Constatant que la VILLE DE SENS diffusait un programme de théâtre reprenant, selon elle, les caractéristiques de la maquette du Théâtre Montansier, la société SCENES A L’ITALIENNE l’a fait assigner, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et de dessin et modèle communautaire non enregistré, concurrence déloyale et parasitisme, aux fins d’obtenir des mesures indemnitaires et d’interdiction.
Cette action a été jugée irrecevable : un jugement devenu définitif, avait déjà statué sur l’originalité de cette maquette, estimant notamment, que ‘la brochure de présentation du théâtre Montansier ne peut donc, même considérée dans sa globalité, être qualifiée d’originale et bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur’. Ce faisant, le jugement a tranché une partie du principal et a autorité de la chose jugée quant à cette disposition relative à l’absence de protection par le droit d’auteur de la maquette du programme utilisée par la société SCENES A L’ITALIENNE pour l’exploitation du théâtre Montansier.
C’est à juste raison que les premiers juges ont estimé que la couverture du programme du théâtre municipal de Sens pour la saison 2018/2019 présentait un aspect très différent de celle du programme du théâtre Montansier de Versailles. Elle est en effet dominée par la couleur rouge/brun, totalement absente de la couverture à dominante bleue du programme de l’appelante, et ne reprend pas une illustration (une ornementation dorée et sculptée) présentée en deux parties avec un effet visuel de symétrie ou de ‘miroir’, caractéristique de la présentation adoptée par l’appelante, mais adopte la représentation d’une façade de théâtre partiellement recouverte, dans la partie droite, par un rideau. D’autres éléments permettent de différencier les couvertures : les mentions ‘Théâtre Montansier’ / ‘Théâtre municipal de Sens’ ; les blasons des deux villes concernées, très distincts ; le nom des villes ; les typographies ; le positionnement de tous ces élément : au centre sur la couverture de l’appelante
La concurrence déloyale et le parasitisme n’ont pas non plus été retenus. Pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, la concurrence déloyale et le parasitisme sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion avec l’activité ou les produits du concurrent et les agissements parasitaires consistant à s’approprier de façon injustifiée une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 16 MARS 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/09831 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCCDW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2020 -Tribunal de Grande Instance de Paris – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 19/04813
APPELANTE
S.A.R.L. SCENES A L’ITALIENNE
Société au capital de 4 000 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 793 665 373
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Solène CLÉMENT, avocat au barreau de PARIS, toque E0588
Assistée de Me Mathieu TOUZE, avocat au barreau de PARIS, toque H1
INTIMÉE
VILLE DE SENS
Hotel de Ville
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
Représentée et assistée de Me Gautier KAUFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P362
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire•
• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société SCENES A L’ITALIENNE se présente comme ayant une activité de gestion d’établissements culturels, en particulier du Théâtre Montansier à Versailles, et de conseils à destination de gestionnaires de lieux culturels.
Elle invoque des droits sur la maquette de la brochure de présentation de saison du Théâtre Montansier, reprise depuis 2013 pour la présentation de la programmation de cet établissement :
Cette maquette aurait été portée à la connaissance de la VILLE DE SENS lors d’une réunion de travail entre ces deux entités envisageant alors un partenariat.
Constatant en 2015 que la VILLE DE SENS diffusait un programme de théâtre reprenant, selon elle, les caractéristiques de la maquette du Théâtre Montansier, la société SCENES A L’ITALIENNE l’a fait assigner, le 29 septembre 2016, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et de dessin et modèle communautaire non enregistré, concurrence déloyale et parasitisme, aux fins d’obtenir des mesures indemnitaires et d’interdiction.
Par jugement rendu le 25 mai 2018, la société SCENES A L’ITALIENNE a été déboutée de ses prétentions au titre des droits patrimoniaux invoqués mais la VILLE DE SENS condamnée pour avoir commis des actes de parasitisme en adoptant pour sa saison 2015/2016 une brochure reprenant la quasi-totalité des éléments de présentation du programme de la saison 2014/2015 du théâtre Montansier. La VILLE DE SENS a été condamnée à verser la somme de 9 000 € en réparation des préjudices subis par la société SCENES A L’ITALIENNE, le tribunal prononçant en outre des mesures d’interdiction portant sur les éléments graphiques du visuel.
Estimant que de nouvelles atteintes avaient été commises du fait de la diffusion de la brochure éditée par le théâtre municipal de la VILLE DE SENS pour la saison 2018/2019, la société SCENES A L’ITALIENNE, par acte d’huissier délivré le 11 avril 2019, a fait à nouveau assigner la municipalité pour solliciter des mesures indemnitaires, d’interdiction et de publication sur le fondement à la fois sur le droit d’auteur et de la concurrence déloyale et parasitaire.
Dans un jugement du 19 juin 2020, le tribunal, devenu tribunal judiciaire, de Paris, a :
– dit irrecevables les demandes formées au titre du droit d’auteur ;
– débouté la société SCENES A L’ITALIENNE de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
– condamné la société SCENES A L’ITALIENNE aux dépens, dont distraction au profit de Me KAUFMAN conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la VILLE DE SENS d’une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.
Le 17 juillet 2020, la société SCENES A L’ITALIENNE a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses uniques conclusions transmises le 16 octobre 2020, la société SCENES A L’ITALIENNE, appelante, demande à la cour :
– à titre principal :
– d’infirmer le jugement ;
– de condamner la VILLE DE SENS à verser à la société SCENES A L’ITALIENNE :
– la somme de 83 200 euros de dommages et intérêts résultant des actes de contrefaçon,
– la somme de 100 000 euros, en réparation du préjudice moral relatif aux actes de contrefaçon,
– la somme de 10 000 euros de dommages et intérêt en réparation des actes distincts de la contrefaçon,
– à titre subsidiaire : de condamner la VILLE DE SENS à verser à la société SCENES A L’ITALIENNE :
– la somme de 83 200 euros au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaires,
– la somme de 100 000 euros, en réparation du préjudice moral relatif aux actes de concurrence déloyale et parasitaires,
– en tout état de cause :
– de faire interdiction à la VILLE DE SENS d’utiliser, reproduire et/ou diffuser des supports reproduisant les caractéristiques de la maquette de la brochure de présentation de saison du Théâtre Montansier de la société SCENES A L’ITALIENNE, et ce sous astreinte définitive de 1000 euros par infraction constatée et/ou par jour de retard, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– d’ordonner la destruction de tous les produits contrefaisants restant en stock au sein de la VILLE DE SENS, ce dont il sera dressé procès-verbal par huissier aux frais de la défenderesse, qui sera transmis à la société SCENES A L’ITALIENNE dans les 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir.
– d’ordonner la publication du jugement à intervenir, en intégralité ou par extraits, au choix de la société SCENES A L’ITALIENNE’:
‘ dans 5 journaux ou publications professionnels (y compris électroniques), au choix de la société SCENES A L’ITALIENNE, et aux frais avancés de la VILLE DE SENS, sur simple présentation des devis, dans la limite de 8.000 euros H.T. par insertion,
‘ sur le site internet de la VILLE DE SENS www.ville-sens.fr pendant soixante jours, en police de taille minimum 11, sur une espace qui ne pourra être inférieur à 15 centimètres de longueur et 20 centimètres de largeur, et ce, sous astreinte définitive de 1000 euros par jour de retard, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– ‘d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie’,
– de condamner la VILLE DE SENS à verser à la société SCENES A L’ITALIENNE la somme, sauf à parfaire, de 15 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la VILLE DE SENS au remboursement des frais de constat exposés par la société SCENES A L’ITALIENNE,
– de condamner la VILLE DE SENS aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Solène CLEMENT, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses uniques conclusions transmises le 11 janvier 2021, la VILLE DE SENS, intimée, demande à la cour :
– à titre principal,
– de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter la société SCENES A L’ITALIENNE de l’intégralité de ses demandes,
– de dire que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 25 mai 2018, aujourd’hui définitif, a autorité de la chose jugée en ce qu’il a considéré que la maquette du programme du Théâtre Montansier invoquée par la société SCENES A L’ITALIENNE ne présentait aucun caractère original et n’était pas protégeable au titre du droit d’auteur,
– en tout état de cause,
– de dire que la maquette du programme du Théâtre Montansier invoquée par la société SCENES A L’ITALIENNE ne présente aucun caractère original et n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur,
– de débouter la société SCENES A L’ITALIENNE de ses demandes sur ce fondement,
– à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que la maquette du programme du Théâtre Montansier invoquée par la société SCENES A L’ITALIENNE présente un caractère original et est protégeable au titre du droit d’auteur, de dire que le programme de la saison 2018-2019 du Théâtre de la Ville de Sens ne constitue pas la contrefaçon de la maquette du programme du Théâtre Montansier 2013/2014, 2014/2015 2015/2016 invoqué par la société SCENES A L’ITALIENNE,
– de dire que la société SCENES A L’ITALIENNE ne justifie d’aucun fait fautif ni d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme,
– de débouter la société SCENES A L’ITALIENNE de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et plus généralement de l’intégralité de ses demandes formées contre la société SCENES A L’ITALIENNE,
– de condamner la société SCENES A L’ITALIENNE à payer à la Ville de Sens la somme de 5000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la société SCENES A L’ITALIENNE aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de Me Gautier KAUFMAN, avocat, aux offres de droit.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 octobre 2021.
MOTIFS DE L’ARRET
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les demandes en contrefaçon de la société SCENES A L’ITALIENNE
Sur la recevabilité des demandes au regard de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 25 mai 2018
La société SCENES A L’ITALIENNE soutient que c’est à tort que le tribunal a jugé que ses demandes fondées sur le droit d’auteur étaient irrecevables comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 25 mai 2018 qui a rejeté ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur, faute d’originalité de la maquette du programme du théâtre Montansier. Elle fait valoir que l’originalité étant laissée à la libre appréciation des juges du fond, les juridictions sont régulièrement amenées à réexaminer l’originalité d’une même oeuvre, pouvant adopter la même position ou une position contraire à celle des précédents juges ; qu’en ce sens, chaque décision est contingente, l’originalité d’une oeuvre appréciée à un instant ‘T’ pouvant être détruite par la découverte d’autres oeuvres ou une nouvelle description ou précision pouvant faire apparaître l’emprunt de la personnalité de son auteur ; qu’en l’espèce, bien que les parties soient identiques, le litige ne porte pas sur les mêmes faits, ni sur la même cause, d’autant que le dispositif du jugement du 25 mai 2018 pose des difficultés d’interprétation en ce que ‘bien que la maquette (…) ait été constatée non originale, [elle] dispose de caractéristiques suffisamment précises et spécifiques pour être identifiables’.
La VILLE DE SENS demande la confirmation du jugement, observant que la demande est identique (voir reconnaître l’originalité de la même maquette de programme), fondée sur la même cause (la prétendue contrefaçon du programme), oppose les mêmes parties en leur même qualité ; que le jugement dont appel tranche le fond du litige, est devenu définitif et ne contient ni restriction ni réserve sur la question tranchée et que l’appelante n’apporte en appel aucun élément nouveau permettant de démontrer la prétendue originalité du programme litigieux.
Aux termes de l’article 1355 du code civil, ‘L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité’.
Par ailleurs, l’article 480 du code de procédure civile dispose que ‘Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche (…)’.
En l’espèce, la maquette de la brochure de présentation du programme du Théâtre Montansier examinée par le tribunal de grande instance dans son jugement du 25 mai 2018 est exactement celle sur laquelle la société SCENES A L’ITALIENNE revendique des droits d’auteur dans la présente instance, nonobstant le fait qu’il s’agit désormais du programme de la saison 2014/2015 et non plus du programme de la saison 2013/2014, ce qui entraîne essentiellement des différences quant à l’illustration de la page de garde, aux années correspondant à la saison concernée et au contenu de la brochure, autant d’éléments sur lesquels aucun droit d’auteur n’est cependant revendiqué, sans que la maquette elle-même soit modifiée.
Cette identité n’est pas contestée et est d’ailleurs confirmée par la comparaison de l’exposé par le tribunal dans le jugement de 2018 de la description faite par la demanderesse au titre de l’originalité de la maquette et de la description que l’appelante fournit dans ses écritures devant la cour dans la présente instance pour soutenir que sa maquette est originale (pages 8, 9 et 10).
Or, le jugement du 25 mai 2018, qui est définitif, a statué sur l’originalité de cette maquette, estimant dans ses motifs, notamment, que ‘la brochure de présentation du théâtre Montansier ne peut donc, même considérée dans sa globalité, être qualifiée d’originale et bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur’ et indiquant dans son dispositif : ‘Dit que la maquette du programme utilisée par la société SCENES A L’ITALIENNE pour l’exploitation du théâtre Montansier ne bénéficie pas de la protection par le droit d’auteur’. Ce faisant, le jugement a tranché une partie du principal et a autorité de la chose jugée quant à cette disposition relative à l’absence de protection par le droit d’auteur de la maquette du programme utilisée par la société SCENES A L’ITALIENNE pour l’exploitation du théâtre Montansier.
Si les faits litigieux sont différents puisque la société SCENES A L’ITALIENNE incrimine désormais la présentation du programme du théâtre de la VILLE DE SENS pour la saison 2018/2019 et non plus pour la saison 2015/2016, cette différence est sans incidence sur la question de l’originalité de la maquette du programme revendiquée par la société SCENES A L’ITALIENNE.
Les parties sont les mêmes avec chacune la qualité qui était la sienne lors de l’instance précédente, l’objet de la demande également (la reconnaissance de droits d’auteur sur la maquette, condition de fond conditionnant le succès de l’action en contrefaçon de droits d’auteur) et la cause également (la contrefaçon de droits d’auteur alléguée sur la maquette).
L’argumentation relative aux difficultés d’interprétation que poserait le jugement du 25 mai 2018 n’est pas claire, semblant faire grief au jugement d’avoir à la fois dénié l’originalité de la maquette et reconnu l’existence d’actes de parasitisme, ce qui ne traduit en réalité aucune contradiction, l’appelante formant elle-même des demandes subsidiaires au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
C’est donc à juste raison que le tribunal a dit irrecevables les demandes formées par la société SCENES A L’ITALIENNE au titre du droit d’auteur. Il sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes en concurrence déloyale et parasitisme
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme invoqués à titre subsidiaire
A titre subsidiaire, la société SCENES A L’ITALIENNE soutient que la VILLE DE SENS reconnaît avoir exploité fautivement la même maquette de présentation que celle qu’elle utilise ; qu’elle a ainsi utilisé, sans bourse délier, ses investissements tant en communication qu’en création, savoir-faire et expertise pour réaliser une économie conséquente ; que cette utilisation porte atteinte à son image, dévalorise son travail et ses efforts pour se positionner et se différencier dans le secteur culturel ; qu’en outre, les ressemblances entre les maquettes sont de nature à induire auprès du public un risque de confusion quant à l’origine de la brochure et une dévalorisation de la singularité du théâtre Montansier ; que ce comportement est d’autant plus préjudiciable qu’il s’est accompagné d’une violation manifeste de l’interdiction prononcée par le jugement du 25 mai 2018. Elle ajoute que contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, la VILLE DE SENS n’a nullement modifié sa brochure et que le tribunal s’est borné à comparer la couverture des brochures et leur taille et qu’il a rejeté le grief de parasitisme en considérant que les couvertures étaient désormais différentes alors que, nonobstant un changement de couverture pour la saison 2016/2017, la VILLE DE SENS a été condamnée pour parasitisme par le jugement de 2018.
La VILLE DE SENS soutient que les griefs ne sont pas fondés compte tenu des modifications apportées à son programme pour l’édition 2018/2019 et qu’aucun fait fautif n’est caractérisé à son encontre. Elle fait valoir que ce programme 2018/2019 a été conçu au début de l’année 2018, alors que le précédent litige était encore pendant devant le tribunal de grande instance de Paris et que le premier jugement n’était pas encore rendu, de sorte qu’elle n’a pu méconnaître les dispositions de ce jugement ; qu’elle n’a pas cherché à se placer dans le sillage du Théâtre Montansier mais à renouveler sa charte graphique et ses supports de communication ; qu’aucun risque de confusion n’est possible entre une SARL basée à Versailles comme la société SCENES A L’ITALIENNE et une municipalité située dans l’Yonne, ni entre les théâtres dont la clientèle est essentiellement locale, ni entre les brochures au regard des différences substantielles des formats, des contenus, des couleurs, des styles graphiques, des mises en page et des logos. Elle ajoute qu’en tout état de cause, l’appelante ne peut se prévaloir d’aucun préjudice réel, certain et direct.
La cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion avec l’activité ou les produits du concurrent et les agissements parasitaires consistant à s’approprier de façon injustifiée une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
C’est à juste raison que les premiers juges ont estimé que la couverture du programme du théâtre municipal de Sens pour la saison 2018/2019 présente un aspect très différent de celle du programme du théâtre Montansier de Versailles. Elle est en effet dominée par la couleur rouge/brun, totalement absente de la couverture à dominante bleue du programme de l’appelante, et ne reprend pas une illustration (une ornementation dorée et sculptée) présentée en deux parties avec un effet visuel de symétrie ou de ‘miroir’, caractéristique de la présentation adoptée par l’appelante, mais adopte la représentation d’une façade de théâtre partiellement recouverte, dans la partie droite, par un rideau. D’autres éléments permettent de différencier les couvertures : les mentions ‘Théâtre Montansier’ / ‘Théâtre municipal de Sens’ ; les blasons des deux villes concernées, très distincts ; le nom des villes ; les typographies ; le positionnement de tous ces élément : au centre sur la couverture de l’appelante
/ sur le rideau de droite sur la couverture de l’intimée ; la présence sur la couverture du programme du Théâtre Montansier, très visible car centrale et en traits épais blancs sur fond bleu, d’un logo représentant un M en écriture cursive, que l’on ne retrouve pas sur la couverture adverse.
Le format du programme est également différent puisque la VILLE DE SENS a adopté un format également rectangulaire, ce qui ne peut lui être reproché en soi, mais plus petit que celui du programme du théâtre Montansier (12 cm de hauteur et 18 cm de longueur /13 cm de hauteur et 19 cm de longueur).
A l’intérieur des programmes, la page d’introduction en début de brochure de la VILLE DE SENS est désormais composée de 6 photographies et non plus de 3 comme sur le programme du théâtre de Versailles, et les pages de présentation des spectacles comportent, sous le texte, une bande grise horizontale dans laquelle sont mentionnés les noms des metteurs en scène, acteurs et producteurs, que l’on ne retrouve pas sur la maquette de la société appelante.
Les ressemblances qui tiennent essentiellement au format rectangulaire de la brochure dont les pages présentent une continuité visuelle lorsque le livret est ouvert et à une présentation des spectacles en deux parties avec, sur la page de gauche, une photographie et sur la page de droite, un texte et une colonne en couleur (bleu pour le théâtre de Versailles /rouge pour le théâtre de Sens) dans laquelle sont inscrits en lettres blanches contrastantes, les mois, dates et heures des spectacles, ainsi que la durée des spectacles et les prix des places, touchent à des éléments banals pour des brochures de présentation de spectacles de théâtre et ne peuvent suffire à créer un risque de confusion quant à l’origine de la brochure ou entre les théâtres.
Ce risque de confusion est d’autant plus improbable au regard de l’éloignement géographique des théâtres comme de leur identité propre, comme l’a retenu le tribunal, le public souhaitant se rendre à des représentations théâtrales étant immédiatement conscient de consulter l’un ou l’autre des programmes en cause et la VILLE DE SENS justifiant en outre de ce que le public de son théâtre est, pour les années 2013 à 2016, très majoritairement issu de la région de Sens, les spectateurs en provenance des Yvelines étant inexistants ou très peu nombreux (0 % pour les saisons 2013/2014 et 2014/20115 et 0,12 % pour la saison 2015/2016).
Les faits de concurrence déloyale allégués ne sont donc pas caractérisés.
Les faits de parasitisme ne sont pas plus caractérisés puisque, comme l’a très justement retenu le tribunal, la VILLE DE SENS, après avoir très légèrement modifié la présentation du programme de son théâtre pour la saison 2016/2017, qui restait très inspirée de la maquette de la société SCENES A L’ITALIENNE, a procédé à des modifications plus substantielles pour la saison 2018/2019, permettant à cette présentation de se différencier suffisamment de celle du programme 2015/2016 incriminée par le jugement du 25 mai 2018, et que par ailleurs l’appelante ne saurait prétendre obtenir réparation du même préjudice, déjà réparé par le jugement rendu en 2018, alors au surplus qu’elle ne justifie pas de l’existence d’une valeur économique distincte nouvellement captée.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme invoqués à titre principal pour des faits distincts
La société SCENES A L’ITALIENNE dénonce encore la captation déloyale des droits de propriété intellectuelle au cours d’une réunion de travail en vue d’un partenariat, le défaut de mention du nom de la société créatrice du dessin, et l’appropriation de la conception de la brochure de présentation de saison, la reprise de l’intégralité de la maquette, ainsi que les couleurs et les éléments graphiques de la brochure sur trois saisons, ce qui s’apparente à un effet de gamme et la méconnaissance du jugement du 25 mai 2018 interdisant expressément à la VILLE DE SENS de reprendre les éléments caractéristiques de sa brochure.
Pour les raisons qui ont été exposées précédemment, ces griefs ne sont pas fondés, en raison à la fois de l’absence de droits privatifs de la société SCENES A L’ITALIENNE sur la maquette qu’elle revendique, du jugement intervenu le 25 mai 2018 qui a définitivement sanctionné, au titre du parasitisme, l’adoption par la VILLE DE SENS des éléments de présentation du programme de la saison 2014/2015 du théâtre Montansier et réparé le préjudice de la société SCENES A L’ITALIENNE, et de l’absence de commission de nouveaux comportements fautifs par la VILLE DE SENS.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu’il a débouté la société SCENES A L’ITALIENNE de l’ensemble de ses demandes en concurrence déloyale et en parasitisme.
Sur l’exécution provisoire
La cour rappelle que la demande d’exécution provisoire est sans objet devant la cour d’appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société SCENES A L’ITALIENNE, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me KAUFMAN, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société SCENES A L’ITALIENNE au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la VILLE DE SENS peut être équitablement fixée à 4 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société SCENES A L’ITALIENNE aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me KAUFMAN, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la VILLE DE SENS de la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE
LA PRÉSIDENTE