Images extraites d’un film : l’atteinte aux droits de l’artiste interprète

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Images extraites d’un film : l’atteinte aux droits de l’artiste interprète

La reproduction de l’image d’un acteur extraite d’un tournage, pour illustrer un article portant atteinte à sa vie privée, constitue aussi une atteinte à son interprétation.

Affaire « Public »

En l’espèce, le magazine public a légendé l’une des scènes prises sur le tournage de la ch’tite famille « un vrai bisou de cinéma » et utilisait deux autres scènes du tournage représentant Dany Boon et             sa compagne.

Alors que le film en question a été diffusé en France le 23 février 2018, la reproduction non autorisée des images extraites de l’interprétation de l’actrice et compagne du réalisateur à des fins commerciales pour attirer le lectorat d’un magazine, sans lien avec l’actualité cinématographique, séparée du son, altère et dénature ladite interprétation. Cette atteinte est constitutive de la contrefaçon alléguée.

En l’espèce, cette dénaturation est constituée à la fois par la reprise non autorisée de la fixation d’images du tournage d’un film, coupées du son et la confusion volontairement créée entre ces scènes et l’insinuation d’une liaison intime réelle prêtée à l’actrice, au soutien de laquelle viennent les clichés reproduits, étrangers à celle-ci. L’actrice était ainsi fondée à voir réparer l’atteinte à son interprétation en tant qu’artiste. Son préjudice moral a été réparé par l’allocation d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Atteinte à l’interprétation

Selon l’article L212-2 du code de la propriété intellectuelle, l’artiste interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne.

Selon l’article L 212-3 du même code, sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction, sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

1re chambre 1re section

ARRÊT DU 06 AVRIL 2021

N° RG 19/07371

N° Portalis DBV3-V-B7D-TQN6

AFFAIRE :

Y X

C/

Société CMI PUBLISHING

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Octobre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre

LE SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant qui a été prorogé le 23 mars 2021, les parties en ayant été avisées dans l’affaire entre :

Madame Y X

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

représentée par Me Elie DOTTELONDE substituant Me A B, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : A0859

APPELANTE

****************

Société CMI PUBLISHING

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège […]

[…]

92300 LEVALLOIS-PERRET

reperésentée par Me Patrick SERGEANT, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : B1178

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Janvier 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, Conseiller chargée du rapport et Madame Nathalie LAUER, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

Vu le jugement rendu le 10 octobre 2019 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

— rejeté l’intégralité des demandes de Mme Y X,

— rejeté la demande de Mme Y X au titre des frais irrépétibles,

— condamné Mme Y X à payer à la SAS CMI Publishing la somme de deux mille euros (2 000 euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné Mme Y X à supporter les entiers dépens de l’instance,

— dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement ;

Vu l’appel de ce jugement interjeté le 18 octobre 2019 par Mme Y X ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2020 par lesquelles Mme Y X demande à la cour de :

Vu l’article 9 du code civil,

Vu les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles L. 212-2 et L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle,

— recevoir Mme Y X en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit,

— infirmer le jugement du 10 octobre 2019 dans toute ses dispositions,

— condamner la société CMI Publishing à verser à Mme Y X, à titre de dommages et intérêts, du fait de la violation de sa vie privée par la page de couverture et l’article intitulé « C D Y est entrée dans sa ch’tite famille » du magazine Public n° 795 du 5 octobre 2018, la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral,

— condamner la société CMI Publishing à verser à Mme Y X, à titre de dommages et intérêts, du fait de la contrefaçon de son interprétation par le magazine Public n° 795 du 5 octobre 2018, la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral,

— condamner la société CMI Publishing à verser à Mme Y X au titre de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité de 6 000 euros,

— la condamner aux dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement direct à M. A B,

Vu les dernières conclusions notifiées le 7 avril 2020 par lesquelles la société par actions simplifiée (SAS) CMI Publishing demande à la cour de :

Vu l’article 9 du code civil, les articles L. 212-2 et L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, et l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

— débouter Mme Y X de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— confirmer le jugement rendu le 10 octobre 2019 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de Mme Y X et l’a condamnée, outre aux dépens de l’instance, à verser à la société CMI Publishing la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner Mme Y X à verser à la société CMI Publishing en cause d’appel la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous frais et dépens ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 novembre 2020 ;

FAITS ET PROCÉDURE

La société en nom collectif (SNC) Hachette Filipacchi Associés, devenue la société par actions simplifiée (SAS) CMI Publishing, est l’éditrice du magazine hebdomadaire Public.

Dans le cadre de cette activité, elle a annoncé en couverture du numéro 795 paru le 5 octobre 2018 de ce magazine, sous le titre « C D ‘ Y est entrée dans sa ch’tite famille ! » légendant une photographie en vignette de l’acteur C D embrassant Mme Y X, un article publié en page 10 sous le même titre et le sous-titre « Entre les deux comédiens, le courant est bien passé et ça ne date pas d’hier ! » et illustré de trois photographies, dont l’une est la reprise agrandie de celle visible en couverture, captées sur le tournage du film La Ch’tite Famille.

Estimant cette publication attentatoire à son droit au respect de sa vie privée et à son droit sur son image, ainsi qu’à ses droits d’artiste-interprète, Mme Y X a, par acte d’huissier du 10 octobre 2018, assigné la société Hachette Filipacchi Associés, devenue la société CMI Publishing, devant le tribunal de grande instance de Nanterre sur le fondement des dispositions des articles 9 du code civil et 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux fins de voir indemniser son préjudice moral.

C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement déféré ayant rejeté l’intégralité des demandes de Mme Y X et l’ayant condamnée à payer à la société CMI Publishing la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE , LA COUR,

Moyens des parties

Mme Y X critique le jugement entrepris en ce qu’il a retenu qu’aucune atteinte autonome par le titre n’étant invoquée, les différents éléments constitutifs de la violation du droit au respect de la vie privée alléguée devaient être analysés globalement dans le tout indivisible que constituent l’article, son titre, ses intertitres et ses illustrations.

Elle expose qu’en réalité, elle incriminait dans son acte introductif d’instance du 10 octobre 2018, tant la page de couverture du magazine que l’article publié en page intérieure, de sorte qu’il appartenait au premier juge d’examiner l’une et l’autre.

Elle fait valoir que la société de presse avait déjà fait l’objet d’une condamnation pour l’utilisation du même procédé fautif en révélant sous couvert d’une information tout autre, un fait présenté comme relevant de la vie privée et comme tel portant atteinte à celle-ci.

Elle soutient qu’en l’espèce la couverture du magazine public reproduisant une scène de baiser entre elle et C D, extraite du film « la ch’tite famille », est destinée à accréditer l’idée dans l’esprit des acheteurs potentiels, de l’existence d’une relation intime entre les deux acteurs, quand bien même l’article en page intérieure serait légitime, ce qui n’est en tout état de cause pas le cas en l’espèce.

Elle précise que le film en question réalisé par C D, dans lequel elle interprète le rôle de l’épouse du personnage principal joué par le réalisateur, est sorti en France le 23 février 2018, de sorte que le titre de couverture d’un magazine publié plus de huit mois après, ne saurait avoir pour objet d’annoncer la sortie du film. Elle affirme donc que le détournement de la scène du film a pour unique finalité d’accréditer la thèse de la révélation d’une relation intime entre les deux comédiens par un autre magazine.

S’agissant de l’article figurant à l’intérieur du magazine, elle considère qu’il reprend l’annonce fautive par le magazine « voici », de cette relation intime sur laquelle elle ne s’était jamais exprimée. Elle ajoute qu’il est indifférent que l’article soit rédigé en termes dubitatifs et non affirmatifs, ce en considération d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de supputations sur la vie intime.

Elle conclut donc à une atteinte à sa vie privée.

Elle reproche en second lieu à la société intimée d’avoir commis des faits de contrefaçon de celle-ci en commettant une violation du droit moral dont elle dispose sur son interprétation résultant des dispositions impératives de l’article L 212-2 du code de la propriété intellectuelle. Elle expose que le magazine Public souligne avec insistance qu’il s’agit ‘d’un vrai bisou de cinéma’ et publie des clichés surprenant les deux acteurs ‘sur le tournage de la ch’tite famille’ en juin 2017 à Paris, à seule fin de corroborer par l’image la reprise de l’annonce d’une prétendue relation intime en 2018 avec son partenaire à l’écran.

Elle en déduit que la reproduction de son interprétation sans son autorisation, ni celle du producteur, est réduite à l’illustration d’une intrusion délibérée dans la sphère intime de sa supposée vie personnelle ; que le procédé est illicite et qu’il est inopérant que le tournage du film se soit déroulé en extérieur et en public.

Elle rappelle que la seule constatation de l’atteinte au respect dû à sa vie privée et à son image par voie de presse ouvre droit à réparation de son préjudice. Elle fait valoir l’ampleur de la diffusion du magazine Public qui toucherait environ 1’576’000 lecteurs, lecteurs d’exemplaires papier ou par la voie numérique confondus.

Elle chiffre la réparation de son préjudice à hauteur de 8000 euros de dommages-intérêts pour ce qui est de la violation de son droit à la vie privée.

Elle sollicite une seconde somme de 8000 euros en réparation de son préjudice moral du fait de la contrefaçon de son interprétation.

La société CMI Publishing expose à titre liminaire que Mme Y X est connue du grand public en raison de son activité de comédienne depuis 2012. Elle expose que celle-ci s’exprime régulièrement dans les médias en se confiant sur certains aspects de sa vie personnelle, comme son enfance ou encore sa maternité. Elle explique que la presse a annoncé le 28 septembre 2018 qu’elle était désormais en couple avec C D, rencontré sur le tournage du film « Radin ! », sorti en septembre 2016.

Elle ajoute qu’en février 2019, la presse a annoncé que les deux acteurs avaient officialisé leur relation auprès de leurs proches et de leur famille et que c’est dans ce contexte que Mme X a choisi de l’assigner en raison de l’article publié le 5 octobre 2018.

Elle conclut à l’absence d’atteinte à la vie privée et aux droits d’artiste-interprète de Mme X.

Elle soutient à cet effet que contrairement à ce qu’allègue l’appelante, cet article ne révèle pas l’existence d’une relation sentimentale avec C D mais se borne à faire état de la complicité affichée par les intéressés à l’occasion de leurs apparitions médiatiques dans le cadre de la promotion du film ‘la ch’tite famille’.

Elle prétend que l’article en cause, dans le style propre du magazine, n’emprunte aucunement au champ lexical de la relation amoureuse mais bien à celui de la complicité entre les deux acteurs. La publication litigieuse ne donne aucune précision d’ordre personnel sur les liens unissant C D et Y X.

Le style accrocheur utilisé conforme à la ligne éditoriale du magazine ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression, étant rappelé que la liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d’exagération.

La société éditrice en conclut qu’aucune faute ne saurait être reprochée au journal qui a simplement rendu compte de la complicité manifeste de deux comédiens dans le cadre de leurs activités professionnelles sans mention d’éléments relatifs à leur vie privée. Elle demande donc à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit qu’aucune atteinte au respect de la vie privée de Mme X n’est caractérisée et rejeté ses demandes à ce titre.

S’agissant du grief élevé par Mme X portant sur la contrefaçon de son interprétation, l’intimée objecte que l’appelante semble en réalité reprocher un détournement de la finalité des clichés et non une atteinte à son interprétation. Elle invoque une contradiction dans l’argumentation de Mme X qui d’une manière générale vise une atteinte à sa vie privée par le texte de l’article que les photographies qui l’illustrent viendraient prolonger, sans caractériser une éventuelle dénaturation ou dévalorisation de son interprétation artistique.

La société CMI Publishing conclut subsidiairement sur les préjudices allégués. En premier lieu, elle fait valoir qu’aucune révélation ni aucun détail ne sont donnés au sujet de la vie privée de l’intéressé, le texte se bornant à des propos d’une grande banalité. Elle argue de la brièveté et du caractère bienveillant des commentaires, le sujet, qui n’est pas présenté comme un scoop, étant traité de manière légère.

En second lieu, elle prétend que la violation de l’article 212-3 du code de la propriété intellectuelle ne saurait permettre l’indemnisation d’un préjudice autre que patrimonial, lequel n’est pas invoqué en l’espèce. Elle ajoute que l’interprétation de la comédienne n’apparaît ni dévalorisée ni dénaturée et que les légendes des photos ne sauraient causer un quelconque préjudice.

En troisième lieu, elle demande de tenir compte de la complaisance de l’appelante qui n’hésite pas à communiquer au sujet de sa vie personnelle, notamment via son compte Instagram.

Elle rappelle enfin que le préjudice doit être apprécié de manière concrète au jour où le juge statue, que Mme X ne justifie aucune répercussion à la suite de cet article, n’apporte aucun élément nouveau en cause d’appel et qu’il n’existe aucun précédent judiciaire entre elle et le magazine Public. Elle en déduit que le préjudice résultant de l’article poursuivi ne saurait être que symbolique.

Appréciation de la cour

Sur l’existence d’une atteinte à l’intimité de la vie privée

Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions, le respect de sa vie privée et de son image.

L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse, dans le respect du droit des tiers.

Le droit au respect de la vie privée d’une personne, d’une part, et le droit à la liberté d’expression d’autre part, ont des valeurs normatives équivalentes. Il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que le cas échéant les circonstances de la prise des photographies.

Le caractère public ou la notoriété d’une personne influe sur la protection dont sa vie privée peut ou doit bénéficier.

Mme X dispose d’une notoriété certaine. Le droit à l’information du public se justifie dans une telle hypothèse par l’actualité événementielle ou un débat d’intérêt général.

La publication incriminée doit s’apprécier dans sa globalité, l’article et les photographies figurant en page 10 constituant le développement et la continuité de l’encart figurant en page de couverture en haut et à gauche de celle-ci, représentant une photographie de Mme X et de C D enlacés et s’embrassant sur la bouche, légendée ainsi ‘ C D, Y est entrée dans sa ch’tite famille’. La page 10 du magazine intitulée « Y est entrée dans sa ch’tite famille’ avec pour sous-titre « entre les deux comédiens, le courant est bien passé et ça ne date pas d’hier ! » inclut trois photographies des deux acteurs tirées du tournage du film ‘la ch’tite famille’ réalisé en juin 2017, traduisant une intimité certaine entre eux.

Quand bien même l’article est rédigé sur un ton humoristique dénué de malveillance, sous couvert d’évoquer le film ‘la Ch’tite famille’, dont la sortie remonte à près de huit mois, il est manifeste que les allusions relatives aux retrouvailles chaleureuses des deux comédiens, au fait qu’il n’a pas été nécessaire de recourir à beaucoup de prises pour le tournage de la scène du baiser, au motif qu’ils sont de vrais pro, au fait qu’ils ont chanté en duo dans une émission de télévision la chanson ‘ J’ai un problème, je crois bien que je t’aime …’ situation commentée par la phrase suivante ‘ si l’on en croit les info sorties la semaine dernière dans la presse, ils semblent avoir trouvé la solution’, ont pour seule finalité de révéler au public leur relation amoureuse en distrayant le lecteur avec le parallèle opéré avec le scénario du film qu’ils ont tourné ensemble, dans lequel Mme X E l’épouse de C D.

En réalité, le magazine Public reprend à son compte en la relayant, l’information de la relation amoureuse des protagonistes, révélée par le magazine Voici quelques jours plus tôt et le titre de couverture ne saurait avoir pour objet, d’annoncer la sortie du film bien antérieure, ou de le commenter.

Il est indifférent que l’article, qui joue sur les deux situations, celle de la comédienne dans le film dont on comprend qu’elle présente une connexité avec sa vie privée actuelle, soit rédigé en termes dubitatifs, dès lors que les supputations sur la vie intime, caractérisent une intrusion dans la sphère protégée de la vie privée, en dehors de toute déclaration préalable des intéressés.

L’atteinte à la vie privée de Mme X apparaît donc ainsi caractérisée.

Sur l’existence d’une atteinte à l’interprétation

Selon l’article L212-2 du code de la propriété intellectuelle, l’artiste interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation.

Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne.

Selon l’article L 212-3 du même code, sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction, sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image.

En l’espèce, le magazine public légende l’une des scènes prises sur le tournage de la ch’tite famille « un vrai bisou de cinéma » et utilise deux autres scènes du tournage représentant Mme X et C D commentées par la phrase suivante : « les deux acteurs, ici, sur le tournage de la Ch’tite famille en juin 2017, à Paris. »

Alors que le film en question a été diffusé en France le 23 février 2018, la reproduction non autorisée des images extraites de l’interprétation de Mme X à des fins commerciales pour attirer le lectorat d’un magazine, sans lien avec l’actualité cinématographique, séparée du son, altère et dénature ladite interprétation.

Cette atteinte est constitutive de la contrefaçon alléguée.

Sur les préjudices

La seule constatation de la violation de la vie privée ouvre droit à réparation du préjudice moral que cette violation engendre nécessairement, dont l’évaluation est appréciée par le juge en fonction des éléments qui lui sont soumis. Le préjudice doit être apprécié à la date de la décision.

Il doit être tenu compte de la teneur de l’article incriminé, annoncé en page de couverture par un titre et un cliché racoleurs compte tenu de la pose des deux acteurs en train d’échanger un baiser intime, qui ne peut qu’attirer l’attention et la curiosité du lecteur, non nécessairement en mesure de faire le rapprochement avec une scène de film. De surcroît, il a été précédemment développé que l’article est lourd de sous- entendus, sur le parallèle entre les scènes du film et la vraie vie et se réfère à l’annonce faite par une autre publication de l’existence de la relation intime entre les deux acteurs.

Il est inopérant que d’autres organes de presse aient fait cette révélation une semaine auparavant.

L’insinuation d’une relation amoureuse atteint l’intimité d’une personne, même jouissant d’une certaine notoriété, dans l’un de ses aspects les plus personnels.

La complaisance de Mme X en ce qu’elle se confierait volontiers aux médias sur certains aspects de sa vie personnelle est inopérante en ce que celle-ci n’a jamais fait de révélations sur sa vie amoureuse mais sur son enfance, ses activités sportives ou sa maternité.

Il est justifié de ce que le magazine Public diffusé à 158 000 exemplaires, dispose d’une notoriété beaucoup plus large par une audience de 1 576 000 lecteurs. En outre, le magazine est diffusé sur des kiosques numériques reproduisant sa page de couverture.

Il sera cependant tenu compte de la banalité des propos et de ce qu’ils sont dénués de toute malveillance à l’égard de Mme X qui est présentée comme une actrice ‘ qui explose désormais sur grand écran’.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il doit être alloué à Mme X la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

C’est par une interprétation erronée des articles L212-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle que la société CMI Publishing prétend que Mme X ne pourrait se prévaloir d’un

préjudice autre que patrimonial, s’agissant d’une dénaturation de son interprétation.

En l’espèce, cette dénaturation est constituée à la fois par la reprise non autorisée de la fixation d’images du tournage d’un film, coupées du son et la confusion volontairement créée entre ces scènes et l’insinuation d’une liaison intime réelle prêtée à Mme X, au soutien de laquelle viennent les clichés reproduits, étrangers à celle-ci.

Mme X est ainsi fondée à voir réparer l’atteinte à son interprétation en tant qu’artiste.

Son préjudice moral sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

La décision entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions.

La société CMI Publishing, partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il paraît équitable d’allouer à Mme X la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société CMI Publishing partie perdante et comme telle, tenue aux dépens, sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 octobre 2019 par le tribunal de grande instance de Nanterre,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement,

CONDAMNE la société CMI Publishing à payer à Mme Y X la somme de 5 000 euros en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée par la page de couverture et l’article intitulé ‘ C D Y est entrée dans sa ch’tite famille ‘ du magazine Public n°795 du 5 octobre 2018,

CONDAMNE la société CMI Publishing à payer à Mme Y X la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon de son interprétation dans le magazine public numéro 795 du 5 octobre 2018,

CONDAMNE la société CMI Publishing à payer à Mme X la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

CONDAMNE la société CMI Publishing aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Anne LELIEVRE, conseiller pour le président empêché, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,


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