Le participant à une réunion publique traitant des difficultés d’un quartier (trafic de drogue et autres) ne peut s’opposer à la reproduction de son image dans un titre de presse, dès lors qu’il est directement concerné par l’évènement d’actualité relaté dans l’article puisqu’il faisait partie des riverains ayant participé à cette réunion, au cours de laquelle il a de surcroît, pris la parole.
Absence d’atteinte au droit à l’image
L’intéressé a fait valoir sans succès que suite de la diffusion de son image dans le journal, il a été victime à plusieurs reprises de menaces et de dégradations de son véhicule de la part des trafiquants occupant le hall de sa résidence, occasionnant des frais de remise en état de son véhicule et un déménagement.
La photographie en cause ainsi que sa légende : « Les habitants du quartier interpellent les élus sur les problématiques du quotidien » illustrent un événement local d’actualité, soit une réunion publique organisée entre les habitants du quartier du Ranzay avec des élus locaux.
La prise en otage par les trafics et les consommateurs de drogue » n’était donc qu’un thème cité parmi d’autres. Ni la photographie montrant l’habitant s’exprimant avec un micro ni les termes de l’article ne permettent donc de rattacher la dénonciation de trafics de drogue dans le quartier à sa personne,
Précautions du journaliste
Au surplus, le journaliste a pris la précaution de ne pas citer le prénom de l’habitant ayant abordé cette problématique spécifique en indiquant seulement « pour un de ses habitants ».
Ainsi, tant le cadrage de la photographie que le contenu de l’article et son contexte ne justifiaient pas de mesures particulières d’anonymisation en vue d’éviter un risque de représailles.
La publication d’une telle image comme illustration pertinente d’un article relatant le déroulement d’une réunion publique présentant un caractère politique répondait à un intérêt légitime du public d’être informé, s’agissant d’un événement de la vie publique locale.
Droit au respect de la vie privée
Pour rappel, aux termes de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Sur le fondement de cet article, la jurisprudence a consacré le droit spécifique de toute personne au respect de son image. En principe, l’image d’une personne ne peut donc être fixée, publiée, utilisée sans son autorisation préalable.
Ce droit à l’image doit toutefois être concilié avec les droits à l’information et à la liberté d’expression, garantis notamment par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme.
Il est ainsi admis que la liberté de la presse et le droit à l’information du public autorisent la diffusion de l’image de personnes impliquées dans un événement d’actualité ou illustrant avec pertinence un débat d’intérêt général, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
Pour que la photographie soit licite au regard de la liberté d’expression, il doit exister un intérêt légitime du public à la publication ainsi qu’un lien direct entre l’image publiée et l’évènement ou le débat qu’elle vient illustrer.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
1ère Chambre
ARRÊT DU 18 JANVIER 2022
N° RG 19/06582 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QET2
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame B-C D, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 02 Novembre 2021, tenue en double rapporteur avec l’accord des parties, par Mme Aline DELIÈRE, présidente de chambre, et par Mme Caroline BRISSIAUD, conseillère entendue en son rapport
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Janvier 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur Z N’X né le […] à […]
[…]
[…]
Représenté par Me B-Emmanuelle LEFEUVRE, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
La société OUEST-FRANCE, SA agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
ZI RENNES Sud-Est
[…]
[…]
Représentée par Me Jérôme STEPHAN de la SCP VIA AVOCATS, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Dans son édition Pays-de-la- Loire du 27 novembre 2017, le journal Ouest-France a publié un article intitulé ‘Le Yello Park intrigue du côté de Nantes Erdre’ qu’il a illustré avec une photographie prise à l’occasion d’une réunion publique organisée le 23 novembre 2017 entre les habitants du quartier Nantes Erdre et les élus locaux, sur laquelle figure M. Z N’X.
Le 2 décembre 2017, ce dernier a déposé plainte pour des faits de dégradations sur son véhicule automobile.
Le 14 décembre 2017, il a de nouveau déposé plainte, pour des faits de menaces.
Par courrier daté du 22 décembre 2017, M. N’X a sollicité amiablement de la société Ouest-France la somme de 3 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de l’atteinte portée à son droit à l’image garanti par l’article 9 du code civil.
La société Ouest-France, par courrier daté du 24 janvier 2018, a rejeté la demande d’indemnisation formulée par M. N’X, estimant que la publication en cause ne portait pas atteinte à son droit à l’image et qu’en tout état de cause, elle devait être considérée comme légitime.
Par courrier daté du 25 janvier 2018, M. N’X a répondu que le lien de causalité entre la publication litigieuse de son image et les faits dont il a été victime était parfaitement établi. Il estime que la reproduction non floutée de son image – le floutage étant selon lui imposé par la nécessaire conciliation entre le droit à l’information et le droit à l’image, faute de son consentement exprès – a violé le droit dont il dispose sur son image et porté atteinte à sa vie privée en l’exposant notamment à un risque de représailles. ll a renouvelé sa demande d’indemnisation amiable à hauteur de 3 000 euros.
Faute de réponse, M. N’X a, par exploit du 16 mars 2018, fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nantes la SA Ouest-France en réparation du préjudice subi du fait de la publication de son image sans son autorisation.
Par jugement du 1er août 2019, le tribunal de grande instance de Nantes a :
-débouté M. Z N’X de ses demandes,
-condamné M. Z N’X à verser à la SA Ouest-France la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. Z N’X aux dépens,
-dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.
Suivant déclaration du 2 octobre 2019, M. Z N’X a relevé appel de toutes les dispositions de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, transmises le 21 novembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, M. Z N’X demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
-condamner la Société Ouest-France à payer à M. N’X la somme forfaitaire de 5.000 euros à titre de dommages-et-intérêts, au titre du préjudice subi résultant de son droit à l’image,
-condamner la Société Ouest-France au paiement d’une somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de Me Lefeuvre en application de l’article 699 du code de procédure civile.
M. N’X fait valoir que son image a été captée à son insu et a été diffusée sans son autorisation pour illustrer un article portant sur le trafic de stupéfiants, comportant le commentaire suivant « la prise en otage par les trafics et les consommateurs de drogue » dans le quartier du Ranzay pour un de ses habitants ». Il fait valoir que le cliché était cadré sur sa personne alors qu’il était en train de prendre la parole au cours de la réunion publique, ce qui aboutissait à le rendre parfaitement identifiable et le désignait comme l’unique victime ou la cible directe des dealers dont il dénonçait le comportement à l’intérieur de sa résidence.
Il estime que la publication de son image sans son consentement ne peut être légitimée par le droit à l’information dès lors qu’il n’était pas concerné par l’événement d’actualité relaté et que cette photographie n’avait aucun caractère utile ou pertinent pour l’information du public, l’article étant suffisamment éloquent sur l’existence d’un trafic de drogue « pourrissant » la vie du quartier. La nécessaire conciliation du droit à l’information avec la protection de son droit à l’image commandait que la reproduction de sa photographie, prise sans son autorisation, ne permette pas son identification. ll en conclut que la reproduction non floutée de son image associée au commentaire la prise en otage par les trafics et les consommateurs de drogue « dans le quartier du Ranzay pour un de ses habitants » traduit un comportement fautif de la part de la société défenderesse à son obligation de prudence à l’égard de la personne représentée en l’exposant à un risque de représailles et porte atteinte au droit dont il dispose sur son image et à sa vie privée.
M. N’X soutient en effet qu’à la suite de la diffusion de son image dans le journal, il a été victime à plusieurs reprises de menaces et de dégradations de son véhicule de la part des trafiquants occupant le hall de sa résidence, occasionnant des frais de remise en état de son véhicule de 513,17 euros, et qu’il n’a eu d’autre choix que de déménager, ce qui représente un surcoût de loyer mensuel de 161 euros, outre les frais de déménagement de 1 440 euros.
ll fait également état d’un préjudice moral, caractérisé par les menaces de mort proférées à son encontre et par l’angoisse qu’un membre de sa famille soit victime d’une nouvelle agression.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 24 décembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, la Société Ouest-France demande à la cour de :
-débouter M. N’X de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Nantes le 1er août 2019 ;
Y additant,
-condamner M. N’X à régler à la Société Ouest-France la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-condamner M. N’X aux entiers dépens d’appel,
A titre subsidiaire :
-dire et juger que M. N’X ne démontre pas de lien de causalité direct et certain entre la publication de la photographie à l’origine de l’atteinte au droit à l’image dont il se prévaut et les préjudices invoqués ;
-débouter M. N’X de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
-condamner M. N’X à régler à la Société Ouest-France la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
-condamner M. N’X aux entiers dépens.
A titre principal, la société Ouest-France soutient que la publication de la photographie litigieuse n’a pas porté atteinte au droit à l’image de M. N’X.
Elle fait valoir que le cliché n’est pas centré sur la personne de M. N’X et que ni la légende accompagnant la photographie, ni les termes de l’article n’apparaissent de nature à attirer l’attention du lecteur sur la présence en particulier de M. N’X à la réunion de concertation ni de l’identifier comme l’auteur des propos visant à dénoncer l’existence de trafics de stupéfiants. Par ailleurs, la photographie ne vise aucune activité intime de M. N’X.
Elle conclut qu’en tout état de cause, l’atteinte à l’image serait légitimée par la liberté de communication des informations. Elle expose à cet égard que les deux critères cumulatifs pour évaluer la légitimité de l’atteinte portée au droit à l’image que sont l’intérêt légitime du public d’une part, et l’existence d’un lien direct entre l’image publiée et l’information qu’elle vient illustrer d’autre part, sont réunis en l’espèce. Elle estime en effet que M. N’X est directement concerné par l’évènement d’actualité relaté dans l’article qu’illustre la photographie puisqu’il faisait partie des participants à la réunion, étant précisé que le sujet de l’article n’est pas le trafic de stupéfiants mais la tenue d’une réunion publique entre les habitants d’un quartier et les élus locaux. Elle ajoute que l’intérêt légitime du public d’être informé est inconstatable s’agissant d’une réunion publique présentant un caractère politique.
A titre subsidiaire, la société Ouest-France soutient que l’atteinte à la tranquillité de l’existence dont se prévaut M. N’X semble avoir préexisté à la parution de l’article litigieux dans la mesure où l’atteinte à la tranquillité des habitants était précisément le thème de la réunion publique, que le requérant ne démontre ni avoir été personnellement visé par les faits qu’il dénonce, ni le lien de causalité entre ces faits et la publication de la photographie litigieuse.
MOTIVATION DE LA COUR
1°/ Sur la demande principale
Aux termes de l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Sur le fondement de cet article, la jurisprudence a consacré le droit spécifique de toute personne au respect de son image. En principe, l’image d’une personne ne peut donc être fixée, publiée, utilisée sans son autorisation préalable.
Ce droit à l’image doit toutefois être concilié avec les droits à l’information et à la liberté d’expression, garantis notamment par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme.
Il est ainsi admis que la liberté de la presse et le droit à l’information du public autorisent la diffusion de l’image de personnes impliquées dans un événement d’actualité ou illustrant avec pertinence un débat d’intérêt général, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
Pour que la photographie soit licite au regard de la liberté d’expression, il doit exister un intérêt légitime du public à la publication ainsi qu’un lien direct entre l’image publiée et l’évènement ou le débat qu’elle vient illustrer.
En l’espèce, il est certain que M. N’X est reconnaissable sur la photographie en cause, bien que son identité ne soit pas mentionnée.
Cependant, la photographie n’est pas centrée sur la personne de M. N’X, lequel n’est pas isolé sur le cliché, puisque dix-sept personnes y figurent dont six sont parfaitement identifiables.
Cette photographie ainsi que sa légende : « Les habitants du quartier interpellent les élus sur les problématiques du quotidien » illustrent un événement local d’actualité, soit une réunion publique organisée entre les habitants du quartier du Ranzay avec des élus locaux.
M. N’X est directement concerné par l’évènement d’actualité relaté dans cet article qu’illustre la photographie litigieuse puisqu’il faisait partie des riverains ayant participé à cette réunion, au cours de laquelle il a de surcroît, pris la parole.
Contrairement à ce qu’indique M. N’X, le sujet de l’article n’est pas le trafic de drogue sévissant dans le quartier du Ranzay mais bien de rendre compte du déroulement de la réunion publique. La cour observe que l’article n’a pas été communiqué dans son intégralité. Il ressort cependant de l’extrait produit que diverses préoccupations ont été évoquées par les habitants ayant participé à cette réunion, telles que le stationnement anarchique, l’installation des compteurs Linky et le projet de Yello Park. « La prise en otage par les trafics et les consommateurs de drogue » n’était donc qu’un thème cité parmi d’autres. Ni la photographie montrant M. N’X s’exprimant avec un micro ni les termes de l’article ne permettent donc de rattacher la dénonciation de trafics de drogue dans le quartier à la personne de M. N’X. Au surplus, il est observé que contrairement aux autres sujets évoqués, le journaliste a pris la précaution de ne pas citer le prénom de l’habitant ayant abordé cette problématique spécifique en indiquant seulement « pour un de ses habitants ». M. N’X n’a donc nullement été désigné dans cette publication comme étant l’unique victime ou la cible directe des dealers. Ainsi, tant le cadrage de la photographie que le contenu de l’article et son contexte ne justifiaient pas de mesures particulières d’anonymisation en vue d’éviter un risque de représailles.
La photographie dont il n’est pas contesté qu’elle a été prise au cours de cette réunion publique, montre divers habitants du quartier réunis à cette occasion. Le cliché illustrant l’article est donc bien en lien direct avec cet article et l’évènement qu’il relate.
La cour relève au surplus que cette photographie ne porte aucune atteinte à la dignité de M. N’X et ne vise pas davantage une activité intime de celui-ci.
Enfin, la publication d’une telle image comme illustration pertinente d’un article relatant le déroulement d’une réunion publique présentant un caractère politique répondait à un intérêt légitime du public d’être informé, s’agissant d’un événement de la vie publique locale.
Il se déduit de ces éléments, que la fixation et la publication de l’image de M. N’X sans son autorisation préalable est légitimée par le droit à la libre communication des informations. Par conséquent, le jugement du tribunal d’instance de Nantes sera confirmé en ce qu’il a débouté M. N’X de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
2°/ Sur les demandes accessoires
Le jugement ayant condamné M. N’X à payer à la SA Ouest-France la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens sera confirmé.
Succombant de nouveau en cause d’appel, M. N’X sera condamné aux dépens d’appel. Il n’est pas inéquitable de le condamner à payer à la SA Ouest-France la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa propre demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er août 2019 par le tribunal de grande instance de Nantes ;
Y ajoutant,
Condamne M. Z N’X à payer à la SA Ouest-France la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. Z N’X de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. Z N’X aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE