Image des enfants : la preuve du préjudice du représentant légal

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Image des enfants : la preuve du préjudice du représentant légal

Postérieurement au départ de son épouse qui avait écrit un livre de cuisine intitulé ‘Méli-Mélo aux fourneaux’ contenant une photographie de sa fille mineure, un père, agissant au nom et pour le compte de sa fille mineure, et autorisé à cet effet par le juge des tutelles mineurs du tribunal judiciaire, a sollicité l’indemnisation de l’atteinte portée aux droits à l’image et au respect de la vie privée de sa fille, le retrait ou la dissimulation sous astreinte de ladite photographie des livres déjà imprimés et non vendus et sa suppression sous astreinte pour les éditions ou nouvelles impressions postérieures.

La demande d’indemnisation  du père a été rejetée, ce dernier ne caractérisant pas le  préjudice subi, lequel n’est pas de plein droit acquis du seul fait que sa fille était mineure sur le cliché photographique figurant dans le livre de son ex épouse. Dès lors, sa réclamation indemnitaire a été rejetée sans que la juridiction ne se soit penché sur les autres conditions requises par l’article 1240.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 23 MARS 2022

N° RG 19/02144 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IF7P

DÉCISION DÉFÉRÉE :

[…]

Tribunal de grande instance d’Evreux du 30 avril 2019

APPELANT :

Monsieur Z X

né le […] à Louviers

[…]

[…]

[…]

représenté par Me Nathalie LEROUX de la Selarl AVOCATS NORMANDS, avocat au barreau de l’Eure

INTIMEE :

Madame B Y

née le […] à […]

[…]

[…]

représentée par Me Anne-Laure COCONNIER de la Selarl VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’Eure

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/008001 du 08/07/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 26 janvier 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme B D,

DEBATS :

A l’audience publique du 26 janvier 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 mars 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23 mars 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme D, greffier.

*

* *

Mlle E X est née le […] de l’union de M. Z X et de Mme F G, lesquels se sont séparés. M. Z X s’est marié avec Mme B Y le 1er avril 2003. Mlle E X a vécu au domicile de son père de manière permanente à compter de mars 2008.

Une procédure de divorce a été engagée par Mme B Y le 25 mai 2012.

Alléguant que, postérieurement au départ de cette dernière le 1er février 2011, celle-ci avait écrit un livre de cuisine intitulé ‘Méli-Mélo aux fourneaux’ contenant une photographie de E sans que lui-même ou la mère de cette dernière n’autorise l’utilisation et la diffusion de ce cliché, M. Z X, agissant au nom et pour le compte de sa fille mineure, et autorisé à cet effet par le juge des tutelles mineurs du tribunal de grande instance de Bayonne le 8 août 2017, l’a faite assigner devant le tribunal de grande instance d’Evreux par acte d’huissier de justice du 28 août 2017. Il a sollicité l’indemnisation de l’atteinte portée aux droits à l’image et au respect de la vie privée de sa fille, le retrait ou la dissimulation sous astreinte de ladite photographie des livres déjà imprimés et non vendus et sa suppression sous astreinte pour les éditions ou nouvelles impressions postérieures.

Suivant jugement du 30 avril 2019, ledit tribunal a :

– débouté M. X de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. X à payer une amende civile de 500 euros,

– condamné M. X à payer à Mme Y la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamné M. X à payer à Mme Y la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. X à payer les dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration du 24 mai 2019, M. Z X a formé appel du jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 20 août 2019, il sollicite de voir :

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamner Mme Y à lui verser, ès qualités de représentante légale de E X, la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– infirmer le jugement duentrepris en ce qu’il l’a condamné à verser à Mme Y la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

– condamner Mme Y à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement du même article ainsi qu’aux entiers dépens qui comprendront les frais d’expertise privée.

Il fait valoir qu’il n’a jamais vu, ni signé, le document produit par Mme Y, daté du 13 avril 2011 et par lequel il l’aurait autorisée à utiliser l’image de E pour la réalisation de son livre ; que la signature apposée sur ce document n’est pas sa signature telle qu’elle figure sur son passeport et sur une feuille de papier de format A4 sur laquelle il a tracé huit spécimens de signatures ; que des documents écrits par Mme Y contiennent une faute d’orthographe sur le nom de la commune ‘Bidarrai’, au lieu de ‘Bidarray’, comme celle apparaissant sur l’écrit litigieux du 13 avril 2011, erreur qu’il n’a jamais faite ; qu’eu égard à la mésentente existant avec son épouse et à leur séparation dès février 2011, il ne lui a jamais donné son accord pour l’utilisation de l’image de sa fille.

Par dernières conclusions notifiées le 19 novembre 2019, Mme B Y demande de voir :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

– débouter M. X de toutes ses demandes,

y ajoutant,

– condamner ce dernier à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.

Elle expose qu’elle a écrit son livre en 2009, mais qu’il n’a été édité qu’en 2015 en raison de difficultés financières ; que M. Z X a bien signé le document du 13 avril 2011 l’autorisant à utiliser l’image de E pour la réalisation de son livre de cuisine. Elle ajoute que, depuis le début de la procédure de divorce en 2012, M. Z X n’a jamais cessé de lui nuire et que le but de celui-ci n’est pas de protéger le droit à l’image de E ; qu’il est débiteur de sommes importantes à son égard dans le cadre de la procédure de divorce ; qu’il publie lui-même des photographies de sa fille sur les réseaux sociaux, ainsi que l’image d’un tiers pour la faire paraître dans un livre sans l’autorisation de ce dernier.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 5 janvier 2022.

MOTIFS

Sur la demande indemnitaire de M. X

Devant le tribunal, celui-ci avait demandé avant dire droit à ce qu’il soit procédé à la vérification de la signature figurant sur le document produit par Mme Y, daté du 13 avril 2011, par lequel il l’aurait autorisée à utiliser l’image de E pour la réalisation de son livre et dont il niait être l’auteur.

En cause d’appel, M. X ne formule plus cette demande. Il sollicite uniquement l’octroi de dommages et intérêts pour l’atteinte aux droits à l’image et au respect de la vie privée de sa fille, mais sans mentionner un fondement juridique au soutien de cette réclamation. Il se contente de critiquer le jugement sur la vérification d’écriture à laquelle le tribunal a procédé et maintient sa dénégation de la signature apposée sur le document du 13 avril 2011.

L’article 12 du code de procédure civile dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

De plus, dans le cas où la partie à qui on oppose un acte sous signature privée en dénie la signature, il appartient au juge de procéder lui-même à l’examen de l’écrit litigieux, à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte.

En l’espèce, aucun contrat ne lie les parties, de sorte que, pour engager la responsabilité extra-contractuelle de Mme Y, il appartient à M. X, demandeur, d’apporter la preuve d’une faute de cette dernière, du dommage subi par sa fille et d’un lien de causalité direct et certain entre cette faute et ce dommage, conditions exigées par l’article 1240 du code civil.

Il affirme qu’en utilisant une photographie de sa fille mineure dans son livre, Mme Y a porté atteinte au droit à l’image et au droit au respect de la vie privée de celle-ci.

Toutefois, il ne caractérise pas ce préjudice, lequel n’est pas de plein droit acquis du seul fait que sa fille était mineure sur le cliché photographique figurant dans le livre de Mme Y. Il ne produit aucun élément prouvant son argumentation.

Dès lors, sa réclamation indemnitaire ne peut qu’être rejetée sans qu’il ne soit nécessaire de se pencher sur les autres conditions requises par l’article 1240. La décision du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmé.

Sur la demande indemnitaire de Mme Y

Le tribunal a retenu une intention de nuire de M. X à l’égard de Mme Y qui a été contrainte de subir une procédure judiciaire pendant 18 mois, ce qui lui a causé un préjudice psychologique. Il a alloué à cette dernière une indemnité de

2 000 euros en réparation de ce dommage.

Seul M. X a interjeté appel de cette disposition du jugement.

Néanmoins, aux termes de ses conclusions, il n’invoque aucun moyen de nature à remettre en cause cette décision. En conséquence, celle-ci sera confirmée.

Sur les demandes accessoires

Au vu de ce qui a été jugé, seront aussi confirmées les dispositions du jugement sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, M. X supportera les entiers dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux textes applicables en matière d’aide juridictionnelle.

Il n’est pas inéquitable de le condamner également au paiement à Mme Y de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés pour cette procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. Z X à payer à Mme B Y la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

Condamne M. Z X aux entiers dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux textes applicables en matière d’aide juridictionnelle.

Le greffier, La présidente de chambre,


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