La reproduction de la photographie d’une blogueuse-influenceuse justifiant d’une certaine notoriété (et d’un article de son blog), dans un livret commercial consacré à la chirurgie esthétique, porte atteinte à son image et à sa réputation dès lors que cette communication peut aussi laisser penser qu’elle avait subi une chirurgie.
Pour rappel, conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection.
De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
En outre, selon l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le second alinéa de l’article 835 dispose que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal statuant en référé peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Sauf contestation sérieuse des atteintes alléguées, il appartient donc au juge des référés de fixer à quelle hauteur l’obligation de réparer n’est pas sérieusement contestable.
La seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
En outre, dans le cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude, ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation du préjudice.
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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 24/06/2021
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N° RG 20/03570 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TFYO
Ordonnance de référé (N° 20/00452) rendue le 31 juillet 2020 par le président du tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
La SAS Clinique de Chirurgie Esthétique Clémenceau prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social, […]
59700 Marcq-en-Baroeul
représentée par Me Loïc Le Roy, membre de la SELARL Lexavoué, avocat au barreau de Douai assisté de Me Jonathan Quadéri, avocat au barreau de Paris.
INTIMÉE
Madame C Y
née le […] à […]
demeurant […]
[…]
représentée et assistée de Me Martin Grasset, avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l’audience publique du 1er mars 2021 tenue par K L-Serre magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
K L-Serre, président de chambre
Sophie Tuffreau, conseiller
X-François Le Pouliquen, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 juin 2021 après prorogation du délibéré du 10 juin 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par K L-Serre, président et I J greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 février 2021
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Vu l’ordonnance du tribunal judiciaire de Lille du 31 juillet 2020,
Vu la déclaration d’appel de la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau prise en la personne de son représentant légal du 10 septembre 2020,
Vu les conclusions de la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau du 8 janvier 2021,
Vu les conclusions de Mme C Y du 8 décembre 2020,
Vu l’ordonnance de clôture du 8 février 2021.
EXPOSE DU LITIGE
La société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau exploite un centre de chirurgie et de médecine esthétique régi par les dispositions des articles L.6322-1 et suivants du code de la santé publique.
En 2019, la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau a confié à un artisan spécialisé dans la communication dans le secteur de la santé, de réaliser des livrets d’information, catalogues et albums sur les disciplines, techniques et interventions pratiquées en son sein, notamment un livret sur la chirurgie esthétique.
Mme C Y, osthéopathe, exerce une activité parallèle de blogueuse-influenceuse, principalement via le site www.aliaslouise.com et divers réseaux sociaux.
Le 11 mars 2020, Mme Y a chargé Me B, huissier de justice, de constater que son visage apparaissait en page ‘chirurgie des paupières’ dans un livret proposé par la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau.
Il a également constaté que la photographie de Mme Y apparaissant sur le site www.aliaslouise.com, dans un article en date du 30 août 2015, a été copiée en noir et blanc sur le catalogue de la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau.
Par acte du 15 mai 2020, Mme Y a fait assigner la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau afin notamment de lui interdire d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter son image.
Par ordonnance du 31 juillet 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a :
— condamné la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau à payer à Mme Y la somme de 8 000 euros à titre provisionnel à valoir sur les dommages et intérêts qui pourront lui être alloués en réparation du préjudice subi pour atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée ;
— interdit à la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter l’image de Mme Y ;
— ordonné la destruction de tous les catalogues comprenant la représentation photographique de Mme Y dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance sous astreinte de 500 euros par jour de retard et pendant un délai de deux mois ;
— ordonné la publication de la présente ordonnance, sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance pendant un délai de 2 mois dans 3 publications au choix de Mme Y et aux frais avancés de la Clinique Clémenceau, sur simple présentation d’un devis, dans la limite de 3 000 euros HT par publication et selon le texte suivant :
‘ le Tribunal judiciaire de Lille a par ordonnance de référé en date du 31 juillet 2020 condamné la société Clinique Clémenceau à verser à Mme Z des dommages et intérêts provisionnels pour avoir porté atteinte à ses droits au respect de la vie privée et à l’image dans le catalogue qu’elle a fait éditer’ ;
— ordonné la publication de ce même dispositif de la présente ordonnance sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance pendant un délai de 2 mois, en première page du site Internet de la société Clinique de Chirurgie esthétique Clémenceau en lettres de type New Roman taille 12 ;
— réservé la liquidation des astreintes prononcées ;
— débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire ;
— condamné la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau à payer à Mme Y la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration déposée au greffe le 10 septembre 2020, la société Clinique de Chirurgie esthétique Clémenceau a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de ses conclusions déposées au greffe le 8 janvier 2021, la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau demande à la cour, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil de :
— déclarer recevable et fondé son appel tendant à l’annulation de l’ordonnance rendue le 31 juillet 2020 (RG n°20/00452) par le président du tribunal judiciaire de Lille ou à sa réformation en ce qu’elle :
— condamne la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau à payer à Mme C Y la somme de 8 000 euros à titre provisionnel à valoir sur les dommages et intérêts qui pourront lui être alloués en réparation du préjudice subi pour atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée ;
— interdit à la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter l’image de Mme Y ;
— ordonné la destruction de tous les catalogues comprenant la représentation photographique de Mme Y dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance sous astreinte de 500 euros par jour de retard et pendant un délai de deux mois ;
— ordonné la publication de la présente ordonnance, sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance pendant un délai de 2 mois dans 3 publications au choix de Mme Y et aux frais avancés de la Clinique Clémenceau, sur simple présentation d’un devis, dans la limite de 3 000 euros HT par publication et selon le texte suivant :
‘ le Tribunal judiciaire de Lille a par ordonnance de référé en date du 31 juillet 2020 condamné la société Clinique Clémenceau à verser à Mme Z des dommages et intérêts provisionnels pour avoir porté atteinte à ses droits au respect de la vie privée et à l’image dans le catalogue qu’elle a fait éditer’ ;
— ordonné la publication de ce même dispositif de la présente ordonnance sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance pendant un délai de 2 mois, en première page du site Internet de la société Clinique de Chirurgie esthétique Clémenceau en lettres de type New Roman taille 12 ;
— réservé la liquidation des astreintes prononcées ;
— débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire ;
— condamné la société Clinique de Chirurgie esthétique Clémenceau à payer à Mme Y la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— y faisant droit, réformer la décision entreprise et, statuant à nouveau,
Sur la demande principale,
— à titre principal, juger Mme Y mal fondée en toutes ses demandes et l’en débouter ;
— subsidiairement, juger que Mme Y n’est fondée qu’en sa demande de dommages-intérêts provisionnels en réparation d’une atteinte portée à son droit à l’image et qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi en l’évaluant à une somme symbolique ;
Sur la demande reconventionnelle,
— faire droit à la demande reconventionnelle et, en conséquence, condamner Mme Y à lui restituer tous exemplaires de tous livrets d’information de la Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau dont elle dispose, sans en conserver aucune copie/reproduction sur quelque support que ce soit, après y avoir ôtées et détruites, en en justifiant, la/les images sur lesquelles elle considère disposer d’un droit à l’image ;
— débouter Mme Y de son appel incident ainsi que de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
— statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle soutient que :
— elle a exécuté l’ordonnance de référé sauf en ce qui concerne la publication dans trois journaux, le devis proposé portant sur 4 publications et non trois;
— le catalogue n’a pas été réalisé par la clinique mais par un prestataire aujourd’hui décédé; il n’a pas été fait à des fins publicitaires car tout acte de publicité lui est interdit;
— le livret d’information n’a pas été diffusé sur Internet et/ou les réseaux sociaux ni auprès du grand public;
— aucune information sur la vie privée de Mme Y ne figurait dans le livret d’information; l’image de cette dernière issue de son activité professionnelle ne constitue pas la divulgation d’un élément de sa vie privée ou une immixtion dans sa vie privée;
— sur l’atteinte au droit à l’image, il n’y a eu aucune intention de lui nuire; le prestataire a attesté l’avoir intégré dans ce livret par glisser/déposer depuis l’un des nombreux sites de partage d’images ;
— aucune des photographies postées sur son blog ne fait l’objet de mention de propriété/ de droits réservés, de crédit photographique, de copyright, de tatouage filigrane numérique digital water mark et/ou d’une protection anti-copier/coller;
— Mme Y propose le partage de ses photographies en y intégrant un onglet de redirection vers le site pinterest.fr;
— Mme Y n’a pas individualisé le trouble ainsi souffert en réclamant une somme pour le tout;
— la somme allouée pour une atteinte au droit à l’image n’est pas conforme à la jurisprudence; il convient de tenir compte de l’absence d’intention de nuire, de l’absence de connaissance de Mme Y et de ses activités , d’un livret tirés à 4 exemplaires, réservés à un usage interne, interdits à la distribution/à la vente, interdits d’être sortis des murs de l’établissement, présents 4 mois seulement en salle d’attente de novembre 2019 à février 2020;
— sur la mesure d’interdiction: aucun des 4 exemplaires n’est plus présent depuis février 2020, les 2 autres ont été jetés car inutilisables, et pris sans autorisation; aucun exemplaire n’a été imprimé, réimprimé ou reproduit;
— sur la mesure de destruction : Mme Y possède un des 4 exemplaires du livret d’information;
— sur les mesures de publication: aucun des personnels de la clinique ne connaissait Mme Y avant son assignation; la demande de publication est en contradiction avec la volonté de Mme Y de ne pas être associée à une clinique de chirurgie esthétique ; la mesure de publication est disproportionnée;
— sur la demande reconventionnelle de restitution par Mme Y des exemplaires qu’elle détient: le juge des référés n’a pas statué sur cette demande alors que sans cette restitution la clinique ne pouvait exécuter la décision;
— sur l’exécution de l’ordonnance: s’agissant de la publication, le délai de deux mois fixé par le juge correspond au délai de l’astreinte et non le délai de publication; s’agissant des condamnations au titre de la provision et des frais irépétibles, le paiement a été effectué dans la semaine suivant la réception du RIB;
— sur le rejet de l’appel incident: si l’activité de Mme Y est qualifiée de commerciale, les contrats ne sont pas à son nom et elle n’est pas inscrite au RCS;
Aux termes de ses conclusions déposées au greffe le 8 décembre 2020, Mme C Y demande à la cour, au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du code civil et 835 du code de procédure civile, de :
— réformer l’ordonnance dont appel sur le montant de la provision.
En conséquence,
— condamner la société Clinique Clémenceau à verser à Mme Y la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels en réparation des atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l’image ;
— confirmer l’ordonnance pour le surplus, et en conséquence :
— interdire à la clinique Clémenceau d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter toute image de Mme Y ;
— ordonner la destruction de tous les catalogues comprenant la représentation photographique de Mme Y, sous astreinte de 500 euros par jour, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance de référé ;
— ordonner la publication du dispositif de l’ordonnance à intervenir dans trois publications, au choix de Mme Y, et aux frais avancés de défendeur, sur simple présentation d’un devis, dans la limite de 3 000 euros HT par publication, selon le texte suivant :
‘Le tribunal judiciaire de Lille a, par ordonnance du , confirmé par arrêt de la cour d’appel de Douai du , condamné la société Clinique Clémenceau à verser à Mme A des dommages-intérêts provisionnels, pour avoir porté atteinte à ses droit au respect à la vie privée et à l’image dans le catalogue qu’elle fait éditer’ ;
— ordonner la publication de ce même dispositif de l’ordonnance à intervenir en première page du site Internet de la société Clinique Clémenceau en lettres de type New Roman taille 12, pendant une durée de deux mois ;
— ordonner ces mesures de publication sous astreinte de 500 euros par semaine de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance du juge des référés ;
Y ajoutant,
— condamner la société Clinique Clémenceau à verser à Mme Y la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens, en ce compris les frais de constat de M. B.
Elle fait valoir que :
— elle n’a jamais donné son consentement à l’usage de sa photographie pour la publication du catalogue de la clinique associant son image à la chirurgie des paupières;
— le juge a ainsi constaté une atteinte au droit à l’image de sorte qu’elle est légitime à obtenir la réparation du trouble subi;
— sur l’exécution de l’ordonnance: l’huissier de justice a constaté que le 6 octobre 2020 aucune mention de la publication sur le site web de la clinique n’avait été faite; il a dû être fait sommation à la clinique de payer le montant des devis ; aucune publication n’a pu avoir lieu ;
— sur l’appel incident:
sur l’atteinte au droit à l’image et au respect de la vie privée: en reproduisant son image volée, la clinique a porté atteinte à ses droits ;
— le fait que le catalogue a été réalisé par un prestataire est inopérant; il appartenait à la clinique de vérifier que les droits sur les photos lui appartenaient; de même s’agissant des fins publicitaires, le catalogue a bien été réalisé à des fins promotionnelles, mis à la disposition du public; l’absence d’intention malveillante est également inopérante;
— le site de Mme Y fait apparaître en bas de sa page d’accueil la mention © 2014-2020 tous droits réservés. En outre, il ne s’agit pas du droit de propriété intellectuelle sur l’oeuvre mais du droit à l’image de Mme Y; la clinique fait la promotion d’un acte de chirurgie esthétique en utilisant l’image de quelqu’un qui n’en a jamais fait et n’a pas donné son consentement.
— le juge a constaté qu’elle justifiait d’une certaine notoriété en qualité de blogueuse, influenceuse spécialisée en beauté naturelle et mode éco-responsable et que l’utilisation de son image était contraire au message qu’elle portait;
sur le préjudice subi : l’image associée informe le lecteur que cette dernière a eu recours à une opération de chirurgie esthétique ce qui l’inverse de l’image construite pendant 6 ans au travers de son blog et de ses réseaux sociaux;
— la clinique est à proximité de son lieu d’habitation; ses amis, les proches, les abonnés aux réseaux sociaux sont amenés à connaître ce catalogue ;
— la salle d’attente d’une telle clinique est très fréquentée, la clinique regroupant pas moins de 10 chirurgiens;
— sur la provision: le préjudice d’image doit être réévalué; outre le préjudice moral, l’utilisation et l’exploitation de son image entraîne un préjudice commercial ; sa notoriété est établie sur les réseaux sociaux; elle se valorise ; les tarifs pour un post sont situés entre 380 et 1 200 euros; la dégradation de l’image se concrétise par une diminution immédiate de sa cote, du tarif de ses prestations.
— sur l’interdiction sous astreinte : la clinique ne rapporte pas la preuve que 4 exemplaires seulement du catalogue existaient et ont été détruits;
— sur la publication: la mesure doit être confirmée; il est essentiel de faire savoir qu’elle n’a jamais cautionné la chirurgie esthétique, n’a pas menti à ses followers; elle est une ambassadrice, une prescriptrice dans les domaines de la beauté naturelle et bio; la publication est la seule mesure qui permet de réparer ce préjudice d’image très important.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l’audience et rappelées ci-dessus.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1-sur l’atteinte à la vie privée et à l’image et la réparation du préjudice
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection.
De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
En outre, selon l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le second alinéa de l’article 835 dispose que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal statuant en référé peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Sauf contestation sérieuse des atteintes alléguées, il appartient donc au juge des référés de fixer à quelle hauteur l’obligation de réparer n’est pas sérieusement contestable.
La seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
En outre, dans le cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude, ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation du préjudice.
En l’espèce, il sera relevé que :
— la clinique Clémenceau, via son prestataire, X-F G, a effectivement utilisé une photographie de Mme Y, ostéopathe, exerçant une activité parallèle de blogueuse-influenceuse via son site www.aliaslouise.com et divers réseaux sociaux, dans un livret d’information sur la chirurgie esthétique répertoriant les différentes techniques et interventions, ladite photographie accompagnant une information sur la chirurgie des paupières ;
— il n’est pas contesté que ni X-F G, ni la clinique Clémenceau n’ont sollicité l’autorisation de Mme Y pour utiliser sa photographie dans le livret d’information ;
— il est établi, notamment par l’attestation de X-F G, décédé en août 2020, que celui-ci a intégré la photographie ‘par glisser/déposer depuis l’un des nombreux sites de partages d’images’ ;
— le procès-verbal de constat de l’huissier en date du 11 mars 2020, établi notamment sur présentation du livret litigieux détenu par Mme Y, confirme que la photographie litigieuse est celle publiée sur le site www.aliaslouise.com (p.25 et 26 du procès-verbal) sur lequel Mme Y se met en scène, faisant la promotion de produits de beauté, bijoux, vêtements ;
— la communication de Mme Y sur son blog et les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, 21buttons, ce dernier spécialisé dans la mode) est axée, selon les publications produites, sur un mode de vie éco-responsable.
Il résulte de ces éléments que l’utilisation de la photographie de Mme Y, justifiant d’une certaine notoriété, dans un livret consacré à la chirurgie esthétique, pouvant laisser penser que l’intimée avait subi notamment, une chirurgie des paupières, est effectivement contraire au message qu’elle porte sur les réseaux sociaux du respect de la beauté au naturel.
Au regard de cette atteinte, principalement, à son droit à l’image, ainsi établie, il convient d’apprécier le préjudice subi.
Il résulte de l’attestation de X-F G précitée que 4 exemplaires seulement du livret ‘chirurgie esthétique’ ont été imprimés.
La clinique affirme que l’ouvrage était destiné à un usage interne à destination de sa clientèle qu’elle entendait informer des différentes techniques en matière de chirurgie esthétique et non à une divulgation extérieure, la publicité lui étant interdite par application de l’article L.6322-1 du code de la santé publique et que l’ouvrage, présent à la clinique de novembre 2019 à février 2020, a été retiré de l’établissement dès cette époque ce que confirme l’attestation de Mme D E, infirmière à la clinique Clémenceau et le procès-verbal de constat des 2 et 9 septembre 2020.
Ces affirmations sont corroborées d’une part par le nombre très restreint d’ouvrages (4), confirmé par X-F G, ayant réalisé l’ouvrage, et par trois salariées de la clinique, ces dernières selon des attestations conformes aux dispositions du code de procédure civile, d’autre part par la présentation du livret -ouvrage cartonné-, dont un exemplaire est produit par Mme Y, sans que celle-ci s’explique sur la possession dudit livret.
Au regard de cette publication très confidentielle, à usage interne et limitée à quatre mois en salle d’attente fin 2019 début 2020, Mme Y qui affirme que ‘les amis les proches et les abonnés aux réseaux sociaux sont amenés à connaître et à ainsi être amenés à penser qu’elle a recours à des moyens artificiels et anti-naturels’ ne produit aucune pièce, notamment attestations, commentaires de ses abonnés sur son blog ou ses comptes Instagram et Facebook, lesquels confirmeraient avoir eu connaissance de ce livret au sein de la clinique Clémenceau.
De même, Mme Y affirme avoir subi un préjudice commercial du fait de la dégradation de son image se concrétisant par une diminution immédiate de sa cote et du tarif de ses prestations.
Or, elle ne produit aucun élément comptable et financier concernant son activité avant novembre 2019 et après la mise en place de l’ouvrage au sein de la clinique, justifiant une diminution de sa cote ou de ses revenus liés à son activité de blogueuse-influenceuse.
En conséquence, il convient d’apprécier souverainement, au regard des éléments produits, le trouble illicite subi par Mme Y, lequel sera indemnisé par une provision d’un montant de 3 500 euros.
L’ordonnance sera infirmée de ce chef.
2- sur les autres mesures
Le premier juge a, à juste titre, interdit à la clinique Clémenceau d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter l’image de Mme C Y, étant observé cependant que le prestataire X-H G a attesté n’avoir effectué aucune impression ultérieure et ne pas avoir conservé les fichiers source.
S’agissant de la destruction de tous les catalogues comprenant la représentation photographique de Mme Y, il est suffisamment établi par l’attestation de X-F G et des trois salariées de la clinique que sur les 10 albums mis en salle d’attente (4 sur la chirurgie esthétique, 3 sur la médecine esthétique et 3 sur la cryolipolyse), deux exemplaires ont été jetés car abîmés, cinq albums ont disparu, seul restant 3 exemplaires (2 sur la cryolipolyse, 1 sur la médecine esthétique).
Mme Y dispose d’un exemplaire du livret qu’elle produit aux débats, s’agissant d’un des 5 albums disparus.
En l’état il ne peut être ordonné la destruction des 4 livrets, dont un seul subsiste entre les mains de Mme Y.
En conséquence, il appartient à celle-ci de remettre ledit exemplaire à la clinique Clémenceau aux fins de destruction.
Ladite destruction sera ordonnée sous réserve de la restitution de l’exemplaire entre les mains de Mme Y.
L’ordonnance sera infirmée de ce chef.
S’agissant de la demande de publication de l’ordonnance, celle-ci est à la fois disproportionnée et non nécessaire compte tenu des faits de l’espèce tels que rappelés ci-dessus.
L’ordonnance sera infirmée de ce chef.
3- sur les frais irrépétibles et les dépens
L’ordonnance sera confirmée de ces chefs.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives à ce titre.
Mme Y sera déboutée de sa demande de condamnation du coût du procès-verbal de constat du 11 mars 2020, lequel s’agissant de frais exposés non compris dans les dépens, est compris dans le montant des frais irrépétibles accordé en première instance,
La clinique Clémenceau sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt mis à la disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a
— interdit à la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau d’exploiter, d’utiliser, de reproduire, de représenter ou d’adapter l’image de Mme C Y,
— condamné la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau aux dépens et à payer à Mme C Y la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Condamne la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau à payer à Mme C Y la somme de 3 500 euros à titre provisionnel à valoir sur les dommages-intérêts qui pourront lui être alloués en réparation du préjudice subi pour atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée,
Ordonne à Mme C Y de restituer à la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau l’exemplaire du livret sur la chirurgie esthétique comprenant sa représentation photographique qu’elle détient,
Ordonne à la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau de procéder à la destruction de cet exemplaire du livret sur la chirurgie esthétique comprenant la représentation photographique de Mme C Y, dans un délai de 15 jours, à compter de la remise par celle-ci de l’exemplaire du livret qu’elle détient, à charge pour la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau de faire constater la destruction par huissier,
Déboute Mme C Y du surplus de ses demandes au titre de l’indemnité provisionnelle, de la destruction des exemplaires des livrets et de la publication judiciaire,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes respectives à ce titre,
Déboute Mme C Y de sa demande au titre du coût du procès-verbal de constat du 11 mars 2020,
Condamne la société Clinique de chirurgie esthétique Clémenceau aux dépens d’appel.
Le Greffier, Le Président,