Obstacles à la communication de preuves transnationales en matière de responsabilité civile

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Obstacles à la communication de preuves transnationales en matière de responsabilité civile

L’Essentiel : Lors de l’audience du 3 octobre 2024, les avocats ont été informés que l’ordonnance serait rendue le 21 novembre 2024. Monsieur [J], client d’ING BANK N.V., a été victime d’une escroquerie, ayant perdu 23.600 euros suite à des investissements proposés par ATOM BANK. Il a assigné ING BANK N.V. et SUMUP LIMITED, demandant la communication de documents et une indemnisation. En réponse, SUMUP LIMITED a contesté l’applicabilité du droit français et a demandé à débouter Monsieur [J]. Le juge a finalement rejeté la demande de communication de pièces, condamnant Monsieur [J] aux dépens et à verser 2.000 euros à SUMUP LIMITED.

Débats et Audience

A l’audience du 3 octobre 2024, les avocats ont été informés que l’ordonnance serait rendue le 21 novembre 2024.

Ordonnance et Parties Impliquées

L’ordonnance a été rendue publiquement par mise à disposition au greffe, de manière contradictoire et en premier ressort. Monsieur [J] est client de la société ING BANK N.V. et a été contacté par une société se présentant comme ATOM BANK, lui proposant d’investir dans des placements financiers. Au total, des paiements de 23.600 euros ont été effectués via son compte bancaire à ING BANK N.V., vers un compte en Irlande chez SUMUP LIMITED. Monsieur [J] a été victime d’une escroquerie, entraînant la perte totale des sommes investies.

Assignation et Demandes de Monsieur [J]

Monsieur [J] a assigné les sociétés ING BANK N.V. et SUMUP LIMITED devant le tribunal judiciaire de Paris par actes en date des 22 et 28 août 2023. Dans ses conclusions du 12 septembre 2024, il demande au juge de débouter SUMUP LIMITED de ses demandes et d’ordonner la communication de divers documents relatifs à l’ouverture du compte bancaire, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, ainsi que de condamner SUMUP LIMITED à lui verser 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Réponse de SUMUP LIMITED

En réponse, SUMUP LIMITED a demandé au juge de constater l’inopposabilité du droit français à son égard et l’inapplicabilité des articles du code monétaire et financier. Elle a également soutenu que les documents sollicités étaient couverts par le secret bancaire et a demandé à débouter Monsieur [J] de ses demandes de communication de pièces. SUMUP LIMITED a également demandé à ce que Monsieur [J] soit condamné à lui verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Examen de la Demande de Communication de Pièces

Le juge a examiné la question de l’obtention de preuves à l’étranger, régie par la convention de la Haye et le Règlement (UE) n°2020/1783. Il a conclu que le droit applicable à la demande de communication de pièces était le droit irlandais, étant donné que le dommage s’était produit sur un compte bancaire en Irlande. SUMUP LIMITED a fourni des documents, et Monsieur [J] n’a pas prouvé qu’il existait d’autres pièces à fournir selon le droit irlandais. Par conséquent, la demande de communication de pièces a été rejetée.

Décision Finale

Monsieur [J], ayant succombé dans ses demandes, a été condamné aux dépens de l’incident et à verser 2.000 euros à SUMUP LIMITED sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire a été renvoyée à l’audience de mise en état électronique du 19 décembre 2024 pour les conclusions au fond.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la demande de communication de pièces dans le cadre d’une procédure civile internationale ?

La demande de communication de pièces dans le cadre d’une procédure civile internationale est régie par plusieurs textes, notamment la convention de La Haye du 18 mars 1970 et le Règlement (UE) n°2020/1783.

Selon l’article 12.3 du Règlement (UE) n°2020/1783, « La juridiction requise exécute la demande conformément à la procédure spéciale, à moins que cela ne soit incompatible avec le droit national dont elle relève ou qu’elle ne soit pas en mesure de le faire en raison de difficultés pratiques majeures. »

Cela signifie que le juge français ne peut pas ordonner à une partie domiciliée dans un autre État membre de produire des pièces sous astreinte, car ce pouvoir appartient uniquement aux juridictions du pays requis.

De plus, l’article 4.1° du Règlement (CE) n°864/2007 stipule que « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient. »

Dans le cas présent, le dommage est survenu en Irlande, où les fonds ont été appropriés, ce qui implique que le droit irlandais est applicable à la demande de communication de pièces.

Ainsi, la demande de communication de pièces formulée par Monsieur [J] a été rejetée, car il n’a pas démontré que la société SUMUP LIMITED devait détenir d’autres pièces que celles déjà fournies.

Quelles sont les conséquences de l’irrecevabilité de la demande de communication de pièces ?

L’irrecevabilité de la demande de communication de pièces a des conséquences directes sur le sort de l’affaire et sur les frais engagés par les parties.

En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, « le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés non compris dans les dépens. »

Dans cette affaire, Monsieur [J] a succombé dans sa demande de communication de pièces, ce qui entraîne sa condamnation aux dépens de l’incident.

De plus, la société SUMUP LIMITED a demandé une indemnisation au titre de l’article 700, et le juge a condamné Monsieur [J] à verser la somme de 2.000 euros à la société.

Cela illustre que l’irrecevabilité de la demande de communication de pièces peut entraîner des conséquences financières pour la partie qui succombe, en plus des frais de justice.

Comment le droit applicable est-il déterminé dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle ?

La détermination du droit applicable dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle est régie par le Règlement (CE) n°864/2007, dit « Rome II ».

L’article 4.1° de ce règlement précise que « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient. »

Dans le cas présent, le dommage a eu lieu en Irlande, où les fonds ont été transférés sur le compte de la société SUMUP LIMITED.

L’article 3° du même règlement stipule que si le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays s’applique.

Cependant, dans cette affaire, il n’existe pas d’éléments suffisants pour établir un lien plus étroit avec la France, ce qui conduit à l’application du droit irlandais.

Ainsi, le droit applicable à la demande de communication de pièces et à l’action en responsabilité délictuelle est le droit irlandais, ce qui a des implications sur la recevabilité des demandes formulées par Monsieur [J].

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

à
Me CHANDLER
Me CHOUAI
Me BELLANCA

9ème chambre 3ème section

N° RG 23/11085
N° Portalis 352J-W-B7H-C2HAB

N° MINUTE : 4

Assignation du :
22 et 28 Août 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 21 Novembre 2024

DEMANDEUR

Monsieur [G] [J]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représenté par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159 et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant

DEFENDERESSES

Société SUMUP LIMITED
[Adresse 3]
[Adresse 3] (IRLANDE)

représentée par Maître Benjamin CHOUAI et Guillaume GOETZ-CHARLIER de la SELARL SAUL ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0467

Société ING BANK N.V
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE DUBEST BELLANCA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0015

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Chloé DOS SANTOS, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 03 Octobre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 21 Novembre 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Monsieur [J] est client de la société ING BANK N.V.
A la fin du mois de mars 2022, il a été contacté par une société se présentant comme l’établissement ATOM BANK qui lui a proposé d’investir dans des placements financiers.

Des paiements d’un montant total de 23.600 euros ont été effectués par l’intermédiaire de son compte bancaire auprès de la société ING BANK N.V.

Ces virements ont été effectués à destination d’un compte bancaire domicilié en IRLANDE au sein de l’établissement bancaire SUMUP LIMITED.

Monsieur [J] a été victime d’une escroquerie et les sommes investies ont été intégralement perdues.

Par actes en date des 22 et 28 Août 2023, Monsieur [G] [J] a assigné les sociétés ING BANK N.V. et SUMUP LIMITED (Irlande) devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Par conclusions en date du 12 septembre 2024, Monsieur [G] [J] demande au juge de la mise en état de :
“- DEBOUTER la société SUMUP LIMITED de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– ORDONNER à la société SUMUP LIMITED de communiquer à Monsieur [J] : Tout document attestant de la vérification d’identité de sa cliente, la société IDEM INFO, et de son représentant légal, Monsieur [S], lors de l’ouverture du compte bancaire ayant pour IBAN le numéro XXXXX :
Une déclaration de résidence fiscale de la société,
Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentant légal de la société et du bénéficiaire effectif,
La déclaration de bénéficiaire effectif,
Tout document attestant de la nature professionnelle du compte ouvert : La justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire,
Les relevés de compte bancaire intégraux de la société IDEM INFO pour les mois de mars et d’avril 2022,
Les factures émises par la société IDEM INFO pour justifier des prestations fournies au titre de l’encaissement des fonds, sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’ordonnance à intervenir, durant 2 mois et L’Y CONDAMNER au besoin ;
– CONDAMNER la société SUMUP LIMITED à verser à Monsieur [J] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER la même aux entiers dépens.”

Par conclusions devant le juge de la mise en état en date du 26 aout 2024, la société SUMUP LIMITED demande au juge de la mise en état de :
“- CONSTATER l’inopposabilité du droit français à la société SUMUP LIMITED S.A. ;
– CONSTATER l’inapplicabilité des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier ;
– CONSTATER que les documents sollicités sont couverts par le secret bancaire ;
En conséquence,
– DEBOUTER Monsieur [G] [J] de l’ensemble de ses demandes de communication de pièces ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Monsieur [G] [J] à verser à la société SUMUP LIMITED S.A, la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Monsieur [G] [J] aux entiers dépens.”

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’incident a été examiné à l’audience du 3 octobre 2024 et mis en délibéré au 21 novembre 2024.

SUR CE,

I. Sur la demande de communication de pièces

La question de l’obtention de preuve à l’étranger en matière civile et commerciale est régie et doit être conforme à la convention de la Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale et le Règlement (UE) n°2020/1783 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale.

Le Règlement (UE) n°2020/1783 du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2020 ne permet pas au juge français, d’ordonner à une partie de nationalité étrangère et domiciliée dans un Etat membre de la communauté européenne, de produire sous astreinte des pièces dont elle disposerait, ce pouvoir n’appartenant qu’aux juridictions du pays requis en application de la loi nationale dont la juridiction requise relève, étant précisé que le Règlement du 25 novembre 2020 dispose en son considérant 17 que : « il y a lieu que la juridiction requise exécute une demande de procéder à l’exécution d’une mesure d’instruction conformément au droit national dont elle relève ».

L’article 12.3 du Règlement du 25 novembre 2020 dispose par ailleurs, que : « La juridiction requise exécute la demande conformément à la procédure spéciale, à moins que cela ne soit incompatible avec le droit national dont elle relève ou qu’elle ne soit pas en mesure de le faire en raison de difficultés pratiques majeures. »

En outre, il ressort des articles 4.1°et 3° du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») que :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question».

Le considérant n°7 de ce Règlement précise que le champ d’application matériel et les dispositions du présent Règlement doivent être cohérents par rapport au règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit « Bruxelles I », devenu « Bruxelles I bis ».

Au cas présent, Monsieur [J] a procédé au virement de diverses sommes sur un compte ouvert dans les livres de la SA SUMUP LIMITED, société de droit étranger, dont le siège social se situe à Dublin en République d’Irlande.

Il n’est pas discuté que l’action engagée par Monsieur [J] à l’encontre de la société SA SUMUP LIMITED ne peut qu’être que de nature extra-contractuelle puisqu’il n’est pas justifié de relations contractuelles entre le requérant et cette société.

Dans ce cas, le lieu où le dommage est survenu, tant au sens de l’article 4 du Règlement « Rome II » que de l’article 7.2 du règlement « Bruxelles I bis », est le lieu de l’appropriation des fonds, soit en l’espèce le compte bancaire ouvert en Irlande, en l’absence de tout autre élément caractérisé de rattachement et attestant de liens plus étroits, de nature à concourir à la désignation de la loi française.

Le droit applicable sur la demande de communication de pièces dans ce litige est donc le droit irlandais.

Or, la société SA SUMUP LIMITED a versé aux débats les pièces suivantes: le Kbis et les statuts constitutifs de sa cliente ainsi que le registre des bénéficiaires effectifs contenant tous les éléments sollicités.

Monsieur [J] ne démontre pas qu’au regard du droit irlandais, la société SA SUMUP LIMITED devrait détenir d’autres pièces concernant sa cliente que les pièces d’ores et déjà communiquées.

La demande de communication de pièces sera par conséquent rejetée.

II. Sur les autres demandes

Monsieur [J] qui succombe, sera condamné aux dépens de l’incident et à payer à la société SA SUMUP LIMITED la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, non susceptible d’appel, publiquement et par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE Monsieur [G] [J] de sa demande de communication de pièces ;

CONDAMNE Monsieur [G] [J] aux dépens de l’incident ;

CONDAMNE Monsieur [G] [J] à payer à la société SA SUMUP LIMITED la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 3ème section du 19 décembre 2024 à 9h10 pour les conclusions au fond.

Faite et rendue à Paris le 21 Novembre 2024.

LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ÉTAT


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