L’employeur reste en droit d’utiliser l’image de son salarié après la rupture du contrat de travail si l’autorisation accordée à son employeur d’utiliser son image a été donnée par une convention distincte du contrat de travail, et sans qu’aucune clause ne limite le droit de cette dernière, au sujet de laquelle il n’est pas fait référence à sa qualité d’employeur.
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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale — Prud’Hommes-
ARRÊT DU 17 Décembre 2021
N° RG 19/01711 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SQG7
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LENS en date du 08 Juillet 2019 (RG 18/00080 -section 2)
APPELANT :
S.A.S. CERF DELLIER
[…]
représentée par Me Cindy DENISSELLE-GNILKA, avocat au barreau de BETHUNE
INTIMÉE :
M. B Z
[…]
représenté par Me Anne POLICELLA, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 09 Novembre 2021
Tenue par D E
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monique A : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
D E : X
F G : X
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Décembre 2021,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique A, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 19 octobre 2021.
FAITS ET PROCEDURE
Après avoir été embauché par la société CERF DELLIER dans le cadre d’un contrat à durée déterminée pour la période du 2 novembre 2015 jusqu’au 30 juin 2016, M. B Z a bénéficié à compter du 30 juin 2016 d’un contrat à durée indéterminée pour l’exercice des même fonctions de chef pâtissier, moyennant une rémunération brute de 2060 euros bruts par mois pour 39 heures.
Le 16 novembre 2017 une mise à pied à titre conservatoire a été délivrée au salarié, lequel a été convoqué le 20 novembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 novembre 2017.
Le 4 décembre 2017 il a été licencié pour faute grave.
Le 12 mars 2018 le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lens, lequel par jugement en date du 8 juillet 2019 a :
Dit et jugé qu’il n’y a pas de faute grave, et requalifié le licenciement pour cause réelle et sérieuse,
Condamné la société à payer au salarié les sommes suivantes :
-4413,20 euros à titre d’indemnité de préavis outre la somme de 441,32 euros pour les congés payés afférents
-1241,21 euros à titre d’indemnité de licenciement,
-1281,25 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied à titre conservatoire, outre celle de 128,12 euros pour les congés payés afférents,
-1054,58 euros à titre de rappel de prime d’objectif
-1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Débouté le salarié du surplus de ses demandes, et la société de l’intégralité de ses demandes,
Rappelé les dispositions applicables en matière d’intérêts,
Condamné la société aux entiers frais et aux dépens.
Le 26 juillet 2019 la société a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 9 janvier 2020 par la société.
Vu les conclusions déposées le 19 novembre 2019 par le salarié.
Vu la clôture de la procédure au 19 octobre 2021.
SUR CE
Du licenciement
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l’employeur.
Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse.
En l’espèce aux termes de la lettre de licenciement il est reproché au salarié d’avoir agressé une collègue de travail au sein de l’entreprise, sa mauvaise volonté et son agressivité dont témoignent des vendeuses, et l’utilisation de son ordinateur professionnel à des fins personnelles durant le temps de travail.
Il convient tout d’abord de constater que la société ne développe pas d’argumentation spécifique relativement au deuxième grief et aucun des témoignages évoqués dans la lettre de licenciement n’est remis par la société.
En ce qui concerne l’agression d’une collègue, il ressort de l’attestation de Mme Y, victime des agissements du salarié, qu’un premier incident a eu lieu la veille sans acte de violence, mais révélateur d’un désaccord.
Par ailleurs l’altercation qui s’est déroulée le lendemain trouve son origine dans le mécontentement de Mme Y relativement à l’utilisation par le salarié d’un espace de travail qu’elle estimait devoir lui être réservé au regard du planning et de la tâche lui incombant.
Cette dernière ne conteste pas s’être énervée compte tenu du comportement du salarié qui n’aurait pas selon elle libéré le plan de travail 10 minutes après son arrivée.
En revanche elle affirme que le salarié l’a violemment empoignée par le bras pour la diriger vers les congélateurs et qu’elle a dû se dégager en le frappant au niveau de l’épaule avec sa main.
La réalité de cette empoignade est confirmée par deux témoins, dont l’un était présent lors de l’intégralité de l’incident mais n’a pas pu entendre la teneur de la totalité des échanges car il lavait de la vaisselle ce qui générait du bruit.
Il convient de préciser que ce témoin explique le geste du salarié par la volonté de ce dernier de montrer à sa collègue de travail le gâteau qu’il venait de réaliser et qui se trouvait dans le congélateur, en exposant qu’il a voulu intervenir mais que l’altercation a pris fin d’elle même.
Le second témoin n’a assisté qu’à l’empoignade quand, attiré par le bruit, il a vu la scène au travers des vitres du laboratoire.
Dans sa lettre de contestation de son licenciement le salarié reconnaît lui même le caractère fautif de son comportement, en faisant état du fait qu’il a voulu justifier sa présence dans l’atelier en montrant le gâteau qu’on lui avait demandé de confectionner et qu’il n’aurait pas dû » pénétrer dans sa zone intime », ne respectant pas par là même la distance professionnelle qui s’impose.
Même si la portée de ce geste doit être relativisée au regard des circonstances dans lesquelles l’altercation a pris fin, de ses conséquences bien que le retentissement moral n’a pas été négligeable comme ayant entraîné une ITT d’une journée, il n’en demeure pas moins qu’un tel comportement ne peut être admis au sein d’une entreprise de la part d’un salarié à l’égard d’une collègue.
Tout aussi regrettable que soit l’absence d’investigation de la part de la société quant à l’origine de l’altercation, alors que la salariée invoquait un non respect des plannings et que M. Z faisait état d’une demande de sa supérieure hiérarchique de réalisation d’un gâteau, la réponse du salarié à un haussement de ton de Mme Y a été disproportionnée.
En revanche ce défaut d’investigation doit être pris en compte quant à l’appréciation de la nature de la faute.
En effet il apparaît que la société, qui est tenue d’une obligation de sécurité à l’égard de l’ensemble de ses salariés, ne justifie pas avoir mené les investigations nécessaires pour élucider l’intégralité des faits, et n’a pas par là même cherché à prendre la mesure de la responsabilité du salarié, qui n’a pas été d’ailleurs
Si cette carence n’est pas de nature à ôter aux agissements du salarié leur caractère fautif, pour autant le comportement de ce dernier doit s’apprécier au regard des éventuels manquements de l’employeur à ses obligations.
La société, qui ne peut justifier l’impossibilité du maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis que par son obligation de sécurité, est malvenue à se prévaloir de ladite obligation qu’elle n’a respecté que partiellement, n’ayant pas fait montre en outre d’une grande impartialité.
Une telle attitude corrobore pour parties les allégations d’un témoignage remis par le salarié relatant sa disgrâce depuis quelques mois, étant observé d’une part que la réalité de la cause du licenciement n’est pas en question puisque l’altercation a bien eu lieu comme le dérapage du salarié, et d’autre part que la société ne fournit aucun élément de nature à établir l’existence d’un conflit avec la salariée faisant peser des doutes sur son impartialité.
En ce qui concerne le troisième grief, les listings de consultations permettent d’observer d’une part que beaucoup d’entre elles concernent des recettes de pâtisserie, et d’autre part que celles concernant d’autres sites sont très souvent de courte durée puisqu’elles s’enchaînent souvent sur un laps de temps de 3 minutes.
Après voir rappelé qu’il ressort de l’attestation de la victime que M. Z était muni le jour de l’incident de son ordinateur, il apparaît que la société a pris en compte l’ensemble des consultations, alors même que certaines peuvent être rattachées à l’activité professionnelle du salarié, que d’autres sont courtes et ont pu à ce titre être effectuées notamment pendant des temps d’attente, étant précisé que seul un usage abusif est sanctionnable.
De telles circonstances de consultation ne sont pas de nature à modifier l’appréciation quant au caractère grave de la faute imputable au salarié, mais seulement à conforter l’existence d’une faute constitutive elle même d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il convient au regard de ces éléments de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, et débouté le salarié de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Le jugement doit également être confirmé quant aux montants de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents, de l’indemnité de licenciement, du rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, dès lors que le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation des sommes dues au regard des textes applicables.
Du rappel de primes d’objectif
Il convient de confirmer le jugement entrepris quant au principe de l’octroi d’un rappel de prime d’objectif, telle que prévue par l’article 4 du contrat de travail, dès lors que la société ne justifie pas d’un motif légitime pour refuser le paiement de la prime pour l’année 2017, qui n’a été payée que partiellement.
Elle se contente d’affirmer d’une part que celle-ci n’est pas due de manière automatique mais en fonction d’objectifs, au sujet desquels elle ne fournit aucun élément, et par là même quant à leur atteinte, et d’autre part que le salarié n’a pas travaillé toute l’année, alors même qu’il a été licencié le 4 décembre 2017, et aurait dû exécuter son préavis.
En revanche le conseil de prud’hommes a commis une erreur en octroyant un rappel de prime en net alors que la somme allouée est soumise à cotisations.
De la demande en dommages et intérêts au titre du droit à l’image
S’il convient de rejeter l’exception d’incompétence du juge prud’homal, dès lors qu’elle n’a pas été soulevée avant toute défense au fond, pour autant il y a lieu de confirmer le jugement entrepris dans la mesure où l’autorisation accordée par le salarié à la société d’utiliser son image a été donnée par une convention distincte du contrat de travail, et sans qu’aucune clause ne limite le droit de cette dernière, au sujet de laquelle il n’est pas fait référence à sa qualité d’employeur.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris quant au rejet des demandes en dommages-intérêts et injonction à la société de ne plus utiliser l’image de M. Z.
Des demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité commande de condamner la société à payer au salarié la somme de 2500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Des dépens
La société qui succombe doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant et la nature du rappel de prime d’objectif octroyé à M. B Z,
Statuant à nouveau, et ajoutant au jugement entrepris,
Condamne la société CERF DELLIER à payer à M. B Z les sommes suivantes :
-1054,58 euros bruts à titre de rappel de primes d’objectif
-2500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne la société CERF DELLIER aux dépens.
Le Greffier, Le Président,
C. LEPERRE M. A