Diffamation et liberté d’expression : enjeux d’une critique médiatique sur des pratiques commerciales contestées

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Diffamation et liberté d’expression : enjeux d’une critique médiatique sur des pratiques commerciales contestées

L’Essentiel : La S.A.S. PPO, condamnée pour pratiques commerciales trompeuses, a intenté une action en diffamation contre l’association UFC QUE CHOISIR suite à la publication d’un article sur sa condamnation. Les dirigeants de PPO ont demandé le retrait de l’article et une indemnisation de 3 000 € pour frais de justice. En revanche, UFC QUE CHOISIR a défendu ses propos, affirmant qu’ils étaient fondés sur des faits avérés et justifiés par des plaintes de consommateurs. Le juge a finalement débouté PPO, considérant que le trouble manifestement illicite n’était pas établi, et a condamné les demandeurs à payer 6 000 € à l’association.

PRESENTATION DU LITIGE

La S.A.S. PPO, active dans le secteur des travaux du bâtiment, a été déclarée coupable de pratiques commerciales trompeuses par le tribunal correctionnel de Nantes. Cette condamnation, prononcée le 21 décembre 2023, a entraîné une amende de 20 000 € et la confiscation de 75 000 € de sommes saisies. En août 2024, l’association UFC QUE CHOISIR a publié un article sur sa condamnation, ce qui a conduit les dirigeants de PPO à porter plainte pour diffamation.

LES DEMANDES DES PLAIGNANTS

Les demandeurs, comprenant la S.A.S. PPO et ses dirigeants, ont assigné l’association UFC QUE CHOISIR et son président en référé, arguant que plusieurs passages de l’article étaient diffamatoires. Ils ont demandé le retrait de l’article, une indemnisation de 3 000 € pour frais de justice, ainsi que la cessation des propos jugés attentatoires à leur honneur.

LES ARGUMENTS DES DEFENDEURS

L’association UFC QUE CHOISIR et son président ont contesté les accusations de diffamation, soutenant qu’ils avaient agi de bonne foi et que leurs propos étaient fondés sur des faits avérés. Ils ont également notifié une offre de preuve de la vérité des faits, affirmant que les allégations étaient justifiées par des plaintes de consommateurs.

ANALYSE DES PROPOS DIFFAMATOIRES

Le juge a examiné les propos incriminés pour déterminer leur caractère diffamatoire. Plusieurs phrases ont été jugées comme portant atteinte à l’honneur des demandeurs, insinuant des comportements répréhensibles et des pratiques commerciales douteuses. Ces propos ont été considérés comme diffamatoires au sens de la loi du 29 juillet 1881.

OFFRE DE PREUVE ET BONNE FOI

L’offre de preuve de la vérité des faits présentée par les défendeurs a été jugée irrégulière et insuffisante. De plus, le juge a conclu que les conditions de la bonne foi étaient réunies, car l’association avait un but légitime d’informer le public sur des pratiques commerciales potentiellement nuisibles.

DECISION DU JUGE

Le juge des référés a débouté les demandeurs de toutes leurs demandes, considérant que le trouble manifestement illicite n’était pas établi. Les demandeurs ont été condamnés à payer 6 000 € à l’association UFC QUE CHOISIR pour les frais de justice, ainsi qu’aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications juridiques de la diffamation selon la loi du 29 juillet 1881 ?

La diffamation est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui stipule que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »

Cette définition implique que pour qu’une déclaration soit considérée comme diffamatoire, elle doit :

1. Imputer un fait à une personne ou un groupe.
2. Porter atteinte à l’honneur ou à la considération de cette personne ou groupe.

Il est important de noter que la diffamation peut être constituée même si les faits allégués ne sont pas prouvés, tant qu’ils sont susceptibles de nuire à la réputation de la personne visée.

En outre, l’article 32 de la même loi précise que « la bonne foi de l’auteur de la publication peut être opposée à la demande en diffamation, à condition qu’il prouve qu’il a agi dans un but légitime et qu’il a fait preuve de prudence dans l’expression. »

Ainsi, la loi prévoit des exceptions à la responsabilité pour diffamation, notamment lorsque l’auteur peut prouver qu’il a agi de bonne foi.

Comment la bonne foi peut-elle être invoquée en défense dans une affaire de diffamation ?

La bonne foi est un moyen de défense prévu par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881. Cet article stipule que « la bonne foi de l’auteur de la publication peut être opposée à la demande en diffamation, à condition qu’il prouve qu’il a agi dans un but légitime et qu’il a fait preuve de prudence dans l’expression. »

Pour établir la bonne foi, l’auteur doit démontrer :

1. **Un but légitime** : L’auteur doit prouver que la publication visait à informer le public sur un sujet d’intérêt général, comme la protection des consommateurs.

2. **Une enquête préalable sérieuse** : L’auteur doit avoir effectué des recherches suffisantes pour s’assurer de la véracité des faits rapportés. Cela inclut la collecte de témoignages et de documents pertinents.

3. **Absence d’animosité personnelle** : L’auteur ne doit pas avoir agi par malice ou pour nuire à la réputation de la personne visée.

4. **Prudence dans l’expression** : L’auteur doit avoir utilisé un langage mesuré et éviter les exagérations ou les insinuations qui pourraient être considérées comme diffamatoires.

En l’espèce, l’association UFC QUE CHOISIR a pu démontrer qu’elle agissait dans un but légitime, en tant qu’association de consommateurs, et qu’elle avait mené une enquête préalable sérieuse avant de publier l’article incriminé.

Quels sont les critères pour établir un trouble manifestement illicite dans le cadre d’une action en référé ?

Le trouble manifestement illicite est un concept juridique qui permet au juge des référés d’intervenir rapidement pour faire cesser une atteinte à un droit. Selon l’article 835 du code de procédure civile, le juge peut prendre toutes mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Pour établir un trouble manifestement illicite, il faut démontrer :

1. **L’existence d’un trouble** : Il doit y avoir une atteinte à un droit, comme la diffamation, qui cause un préjudice à la personne concernée.

2. **Le caractère manifestement illicite** : Le trouble doit être évident et sans contestation possible. Cela signifie que les faits allégués doivent être clairement diffamatoires et ne pas relever d’une interprétation.

3. **L’urgence de la situation** : Le demandeur doit prouver qu’il est nécessaire d’agir rapidement pour éviter un préjudice irréparable.

Dans le cas présent, la S.A.S. PPO et ses dirigeants ont tenté de prouver que les propos tenus dans l’article étaient diffamatoires et constituaient un trouble manifestement illicite. Cependant, le juge a conclu que les défendeurs avaient agi de bonne foi et que les conditions du trouble manifestement illicite n’étaient pas réunies.

Quelles sont les conséquences d’une décision de rejet d’une demande en référé pour diffamation ?

Lorsqu’une demande en référé pour diffamation est rejetée, plusieurs conséquences peuvent en découler, tant pour le demandeur que pour le défendeur.

1. **Condamnation aux dépens** : Selon l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est généralement condamnée aux dépens. Dans ce cas, la S.A.S. PPO et ses dirigeants ont été condamnés à payer les frais d’instance à l’association UFC QUE CHOISIR.

2. **Indemnité pour frais d’instance** : En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, le juge peut accorder une indemnité à la partie qui a gagné le procès pour couvrir ses frais d’avocat et autres dépenses liées à la procédure. Ici, l’indemnité a été fixée à 6 000 €.

3. **Impact sur la réputation** : Le rejet de la demande peut également avoir un impact sur la réputation du demandeur, car cela peut être interprété comme une validation des propos tenus dans l’article incriminé.

4. **Possibilité d’appel** : Le demandeur peut envisager de faire appel de la décision, mais cela dépendra des circonstances et des éléments de preuve présentés lors de la première instance.

En somme, le rejet d’une demande en référé pour diffamation peut entraîner des conséquences financières et réputationnelles significatives pour le demandeur.

N° RG 24/01307 – N° Portalis DBYS-W-B7I-NN3V

Minute N° 2025/0001

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

du 02 Janvier 2025

—————————————–

S.A.S. PPO
[U] [P]
[X] [G]
[Z], [E], [F] [Y]

C/

Association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5]
[W] [O]

—————————————

copie exécutoire délivrée le 02/01/2025 à :

Me Alexis GUEDJ (PARIS)
copie certifiée conforme délivrée le 02/01/2025 à :

la SARL CARPENTIER PORTE NEUVE AVOCATS – 253
Me Fanny DE BECO – 311
Me Alexis GUEDJ (PARIS)
dossier

MINUTES DU GREFFE

DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE [Localité 5]

(Loire-Atlantique)

_________________________________________

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
_________________________________________

Président : Pierre GRAMAIZE

Greffier : Eléonore GUYON

DÉBATS à l’audience publique du 19 Décembre 2024

PRONONCÉ fixé au 02 Janvier 2025

Ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe

ENTRE :

S.A.S. PPO (RCS Nantes N°504097114),
dont le siège social est sis [Adresse 1]
[Localité 8]

Monsieur [U] [P],
demeurant [Adresse 4]
[Localité 5]

Monsieur [X] [G],
demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]

Monsieur [Z] [Y],
demeurant [Adresse 9]
[Localité 6]

Représentés par Maître Henri CARPENTIER de la SARL CARPENTIER PORTE NEUVE AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

DEMANDEURS

D’UNE PART

ET :

Association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5], prise en la personne de son président Monsieur [O] [W],
dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Localité 5]

Monsieur [W] [O], en qualité de directeur de la publication,
demeurant [Adresse 2]
[Localité 5]

Représentés par Maître Alexis GUEDJ, avocat au barreau de PARIS et Maître Fanny DE BECO, avocat au barreau de NANTES

DÉFENDEURS

D’AUTRE PART

PRESENTATION DU LITIGE

La S.A.S. PPO emploie 220 salariés et relève d’un groupe exerçant ses activités en France dans le secteur des travaux du bâtiment en direct ou via la franchise « Préservation du patrimoine », qui est présidé par M. [U] [P] et compte parmi ses associés notamment M. [Z] [Y] et M. [X] [G].

Par jugement du 21 décembre 2023, le tribunal correctionnel de NANTES a déclaré la S.A.S.U. PPO coupable de faits de pratique commerciale trompeuse du 1er juin 2012 au 28 février 2017 à [Localité 10], [Localité 12], [Localité 11], [Localité 16], [Localité 14], [Localité 18], [Localité 17], [Localité 5] et [Localité 19], de tromperie sur la nature, la qualité ou l’origine d’une prestation de service du 1er novembre 2015 au 28 février 2017 à [Localité 13], [Localité 15] et [Localité 14], a condamné la S.A.S.U. PPO au paiement d’une amende de 20 000,00 €, a ordonné à l’encontre de la S.A.S.U. PPO la confiscation de sommes saisies à hauteur de 75 000,00 €, a ordonné la restitution du surplus de sommes saisies et a statué sur les demandes de parties civiles.

Le 30 août 2024, le site internet www.[Localité 5].ufcquechoisir.fr édité par l’association UFC QUE CHOISIR [Localité 5] ayant pour président, directeur de publication M. [W] [O], a publié un article se rapportant à cette condamnation intitulé : « On a gagné en justice : Préservation du patrimoine et de l’habitat français (PPHF) condamné très tard et bien peu ».

Se plaignant du caractère diffamatoire de propos tenus dans cet article, la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] ont fait assigner en référé d’heure à heure sur autorisation donnée le 25 novembre 2024 sur requête du même jour l’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] et M. [W] [O] par actes de commissaire de justice du 27 novembre 2024 dénoncé le 27 novembre 2024 à M. le procureur de la République afin de solliciter, au visa des articles 29 alinéa 1er, 32 alinéas 1 et 4 de la loi du 29 juillet 1881, 485 alinéa 2, 835 et 491 du code de procédure civile,
– qu’il soit constaté que constituent une atteinte et à la considération à leur encontre l’article du 30 août 2024 au titre des propos suivants :
(1)« A l’audience, [U] [P] représente légalement chacune des entreprises impliquées, mais il échappe aux poursuites, parce qu’il ne les dirige que depuis 2022. »,
(2)« [X] [G] et [Z] [Y] ont été également entendus, mais non poursuivis, puisqu’ils ne sont plus dirigeants des sociétés condamnées. »,
(3)« Les auteurs ont le temps de s’organiser pour échapper au pire. »,
(4)« Pourtant les mêmes méthodes persistent, les mêmes abus se poursuivent, mais le tribunal ne se prononce que sur des constatations enregistrées depuis plusieurs années. »,
(5) « [U] [P] peut dormir tranquillement, même si ses associés l’ont un peu poussé en avant pour écoper les conséquences de leurs propres agissements. »,
(6) « [X] [G] est également à l’abri : il a monté un système très profitable, dont il tire désormais les bénéfices principalement financiers, avec la vente de son modèle en franchise ; il peut continuer à diriger ses sociétés et perpétuer leurs pratiques. »,
(7) « De nouvelles victimes sont évidemment à craindre : personnes âgées ou vulnérables, repérées par des vendeurs sans scrupules. Ils vont même revenir les voir pour d’autres commandes : cela fait partie de la méthode : « accompagnement des clients jusqu’à 10 ans avant les travaux ». C’est un maximum : après ils sont ruinés, ou décédés. ».
– que soit ordonné le retrait de l’article incriminé pour mettre fin au trouble manifestement illicite ainsi constitué dans le délai de 48 heures de l’ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 € par heure de retard à compter de la 49ème heure,
– que les défendeurs soient condamnés in solidum au paiement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Au soutien de leurs prétentions auxquelles ils ajoutent subsidiairement à tout le moins la suppression des propos cités, la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] font notamment valoir que :
– un des franchisés les a alertés de la publication de l’article,
– aussitôt après avoir fait dresser un constat de commissaire de justice et avoir vainement réclamé le retrait amiable des propos du site, ils ont fait assigner en tenant compte du délai permettant l’exercice du droit de présenter une offre de vérité,
– la suppression des propos incriminés est sollicitée du juge des référés en attendant que le tribunal correctionnel puisse statuer en janvier, voire ultérieurement compte tenu du délai moyen de jugement de ces affaires,
– l’article leur impute la commission d’infractions pénales dans le cadre d’un véritable système de prédation des personnes âgées ou vulnérables,
– les propos tenus soutiennent que les dirigeants se sont organisés pour échapper aux poursuites,
– il est également prétendu que les clients sont poursuivis jusqu’à leur ruine ou leur mort et que les faits perdurent,
– tous ces faits précis sont attentatoires à leur honneur et leur considération, ce qui est constitutif de diffamation et cause donc un trouble manifestement illicite à faire cesser,
– l’offre de vérité ne saurait résulter de trois dossiers de personnes mécontentes établis en interne par l’association et de témoignages de M. [O] et sa salariée, sans enquête indépendante, pénale ou de la DGCCRF,
– la bonne foi ne peut être retenue dès lors que la liberté d’expression se limite à relater le résultat de l’audience correctionnelle à laquelle l’UFC QUE CHOISIR n’a d’ailleurs même pas participé.

L’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] et M. [W] [O] concluent à titre principal au débouté pour absence de trouble manifestement illicite, à titre subsidiaire à la disproportion de la mesure de suppression, en tout état de cause au rejet des demandes avec condamnation solidaire des demandeurs à payer à l’UFC QUE CHOISIR [Localité 5] une somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens, en répliquant que :
– ils ont notifié le 6 décembre 2024 une offre de preuve de la vérité de l’ensemble des faits poursuivis en application de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881,
– en présence d’une telle offre, dont l’examen ressortit du juge du fond, la prudence commande au juge de dire n’y avoir lieu à référé,
– la preuve de chacun des faits cités dans les extraits poursuivis est rapportée par le jugement du tribunal correctionnel du 21 décembre 2023 et spécialement pour les extraits n° 4, 6 et 7 par des dossiers de nouveaux clients (Mme [A] [S], Mme [H] [K], les époux [I]) victimes de double facturation de prestation, de malfaçons, de facturation de frais de mise en place du chantier se confondant avec les frais de pose, d’irrégularité dans la souscription d’un crédit, faits étayés par des documents et témoignages,
– les trois premiers propos poursuivis n’ont pas de contenu diffamatoire, dès lors qu’il s’agit d’informations neutres pour les deux premiers et du constat de la lenteur de la justice permettant aux prévenus d’échapper aux poursuites pour le troisième,
– l’exception de bonne foi doit leur bénéficier dans les conditions posées par la jurisprudence de la cour de cassation au regard des articles 10 et 11 de la convention européenne des droits de l’Homme garantissant la liberté d’expression,
– la publication a un but légitime au regard de son objet social d’information des consommateurs,
– la base factuelle est suffisante compte tenu de l’enquête qu’elle a effectué qui ne se limite pas à un commentaire de la décision de justice,
– il n’y a aucune animosité personnelle envers la société PPO et ses dirigeants qui ne faisaient pas partie du classement établi par l’UFC QUE CHOISIR des sociétés de rénovation à éviter par les consommateurs ni des autres articles épinglant l’ensemble des sociétés du secteur,
– le critère de la prudence dans l’expression s’apprécie moins strictement en fonction du respect des autres et le caractère affirmatif des éléments étayés par le jugement du tribunal correctionnel est atténué par le dernier paragraphe indiquant seulement que de nouvelles victimes sont à craindre,
– à titre subsidiaire, une suppression complète de l’article serait excessive alors qu’il ne figure pas en première page de son site internet, qu’il n’a pas été relayé par d’autres médias et qu’il est attaqué seulement trois jours avant l’acquisition de la prescription de trois mois de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
– les mesures demandées ne sont pas sérieuses, alors que les demandeurs ont attendu près de trois mois pour agir.

MOTIFS DE LA DECISION

Les pouvoirs attribués au juge des référés dans le cadre de l’alinéa 1er de l’article 835 du code de procédure civile lui permettent de prendre toutes mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il est ainsi possible d’intervenir lorsqu’un délit de presse est constitué pour faire cesser une publication illicite.

Il convient donc de rechercher si les propos incriminés par les demandeurs ont un caractère diffamatoire au sens des articles 29 alinéa 1er, 32 alinéas 1 et 4 de la loi du 29 juillet 1881 qu’ils invoquent, étant souligné que la diffusion publique des propos ne fait l’objet d’aucune discussion étant donné que l’article figure sur un site internet ouvert à une consultation mondiale.

Sur le caractère diffamatoire des propos tenus :

La première phrase de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »

Il convient d’examiner des différents propos cités afin de déterminer s’ils répondent à cette définition.

(1)« A l’audience, [U] [P] représente légalement chacune des entreprises impliquées, mais il échappe aux poursuites, parce qu’il ne les dirige que depuis 2022. »

Cette phrase comporte une première partie qui relate un fait ne souffrant d’aucune contestation possible, alors que la deuxième partie laisse supposer que M. [P] a eu des agissements répréhensibles et qu’il n’échappe aux poursuites que parce que ceux qu’il aurait commis serait postérieurs à la prévention dont était saisi le tribunal.

Insinuer qu’une personne aurait commis une infraction pénale est attentatoire à l’honneur et la considération qu’on lui porte, d’autant plus si elle réussit à y échapper par un manque de diligence des autorités publiques à poursuivre les faits ultérieurs à ceux jugés par le tribunal.

Cet extrait est donc bien diffamatoire à l’égard de M. [P].

(2)« [X] [G] et [Z] [Y] ont été également entendus, mais non poursuivis, puisqu’ils ne sont plus dirigeants des sociétés condamnées. »

Cette phrase comporte également une première partie qui décrit un fait établi : l’audition des intéressés, et une deuxième partie qui laisse supposer qu’ils auraient été inévitablement poursuivis et le cas échéant condamnés s’ils étaient encore dirigeants des sociétés condamnées.

Imputer à ces deux personnes des faits tombant sous le coup de la loi pénale est attentatoire à leur honneur et leur considération, surtout si comme M. [P], elles ont bénéficié d’un concours de circonstances pour échapper aux poursuites.

Cet extrait est donc diffamatoire à l’égard de MM. [X] [G] et [Z] [Y].

(3)« Les auteurs ont le temps de s’organiser pour échapper au pire. »

Cette phrase insinue clairement que les trois personnes visées précédemment et leurs sociétés ont mis en place une défense leur ayant permis de limiter au minimum les conséquences pénales de leurs agissements. Il leur est attribué un comportement malicieux et concerté pour échapper aux conséquences de leurs actes répréhensibles.

Cet extrait est donc diffamatoire à l’égard des MM. [P], [G], [Y].

(4)« Pourtant les mêmes méthodes persistent, les mêmes abus se poursuivent, mais le tribunal ne se prononce que sur des constatations enregistrées depuis plusieurs années. »

En soutenant que les mêmes méthodes persistent, l’auteur de l’article affirme que des faits pénalement répréhensibles continuent d’être commis après la période de prévention dont était saisi le tribunal, ce que la fin de la phrase vient confirmer.

Cette imputation de faits pénalement répréhensibles autres que ceux retenus par le tribunal est attentatoire à l’honneur et à la considération de la société PPO et de son dirigeant actuel M. [P], et donc diffamatoire à leur égard.

(5) « [U] [P] peut dormir tranquillement, même si ses associés l’ont un peu poussé en avant pour écoper les conséquences de leurs propres agissements. »

Cette phrase laisse d’une part supposer par l’expression « dormir tranquillement » que M. [P] est indifférent au sort des victimes des dommages causés par sa société et d’autre part que MM. [G] et [Y] ont agi en concertation avec lui pour échapper aux conséquences de leurs actes répréhensibles.

Il y a donc atteinte à l’honneur et la considération de ces trois personnes et les propos tenus sont donc diffamatoires.

(6) « [X] [G] est également à l’abri : il a monté un système très profitable, dont il tire désormais les bénéfices principalement financiers, avec la vente de son modèle en franchise ; il peut continuer à diriger ses sociétés et perpétuer leurs pratiques. »

Cette phrase impute à M. [G] non seulement un comportement répréhensible, mais souligne en outre son esprit de lucre et son caractère manipulateur pour tirer de l’argent d’activités illicites sans prendre aucun risque personnel.

Elle comporte une atteinte lourde à son honneur et sa considération constitutive d’une diffamation.

(7) « De nouvelles victimes sont évidemment à craindre : personnes âgées ou vulnérables, repérées par des vendeurs sans scrupules. Ils vont même revenir les voir pour d’autres commandes : cela fait partie de la méthode : « accompagnement des clients jusqu’à 10 ans avant les travaux ». C’est un maximum : après ils sont ruinés, ou décédés. »

Cette phrase vise sans les nommer les personnes déjà mises en cause précédemment et la société PPO dans la commission de nouveaux faits pénalement répréhensibles, malgré les poursuites engagées et avec un mépris pour la situation des victimes.

Les faits visés sont attentatoires à l’honneur et la considération des demandeurs et constitutifs de diffamation.

Il en résulte que les extraits cités par les demandeurs comportent tous un caractère diffamatoire.

Pour que le trouble manifestement illicite soit constitué, il est nécessaire de vérifier que les moyens de défense invoqués par les défendeurs ne sont pas de nature à les faire échapper à une condamnation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 à commencer par l’offre de rapporter la preuve de la vérité des faits.

Sur l’offre de preuve de la vérité des faits :

Les défendeurs offrent de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires.

Ils justifient avoir signifié leur offre conformément à l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 le 6 décembre 2024 à la société PPO, M. [P], M. [G] et M. [Y] au domicile élu par eux, mais ne produisent pas la signification au ministère public de cette offre, de sorte qu’elle est irrégulière.

Au surplus, la nature des preuves produites ne permet pas de convaincre de la vérité des faits allégués alors que :
– le jugement du tribunal correctionnel ne saurait être interprété ou utilisé dans ses motivations pour apporter la preuve de faits pour lesquels il n’est pas entré en voie de condamnation,
– les attestations de M. [O] lui-même et d’une employée de l’association ne peuvent être retenues comme probantes, en l’absence de tout caractère objectif,
– les trois dossiers et courriers de plaignants, non vérifiés par des enquêteurs ou une administration, ne peuvent être retenus comme apportant la preuve des faits répréhensibles allégués.

L’offre de preuve sera donc écartée comme non pertinente.

Il convient donc d’examiner l’autre moyen de défense invoqué par les défendeurs, à savoir la bonne foi.

Sur la bonne foi :

Afin de ménager un équilibre entre la liberté d’expression, qui constitue l’un des piliers de la démocratie, et la protection due à l’honneur et la considération due aux personnes physiques et morales, il est admis que des propos considérés comme diffamatoires ne soient pas poursuivables, si l’auteur a agi de bonne foi, c’est à dire qu’il n’a eu aucune intention délictuelle et qu’il poursuivait exclusivement un intérêt légitime.

A juste titre, les défendeurs rappellent que les conditions de cette bonne foi reposent sur la démonstration d’un but légitime, de l’existence d’une enquête préalable sérieuse, de l’absence d’animosité personnelle et d’une prudence dans l’expression.

La recherche d’un but légitime :

L’UFC QUE CHOISIR [Localité 5] fait partie d’une fédération d’associations de consommateurs dont la notoriété, les actions collectives et l’ancienneté sont tellement évidentes, qu’elle n’a pas pris la peine de les détailler.

Rappelons néanmoins à titre d’exemple que l’UFC QUE CHOISIR édite notamment un site internet et une revue contenant des enquêtes comparatives et des informations sur les droits des consommateurs, qu’elle assiste ou représente des consommateurs victimes de pratiques commerciales illicites, qu’elle est un partenaire reconnu par les pouvoirs publics.

Les infractions poursuivies devant le tribunal correctionnel dont il est fait état dans l’article incriminé relèvent toutes de son objet social qui est la défense des consommateurs et les faits dénoncés au-delà des condamnations prononcées par le tribunal concernent exclusivement des agissements susceptibles de constituer des infractions en lien avec des pratiques commerciales attentatoires aux intérêts des consommateurs.

Le but légitime est donc incontestable.

L’enquête préalable sérieuse :

L’UFC QUE CHOISIR [Localité 5] ne s’est pas contentée de faire un commentaire de la décision du tribunal correctionnel mais en a fait une analyse de la motivation, ce qui démontre qu’elle en a obtenu une copie et ne s’est pas limitée au dispositif lu à l’audience.

L’interprétation des motifs retenus par le tribunal n’est pas réservée aux exégètes du droit, étant souligné que l’association compte des salariés habilités à donner des consultations juridiques, et qu’elle n’est pas sortie de son objet social en tentant d’éclairer sur les tenants et les aboutissants de la décision du tribunal.

De plus, l’association justifie avoir recueilli des plaintes et réuni des dossiers de consommateurs qui se prétendent victimes d’agissements déloyaux des personnes visées dans l’article et à tout le moins de la société PPO et du groupe, dont les trois personnes physiques sont actionnaires.

Il est également établi par ces dossiers que l’association a effectué des diligences depuis plusieurs années pour assister des consommateurs plaignants auprès des sociétés franchisées du groupe.

Plusieurs sources d’information indépendantes ont donc été recoupées avant la rédaction de l’article incriminé, ce qui atteste d’une enquête sérieuse et préalable.

L’absence d’animosité personnelle :

Non seulement l’assignation ne fait allusion à aucun élément permettant de considérer que la publication a été motivée par d’autres considérations que le but de défendre les consommateurs supposés lésés par les personnes visées par l’article, mais aucune autre publication de l’UFC QUE CHOISIR [Localité 5] ni aucune campagne n’a été invoquée à leur encontre.

D’ailleurs, aucun argument n’a été allégué en réponse à l’exception de bonne foi pour soutenir l’existence d’une animosité personnelle.

Il est constant que la société PPO agit dans un secteur de la rénovation énergétique où les autorités publiques et les associations de consommateurs sont particulièrement vigilantes pour que les subventions ne soient pas détournées par des professionnels peu scrupuleux.

La société PPO n’est donc certainement pas la seule à avoir été l’objet d’enquêtes et de dénonciations de ses pratiques.

A ce sujet, la copie d’un article de 2020, légèrement postérieur à la date des faits jugés par le tribunal correctionnel, opère un classement de 15 sociétés à l’origine des plus grands nombres de litige, parmi lesquelles ne figure pas la société PPO ni le groupe auquel elle appartient.

Il n’y a donc aucune animosité personnelle à l’origine des propos tenus dans l’article.

La prudence dans l’expression :

La prudence dans l’expression est un critère largement soumis à l’interprétation des juges en fonction du contexte.

Il est ainsi par exemple admis en France que les humoristes jouissent de la plus grande liberté, au prix malheureusement pour certains d’entre eux de leur vie, mais avec le moins possible d’entrave judiciaire.

Pour le reste, l’intérêt public du débat engagé par l’article peut justifier bien souvent une dose d’exagération ou d’ironie dans les propos tenus.

En l’espèce, l’article publié poursuit un but dont l’intérêt public est à souligner, compte tenu des dangers des pratiques commerciales douteuses dans le secteur de la rénovation énergétique, qui a attiré un nombre important d’acteurs, dont certains ont réussi à se faire remettre des subventions publiques avec de faux clients, d’autres ont promis des travaux qui n’ont jamais été réalisés ou qui ont été bâclés, ou qui multiplient des démarchages téléphoniques ou mailing non sollicités.

Face aux comportements des acteurs déloyaux, les associations de consommateur ont un rôle primordial pour appeler à la vigilance des consommateurs et notamment des plus influençables.

La rédaction de l’article permet de constater une gradation progressive du niveau de langage dans l’exagération avec l’emploi d’expressions ironiques à partir de l’extrait n° 5 (« peut dormir tranquillement »), au n° 6 (« est également à l’abri (…) système très profitable »), pour culminer dans sa conclusion de l’extrait n° 7 par l’expression “C’est un maximum : après ils sont ruinés, ou décédés. », dont il est difficilement contestable qu’il relève de l’exagération à l’extrême, puisqu’il n’est pas donné d’exemples de clients de la société PPO qui soient ruinés ou décédés en lien avec ses pratiques commerciales.

Cependant, il est clair que par les outrances exprimées dans l’article, son auteur a cherché à interpeller les victimes les plus vulnérables et souvent ciblées par les acteurs malveillants du secteur, notamment les personnes âgées, plus susceptibles d’avoir de faibles ressources, donc menacées de ruine, et plus proches de la fin de la vie.

Cet artifice littéraire permet en effet plus facilement au lecteur relevant de cette catégorie de la population de s’identifier aux victimes et de suivre les conseils prodigués.

En effet, au-delà de ce qui est exprimé contre les demandeurs, transparaît un message plus général évident dans ce dernier extrait, c’est que la vigilance est particulièrement de mise lorsque des commerciaux insistent et surtout s’ils reviennent après l’exécution des travaux pour vendre de nouvelles prestations.

Au total, il apparaît donc que les conditions de la bonne foi sont largement susceptibles d’être réunies, de sorte que le trouble manifestement illicite n’est pas établi et qu’il convient en conséquence de rejeter la demande principale de retrait total de l’article, comme la demande subsidiaire de suppression des seuls propos cités formulée à l’audience.

Sur les frais :

Etant la partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, les demandeurs seront condamnés aux dépens.

Il est équitable de fixer à 6 000 € l’indemnité pour frais d’instance non compris dans les dépens qu’ils devront payer en application de l’article 700 du code de procédure civile notamment au vu de la facture de frais d’avocat produite par les défendeurs.

DECISION

Par ces motifs, Nous, juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Déboutons la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] de l’ensemble de leurs demandes,

Condamnons in solidum la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] à payer à l’association UFCAN UFC QUE CHOISIR [Localité 5] une somme de 6 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons in solidum la S.A.S. PPO, M. [U] [P], M. [X] [G] et M. [Z] [Y] aux dépens.

Le Greffier, Le Président,

Eléonore GUYON Pierre GRAMAIZE


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