Péremption d’instance et accès au juge : enjeux procéduraux en question

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Péremption d’instance et accès au juge : enjeux procéduraux en question

L’Essentiel : La société d’assurances a interjeté appel d’un jugement dans une affaire l’opposant à plusieurs parties, dont le syndicat des copropriétaires, des sociétés et d’autres acteurs, y compris un particulier et une société d’architecture. Un conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance, décision contestée par la société d’assurances. Celle-ci a soutenu que la péremption était injustifiée, arguant que le formalisme ne devait pas entraver l’accès au juge. La cour d’appel a confirmé la péremption, soulignant que l’absence d’initiative ne dispensait pas les parties de demander la fixation de l’affaire.

Contexte de l’affaire

La société Mutuelle des architectes français (MAF) assurances a interjeté appel le 2 mai 2017 d’un jugement dans une affaire l’opposant à plusieurs parties, dont le syndicat des copropriétaires de la [Adresse 8], des sociétés Bellevue et Socotec France, ainsi que d’autres acteurs, y compris M. [R] et la société d’architecte [K] [G] – [B] [P].

Péremption de l’instance

Le 20 janvier 2022, un conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance. En réponse, la société MAF assurances a contesté cette décision devant la cour d’appel.

Arguments de la société MAF assurances

La société MAF assurances a soutenu que la péremption de l’instance était injustifiée, arguant que le formalisme excessif ne devait pas entraver le droit d’accès au juge. Elle a fait valoir que l’absence d’initiative du conseiller de la mise en état ne dispensait pas les parties de leurs obligations procédurales.

Réglementation applicable

Selon le code de procédure civile, l’instance est considérée comme périmée si aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. Les parties sont responsables de la conduite de l’instance et doivent respecter les délais et formes requis pour leurs actes de procédure.

Interprétation de la jurisprudence

Un revirement de jurisprudence a eu lieu le 7 mars 2024, stipulant que la péremption ne court plus contre les parties une fois qu’elles ont accompli toutes les charges procédurales, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou exige une diligence particulière.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a confirmé l’ordonnance constatant la péremption, en soulignant que l’absence d’initiative du conseiller de la mise en état ne dispensait pas les parties de demander la fixation de l’affaire, ce qui aurait pu interrompre le délai de péremption. Elle a également noté qu’aucun acte interruptif n’avait été justifié dans le délai de deux ans suivant la remise des conclusions de la société GAN assurances.

Conclusion sur l’arrêt attaqué

L’arrêt attaqué a été fondé sur l’état du droit antérieur au revirement de jurisprudence du 7 mars 2024, ce qui a conduit à une annulation de l’arrêt en raison de ce changement dans l’interprétation des règles de péremption.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de péremption de l’instance selon le code de procédure civile ?

La péremption de l’instance est régie par l’article 386 du code de procédure civile, qui stipule que :

« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »

Cela signifie que si aucune action n’est entreprise par les parties durant cette période, l’instance est considérée comme périmée.

De plus, l’article 2 du même code précise que :

« Les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis. »

Ainsi, il est de la responsabilité des parties de veiller à la bonne marche de la procédure.

Quel est le rôle du conseiller de la mise en état dans le cadre de la péremption ?

L’article 910-4 du code de procédure civile indique que :

« Le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. »

Cela signifie que le conseiller a un rôle actif dans la gestion de l’instance et doit s’assurer que les délais sont respectés.

En cas de nécessité de nouveaux échanges de conclusions, l’article 910-4 précise que :

« Il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l’avis des avocats. »

Ainsi, le conseiller doit également prendre en compte les avis des avocats pour organiser la procédure.

Comment la jurisprudence récente a-t-elle modifié l’interprétation de la péremption ?

L’arrêt du 7 mars 2024 a introduit un revirement de jurisprudence concernant la péremption. La Cour de cassation a jugé que :

« Une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière. »

Cela signifie que si les parties ont respecté leurs obligations, la péremption ne peut être invoquée tant que le conseiller n’a pas pris d’initiative pour relancer la procédure.

Cette décision souligne l’importance de l’initiative du conseiller dans la gestion des délais et des diligences à accomplir par les parties.

Quelles sont les conséquences de l’absence d’initiative du conseiller de la mise en état ?

L’arrêt en question a retenu que :

« L’absence d’initiative de la part du conseiller de la mise en état, pas davantage que l’encombrement du rôle de la juridiction, ne dispense les parties au procès d’appel d’accomplir les diligences requises par l’article 386 du code de procédure civile. »

Cela signifie que même si le conseiller ne prend pas d’initiative, les parties doivent continuer à agir pour éviter la péremption.

En effet, l’article 386 précise que :

« La demande de fixation de l’affaire interrompt le délai de prescription, sans le suspendre, et doit être renouvelée avant l’acquisition de la péremption. »

Ainsi, il est crucial pour les parties de rester proactives dans la gestion de leur instance.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2025

Annulation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 122 F-D

Pourvoi n° A 22-23.387

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025

La mutuelle des architectes français assurances, société d’assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-23.387 contre l’arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la cour d’appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l’opposant :

1°/ au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 8], prise en la personne de son syndic en exercice, la société Agence immobilière des Karantes, dont le siège est [Adresse 7],

2°/ à la société Bellevue, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société Socotec construction, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Socotec France,

4°/ à la société GAN assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à M. [K] [R], domicilié [Adresse 3],

6°/ à la société d’architecte [K] [G] – [B] [P], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la Mutuelle des architectes français assurances, de Me Bouthors, avocat de la société Socotec construction, venant aux droits de la société Socotec France, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société GAN assurances, de Me Haas, avocat du syndicat des copropriétaires de la [Adresse 8], et l’avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 8 septembre 2022), la société Mutuelle des architectes français (MAF) assurances a relevé appel, le 2 mai 2017, d’un jugement rendu dans une instance l’opposant au syndicat des copropriétaires de la [Adresse 8], aux société Bellevue, Socotec France, aux droits de laquelle vient la société Socotec construction, GAN assurances, à M. [R] ainsi qu’à la société d’architecte [K] [G] – [B] [P].

2. Par ordonnance du 20 janvier 2022, un conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance.

3. La société MAF assurances a déféré cette décision à la cour d’appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société MAF assurances fait grief à l’arrêt de constater la péremption d’instance, alors « que l’application des règles de procédure ne doit pas conduire à un formalisme excessif portant atteinte au droit d’accès effectif au juge ; que le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, et fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries ; qu’il fixe le calendrier après avis des avocats lorsque l’affaire nécessite de nouveaux échanges ; que dès lors, après le dépôt et la communication des conclusions des parties, il peut seul faire progresser l’instance, soit en fixant la date de la clôture et celle des plaidoiries, soit en sollicitant de nouveaux échanges de conclusions ; qu’en l’espèce, pour juger l’instance périmée, la cour d’appel a retenu que l’absence d’initiative du conseiller de la mise en état, pas plus que l’encombrement du rôle de la juridiction, ne dispensait les parties d’accomplir les diligences requises par l’article 386 du code de procédure civile et notamment de demander la fixation de l’audience ; qu’elle a ainsi violé l’article 6, §1, de la Convention européenne des droits de l’homme. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales et les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du
code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du
décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

5. Aux termes du troisième de ces textes, l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.

6. Aux termes du deuxième, les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.

7. Selon le quatrième de ces textes, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe. Selon le cinquième, l’intimé dispose d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

8. Selon le sixième, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions
sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les
prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à
faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions,
de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

9. Selon le dernier de ces textes, le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et
communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries.
Toutefois, si l’affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, sans
préjudice de l’article 910-4, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l’avis
des avocats.

10. Depuis un arrêt du 7 mars 2024, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais qu’il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.475, publié).

11. Pour confirmer l’ordonnance ayant constaté la péremption de l’instance, l’arrêt énonce d’abord que l’absence d’initiative de la part du conseiller de la mise en état, pas davantage que l’encombrement du rôle de la juridiction, ne dispense les parties au procès d’appel d’accomplir les diligences requises par l’article 386 du code de procédure civile et notamment de demander la fixation de l’affaire qui interrompt le délai de prescription, sans le suspendre, et doit être renouvelée avant l’acquisition de la péremption.

12. L’arrêt retient ensuite qu’il n’est justifié d’aucun acte interruptif du délai de péremption dans le délai de deux ans ayant couru depuis la date du 18 octobre 2017 de remise au greffe des conclusions de la société GAN assurances.

13. Si c’est conformément à l’état du droit antérieur à l’arrêt du 7 mars 2024 que la cour d’appel en a déduit que la péremption était acquise, il y a lieu à annulation de l’arrêt attaqué en application de ce revirement de jurisprudence.


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