Une personne qui disait avoir reconnu l’ex-mari de sa soeur agenouillé auprès du corps de celle-ci recouvert d’un drap, au cours de l’’attentat commis sur la Promenade des Anglais à Nice, a poursuivi FRANCE TELEVISIONS pour manquement au respect dû à la dignité de la personne humaine ainsi qu’une atteinte au respect de sa vie privée.
L’action de la demanderesse a été déclarée irrecevable, cette dernière ne produisait aux débats ni le support des images dénoncées pour permettre au tribunal de les visionner et de vérifier ainsi l’éventuelle existence d’une atteinte à la dignité de la défunte et au sentiment d’affliction de la demanderesse ni même aucune attestation, ni aucun verbatim, ni aucun élément d’identification sur l’homme qui apparaît sur la photographie qu’elle produisait.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 26 MAI 2021
(n° 11/2021, 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/19645 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3MJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/08570
APPELANTE
Madame C A épouse X
[…]
[…]
Représentée par Maître Yassine BOUZROU de l’AARPI CABINET BOUZROU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C167, avocat postulant
Assistée de Maître Lydia DJEBAILI de l’AARPI CABINET BOUZROU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C167, avocat plaidant
INTIMEE
SA FRANCE TELEVISIONS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[…]
[…]
Représentée par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant
Assistée de Maître Camille BAUER, avocat au barreau de PARIS, toque : W10, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 31 Mars 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Jean-Michel AUBAC, Président
Mme Anne RIVIERE, Assesseur
Mme Anne Y, Assesseur
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Y dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Vu l’assignation délivrée le 14 juin 2018 à la SA FRANCE TÉLÉVISIONS (FTV), à la requête de Mme C A épouse X, qui demandait au tribunal, au visa de l’article 9 et 16 du code civil, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :
— de dire et juger la demanderesse recevable et bien fondée en son action,
— de dire et juger que la diffusion de l’image du corps partiellement couvert gisant sur la chaussée de la Promenade des Anglais, présenté et donc identifié comme étant celui de Mme D A était contraire à la dignité humaine,
— de dire et juger que cette diffusion a porté atteinte au sentiment d’affliction personnel de Mme C X,
— de condamner la société défenderesse à lui verser les sommes de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son sentiment d’affliction et celle de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— de condamner la société défenderesse aux dépens,
Vu le jugement de la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de PARIS en date du 18 septembre 2019 qui a :
— déclaré Mme C A épouse X irrecevable en son action,
— débouté Mme C A épouse X de l’ensemble de ses demandes,
— rejeté les autres demandes plus amples ou contraires de la société FRANCE TÉLÉVISIONS,
— condamné Mme C A épouse X aux entiers dépens,
— dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.
Vu l’appel interjeté le 21 octobre 2019 par Mme C X du jugement rendu le 18 septembre 2019,
Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 20 janvier 2020, par lesquelles Mme C X demande à la cour de :
Au visa des articles 542, 562 et 901 du code de procédure civile et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 et16 du code civil :
— la déclarer recevable en son appel ;
— infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau :
— dire Mme X recevable en son action ;
— dire que la diffusion de l’image du corps partiellement couvert gisant sur la chaussée de la Promenade des Anglais présenté comme étant celui de Mme E A, soeur de Mme C X est contraire à la dignité humaine et a porté atteinte au sentiment d’affliction personnel de Mme C X ;
En conséquence,
— condamner FRANCE TELEVISIONS à lui verser 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son sentiment d’affliction ;
— condamner FRANCE TELEVISIONS à lui verser 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ,
— la condamner aux entiers dépens de l’instance.
Mme X fait valoir qu’elle produit en appel une vidéo de la scène critiquée et que sa soeur, dont le corps n’était pas totalement recouvert, était parfaitement identifiable et a été reconnue par ses proches. Quant à M. Z, elle soutient qu’aucune confusion n’est possible, au vu des pièces qu’elle produit. Elle considère que la diffusion en direct des images montrant sa soeur et son ex-mari porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine, que celui-ci n’a pas demandé à témoigner et que l’équipe de télévision ne lui a pas demandé son autorisation, violant ainsi son intimité et ne respectant pas la souffrance de la personne ainsi filmée, que la diffusion de l’image du corps de sa soeur relève du sensationnel et du voyeurisme, sans respect de l’anonymat. Elle fait également valoir que la diffusion de ces images montrant le corps de sa soeur partiellement couvert à même la chaussée ont été d’une brutalité indescriptible pour elle et portent atteinte au respect de sa vie privée.
Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 4 mai 2020, par lesquelles FRANCE TELEVISIONS demande à la cour de :
Au principal :
— constater que la déclaration d’appel enregistrée le 21 octobre 2019 ne satisfait pas les conditions posées par l’article 901 du code de procédure civile ;
- constater l’absence d’effet dévolutif de la dite déclaration d’appel ;
Par conséquent,
— déclarer n’être saisie d’aucune demande ;
— dire n’y avoir lieu à statuer sur le fond, faute de critique des chefs du jugement dont il est interjeté appel.
A titre subsidiaire :
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
- déclaré Mme A épouse X irrecevable en son action,
- l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes,
- l’a condamnée aux entiers dépens,
Par conséquent.
— la débouter de l’ensemble de ses demandes,
A titre très subsidiaire, si la cour estimait l’action de l’appelante recevable :
— débouter Mme C X de l’intégralité de ses demandes ;
Si la cour faisait droit à sa demande d’indemnisation :
— rejeter sa demande d’indemnisation au profit de la somme d’un euro symbolique ;
En tout état de cause,
— la condamner à verser 5 000 euros au titre des frais et dépens d’appel ;
Elle fait valoir que la déclaration d’appel ne vise pas les chefs de jugement critiqués privant l’appel de tout effet dévolutif. Subsidiairement, elle demande la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré l’appelante irrecevable en son action faute d’identification de la personne interviewée et du corps à ses côtés, totalement recouvert, que la vidéo produite en appel doit être appréciée avec prudence s’agissant d’un site de zapping et qu’aucun journaliste n’y prend la parole. Elle conteste que Mme A puisse être identifiée par ses effets personnels comme le soutient Mme X. Elle prétend que c’est l’interviewé lui-même qui se présente en qualité d’époux de la victime, qu’à supposer identifiable M. Z, étant divorcé de Mme B, l’identification de celle-ci ne va pas de soi. Sur le fond, elle fait valoir qu’elle n’a pas porté atteinte à la vie privée de Mme X, en se prévalant de l’intérêt général du sujet traité et de la nécessité d’information du public dès lors qu’il n’y avait ni recherche de sensationnel ni d’indécence dans le traitement du sujet et des images. Enfin, elle prétend que l’appelante ne démontre pas l’existence d’un préjudice.
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 30 septembre 2020.
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Rappel des faits et des motifs du jugement
Le 14 juillet 2016, Mme D A, soeur de Mme C A épouse X, et son jeune fils sont décédés à la suite de l’attentat commis sur la Promenade des Anglais à Nice. Sur place, des journalistes de FRANCE TÉLÉVISIONS diffusaient des images en temps réel des événements dans des conditions telles que le Conseil supérieur de l’audiovisuel émettait un appel à la prudence dès le lendemain.
Mme X disait avoir reconnu l’ex-mari de sa soeur agenouillé auprès du corps de celle-ci recouvert d’un drap et déplorait la diffusion de telles images déclarant avoir été meurtrie en les découvrant et reprochant à FRANCE TELEVISIONS un manquement au respect dû à la dignité de la personne humaine ainsi qu’une atteinte au respect de sa vie privée.
Le jugement frappé d’appel a retenu que la demanderesse ne produisait aux débats ni le support des images dénoncées pour permettre au tribunal de les visionner et de vérifier ainsi l’éventuelle existence d’une atteinte à la dignité de la défunte et au sentiment d’affliction de la demanderesse ni même aucune attestation, ni aucun verbatim, ni aucun élément d’identification sur l’homme qui apparaît sur la photographie qu’elle produit en pièce n° 1 et la déclarait irrecevable en son action.
SUR CE,
Sur l’absence d’effet dévolutif de l’appel
La société FRANCE TELEVISIONS fait valoir que la déclaration d’appel de Mme X ne répond pas aux exigences des articles 901 et 562 du code de procédure civile dès lors qu’elle ne mentionne pas les chefs du jugement critiqué.
Il convient de rappeler les termes de l’article 901 du code de procédure civile :
La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 57, et à peine de nullité :
1 ° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
2° L’indication de la décision attaquée ;
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle.’
L’article 562 du même code précise à ce titre que :
‘L’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.’
Il résulte de la combinaison de ces deux textes que l’appelant doit préciser expressément chacun des chefs du jugement dont il entend faire appel dans sa déclaration, ce qui exclut un appel dit général de la décision visée.
Si la déclaration d’appel peut être régularisée par une nouvelle déclaration faite dans le délai imparti, en revanche, en application du principe selon lequel seul l’acte d’appel opère la dévolution, les conclusions ultérieures par lesquelles l’appelant critique les chefs du jugement ne peuvent régulariser une déclaration d’appel irrégulière. A défaut, l’acte d’appel ne peut produire son effet dévolutif et la cour n’est saisie d’aucune demande.
En l’espèce, la déclaration d’appel de Mme X du 21 octobre 2019 du jugement rendu le 18 septembre 2019 par le tribunal de Grande Instance de Paris mentionne en son objet : ‘appel de la décision rendue’.
A défaut de mentionner expressément les chefs du jugement critiqués, elle ne respecte pas les dispositions légales précitées et ne permet pas à son appel de produire l’effet dévolutif de sorte que la cour n’est saisie d’aucune demande.
Sur les demandes accessoires
Les premiers juges ont exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dont ils ont fait une équitable application.
En cause d’appel, il convient de condamner Mme X à payer à la société FRANCE TELEVISIONS la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme X aura la charge des dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Dit que la cour n’est saisie d’aucune demande en l’absence d’effet dévolutif de l’appel du 21 octobre 2019 et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes visées dans les conclusions signifiées par les parties,
Confirme la décision sur les frais et dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne Mme C A épouse X à verser à FRANCE TELEVISIONS la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Condamne Mme C A épouse X aux dépens de la présente instance en appel.
LE PRESIDENT LE GREFFIER