Indemnisation des préjudices : enjeux de la prescription et évaluation des dommages.

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Indemnisation des préjudices : enjeux de la prescription et évaluation des dommages.

L’Essentiel : Le 22 septembre 2014, un conducteur grand routier a subi un grave accident de la circulation, entraînant son décès. La société pour laquelle il travaillait avait souscrit un contrat d’assurance auprès d’une compagnie, incluant des dispositions pour indemniser les ayants droit en cas de décès. En février 2015, la compagnie d’assurance a proposé une indemnisation à la mère de la victime, qui a contesté cette offre. Après une assignation en justice, le tribunal a déclaré l’action irrecevable pour cause de prescription. En appel, la cour a infirmé le jugement, reconnaissant un préjudice d’affection et condamnant la compagnie à verser des frais.

Accident et Décès de M. [O]

Le 22 septembre 2014, M. [O], âgé de 40 ans, a subi un grave accident de la circulation alors qu’il travaillait comme conducteur grand routier pour la société Catroux. Il est décédé des suites de ses blessures le [Date décès 3] 2014.

Contrat d’Assurance et Proposition d’Indemnisation

La société Catroux avait souscrit un contrat d’assurance auprès de la société Aviva, devenu la société Abeille, pour couvrir les véhicules de l’entreprise, incluant des dispositions pour indemniser les ayants droit en cas de décès. Le 27 février 2015, la société Aviva a proposé à Mme [L], mère de M. [O], une indemnisation de 7 500 euros pour son préjudice d’affection.

Contestations et Assignation en Justice

Le 24 juin 2016, Mme [L] a contesté cette proposition. Malgré le maintien de l’offre par la société Aviva le 5 octobre 2016, Mme [L] a assigné la société en justice le 3 août 2018 pour obtenir une indemnisation complète de ses préjudices. Le tribunal judiciaire de Nanterre a rendu un jugement le 15 avril 2022, déclarant l’action de Mme [L] irrecevable pour cause de prescription.

Appel de Mme [L]

Le 27 juin 2022, Mme [L] a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la recevabilité de son action, en soutenant que la prescription applicable était de 10 ans selon l’article L114-1 alinéa 4 du code des assurances. Elle a également contesté la réduction de l’indemnité proposée par l’assureur.

Arguments de la Société Abeille

La société Abeille a soutenu que l’appel de Mme [L] n’était pas valablement saisi, arguant que le contrat d’assurance était un contrat de biens et que la prescription applicable était biennale. Elle a également contesté la nature des préjudices revendiqués par Mme [L], affirmant qu’elle n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour justifier ses demandes.

Décision de la Cour

La cour a infirmé le jugement de première instance, déclarant que l’action de Mme [L] n’était pas prescrite. Elle a reconnu un préjudice d’affection de 15 000 euros en faveur de Mme [L], tout en déboutant ses demandes concernant le préjudice économique et les frais de voyage. La société Abeille a été condamnée à verser 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de l’action engagée par la mère de la victime et quel est le délai de prescription applicable ?

L’action engagée par la mère de la victime, en tant qu’ayant droit, est fondée sur un contrat d’assurance souscrit par l’employeur de son fils, visant à indemniser les préjudices subis en cas de décès d’un salarié.

Selon l’article L114-1 du code des assurances, « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance ». Toutefois, cet article précise que « la prescription est portée à dix ans dans les contrats d’assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur et, dans les contrats d’assurance contre les accidents atteignant les personnes, lorsque les bénéficiaires sont les ayants droit de l’assuré décédé ».

Dans cette affaire, la cour a retenu que le contrat d’assurance souscrit par l’employeur de la victime, bien qu’étant un contrat de « Flotte auto Entreprise », incluait une « garantie du conducteur » qui couvre les dommages corporels.

Ainsi, le régime applicable est celui de la prescription décennale, permettant à la mère de la victime d’agir dans un délai de dix ans à compter du décès de son fils, ce qui rend son action recevable.

La société d’assurance peut-elle opposer la prescription à l’ayant droit ?

Oui, la société d’assurance peut opposer la prescription à l’ayant droit, en vertu de l’article L112-6 du code des assurances, qui stipule que « l’assureur peut opposer à l’assuré toutes les exceptions opposables au souscripteur originaire ».

Dans ce cas, la cour a jugé que la mère de la victime, en tant qu’ayant droit, est soumise aux mêmes conditions que le souscripteur, ce qui inclut la possibilité pour l’assureur de faire valoir la prescription biennale.

Cependant, la cour a également constaté que le délai de prescription de dix ans s’appliquait, ce qui a permis à l’action de la mère d’être déclarée recevable.

Il est donc essentiel de vérifier la nature du contrat d’assurance et les conditions qui y sont attachées pour déterminer si la prescription peut être opposée.

Quels sont les préjudices reconnus par la cour et comment sont-ils évalués ?

La cour a reconnu deux types de préjudices : le préjudice d’affection et le préjudice économique.

1. **Préjudice d’affection** : La cour a accordé à la mère de la victime la somme de 15 000 euros pour son préjudice d’affection, en tenant compte de la douleur causée par la perte de son fils. La cour a noté que la mère et son fils avaient une relation étroite, malgré la distance géographique, et que la douleur de la perte d’un enfant est considérée comme un préjudice moral significatif.

2. **Préjudice économique** : La demande de la mère concernant le préjudice économique a été rejetée, car elle n’a pas fourni de preuves suffisantes concernant ses ressources ou l’aide financière que lui apportait son fils. La cour a souligné qu’il était impossible d’évaluer ce préjudice sans éléments justificatifs.

3. **Frais de voyage** : La cour a également débouté la mère de sa demande de remboursement des frais de voyage, en précisant que ces frais n’étaient pas couverts par le contrat d’assurance.

Ainsi, la cour a évalué les préjudices en fonction des éléments de preuve fournis et des dispositions du contrat d’assurance.

Quelles sont les conséquences de la décision de la cour sur les frais de justice ?

La cour a statué sur les frais de justice en application de l’article 700 du code de procédure civile, qui prévoit que « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Dans cette affaire, la société d’assurance a été condamnée à verser à la mère de la victime la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et en appel.

De plus, la société d’assurance a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile, qui stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens ».

Ainsi, la décision de la cour a des conséquences financières pour la société d’assurance, qui doit couvrir les frais de justice de la partie gagnante.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58G

Chambre civile 1-3

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 FEVRIER 2025

N° RG 22/04199 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VI4Z

AFFAIRE :

[D], [T] [L]

C/

S.A. ABEILLE IARD & SANTE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 15 Avril 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° Chambre : 3

N° Section :

N° RG :

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Monique TARDY de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [D], [T] [L]

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 5] GUADELOUPE

Représentant : Me Monique TARDY de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620

APPELANTE

****************

S.A. ABEILLE IARD & SANTE

anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES

N° SIRET : 306 522 665

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 novembre 2024, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Charlotte GIRAULT, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Présidente,

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller

Madame Charlotte GIRAULT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme FOULON

FAITS ET PROCEDURE

Le 22 septembre 2014, [U] [O], âgé de 40 ans a été victime d’un grave accident de la circulation alors qu’il exerçait son activité professionnelle de conducteur grand routier au service de la société Catroux. Il est décédé des suites de ses blessures le [Date décès 3] 2014.

La société Catroux a souscrit auprès de la société Aviva assurances, devenue la société Abeille Iard et santé (ci-après  » la société Abeille « ), un contrat ayant pour objet l’assurance des véhicules automobiles de ses entreprises, prévoyant notamment en cas de décès l’indemnisation des préjudices économique, d’affectation et des frais funéraires des ayants droit.

Par courrier du 27 février 2015, la société Aviva a formulé à Mme [D] [L], mère de M. [O], une proposition d’indemnisation de son préjudice d’affection à hauteur de 7 500 euros.

Par courrier du 24 juin 2016, Mme [L] a contesté cette proposition.

Par courriel du 5 octobre 2016, la société Aviva a maintenu sa proposition.

Par acte d’huissier du 3 août 2018, Mme [L] a fait assigner la société Aviva devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin d’obtenir l’indemnisation de ses entiers préjudices.

Par jugement du 15 avril 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– déclaré irrecevable, comme prescrite, l’action de Mme [L] engagée contre la société Abeille,

– condamné Mme [L] à payer à la société Abeille la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné Mme [L] aux dépens dont distraction au profit de la société Chauvin de La Roche-Houfani, avocat aux offres de droit.

Par acte du 27 juin 2022, Mme [L] a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 8 septembre 2023 de :

– juger qu’elle est valablement saisie de son appel,

– infirmer le jugement déféré,

– rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale,

– déclarer recevable son action,

– dire et juger que son action relève de la prescription de 10 ans prévue à l’article L114-1 alinéa 4 du code des assurances,

– débouter la société Abeille de toutes ses demandes à son encontre,

A titre subsidiaire, si l’article L114-1 du code des assurances devait s’appliquer,

– dire et juger que la société Abeille a renoncé à se prévaloir de la prescription,

– déclarer recevable et bien fondée son action en indemnisation,

– dire et juger que la réduction de moitié de l’indemnité due en réparation de ses préjudices moraux et économiques n’est pas fondée,

– débouter la société Abeille de sa demande de réduction des indemnités lui revenant,

– condamner la société Abeille à lui payer la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice d’affection subi,

– condamner la société Abeille à lui payer la somme de 15 000 euros au titre du préjudice économique,

– condamner la société Abeille à lui payer la somme de 1 595 euros au titre des frais de voyage,

– condamner la société Abeille à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la société Abeille de toutes ses demandes à son encontre,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

– condamner la société Abeille aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, Mme [L] fait valoir que :

– son action n’est pas prescrite car elle est soumise au délai de prescription de 10 ans de l’article L114-1 alinéa 4 du code des assurances et non à la prescription biennale de l’article L114-1 alinéa 1er du code des assurances,

– à supposer sa demande atteinte par la prescription, les échanges avec l’assureur démontrent que celui-ci a entendu renoncer à se prévaloir de la prescription,

– la société Catroux, employeur de son fils, avait souscrit une assurance Garantie du conducteur au profit de son salarié auprès de la société AVIVA, qui viendrait réparer  » tous les préjudices subis par le conducteur ou ses ayants droit en cas de décès « , suite à un accident de la circulation (préjudice économique, préjudice d’affection et frais funéraires),

– la proposition de versement d’une somme de 7 500 € au titre de son préjudice d’affection n’est pas satisfaisante, car d’une part la réduction de moitié de l’indemnité ne se justifie pas du fait de l’absence de port de ceinture de sécurité de son fils au moment des faits dans la mesure où il n’existe aucun lien de causalité de cette circonstance avec l’accident et,

– d’autre part, que bien qu’éloignée géographiquement du lieu de domicile de son fils, celui-ci était resté très proche de sa mère et l’aidait financièrement de sorte que Mme [L] a subi non seulement un préjudice d’affection, mais également un préjudice économique, outre un préjudice lié aux frais de voyage exposés pour venir en métropole récupérer les affaires de son fils décédé.

En réponse au moyen tiré de l’irrecevabilité de ses demandes, Mme [L] soutient que sa déclaration d’appel et ses premières écritures comportent bien les chefs de jugement critiqués.

Par dernières écritures du 9 décembre 2022, la société Abeille prie la cour de :

– juger que la cour n’est pas valablement saisie de l’appel de Mme [L], en l’absence d’effet dévolutif de son appel concernant les dispositions du jugement ayant :

*déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Mme [L] engagée à son encontre,

*condamné Mme [L] aux dépens dont distraction au profit de la société Chauvin de La Roche-Houfani, avocats aux offres de droit,

– juger en conséquence que le jugement déféré est définitif en ce qu’il a :

*déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Mme [L] engagée à son encontre,

*condamné Mme [L] aux dépens,

– confirmer à défaut le jugement entrepris en ce qu’il a :

*déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Mme [L] engagée à son encontre, et partant toutes ses demandes en principal et accessoires,

*condamné Mme [L] aux dépens dont distraction au profit de la société Chauvin de La Roche-Houfani, avocats aux offres de droit,

En toute hypothèse,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Mme [L] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter Mme [L] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en cause d’appel,

Y ajoutant,

– condamner Mme [L] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

À titre infiniment subsidiaire,

– débouter Mme [L] de la réclamation qu’elle présente au titre d’un préjudice économique,

– débouter Mme [L] de la réclamation qu’elle présente au titre de frais de voyage,

– réduire le montant de l’indemnité sollicitée par Mme [L] au titre de son préjudice d’affection à hauteur de la somme de 15 000 euros,

– réduire dans de plus justes proportions le montant de la somme réclamée par Mme [L] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui de ses demandes, la Société Abeille soutient que :

– l’absence de mention des chefs du jugement critiqués dans les premières conclusions de l’appelante prive l’appel de son effet dévolutif et en particulier, que la demande de  » réformation du jugement en ce qu’il a fait application de la prescription biennale  » n’est pas  » l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré son action prescrite  » ; de même, en ne reprenant pas le chef de jugement critiqué relatif à sa condamnation aux dépens, Mme [L] n’en a pas saisi la cour,

– le contrat souscrit par l’employeur de M. [O] auprès de la société Aviva Assurances n’est pas un contrat d’assurance contre les accidents atteignant les personnes, mais un contrat  » Flotte auto Entreprise transports publics marchandise  » ayant pour objet l’assurance des véhicules automobiles des entreprises qui contient notamment une  » garantie du conducteur  » pour l’indemnisation des dommages corporels subis par celui-ci, de sorte que le régime applicable est celui de la prescription biennale, et non le régime de la prescription décennale applicable exclusivement aux garanties Accidents de la vie ainsi qu’aux contrats d’assurance sur la vie,

– l’action de Mme [L] étant de nature contractuelle, l’assureur peut lui opposer les exceptions opposables au souscripteur originaire en vertu de l’article L112-6 de code des assurances,

– en application du délai de prescription biennal, Mme [L] avait jusqu’au 27 février 2017 pour agir depuis l’offre faite le 25 février 2015, de sorte qu’en assignant le 3 août 2018, la prescription était acquise,

– la renonciation à la prescription n’est possible que lorsque cette dernière est acquise, or celle-ci ne l’était pas lorsque l’offre a été émise et discutée,

– le courriel de la société Aviva en date du 25 juillet 2017 ne constitue pas une manifestation de volonté de maintenir l’offre d’indemnité, et n’est qu’un mail de transmission des conditions générales du contrat d’assurance au conseil de Mme [L] et répondant à sa demande du 11 juillet 2017, insusceptible de constituer une renonciation non équivoque et même tacite,

– à titre subsidiaire sur les préjudices, Mme [L] ne produit pas de pièces permettant de justifier de l’intensité du lien d’affection qui la liait à son fils, avec lequel elle avait des appels quotidiens, et justifiant de dépasser l’offre de 15 000 euros. Elle ne produit pas non plus les éléments justificatifs du capital décès versé par l’organisme de sécurité sociale de son fils, ni de ses ressources au moment du décès ni encore de l’aide financière effective que lui apportait son fils, qu’elle admet cependant ne pas avoir déclarées, de sorte qu’il n’est pas possible d’évaluer son préjudice économique. Enfin, le contrat d’assurance ne prévoit pas le remboursement des frais de voyage qu’elle a engagés pour venir en métropole chercher les affaires de son fils.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 octobre 2024.

EXPOSE DES MOTIFS

Sur le périmètre de saisine de la cour et l’effet dévolutif de l’appel

L’article 562 du code de procédure civile dispose que « l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.  »

L’article 901 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret du 29 décembre 2023 et applicable en l’espèce dispose que  » la déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité : (‘) Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.  »

L’article 910-4 du code de procédure civile dans sa version applicable au litige précise « A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. »

Enfin, aux termes de l’article 954 du code de procédure civile :  » (‘) Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. (‘) La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.  »

Il résulte de ces dispositions combinées que l’appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions qui déterminent la finalité de l’appel, mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement, et que les conclusions doivent comprendre distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions.

Selon la circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 (BOMJ, n° 2017-08, 31 août, NOR : JUSC1721995C), « la notion de chefs de jugement correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement  »

En l’espèce, force est de constater que la déclaration d’appel de Mme [L] est ainsi présentée:  » L’appel tend à faire réformer ou annuler par la Cour d’Appel la décision entreprise.

L’appel porte sur les chefs critiqués du jugement du 15 avril 2022 en ce qu’ils ont :

Déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Madame [D] [L] engagée contre la société Abeille Iard & Santé,

– Condamné Madame [D] [L] à payer à la société Abeille Iard & Santé la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du CPC,

– Ordonné l’exécution provisoire,

– Et condamné Mme [D] [L] aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Chauvin de la Roche-Houfani  »

Dans ses premières conclusions notifiées par RPVA le 20 septembre 2022, Mme [L] demande expressément l’infirmation du jugement, le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et l’infirmation du chef de jugement portant sur les frais au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi, ces chefs sont bien dévolus à la présente cour.

Quant à l’appel sur le chef de jugement portant sur les dépens, s’il est mentionné dans la déclaration d’appel, il n’est en effet pas mentionné dans le dispositif de ses premières conclusions.

En revanche, aux termes de l’article 696 du code de procédure civile  » La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. « .

La cour de cassation a pu déduire de ces dispositions qu’en cas d’infirmation d’une décision, la cour d’appel met à bon droit l’ensemble des dépens de première instance et d’appel à la charge de la partie qui, après avoir gagné en première instance, succombe en appel ( Civ 3ème 9 mai 1978, 77-10.125) et que le juge peut même être amené, dans certaines situations, à condamner les parties aux dépens d’une autre instance, s’il s’agit de frais relatifs à une instance ayant préparé celle-ci, notamment s’agissant de frais d’expertise (Civ3ème, 17 mars 2004 n°00-22.522).

Il résulte du caractère accessoire de cette condamnation que le juge a le devoir de statuer sur les dépens et que l’appel doit permettre en tous les cas au juge, même en l’absence de demande expresse sur ce point, et en cas d’infirmation de la décision de première instance, de réformer ce chef de dispositif pour condamner la partie succombante. Ainsi, la demande combinée de l’infirmation du jugement et de la condamnation aux dépens de la société Abeille en appel, permet de considérer que la cour est valablement saisie de la critique de ce chef de demande.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Le jugement a déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Mme [L] engagée à l’encontre de la Société Abeille, estimant que les dispositions de l’article L114-1 du code des assurances s’appliquaient au contrat d’assurance souscrit et que la réclamation de Mme [L] avait été faite au-delà, soit après expiration du délai de prescription biennal.

Dans sa version applicable au litige, l’article L114-1 du code des assurances dispose que :

 » Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance.

Toutefois, ce délai ne court :

1° En cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, que du jour où l’assureur en a eu connaissance ;

2° En cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là.

Quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

La prescription est portée à dix ans dans les contrats d’assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur et, dans les contrats d’assurance contre les accidents atteignant les personnes, lorsque les bénéficiaires sont les ayants droit de l’assuré décédé.

Pour les contrats d’assurance sur la vie, nonobstant les dispositions du 2°, les actions du bénéficiaire sont prescrites au plus tard trente ans à compter du décès de l’assuré.  »

En cause d’appel Mme [L] soutient que le contrat d’assurance souscrit par l’employeur de son fils est une assurance contre les accidents atteignant les personnes soumises à la prescription de dix ans, que la  » garantie du conducteur  » contenue dans cette assurance est une assurance de dommages corporels, et que son action est fondée sur la  » garantie conducteur  » souscrite par la Société Catroux au profit de ses salariés conducteurs dont faisait partie son fils.

L’assurance souscrite par l’employeur de M. [O], est un contrat nommé  » Flotte auto Entreprise Transports Publics Marchandise  » et défini comme ayant pour objet  » de garantir [ses]véhicules, à l’exception toutefois des véhicules à coussin d’air et des engins automoteurs dirigés par un conducteur marchant à pied et ne servant pas à l’exécution d’un transport  » (page 11 du contrat, pièce 2 de l’intimée). Ce contrat comporte une  » garantie du conducteur « , acquise à tous les véhicules déclarés au contrat en cas de blessures ou de décès du conducteur autorisé, laquelle garantie doit être ajoutée spécifiquement par le souscripteur.

Selon cette garantie  » S’il en est fait mention aux conditions particulières, la garantie du conducteur est acquise à tous les véhicules déclarés au contrat suivant la formule choisie.

3.5.1 Contenu de la garantie

Nous procédons au règlement des dommages corporels subis par le conducteur, quel que soit le taux d’incapacité permanente dont il demeure atteint, ou à l’indemnisation de ses ayants droit en cas de décès. Le plafond de cette garantie est fixé aux conditions particulières. Les dommages corporels se décompose en divers postes de préjudices : (‘)

En cas de décès :

– Préjudice funéraire,

– Préjudice économique

Nous déduisons de la somme correspondant à ce postes les montants réglés par les tiers payeurs. Nous indemnisons également les préjudices moraux des ayants droit dont la liste figurant au  » lexique  » est strictement limitative.  »

Si cette garantie ne change pas la nature du contrat d’assurance de biens, elle couvre les risques qui portent atteinte à la personne du conducteur dans son intégrité physique ou dans son existence.

Elle figure aux conditions particulières signées par la société Catroux, et son plafond est fixé à 160 000 euros, ce qui, même s’il démontre son caractère accessoire au contrat d’assurance de biens, n’en constitue pas moins une assurance atteignant les personnes, car couvrant des préjudices corporels.

Le régime applicable est donc celui de la prescription décennale de l’article L114-1 alinéa 4 du code des assurances précité. Mme [L] a qualité de tiers à ce contrat et l’assureur peut lui opposer, en vertu de l’article L112-6 du même code, toutes les exceptions opposables au souscripteur. Dès lors, la prescription décennale peut lui être opposée, ainsi que les conditions figurant au contrat, dont la limitation de l’indemnisation à certains préjudices seulement.

Le point de départ de la prescription a démarré le 27 février 2015, date à laquelle Mme [L] a reçu l’offre de la société Aviva et a pu agir pour la contester, ce qu’elle a d’ailleurs fait par courrier simple du 24 juin 2016, non interruptif de prescription.

En conséquence, la prescription décennale n’était pas acquise à la date de son assignation le 3 août 2018.

Il n’y a donc pas lieu d’examiner si l’assureur avait renoncé à la prescription et l’action de Mme [L] est recevable car non prescrite.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les préjudices

1. Le préjudice d’affection

M. [O] avait 40 ans au moment de son accident, vivait avec une concubine et avait un travail en contrat déterminé après des périodes d’intérim en métropole. Mme [L], qui justifie de son lien de parenté et habite en Guadeloupe affirme dans ses conclusions qu’il y avait une communauté de vie avec son fils  » même s’ils ne vivaient pas sous le même toit  » et que son fils lui téléphonait tous les jours pour avoir des nouvelles pour démontrer l’intensité de leur lien affectif.

La douleur de la perte d’un enfant, a fortiori dans des conditions dramatiques, n’est pas contestée par l’assureur qui propose à hauteur d’appel la somme de 15 000 euros pour son préjudice d’affection, après avoir renoncé à réduire de moitié l’indemnité au regard du fait que M. [O] ne portait pas sa ceinture de sécurité et était en communication téléphonique au moment de l’accident.

L’assureur sera condamné à la somme de 15 000 euros au titre du préjudice d’affection.

2. Le préjudice économique

Mme [L], qui affirme percevoir une pension de retraite de 600 euros et indique vivre dans des conditions précaires, ne justifie cependant aucunement ni de ses ressources ni de l’aide financière que lui apportait son fils. Il n’est donc pas possible de déterminer un préjudice économique. Elle est déboutée de sa demande.

3. Les frais de voyages

Ces frais n’étant pas couverts par le contrat d’assurance, Mme [L] est déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont infirmées.

La société Abeille Iard & Santé succombant, elle est condamnée à verser à la somme de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles engagés en première instance et en appel, ainsi qu’aux dépens de l’appel, conformément à l’article 695 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire mise à disposition,

Dit que la cour est valablement saisie des demandes portant sur les chefs de jugement portant sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, et les demandes au titre de l’article 695 et 700 du code de procédure civile.

Infirme le jugement dans toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société Abeille Iard à verser à Mme [D] [L] & Santé la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice d’affection,

Déboute Mme [D] [L] de sa demande au titre de son préjudice économique et ses frais de voyage,

Condamne la société Abeille Iard à verser à Mme [D] [L] & Santé la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Abeille Iard de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Abeille Iard aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière, La présidente,


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