Dans cette affaire, un magazine a publié un article sur la relation sentimentale entretenue par cette dernière avec Arnaud Montebourg. L’atteinte à la vie privée d’Aurélie Filippetti n’a pas été retenue pour cause de liberté d’information eu égard au contexte particulier de la publication.
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression. Ainsi, la liberté de communication des informations autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
Liberté d’informer retenue
En l’espèce, en ce qui concerne tout d’abord l’atteinte à la vie privée invoquée par Aurélie Filippetti au titre de la révélation de sa relation sentimentale avec Arnaud Montebourg, l’ex Ministre était représentée avec Arnaud Montebourg en train de se tenir l’un contre l’autre, dans une situation qui ne laissait aucun doute sur le lien affectif qui les unissait, prenant la pose devant un groupe de touristes munis d’appareils photographiques orientés dans leur direction. Ces clichés ont été pris dans l’un des lieux touristiques les plus fréquentés de San Francisco (Lombard Street).
Dans de telles circonstances, en prenant une telle pose, dans un lieu public fréquenté, devant un public de plusieurs touristes munis d’appareils-photo, Aurélie Filippetti et Arnaud Montebourg ne pouvaient ignorer que non seulement ils seraient identifiables, mais qu’en plus une image démontrant le lien affectif qui les unit serait fixée par des tiers et potentiellement diffusée par eux.
En conséquence, il ne peut résulter de l’évocation de sa relation sentimentale avec Arnaud Montebourg aucune atteinte à la vie privée d’Aurélie Filippetti, et il ne résulte du cliché en cause aucune atteinte à son droit à l’image, la demanderesse et son compagnon ayant eux-mêmes consenti à être photographiés et à ce que l’existence de leur couple soit rendue publique.
Concernant d’autres clichés du couple pris en pause « selfie », les juges ont fait preuve de souplesse en ne retenant pas d’atteinte à leur droit à l’image en raison du contexte politique. En effet, la publication litigieuse est intervenue deux semaines après que Manuel Valls a annoncé la démission de son gouvernement suite aux déclarations critiques d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon sur ses orientations économiques et après qu’Aurélie Filippetti a, dans une lettre adressée le même jour au Président de la République et au Premier ministre, exprimé sa solidarité avec les ministres « frondeurs » et annoncé son intention de ne pas participer au gouvernement suivant.
Après la démission du gouvernement, la presse nationale et locale a relayé les spéculations à la fois sur les raisons du départ collectif de trois ministres (les deux intéressés et Benoît Hamon) et sur leur avenir politique respectif : le jour-même de la démission du gouvernement Valls 1, sur son site internet, le magazine Gloser a mis en parallèle l’expression de son « affectueuse solidarité » adressée le même jour par Arnaud Montebourg à ses collègues Benoît Hamon et Aurélie Filippetti lors d’une conférence de presse à Bercy avec le message de soutien adressé la veille sur Tweeter par Aurélie Filippetti à Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ; par la suite, le quotidien gratuit 20 Minutes a annoncé le retour vraisemblable d’Aurélie Filippetti sur les bancs de l’Assemblée nationale pour y exercer son mandat de député de la Moselle et s’est interrogé sur l’ambition présidentielle d’Arnaud Montebourg.
Dans un tel contexte, la concomitance entre la critique exprimée en commun par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon sur la politique économique du premier gouvernement Valls et la déclaration le même jour par Aurélie Filippetti, via Tweeter, de sa solidarité avec ses deux collègues « frondeurs », a suscité un débat sur les motivations de la demanderesse pour renoncer à son ministère. Puis celle-ci a elle-même contribué à donner une ampleur supplémentaire à ce débat en anticipant son départ de l’équipe gouvernementale par l’annonce de son refus de participer au gouvernement suivant.
Il existait donc, à la date de la publication litigieuse, au lendemain de la crise gouvernementale provoquée par des dissensions au sein de l’exécutif auxquelles la demanderesse avait personnellement pris part, un débat d’intérêt général à la fois sur les causes de cette crise, sur les raisons du refus d’Aurélie Filppetti de conserver son ministère, sur la composition du futur gouvernement et sur l’avenir politique de la demanderesse.
Dans ces conditions, il existait un motif légitime d’informer le public sur la nature des relations existant entre la demanderesse et Arnaud Montebourg, qui venaient de jouer ensemble un rôle de premier plan dans un événement d’actualité majeur, et sur le fait qu’ils séjournaient ensemble, soit quelques deux semaines après la démission du gouvernement.
De plus, force est de relever que si, à la date de la publication en cause, Aurélie Filippetti n’était plus ministre de la Culture, elle avait cependant conservé son mandat de député de la première circonscription de la Moselle.
Enfin, les clichés litigieux, s’ils ont surpris Aurélie Filippetti et Arnaud Montebourg dans une situation relevant de l’intimité de leur vie privée, n’ont cependant donné de ceux-ci aucune image dévalorisante ou dégradante susceptible de porter atteinte à leur dignité.
Dans ces conditions, eu égard au sujet qu’illustrent ces clichés et au statut de personnalité publique d’Aurélie Filippetti à la date de la publication, l’emploi de ces photographies comme illustration de l’article en cause n’a pas excédé les limites admises en matière d’information du public sur un sujet en lien avec un événement d’actualité et se rattachant à un débat d’intérêt général. Aucune violation de la vie privée ni du droit à l’image d’Aurélie Filippetti n’a été retenue.