informer de l’état dans lequel était le résident.

Respect de la vie privée

L’article 9 du code civil énonce que chacun a droit au respect de sa vie privée ; chaque individu a un droit exclusif sur son image et l’utilisation qui en est faite ; la salariée, en prenant cette photographie a enfreint ce texte mais aussi le règlement intérieur de l’employeur, a porté atteinte aux droits et à la dignité du patient et nui à l’image de son employeur. Compte tenu de l’atteinte portée aux droits du résident, c’est à bon droit que l’employeur a licencié la salariée pour faute grave.

Moyen de défense inopérant

C’est vainement, pour justifier son attitude, que la salariée a fait valoir sans produire aucun élément que la photographie a été prise exclusivement dans l’intérêt du résident au motif que celle-ci avait vocation à être produite lors d’une réunion d’équipe en vue d’alerter la direction sur la nécessité absolue d’acquérir un lit médicalisé permettant d’éviter les chutes de ce dernier ; ou encore qu’elle souhaitait se prémunir contre toute accusation de maltraitance en établissant que les hématomes de ce dernier trouvaient leur origine dans ses chutes excessives de son lit qui était inadapté.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 06 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00084 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B672W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FONTAINEBLEAU – RG n° F 17/00090

APPELANTE

Madame X.

Représentée par Me Abdellah AOULAD ALI, avocat au barreau d’ESSONNE

INTIMEE

Association FONDATION DES AMIS DE L’ATELIER

Représentée par Me Bertrand MERVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Hélène FILLIOL, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre,

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

—  CONTRADICTOIRE,

— mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— signé par Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme X a été embauchée par Les Amis de l’Atelier devenue la Fondation des Amis de l’Atelier, en qualité de personnel éducatif non qualifié, du 20 juillet 2010 au 30 septembre 2011 dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée.

Les relations contractuelles se sont poursuivies à compter du 1er octobre 2011 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Compte-tenu de l’obtention par Mme X du diplôme d’Etat d’aide médico-psychologique, celle-ci a été reclassée à compter du 1er janvier 2014 sur le poste d’AMP internat classification aide médico-psychologique suivant avenant en date du 30 décembre 2013.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées.

Mme X a été absente de l’entreprise pour cause de maladie professionnelle à compter du 30 avril 2016.

Elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 17 mai 2016 reporté le 19 mai 2016 en vue d’un éventuel licenciement, qui lui a été notifié par courrier du 24 mai 2016 pour faute grave en ces termes : ‘ Le 28 avril 2016, nous avons été informés de vos agissements durant le week-end du 16 et 17 avril 2016. Vous preniez en charge Y. sur l’unité de vie Himalaya, dont le matelas avait été installé au sol pour des raisons de sécurité. Mr Y était en situation de dépendance totale pour son lever de sieste. Ce résident, comme la majorité des personnes accueillies en maison d’accueil spécialisée, présentait un handicap lourd avec des troubles du comportement. Vous avez pris Y. en photo avec votre téléphone portable, alors que celui-ci était déshabillé, allongé sur son matelas au sol. Le dimanche 17 avril 2016, vous avez envoyé cette photo du résident à un ancien salarié de la Fondation, Mr Z, accompagnée de commentaire, afin de l’informer de l’état dans lequel était Y..

Le lundi 2 mai 2016, Madame B., sœur et tutrice de Y.., nous a informé avoir reçu le dimanche 17 avril 2016, un appel d’un homme se disant le compagnon d’une salariée de l’établissement, qui souhaitait l’informer que Monsieur Y. avait son lit par terre et qu’il était laissé dans ses excréments. Elle nous a expliqué que suite à cet appel elle a informé son autre frère et celui-ci a rendu visite à Y.. à la MAS le dimanche 17 avril 2016.

Vos agissements sont irrespectueux vis à vis de M. Y. et sont répréhensibles car ils vont à l’encontre du règlement de fonctionnement du MAS qui précise que ‘en dehors des nécessités de prise en charge, les personnes accueillies ont droit au respect de leur vie privée et doivent être protégées de toutes attitudes intrusives » ainsi qu’à l’encontre du règlement intérieur en son article 16 sur les obligations de discrétion ‘ indépendamment d(s règles instituées par le code pénal en matière de secret professionnel (article 226-13 du nouveau code pénal et celles édictées par le code du travail ….’.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Fontainebleau le 16 mai 2017 pour obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par un jugement en date du 30 octobre 2018, le conseil de prud’hommes a :

— dit le licenciement justifié;

— débouté Mme X de l’intégralité de ses demandes.

— condamné Mme X aux éventuels dépens.

Pour statuer ainsi, le conseil de prud’hommes a retenu que Mme X avait reconnu lors de l’entretien préalable avoir pris une photographie de M. B, adulte handicapé en fin de vie, que ces propos étaient confirmées par le compte-rendu de l’entretien préalable et les attestations versées aux débats ; que l’article 9 du code civil énonce que chacun a droit au respect de sa vie privée ; que chaque individu a un droit exclusif sur son image et l’utilisation qui en est faite ; que Mme X en prenant cette photographie a enfreint ce texte et le réglement intérieur de la MAS et a porté atteinte aux droits et à la dignité de M. B et nui à l’image de son employeur ; que compte tenu de l’atteinte portée aux droits du résident, c’est à bon droit que la fondation des Amis de l’Atelier a licencié Mme X pour faute grave.

Le 17 décembre 2018, Mme X a interjeté appel de ce jugement.

Selon ses écritures transmises par la voie électronique le 7 mars 2019, Mme X demande à la cour de:

Réformer le jugement,

En conséquence,

A titre principal :

Dire que son licenciement pour faute grave est sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire de requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

En conséquence et en tout état de cause :

Dire que le licenciement est nul en application des dispositions de l’article L. 1226-9 du Code du travail,

Condamner la fondation des Amis de l’Atelier à lui payer la somme de 42.716,64 euros au titre d’indemnité pour licenciement nul, ou à défaut, au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner la fondation des Amis de l’Atelier à lui payer les sommes suivantes:

—  4.894,61 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  3.559,72 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis,

—  355,97 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

—  3.600,00 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner la fondation des Amis de l’Atelier aux entiers dépens.

Pour conclure à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, Mme X fait valoir que si elle n’a jamais nié avoir pris une photographie de M. Bourdeau, celle-ci a été prise dans l’unique intérêt de ce dernier, en vue d’alerter la direction sur la nécessité absolue d’acquérir un lit médicalisé et de permettre ainsi d’assurer la sécurité de celui-ci. Elle ajoute qu’elle souhaitait se prémunir contre toute accusation de maltraitance en établissant que les hématomes de ce dernier trouvaient leur origine dans ses chutes excessives de son lit qui était inadapté. Elle conclut que cette photographie s’inscrit dans l’exercice de ses fonctions d’aide médico-psychologique dont la mission est de garantir la sécurité et le bien être des résidents et que celle-ci n’ayant fait l’objet d’aucune diffusion, il n’existe aucune atteinte au droit à l’image de ce résident.

Elle relève à titre subsidiaire que si la cour considérait que le fait d’avoir pris une photographie du résident constituait en lui même une faute, celle-ci du fait de ses qualités professionnelles et humaines et de son absence de passé disciplinaire, devra être considérée comme une faute simple parce qu’isolée.

Elle conclut en tout état de cause à la nullité du licenciement en invoquant les dispositions de l’article L.1226-9 du code du travail faisant valoir que la rupture lui a été notifiée alors qu’elle était absente de l’entreprise pour cause d’accident du travail.

La fondation des Amis de l’Atelier n’a pas conclu dans les délais .

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 27 Janvier 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, en application de l’article 954 in fine du code de procédure civile, la fondation des Amis de l’Atelier, qui ne conclut pas, est réputée s’approprier les motifs du jugement.

Sur la nullité du licenciement :

L’article L.1226-9 du code du travail, dont se prévaut Mme X, dispose qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

En l’espèce, il est établi que la salariée, absente de l’entreprise pour cause de rechute de maladie professionnelle depuis le 30 avril 2016, a été licenciée pour faute grave le 24 mai 2016 alors que son contrat de travail était suspendu.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de rupture, qui fixe les limites du litige, il est reproché à la salariée des

agissements irrespectueux et répréhensibles à l’égard d’un résident M. Y., présentant un handicap lourd avec des troubles du comportement, consistant notamment :

— le week end du 16 et 17 avril 2016 à l’avoir pris en photo avec son téléphone portable alors que celui-ci était déshabillé allongé sur son matelas au sol,

— à avoir envoyé le 17 avril 2016 cette photographie à un ancien salarié de la fondation accompagnée de commentaires afin de l’informer de l’état dans lequel se trouvait M. Y., et ce notamment en violation du réglement intérieur de la fondation qui précise qu’en dehors des nécessités de prise en charge, les personnes accueillies ont droit au respect de leur vie privée et doivent être protégées de toute attitude inutilement intrusive.

S’agissant du premier grief, dont la réalité n’est pas contestée par la salariée, la cour constate qu’en prenant une photographie de ce résident, lourdement handicapé, qui se trouvait nu sur son lit à même le sol, sans en référer à sa direction, ni en informer ses collègues de travail comme elle l’a indiqué lors de l’entretien préalable sur interrogation de son employeur, Mme X a porté gravement atteinte à la dignité de ce résident en violation des dispositions de l’article 17 du réglement intérieur de la Fondation visé par la lettre de rupture lequel dispose que ‘L’ensemble du personnel devra se conformer strictement aux instructions de la direction en ce qui concerne le comportement vis à vis des personnes accueillies au sein de la fondation. Dans tous les aspects de sa pratique et dans son comportement, le personnel apportera le plus grand soin au respect de la dignité des personnes accueillies et observera à leur égard la plus grande correction’.

C’est vainement, pour justifier son attitude, qu’elle fait valoir sans produire aucun élément :

— que cette photographie a été prise exclusivement dans l’intérêt de ce résident au motif que celle-ci avait vocation à être produite lors d’une réunion d’équipe en vue d’alerter la direction sur la nécessité absolue d’acquérir un lit médicalisé permettant d’éviter les chutes de ce dernier.

— qu’elle souhaitait se prémunir contre toute accusation de maltraitance en établissant que les hématomes de ce dernier trouvaient leur origine dans ses chutes excessives de son lit qui était inadapté.

Il résulte également de l’attestation de Mme B, salariée de l’entreprise, qui atteste avoir travaillé avec elle le week end du 16 et 17 avril, que Mme X a envoyé des messages écrits avec la photographie du résident Y. à M. Djedid, ancien chef de service. La circonstance que la salariée ait porté plainte contre ce témoin pour dénonciation calomnieuse ne remet pas en cause la valeur probante de cette attestation en l’absence d’élément produits permettant de douter de la sincérité des déclarations de Mme B.

Mme X ne peut donc sérieusement conclure que cette photographie s’inscrit dans l’exercice de ses fonctions d’aide médico-psychologique alors qu’elle ne démontre pas avoir transmis ou présenté cette photographie à la direction mais qu’il résulte des développements qui précèdent qu’elle l’a communiquée à un tiers à la fondation.

Le seul fait pour Mme X, aide médico-psychologique, qui avait notamment pour obligation d’apporter le plus grand soin au respect de la dignité des personnes accueillies et d’observer à leur égard la plus grande correction, de prendre une photographie de M. Y., résident en situation de dépendance totale, alors qu’il se trouvait déshabillé allongé sur son matelas à même le sol puis de l’avoir transmise à un tiers, constitue une faute grave, rendant impossible son maintien dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.

C’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a retenu que compte-tenu de l’existence d’une faute grave, le licenciement notifié pendant la suspension du contrat de travail n’était pas nul et a débouté

Mme X de ses demandes d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, mis à disposition par le

greffe

,

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE Mme X aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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