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En cas de demande de requalification de sa collaboration en contrat de travail, le photographe d’une collectivité locale (municipalité) doit privilégier la saisine de la juridiction administrative.
En effet, le service public auquel concourt le photographe vise l’information au profit des administrés des activités de la commune et a, au regard de son objet, de son mode de financement et de ses modalités de fonctionnement, une nature administrative (incompétence du conseil de prud’hommes).
Pour rappel, l’information municipale est une mission de service public et par principe, les services publics sont administratifs. Ils sont en revanche industriels et commerciaux s’ils remplissent trois critères tirés de l’objet du service, de l’origine des ressources et des modalités de l’organisation du service public.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
17e chambre
ARRÊT DU 11 MAI 2022
N° RG 19/03139
N° Portalis DBV3-V-B7D-TMBF
AFFAIRE :
[J] [P]
C/
COMMUNE DE [Localité 5]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 juin 2019 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F18/00786
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [J] [P]
née le 29 mars 1955 à [Localité 4]
de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Laurent LALOUM de la SCP REFERENS-LALOUM & ARNOULT, Plaidant, avocat au barreau de TOURS et Me Marion CORDIER de la SELARL SELARL SILLARD CORDIER & Associés, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 189
APPELANTE
****************
COMMUNE DE [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Marie-Hélène ANSQUER de la SELAS CITYLEX AVOCATS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 401
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Par jugement du 18 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :
— débouté la commune de [Localité 5] de sa demande visant les exceptions d’incompétence du conseil de prud’hommes, et en conséquence s’est déclaré compétent pour statuer sur le litige,
— débouté Mme [J] [P] de sa demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, pour la durée de sa relation de travail avec la commune de [Localité 5],
— débouté Mme [P] de ses demandes plus amples ou contraires,
— débouté la commune de [Localité 5] de sa demande reconventionnelle portant sur l’article 700 du code de procédure civile,
— laissé à Mme [P] la charge des entiers dépens de l’instance.
Par déclaration adressée au greffe le 1er août 2019, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2022.
Par dernières conclusions remises au greffe le 31 janvier 2020, Mme [P] demande à la cour de :
in limine litis,
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir liée au moyen d’incompétence soulevée par la commune de [Localité 5] et se déclarer par suite compétente pour statuer sur le présent litige,
sur le fond,
— réformer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail avec la commune de [Localité 5],
— réformer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses plus amples demandes,
statuant à nouveau,
— requalifier la relation contractuelle entre la commune de [Localité 5] et elle en un contrat de travail de droit privé,
— dire que la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse,
— condamner par conséquent la commune de [Localité 5] au paiement des sommes suivantes:
. 34 139,63 euros nets à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse,
. 5 252,25 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 525,22 euros bruts au titre des congés payés afférents,
. 11 934,28 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,
. 15 757,75 euros nets au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
— ordonner à la commune de [Localité 5] la remise d’un bulletin de paie, certificat de travail et attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision,
— condamner la commune de [Localité 5] au règlement de la somme de 7 900 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure de 1 ère instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens avec distraction, pour ceux d’appel, au profit de Me Marion Cordier, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe le 3 janvier 2022, la commune de [Localité 5] demande à la cour de :
à titre principal,
— infirmer le jugement du 18 juin 2019 (RG : F 18/00786) rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a rejeté la fin de non-revoir liée à l’incompétence de la juridiction qu’elle a soulevée,
— rejeter comme irrecevable la requête en appel de Mme [P] comme portée devant une juridiction incompétente,
à titre subsidiaire,
— confirmer le jugement contesté en ce qu’il a retenu que Mme [P] n’était pas liée à la commune de [Localité 5] par un contrat de travail,
— dire que la relation contractuelle l’unissant Mme [P] d’octobre 2002 à février 2008 n’était pas un contrat de travail,
— débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes,
— condamner Mme [P] au paiement de la somme de 8 000 euros T.T.C sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
LA COUR,
Mme [J] [P], photographe, a réalisé d’octobre 2002 à février 2018, des photos pour le compte de la commune de [Localité 5] dont le thème était d’illustrer des événements, d’assurer la promotion d’opérations municipales et plus généralement de constituer des reportages sur la ville et ses animations.
En 2018, la commune a lancé une procédure d’appel d’offre pour un marché dont l’objet était la réalisation de prestations photographiques et audiovisuelles.
Mme [P] a répondu à cette procédure de mise en concurrence en déposant un dossier de candidature, comme d’autres candidats.
Le 5 février 2018, la candidature de Mme [P] n’a pas été retenue et ses prestations ont donc cessé à compter de cette date.
Le 18 juin 2018, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de requalifier sa relation avec la commune de [Localité 5] en un contrat de travail à durée indéterminée et de faire constater sa rupture abusive.
SUR CE,
Sur la compétence :
Les parties sont en discussion sur la compétence matérielle des juridictions de l’ordre judiciaire pour trancher le litige qui les oppose. L’appelante soutient que le contrat qui la liait à la commune ne comportait aucune clause exorbitante et ne concourrait pas à l’exécution d’une mission de service public. L’intimée expose pour sa part que Mme [P] était directement employée par la commune qui par définition offre des services publics administratifs, que la communication municipale est une mission de service public et même que l’information institutionnelle constitue un service public administratif.
L’article L. 1411-2 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes règle les différends et litiges des personnels des services publics lorsqu’ils sont employés dans les conditions du droit privé.
Les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi. Il s’ensuit que le litige opposant un tel agent à son employeur relève de la compétence de la juridiction administrative et non de celle du conseil de prud’hommes. En sens contraire, sont justiciables du conseil de prud’hommes pour les litiges les opposant à leur employeur les salariés des établissements publics industriels et commerciaux.
Il revient dès lors au juge, saisi d’un litige opposant un service public à l’un de ses agents contractuels, de rechercher s’il s’agit d’un service public administratif ou d’un service public à caractère industriel et commercial, ce caractère s’appréciant au regard de son objet, de l’origine de ses ressources et de ses modalités de fonctionnement.
En l’espèce, il ressort des explications des parties que Mme [P] travaillait pour la commune de [Localité 5] en qualité de photographe. Elle avait un statut de travailleur indépendant et relevait donc du personnel non statutaire de la commune.
Si sa nature est en discussion entre les parties, un contrat liait Mme [P] à la Commune de [Localité 5]. Par ce contrat, la commune confiait à Mme [P] la partie photographique de son information municipale : l’appelante réalisait en effet les photographies événementielles de la commune de [Localité 5] qui étaient publiées dans son bulletin municipal. Or, à juste titre l’intimée expose que l’information municipale est une mission de service public.
Par principe, les services publics sont administratifs. Ils sont en revanche industriels et commerciaux s’ils remplissent trois critères tirés de l’objet du service, de l’origine des ressources et des modalités de l’organisation du service public.
D’abord, il importe de relever que l’appelante n’invoque pas le fait qu’elle aurait concouru à un service public industriel et commercial puisqu’elle se contente de soutenir que son contrat ne comportait aucune clause exorbitante et ne se caractérisait pas par l’exécution d’une mission de service public. Or, il a été admis le contraire s’agissant tout au moins du fait que l’information municipale est une mission de service public.
Ensuite, s’agissant de l’objet du service public, il n’est pas allégué que le bulletin municipal était distribué à titre onéreux ou que la commune tirait profit de l’édition de ce bulletin. L’origine des ressources du service public liées à l’information de la commune n’est pas en discussion entre les parties. En particulier, il n’est pas allégué que le service public lié à l’élaboration et à la distribution du bulletin municipal tirait ses ressources de redevances perçues sur les usagers du service ou que le bulletin était distribué à titre onéreux. Dès lors qu’il n’est pas allégué que la commune tirait un profit financier de la distribution de son bulletin municipal, l’activité de
Mme [P] et plus généralement du service public consistant dans la création et la distribution du bulletin municipal ne peut avoir été financé par des ressources qui lui étaient propres. Quant aux modalités de fonctionnement du service public litigieux, Mme [P] ne conteste pas que son concours se limitait à la fourniture de photographies qui avaient un aspect purement illustratif.
Le fond de la communication était, lui, élaboré par les services de la commune. Il n’apparaît donc pas que les modalités d’organisation et de fonctionnement du service étaient proches de celles d’une entreprise de droit privé.
Ainsi, le service public auquel concourrait Mme [P], visant l’information au profit des administrés des activités de la commune, avait au regard de son objet, de son mode de financement et de ses modalités de fonctionnement, une nature administrative.
Par voie de conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la commune. Statuant à nouveau, il conviendra de déclarer incompétent le conseil de prud’hommes.
En application de l’article 90 du code de procédure civile, lorsque le juge s’est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en premier ressort, celui-ci peut être frappé d’appel dans l’ensemble de ses dispositions. Lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente. Si elle n’est pas juridiction d’appel, la cour, en infirmant du chef de la compétence la décision attaquée, renvoie l’affaire devant la cour qui est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance. Cette décision s’impose aux parties et à la cour de renvoi.
En l’espèce, le conseil de prud’hommes a statué à la fois sur sa compétence et sur le fond. La cour ayant infirmé le jugement du chef de la compétence, il convient de renvoyer l’affaire devant le cour administrative d’appel de Versailles, en sa qualité de juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant, Mme [P] sera condamnée aux dépens.
Il conviendra de dire n’y avoir lieu de condamner Mme [P] à payer à son adversaire une indemnité sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
INFIRME le jugement,
DÉCLARE le conseil de prud’hommes incompétent pour connaître du litige opposant
Mme [P] à la Commune de [Localité 5],
RENVOIE l’affaire devant la cour administrative d’appel de Versailles, en sa qualité de juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance en application de l’article 90 du code de procédure civile,
DIT n’y avoir lieu de condamner Mme [P] à payer à la Commune de [Localité 5] une indemnité sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [P] aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente