Droit à l’image des personnes vulnérables

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Droit à l’image des personnes vulnérables

L’employeur est en droit de sanctionner une salariée (rappel à l’ordre) après que celle-ci ait pris en photo sur son téléphone portable un résident de l’établissement de retraite où elle est employée, au mépris du droit à l’image et de l’intimité de la vie privée d’un résidant. 

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2021

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON du 16 Février 2018

RG : 15/02102

APPELANTE :

Association MAISON DE RETRAITE DES FRERES ‘LE VAL FORON’

[…]

[…]

[…]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Jérôme CHOMEL DE VARAGNES de la SELARL EQUIPAGE, avocat au barreau de LYON substitué par Me Emilie ESCAT, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

H X

née le […] à […]

[…]

BâtIment 1

[…]

Représentée par Me Ahmed SAAD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Septembre 2021

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M N, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Olivier MOLIN, Conseiller

Assistés pendant les débats de K L, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 Octobre 2021, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par M N, Présidente, et par K L, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant un contrat à durée déterminée, Madame H X a été embauchée pour la période du 28 août 2006 au 28 avril 2007 par l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » en qualité d’agent de service. La relation de travail s’est poursuivie à compter du 2 mai 2007 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps plein.

Le 27 novembre 2014, Madame X a été placée en arrêt de travail. Le 23 janvier 2015, la Caisse primaire d’assurance-maladie a reconnu le caractère professionnel de l’accident déclaré le 1er décembre 2014 par la salariée.

La salariée a fait l’objet d’un nouvel arrêt de travail le jour de sa reprise le 1er juin 2016.

À la suite d’un recours de la salariée contre l’avis d’aptitude du médecin du travail, la Direction du travail, par une décision du 18 octobre 2016, a retiré la décision implicite de rejet née le 3 octobre 2016 et dit que Madame X était inapte à son poste de travail et à tout poste dans l’entreprise.

La salariée a été licenciée le 9 décembre 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 1er juin 2015, Madame H X avait saisi le conseil de prud’hommes de Lyon pour obtenir, suivant le dernier état de ses écritures et à l’audience, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, ainsi que des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre du préjudice subi en raison de la dégradation de son état de santé.

Par un jugement du 16 février 2018, le Conseil de Prud’hommes de Lyon a condamné l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » à verser à Madame H X les sommes suivantes :

—  15’000 ‘ à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi suite à la dégradation de son état de santé physique ;

—  5000 ‘ de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;

—  1500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Par ailleurs, le conseil de prud’hommes a :

— débouté Madame H X de ses autres demandes ;

— débouté l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » de sa demande reconventionnelle ;

— condamné l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 15 mars 2018, l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses conclusions reçues au greffe par voie électronique le 1er octobre 2018, l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » demande à la cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a alloué à Madame H X :

—  15’000 ‘ à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi suite à la dégradation de son état de santé ;

—  5000 ‘ de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;

—  1500 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite la confirmation du jugement pour le surplus, que Madame H X soit déboutée de l’intégralité de ses demandes et condamnée à lui verser la somme de 2000 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » estime, en premier lieu, qu’elle est bien fondée à faire état des éléments de l’enquête pénale diligentée suite à la plainte de Madame X et à son classement sans suite, la copie du dossier lui ayant été communiquée avec l’accord du parquet le 13 avril 2016.

Sur le fond, elle conteste tout harcèlement moral, faisant valoir que la salariée ne s’est jamais plainte d’un tel harcèlement pendant toute la durée de la relation contractuelle ; que l’employeur pouvait légitimement, dans le cadre de son pouvoir de direction, la rappeler à l’ordre, par un courrier du 14 mai 2014, après qu’elle ait pris en photo sur son téléphone portable le 28 mars 2014 un résident de l’établissement au mépris de son droit à l’image et de l’intimité de sa vie privée ; que, pour le surplus, Madame X se fonde sur l’attestation d’une ancienne salariée de l’association licenciée pour motif disciplinaire et qui a également engagé une action à son encontre, qu’il s’agit d’une attestation de complaisance, qui ne fait que rapporter les propos de Madame X ; qu’une simple mésentente entre un salarié et la direction ne saurait caractériser une situation de harcèlement moral.

Elle conteste également tout harcèlement sexuel, expliquant qu’à la suite de l’incident du 28 mars 2014, Madame X s’était engagée à supprimer la photo du résident, engagement qu’elle n’a pas tenu puisqu’elle a montré cette photo plusieurs mois plus tard à un aide-soignant intérimaire, Monsieur I Y ; que ce dernier a attesté des faits dans une déclaration remise à la direction le 21 octobre 2014 et que le soir même, Madame X a déposé plainte à son encontre, plainte classée sans suite le 3 décembre 2016 au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée ; que l’enquête pénale permet de confirmer que la plainte de la salariée n’est qu’une

mesure de rétorsion contre Monsieur Y ; que les éléments recueillis lors de cette enquête n’ont pas corroboré les accusations de Madame X ; que, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, l’association a bien diligenté une enquête suite au courrier de Madame X du 25 octobre 2014, reçu le 7 novembre ; que cette dernière ne s’est cependant pas déplacée à l’entretien auquel elle avait été convoquée.

S’agissant de l’accident du travail du 27 novembre 2014, l’association soulève l’incompétence du juge prud’homal pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de la salariée, faisant valoir que l’action en réparation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle relève de la compétence exclusive des juridictions de sécurité sociale.

Subsidiairement, elle estime qu’il n’existe pas d’éléments suffisants permettant d’affirmer que la salariée aurait été victime d’une agression physique de la part de Monsieur Y le 27 novembre 2014, alors que sa plainte a été classée sans suite, que les déclarations de Madame X sont incohérentes et ne sont confirmées par aucun témoin direct et que les arrêts de travail qu’elle produit aux débats se contredisent ; que la réalité des faits ne saurait résulter de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident par la CPAM, décision qui fait l’objet d’un recours actuellement pendant devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ; qu’en tout état de cause, aucun manquement à ses obligations ne peut être reproché à l’employeur, qui a déclaré l’accident à la CPAM dès qu’il en a eu connaissance et a diligenté une enquête dès le 3 décembre 2014 en convoquant notamment Monsieur Y à un entretien le 9 décembre 2014 au cours duquel il a nié les faits, entretien auquel Madame X a refusé de se rendre ; qu’enfin, les avis médicaux et témoignages produits sont dépourvus de toute valeur probante, ne reposant que sur les seules doléances de la salariée.

Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 12 septembre 2018, Madame H X demande à la cour de :

— débouter l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » de l’ensemble de ses demandes ;

— confirmer le jugement et condamner l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » à lui payer la somme de 15’000 ‘ au titre du préjudice subi en raison de la dégradation de son état de santé ;

— réformer le jugement et condamner l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » à lui payer la somme de 15’000 ‘ au titre du préjudice subi en raison du harcèlement sexuel ;

— infirmer le jugement et condamner l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » à lui payer la somme de 15’000 ‘ au titre du préjudice subi en raison du harcèlement sexuel (sic) ;

— condamner l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » à lui payer la somme de 2500 ‘ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame H X demande, en premier lieu, que les pièces adverses 6-1 à 6-14 produites aux débats soient déclarées irrecevables en ce qu’elles ont été obtenues en violation des dispositions de l’article R. 156 du code de procédure pénale qui impose une autorisation du ministère public pour produire comme en l’espèce les éléments d’une enquête qui s’est terminée par une décision de classement sans suite.

Sur le fond, elle sollicite la réparation d’un préjudice résultant de la dégradation de son état de santé, reprochant à son ancien employeur de ne pas avoir réagi suite aux faits de violence dont elle a été victime de la part de son collègue de travail I Y le 27 novembre 2014, ainsi que de

l’avoir discréditée auprès des résidents de la maison de retraite, faits qui ont eu un impact psychologique important et entraîné son placement en arrêt de travail

Par ailleurs, elle sollicite le rejet de l’exception d’incompétence soulevée par l’appelante, l’employeur ne démontrant pas avoir régulièrement saisi la commission de recours amiable et le tribunal des affaires de sécurité sociale d’un recours contre la décision de la Caisse primaire d’assurance-maladie reconnaissant l’origine professionnelle de l’accident du 27 novembre 2014.

En outre, Madame X affirme avoir été victime de la part de Monsieur Y d’un harcèlement sexuel pour lequel elle a déposé plainte le 21 octobre 2014 et dont elle a informé la direction de l’association par un courrier du 25 octobre 2014 ; que l’employeur n’a réagi que le 3 décembre 2014 en la convoquant à un entretien et n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements de Monsieur Y, mettant en cause sa réputation, ce qui a entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

Enfin, elle reproche à son ancien employeur un harcèlement moral, exposant que ce dernier lui a fait grief d’avoir photographié un résident qui avait chuté au sol, alors qu’elle avait pris cette photographie pour avertir sa hiérarchie de l’existence de manquements à la sécurité des résidents. Elle affirme avoir également subi des pressions régulières de la part de sa direction, destinées à lui nuire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 janvier 2020 et l’affaire fixée pour plaidoirie au 20 février 2020, puis renvoyée à l’audience du 2 septembre 2021.

MOTIFS

Sur la recevabilité des pièces de la procédure pénale

Il résulte de l’article R. 156 du code de procédure pénale avant son abrogation le 1er septembre 2020 que les pièces d’une enquête pénale terminée par une décision de classement sans suite ne peuvent être délivrés à un tiers sans une autorisation du procureur de la République du procureur général.

En l’espèce, l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » produit aux débats les procès-verbaux de l’enquête pénale faisant suite aux plaintes déposées le 21 octobre 2014 puis le 28 novembre 2014 par Madame X à l’encontre de Monsieur I Y pour harcèlement sexuel, puis pour une agression subie le 27 novembre 2016 (pièces 6-1 à 6-15), plaintes qui ont fait l’objet d’un avis de classement sans suite par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon le 7 mars 2016.

L’association justifie avoir sollicité du procureur de la République du tribunal de grande instance de Lyon, le 7 juillet 2015, par l’intermédiaire de son avocat, la décision intervenue et la copie des actes d’enquête, demande à laquelle il a été fait droit le 13 avril 2016.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’écarter des débats les pièces 6-1 à 6-15, régulièrement obtenues.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel

Suivant l’article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

L’article L.1154-1 du même code énonce que, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article qui précède, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces textes que lorsque le salarié présente des éléments matériels constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement sexuel, et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, les faits de harcèlement sexuel dénoncés par la salariée reposent exclusivement sur son dépôt de plainte le 21 octobre 2014, ainsi que sur un courrier adressé à la direction de l’association le 25 octobre 2014 dans lequel elle informe son employeur avoir porté plainte pour harcèlement sexuel à l’encontre de l’un de ses collègues de travail.

Dans sa plainte pénale, Madame X J que depuis le début du mois de juin 2014, Monsieur Y la draguait très lourdement, venait vers elle régulièrement et de façon répétée en lui disant : «tu es belle, tu sais qu’une femme comme toi, si j’avais la chance d’avoir une femme comme toi je lui ferais découvrir beaucoup de choses (sexuelles), t’as un joli petit cul, t’es bandante, si l’on a l’occasion de se voir en dehors du boulot on se prendra un hôtel, je vais te faire l’amour et t’embrasser des pieds jusqu’à la tête» ; elle ajoute qu’il a insisté plus d’une fois pour qu’elle l’invite chez elle à boire un café et lui faire des choses de nature sexuelle, ce qu’elle a toujours refusé, qu’à plusieurs reprises, il est venu se coller à elle en frottant son sexe en érection contre ses fesses et en lui massant les épaules, ainsi qu’en lui disant : «t’es vraiment une belle femme, ton copain a de la chance de t’avoir, je vais te faire l’amour en t’embrassant de la tête aux pieds», qu’il approchait ses lèvres dans son cou et près de ses joues.

Les seules déclarations de la salariée, en l’absence notamment de témoignages ou d’éléments médicaux, alors que sa plainte a été classée sans suite, sont manifestement insuffisantes à présumer l’existence d’un harcèlement sexuel, ce d’autant que cette plainte s’inscrit dans un contexte particulier, puisqu’il est constant que Madame X s’est vue reprocher d’avoir pris un résident de la maison de retraite en photo le 28 mars 2014 dans une position dégradante, violant l’intimité de sa vie privée ; que malgré son engagement, elle n’a pas détruit la photographie litigieuse, ce que la salariée ne conteste pas non plus ; que son collègue de travail, Monsieur Y, a établi une attestation datée du 21 octobre 2014 et adressée à son employeur dans laquelle il affirme que Madame X lui a montré la photo litigieuse ; que lors de sa confrontation avec Monsieur Y par les services de police, Madame X a reconnu que cette attestation avait été l’élément déclencheur de son dépôt de plainte du 21 octobre 2014.

Par conséquent, en l’absence de harcèlement sexuel, le jugement est infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser à la salariée de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral

Il résulte de l’article L. 1152-1 du code du travail, que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code énonce que, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article qui précède, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces textes que lorsque le salarié présente des éléments matériels constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, pour présumer l’existence d’un harcèlement moral, la salariée invoque les moyens suivants :

— une plainte déposée le 28 novembre 2014 à l’encontre de son collègue de travail, Monsieur Y, pour des violences qu’elle aurait subies sur son lieu de travail le 27 novembre 2014 et l’absence de soutien de son employeur ;

— les atteintes à sa réputation et les pressions de la part de son employeur ;

— des reproches injustifiés de son employeur.

S’agissant, en premier lieu, de l’agression dont la salariée aurait été victime le 27 novembre 2014 sur son lieu de travail, il ressort de sa plainte que Madame X aurait été victime de violences entre 19h15 et 19h45 alors qu’elle se trouvait à l’infirmerie au travail ; que Monsieur Y serait entré et l’aurait poussée violemment par les épaules contre le mur, lui aurait mis une claque et aurait bloqué ses poignets pour l’immobiliser en l’accusant d’avoir crevé les pneus de sa voiture ; qu’elle se serait dégagée en lui donnant un coup de genou. Il ressort de l’enquête pénale qu’aucune des personnes entendues, en particulier aucun collègue de travail ni aucun résident n’a été témoin non seulement de la scène, mais également d’une quelconque difficulté le soir des faits. Lors de la confrontation, Monsieur Y a contesté les faits, expliquant notamment qu’il ne peut avoir reproché à Madame X d’avoir crevé les pneus de sa voiture, alors qu’il a quitté son service à 22 heures et ne s’est rendu compte qu’à ce moment que ses pneus avaient été crevés et que Madame X avait de son côté quitté son service avant 19h25, ce à quoi Madame X n’a pas été en mesure de répondre, se contentant d’indiquer qu’elle maintenait l’intégralité de ses déclarations. Compte tenu de ces éléments, la plainte a été classée sans suite le 7 mars 2016.

Pour corroborer ses affirmations, Madame X produit aux débats l’attestation de Monsieur Z, résident de la maison de retraite, en date du 22 décembre 2014, qui affirme que le 27 novembre 2014, Madame X lui a téléphoné ; qu’elle était perturbée et pleurait ; qu’elle était au commissariat de Caluire ; qu’il a pris son véhicule pour la retrouver au commissariat et qu’en la voyant il a remarqué qu’elle était toujours en tenue de travail, que sa blouse était tachée de sang, qu’elle avait le nez rouge, des hématomes aux deux poignets et qu’elle était encore profondément choquée ; que l’agent de police lui a conseillé d’aller voir un médecin et de revenir le lendemain pour faire une déposition.

Pour le surplus, il est produit un certificat médical établi le 28 novembre 2014, après une consultation au service des urgences de la polyclinique de Rillieux le 27 novembre 2014, selon lequel Madame X présentait des contusions et une torsion des deux poignets, une contusion faciale droite, des scapulalgies bilatérales et cervicalgies musculaires et un choc psychologique.

Suite à cette plainte, Madame X n’a repris le travail qu’une journée le 1er juin 2016, pour être à nouveau immédiatement placée en arrêt maladie, jusqu’à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L’employeur a convoqué les deux salariés à un entretien qui a fait l’objet d’un compte rendu le 11 décembre 2014, auquel Madame X a, suivant un courrier adressé à son employeur le 5 décembre 2014, refusé de se rendre au motif qu’elle souhaitait que cet entretien ait lieu à l’issue de son arrêt de travail en présence du président de l’association, Monsieur A, compte tenu des tensions existantes avec la direction. Lors de cet entretien, Monsieur Y a contesté les faits.

S’agissant des atteintes à sa réputation et des pressions de son employeur, Madame X produit les attestations de Monsieur B, Monsieur C, Monsieur Z, tous trois résidents de la maison de retraite, qui évoquent une convocation le 29 mai 2016 des résidents de la maison de retraite par le directeur de l’association au cours de laquelle auraient été divulgués en public des éléments confidentiels personnels concernant Madame X, ainsi que des accusations portées à l’encontre de la salariée après l’agression dont elle a fait l’objet. Les témoins ne précisent cependant pas les éléments qui auraient été divulgués et les accusations qui auraient été portées.

Il est également produit l’attestation de Monsieur D, qui affirme avoir pris l’initiative de rédiger en août 2015 un texte signé par plusieurs résidents en faveur de Madame X, que ses supérieurs lui ont demandé de ne pas transmettre aux instances compétentes.

Enfin, Madame E, aide-soignante au sein de l’association, affirme, dans une attestation établie le 8 mai 2014, avoir subi des pressions de la direction pour nuire à Madame X concernant son travail et avoir été témoin du dénigrement dont a été victime la salariée. Toutefois, Madame E ne donne aucune illustration des pressions et du dénigrement en question.

S’agissant des reproches injustifiés, la salariée se fonde sur les éléments suivants :

— un courrier qui lui a été adressé par son employeur le 14 mai 2014 pour lui reprocher d’avoir pris en photo un résident tombé de son lit dans une position humiliante ;

— une attestation établie par Madame F, infirmière au sein de l’association, qui rapporte que le 7 mai, lors d’une mission de remplacement, il a été reproché à Madame X d’avoir commandé un plateau pour un résident.

Le courrier du 14 mai 2014 ne peut être considéré comme un reproche injustifié, à partir du moment où la salariée ne conteste pas avoir pris la photographie litigieuse. Madame X explique qu’il s’agissait de dénoncer les conditions de prise en charge des résidents. Toutefois, outre qu’elle ne rapporte pas la preuve d’avoir effectué une quelconque dénonciation, il lui appartenait au préalable d’informer sa direction de difficultés dans l’exercice de son travail sans porter atteinte à l’intimité des résidents. Au demeurant, la salariée ne conteste pas non plus avoir conservé cette photographie pendant plusieurs mois et reconnaît, lors de son audition par les services de police, avoir procédé à des enregistrements à l’aide de son téléphone à l’insu de la direction dans le but de recueillir des éléments à charge contre son employeur. Dans ces conditions, la salariée ne peut invoquer de motif légitimant son comportement.

Ces éléments matériels ne permettent pas d’affirmer que l’employeur n’aurait pas pris les mesures adéquates après le dépôt de plainte de la salariée le 28 novembre 2014, alors qu’elle a été en arrêt

maladie de manière quasi continue à compter de cette date, jusqu’à la rupture du contrat de travail, ni que cette dernière aurait subi des pressions, des reproches injustifiés ou des atteintes à sa réputation.

Les faits de harcèlement ne sauraient évidemment résulter des seuls certificats médicaux d’arrêt maladie de la salariée.

Par conséquent, même pris dans leur ensemble, ces faits ne sont pas suffisants pour présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur la demande de dommages-intérêts en raison du préjudice subi suite à la dégradation de l’état de santé de la salariée

Selon l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation des accidents du travail ou maladie professionnelle ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droits.

Le juge prud’homal n’est donc pas compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts destinée à réparer le préjudice causé par un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’accident du travail, la réparation d’un tel préjudice relevant de la compétence de la juridiction de sécurité sociale et obéissant à une procédure et des conditions exorbitantes du droit commun.

Force est de constater en l’espèce que Madame X, au soutien de sa demande de dommages-intérêts au titre de la dégradation de son état de santé, invoque notamment les conséquences sur sa santé physique et psychologique de l’accident du travail du 27 novembre 2014 et des faits de violence dont elle aurait été victime ce jour de la part de Monsieur Y et les «manquements inexcusables» (page 12 de ses écritures) de l’employeur à son obligation de sécurité.

La cour ne peut, dans le cadre de la présente instance, statuer sur la responsabilité et la faute inexcusable de l’employeur au titre de la réparation d’un accident du travail, peu important que le tribunal des affaires de sécurité sociale ait été saisi.

Madame X reproche également à son ancien employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements de Monsieur Y après son dépôt de plainte pour harcèlement sexuel le 21 octobre 2014 et la dénonciation des faits à l’association par courrier du 25 octobre 2014, ainsi qu’après l’agression physique qu’elle affirme avoir subie le 27 novembre 2014.

Toutefois, il résulte des développements précédents qu’aucun fait de harcèlement sexuel ne peut être présumé et que l’agression physique qu’elle a dénoncée a été classée sans suite ; qu’en outre, la direction de l’association a réagi en recevant la salariée le 19 novembre 2014, ce que cette dernière ne conteste pas ; que cette rencontre a fait l’objet d’un compte rendu rédigé par Monsieur A, le président de l’association, ainsi que ce dernier en atteste par écrit daté du 6 juin 2018, dans les formes du code de procédure civile ; que la direction s’est ensuite entretenue le 11 décembre 2014 avec Monsieur Y, qui a contesté les faits de harcèlement sexuel et l’agression physique du 27 novembre 2014 ; que ce dernier a également contesté les faits lors de ses auditions par les services de police les 17 novembre et 2 décembre 2014 ; que, dans ces conditions, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures adaptées à la situation et d’avoir manqué à son obligation de sécurité, compte tenu des éléments dont il disposait.

Par conséquent, la demande de dommages et intérêts à ce titre ne peut qu’être rejetée et le jugement infirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

Madame X succombant à l’instance d’appel est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser à l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES la somme de 300 ‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais de première instance et d’appel.

Le jugement déféré est infirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Madame H X de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Infirme le jugement pour le surplus.

Statuant de nouveau des chefs du jugement infirmés et y ajoutant :

Déboute Madame H X de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la dégradation de son état de santé.

Condamne Madame H X à payer à l’association MAISON DE RETRAITE DES FRERES « Le Val Foron » la somme de 300 ‘ en application de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais de première instance et d’appel.

Condamne Madame H X aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier La Présidente


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