25 avril 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
21/03974
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 25 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/03974 – N° Portalis DBVK-V-B7F-PBRL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 15 JUIN 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NARBONNE
N° RG 212100660
APPELANTE :
S.A.R.L. L ET L BRASSERIE, immatriculée au RCS de NARBONNE sous le n°497.760.074, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités au dit siège,
Résidence [4]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Philippe SENMARTIN, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Christophe GRAU, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
INTIMEE :
S.A. AXA FRANCE IARD prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me David CUSINATO, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 07 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère faisant fonction de président en remplacement de Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre régulièrement empêché, et par Mme Audrey VALERO, Greffière.
FAITS, PROCEDURE – PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
La SARL L et L Brasserie a pour activité l’exploitation d’un fonds de commerce de restauration et vente à emporter, sous l’enseigne la Goélette, situé [Adresse 5] (11).
Elle a souscrit auprès de la SA Axa France Iard (la société Axa) un contrat d’assurance multirisque professionnelle n°6451871504 à effet au 13 juin 2019, tacitement renouvelable.
Le contrat comprend des conditions générales n°690200Q aux termes desquelles sont garanties les conséquences financières de l’arrêt de l’activité professionnelle déclarée par l’assuré au titre, notamment, des pertes d’exploitation (article 2.1), et des conditions particulières, qui prévoient au titre de la garantie « protection financière et de la perte d’exploitation suite à fermeture administrative » une extension de la garantie aux « pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
‘1. la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l’assuré,
2. la décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.
Durée et limite de la garantie
La garantie intervient pendant la période d’indemnisation, c’est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l’établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.
Le montant de la garantie est limité à 300 fois l’indice.
L’assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés. »
Cette clause contractuelle précise que : « sont exclues les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. »
Aux termes de deux arrêtés pris les 14 et 15 mars 2020 par le ministre des solidarités et de la santé, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons (sauf activités de livraison et vente à emporter ‘), ont fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public pour lutter contre la propagation dudit virus, entraînant selon les cas une fermeture totale ou partielle des établissements concernés.
Par un décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, publié au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons, ont, à nouveau, fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public.
Par lettre en date du 17 septembre 2020, la société Axa France Iard a adressé à la société L et L Brasserie une proposition d’avenant au contrat devant prendre effet à la date anniversaire du 1er janvier 2021, par laquelle, notamment, la couverture de la perte d’exploitation à la suite d’une fermeture administrative est limitée aux événements liés à un décès accidentel, un suicide, un meurtre ou une intoxication alimentaire.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 22 octobre 2020, la société Axa France Iard a notifié à la société L et L Brasserie la résiliation du contrat à défaut pour elle d’avoir accepté les nouvelles conditions à compter du 1er janvier 2021.
Par lettre recommandée avec avis de réception signé le 20 novembre 2020, la société L et L Brasserie a adressé une mise en demeure à la société Axa France Iard, sollicitant l’indemnisation des pertes subies entre le 15 mars et le 1er juin 2020 et entre le 1er et le 30 novembre 2020, restée sans réponse.
Saisi par acte d’huissier en date du 24 mars 2021, délivré par la société L et L Brasserie sur autorisation d’assigner à bref délai, le tribunal de commerce de Narbonne a, par jugement du 15 juin 2021 :
« – (‘) Vu les articles 1103, 1170, 1171,1188, 1190, 1192, 1193 et 1194 du Code Civil, Vu les articles L113-1, L 121-1 et L113-5 du Code des Assurances,
– Dit que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion qui est applicable en l’espèce,
– En conséquence, débouté la société L et L Brasserie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Dit que cette clause d’exclusion ne prive pas l’obligation essentielle de la compagnie Axa France IARD de sa substance et qu’elle ne vide pas l’extension de garantie de sa substance,
– Dit que cette clause d’exclusion répond au caractère formel et limité de l’article L113-1 du Code des assurances,
– Constaté l’exécution provisoire de droit,
– Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamné la société L et L Brasserie aux entiers dépens de l’instance. »
Par déclaration reçue le 21 juin 2021, la société L et L Brasserie a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021, de :
«- (‘) vu les articles L113-1 et L113-5 du code des assurances, vu les articles 1103, 1104, 1110, 1170, 1171, 1188, 1190, 1193 et 1194 du code civil, (…)
– Réformer en sa totalité le jugement (‘),
– Statuant à nouveau, recevoir l’intégralité de ses moyens et prétentions ;
– Juger la clause d’exclusion de la garantie des pertes d’exploitation contenue dans le contrat d’assurance multirisque professionnelle souscrit (‘) concernant le cas d’une épidémie entraînant la fermeture administrative de l’établissement assuré, non limitée, non formelle et vidant de sa substance la garantie des pertes d’exploitation,
– Juger que la société Axa France IARD a reconnu le caractère ambigu de la clause d’exclusion de la garantie des pertes d’exploitation pour fermeture administrative liée à une épidémie en proposant un avenant au contrat ;
– En conséquence, juger comme réputée non écrite la clause d’exclusion de la garantie des pertes d’exploitation pour fermeture administrative en cas d’épidémie contenue dans le contrat d’assurance multirisque professionnelle souscrit (‘) ;
– Condamner la société Axa France Iard au paiement d’une indemnité de 310425 euros pour les deux sinistres intervenus entre le 16 mars 2020 et le 19 mai 2021, conformément aux dispositions du contrat d’assurance multirisque professionnelle, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du jugement à intervenir pour une période de 90 jours,
– A titre subsidiaire, avant dire droit :
– Condamner la société Axa France Iard au paiement d’une provision de 150000 euros à valoir sur l’indemnisation à venir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du jugement à intervenir pour une période de 90 jours,
– Désigner tel expert qu’il plaira à la Cour avec pour mission de :
– déterminer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant les périodes d’indemnisation.
– évaluer le montant des frais supplémentaires d’exploitation pendant la période d’indemnisation,
– évaluer l’évolution de l’activité depuis les trois dernières années afin d’établir le coefficient de variation d’activité nécessaire à la détermination de l’indemnité due par l’assureur,
– se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à sa mission,
– entendre tout sachant qu’il estimera utile,
– s’il l’estime nécessaire se rendre sur place, mener de façon strictement contradictoire ses opérations d’expertise en particulier, en faisant connaître aux parties oralement ou par écrit l’état de ses avis et opinions, à chaque étape de sa mission, puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties ayant une date ultime qu’il fixera avant le dépôt du rapport,
– Condamner la société Axa Iard France à prendre en charge les frais d’expertise,
– En toute hypothèse, condamner la société Axa IARD France au paiement de 10 000 euros de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice financier et moral qu’à fait naître la résistance abusive de lasociété Axa Iard;
– Condamner la société Axa France IARD à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens. »
Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :
– les conditions d’application de la clause de garantie pour pertes d’exploitation sont réunies,
– une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée comme l’impose l’article L. 113-1 du code des assurances dès lors qu’elle doit être interprétée,
– l’expression « au moins un autre établissement, qu’elle que soit sa nature et son activité » est ambiguë, elle considère qu’il s’agissait d’aucun autre établissement lui appartenant alors que l’assureur considère qu’il s’agit de tout autre établissement appartenant ou pas à l’assuré,
– le sens du terme « épidémie » retenu par l’assureur en faisant référence à une définition sophistiquée démontre la nécessité d’interpréter la clause,
– cette interprétation nécessaire, qui a donné lieu à un important contentieux, montre l’ambiguïté de la clause,
– cette interprétation doit se faire en application des articles 1188 et 1190 du code civil, s’agissant d’un contrat d’adhésion,
– la proposition d’avenant est la preuve de l’ambiguïté de la clause,
– pour un restaurateur, le terme « épidémie » n’évoque pas une légionellose ou une salmonellose, qui sont des bactéries,
– la rédaction de la clause vide de sa substance la garantie en cas de survenance d’une épidémie, puisqu’une épidémie ne peut toucher spécifiquement qu’un seul établissement, les cas de légionellose sont quasiment inexistants dans un restaurant et l’assureur aurait dû viser les quelques cas pouvant donner lieu à une épidémie dans un seul et même établissement,
– la clause d’exclusion est donc non-écrite en application de l’article L. 113-1 du code des assurances et de l’article 1170 du code civil,
– la clause d’exclusion réduisant la garantie du risque épidémique à la seule hypothèse où seul l’établissement de l’assuré est fermé dans tout un département pour cause d’une même épidémie, il existe un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, qui justifie également le caractère non écrit de la clause d’exclusion,
– la durée de la garantie pour pertes d’exploitation est ambiguë, soit 18 mois (conditions générales), soit 24 mois (conditions particulières), soit 3 mois (clause garantie des pertes d’exploitation),
– elle justifie de deux sinistres à l’appui d’attestations de son expert-comptable tenant compte des chiffres d’affaires sur les périodes précédentes avec un taux de marge brute de 65 % et un taux moyen d’augmentation du chiffre d’affaires de 7,66%,
– l’assureur ne l’a jamais indemnisée, exécutant le contrat de mauvaise foi et lui causant un préjudice financier.
Formant appel incident, la société Axa sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 3 février 2023
«-Vu les articles 1103, I112-I et 1] 70 et 1240 du Code civil, les articles L. 112.2, L. 113-] et L. 12I-1 du Code des assurances, (…)
– A titre principal, juger :
– que 1’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exc1usion, qui est applicable en l’espèce ;
– que cette clause d’exclusion répond au caractère limité de 1’article L.1 13-1 du Code des assurances ;
– que cette clause d’exc1usion répond au caractère formel de l’artic1e L.113-1 du Code des assurances ;
– que cette clause d’exclusion est conforme au formalisme de 1’article L. 112-4 du Code des assurances ;
– que cette clause d’exclusion ne prive pas 1’ob1igation essentielle d’Axa France IARD de sa substance et qu’e11e ne vide pas l’extension de garantie de sa substance ;
– En conséquence, confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions;
– Débouter la société L et L Brasserie de sa demande de condamnation formulée à 1’encontre d’Axa France IARD visant à prendre en charge ses pertes d’exp1oitation au titre des fermetures imposées dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus du covid-19;
– Y ajoutant, juger qu’elle n’a commis aucune faute au titre d’une quelconque résistance abusive ;
– En conséquence, débouter la société L et L Brasserie de sa demande de condamnation (…) au titre de la résistance abusive ;
– A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estimait que sa garantie était mobilisable ou qu’elle aurait engagé sa responsabilité au titre d’une résistance abusive,
– juger que le montant des pertes d’exploitation correspondant à l’indemnité sollicitée ne correspond pas aux règles de calcul prévues dans 1e contrat d’assurance ;
– juger applicable la limite de garantie à 3 mois à compter de la date de réalisation du sinistre,
– En conséquence, débouter la société L et L Brasserie de sa demande de condamnation formulée à son encontre,
– désigner tel expert qu’il plaira au tribunal, aux frais avancés par l’appelante, avec pour mission de :
– se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission, notamment l’estimation effectuée par l’expert-comptable de l’appelante, accompagnée de ses bilans et comptes d’exploitation sur les trois dernières années ;
– entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à 1’issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
– examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur une période maximum de trois mois ;
– donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de 1’activité, de la marge brute (chiffre d’affaires ‘ charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées ;
– donner son avis sur le montant des aides/subventions d’État perçues par l’assurée ;
– donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l’évolution de l’activité et des facteurs extérieurs et intérieurs susceptibles d’être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la fermeture administrative en se fondant notamment sur les recettes encaissées les semaines ayant précédé le 15 mars 2020,
– En tout état de cause, condamner la société L et L Brasserie à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.»
Elle expose en substance que :
– la validité de la clause d’exclusion a donné lieu à des décisions contraires, la Cour de cassation a rendu le 1er décembre 2022 quatre arrêts validant cette dernière, considérant qu’elle est formelle et limitée,
– la clause d’exclusion ne contient aucun terme relevant d’un vocabulaire spécialisé de l’assurance,
– le caractère formel de la clause d’exclusion s’apprécie par rapport à la clarté des termes et non par rapport aux clauses définissant l’objet de la garantie ou les conditions de garantie,
– la formulation est claire, les termes « quelle que soit sa nature et son activité » permettent de comprendre l’étendue de l’exclusion,
– la clause d’exclusion est rédigée en termes très apparents,
– l’assurée, en sa qualité de professionnelle, connaissait les périls sanitaires liés à son exploitation, susceptibles de se traduire par une fermeture administrative individuelle, et notamment les toxico-infections alimentaires collectives comme les salmonelles et n’a pu se méprendre sur la portée de la clause d’exclusion,
– l’absence de définition du terme « épidémie » (qui est seulement employé dans les conditions de garantie) n’affecte pas la validité de la clause d’exclusion, car celui-ci est indifférent à sa compréhension, une épidémie ne constitue pas le critère d’application de la clause d’exclusion, les critères d’application étant le nombre (plus d’un établissement fermé administrativement), le lieu (appréciation à l’échelle d’un département) et la cause identique,
– les termes « cause identique » sont clairs et précis et il n’y a pas besoin de définir les causes de fermeture, dont l’épidémie, pour comprendre le sens de la clause d’exclusion,
– la proposition d’avenant ne remet pas en cause la clarté de la clause, elle n’est que le fruit d’une reconsidération des risques liés aux épidémies par l’ensemble des acteurs du marché de l’assurance et de la réassurance,
– le débat sur la définition du mot «épidémie» est sans pertinence sur l’appréciation du caractère formel de la clause d’exclusion, dès lors que le risque assuré est celui d’une fermeture administrative et non un risque épidémique et que la couverture de ce risque est clairement limitée à la nature isolée de cette fermeture administrative,
– le risque assuré est la fermeture administrative et non la survenance d’une épidémie,
– le caractère limité d’une clause d’exclusion doit s’apprécier non pas en considération de ce qu’elle exclut, mais de ce qu’elle garantit après sa mise en ‘uvre, il doit s’apprécier au regard des cinq événements susceptibles d’entraîner une fermeture administrative et, au demeurant, une épidémie, telles que celles causées par une toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) peut donner lieu à la fermeture d’un seul établissement,
– le risque de fermeture individuelle d’un établissement pour cause d’épidémie est une réalité (légionellose, salmonellose, listériose, fièvre typhoïde, grippe aviaire) de sorte que la clause d’exclusion limitant la couverture d’assurance ne vide pas la garantie de sa substance,
– les autorités compétentes ont le pouvoir d’adapter les mesures aux risques encourus,
– la preuve des conditions d’application de l’exclusion pèse sur l’assureur, elle est rapportée eu égard aux mesures gouvernementales, la preuve de la validité de la clause d’exclusion pèse sur l’assuré,
– la commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l’exploitation d’un restaurant exposé aux risques biologiques (41 % de TIAC en restauration commerciale) et non de couvrir le risque d »une fermeture généralisée (risque totalement imprévisible),
– les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture collective de nombreux établissements, constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d’une garantie individuelle de droit privé,
– les notions de maladie contagieuse, intoxication et épidémie peuvent se recouper ou être dissociées dans un sens de garantie plus large pour l’assuré,
– elle n’a fait que se défendre sans abus de droit,
– le calcul de l’indemnisation ne prend pas en compte les facteurs externes (baisse générale de l’activité économique) et les facteurs internes (travaux pour rénovation), ni des économies réalisées (pas de salaires versés) et aides perçues,
– la période d’indemnisation est bien limitée à 3 mois maximum pour l’extension de la garantie pertes d’exploitation en présence d’une fermeture administrative,
– la mission confiée à l’expert ne tient pas compte des méthodes de calcul définies par le contrat pour le chiffrage des pertes d’exploitation.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 7 février 2023.
Par conclusions déposées et notifiées le 8 février 2023, la société L et L Brasserie sollicite que les dernières conclusions et pièces signifiées le 3 février 2023 par la société Axa soient écartées des débats pour violation du principe de la contradiction en ce qu’il a lui été matériellement impossible de prendre connaissance de ces nouvelles conclusions de 64 pages et des 60 nouvelles pièces communiquées le 3 février 2023 à 18 h 21, ne lui laissant qu’un jour pour répondre.
Par conclusions déposées et notifiées le 8 février 2023, la société Axa France Iard sollicite le rejet de l’incident de rejet de ses dernières conclusions et pièces communiquées le 3 février précédent et que celles-ci soient jugées recevables et admises aux débats, ces dernières écritures ne contenant aucun moyen nouveau, s’agissant simplement de tenir compter des arrêts rendus par la Cour de cassation en décembre 2022 et les 18 nouvelles pièces communiquées, correspondant à des jurisprudences rendues en décembre 2022 et janvier 2023.
MOTIFS de la DÉCISION :
1- sur les conclusions et pièces communiquées le 3 février 2023
Selon les articles 15 et 16 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense et le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
En application des articles 802 et 803 du même code, après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, à l’exception des conclusions par lesquelles une partie demande la révocation de l’ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou production tardives, sauf survenance d’une cause grave.
Si les dernières conclusions de la société Axa ont été déposées et notifiées le vendredi 3 février 2023 à 18 heures 21 alors que l’ordonnance de clôture est intervenue le mardi 7 février suivant laissant un jour ouvrable à l’appelante pour en prendre connaissance et, le cas échéant, y répondre, elles ne contiennent aucune demande, ni moyen nouveaux (contenant 60 pages alors que les précédentes en contenaient 69) tandis que les pièces produites (18 et non 60) concernent toutes, hormis un rapport de Santé publique France daté de mars 2021 relatif à la surveillance des TIAC, des décisions de justice rendues courant décembre 2022 et janvier 2023, de sorte que la demande tendant à ce qu’elles soient écartées des débats sera rejetée.
2- sur la validité de la clause d’exclusion
Le contrat d’assurance couvre le risque de pertes d’exploitation de l’activité déclarée et, dans le cadre d’une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré, décidée par une autorité administrative en cas notamment d’une épidémie, sauf en cas de fermetures administratives collectives.
Les conditions de la garantie des pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire du fonds de commerce de la société L et L Brasserie sont, en l’espèce, réunies.
Concernant l’exclusion d’une garantie, il convient de rappeler que l’article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. (…)
Une clause d’exclusion de garantie n’est pas formelle et limitée lorsqu’elle doit être interprétée.
Une clause d’exclusion est formelle, lorsqu’elle est claire et précise.
De même, une clause d’exclusion n’est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil, issues de l’ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016.
La société L et L Brasserie reproche à son assureur de ne pas avoir défini le terme ‘épidémie’ et de l’utiliser dans un sens restrictif, contraire à sa définition, afin d’exclure un tel risque, qu’il présente au terme de l’extension de garantie, comme étant couvert.
En l’espèce, la clause contenant l’extension de garantie comme celle contenant l’exclusion ne comprennent pas de termes ou expressions relevant d’un vocabulaire spécialisé.
Les termes « quelle que soit [la] nature et [l’] activité » (des autres établissements, susceptibles d’être également fermés administrativement), qui sont généraux, ne font pas obstacle au caractère clair et précis de la clause, en ce qu’ils désignent un ensemble défini sans exception, c’est-à-dire tout autre établissement au sens de la totalité de ceux-ci, permettant à l’assuré de connaître l’étendue exacte de la garantie.
De même, les termes « cause identique » concernant la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements ne sont pas imprécis en ce qu’ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré.
L’exclusion est, ainsi, sans ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives pour la même origine ou le même fondement.
Le terme «épidémie» n’est pas défini dans le contrat d’assurance sans que cette absence de définition suffise à démontrer un caractère imprécis ou une utilisation dudit terme dans un sens contraire à celui communément accepté. À ce propos, les parties se rapprochent pour retenir une définition large de ce terme comme étant la propagation rapide d’une maladie, plutôt d’origine infectieuse, à un grand nombre de sujets en même temps dans une zone géographique ou une population données, étant constaté que la définition scientifique recouvre, peu ou prou, la même définition.
Le recours à la définition du terme « épidémie » , figurant dans la clause d’exclusion (par renvoi à la clause d’extension de garantie) ne contredit pas le caractère clair et précis que doit recouvrer une telle clause en ce que, en l’espèce, définir le terme « épidémie » permet d’expliciter son sens et, au demeurant, aux parties de s’accorder sur celui-ci sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d’exclusion afin de pallier un prétendu caractère inintelligible.
La clause d’exclusion ne suscite pas de doute sur sa compréhension et n’est pas sujette à interprétation.
L’appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à annuler les effets de celle-ci, doit se faire au regard du risque couvert. Le caractère limité d’une clause d’exclusion s’apprécie non pas en considération de ce qu’elle exclut, mais en considération de ce qu’elle garantit après sa mise en ‘uvre. En l’espèce, l’exclusion tenant à une mesure de fermeture administrative collective, conséquence d’une épidémie, ne fait pas obstacle à la garantie des pertes d’exploitation subies par l’activité assurée, lorsque la décision de fermeture administrative découle des autres causes contractuellement prévues.
Le contrat d’assurance ne couvre pas le risque de la survenance d’une épidémie, mais celui d’une fermeture administrative découlant, notamment, d’une épidémie. Une telle fermeture relève d’une décision de l’autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut varier.
De même, il appartient à l’assureur de démontrer qu’un autre établissement situé dans le même département fait l’objet d’une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui n’exclut pas, de ce fait, toute possibilité de mobiliser la garantie.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l’identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l’exclusion de garantie ne devrait pas pouvoir être appliquée, la garantie demeurant.
Concernant les motifs tels que l’intoxication, la maladie contagieuse et l’épidémie, la distinction existante est favorable à l’assuré, puisqu’une maladie non contagieuse, telle que la légionellose (qui n’est pas, non plus, une intoxication), peut donner lieu à une épidémie et à l’inverse, une maladie contagieuse, telles que la gastro-entérite ou la méningite, n’entraîne pas, forcément, du fait de mesures adaptées, une épidémie. Pareillement, une intoxication n’est pas nécessairement virale (intoxication au monoxyde de carbone) et épidémique.
L’assureur démontre à l’appui d’une documentation circonstanciée, que la fermeture d’un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avéré. Il est d’ailleurs établi qu’un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (au nombre desquelles figure la salmonellose), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d’hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d’entraîner une fermeture administrative.
L’épidémie de covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu’un cas d’épidémie et qu’un motif de fermeture administrative parmi d’autres, pour lequel ladite fermeture, qui était collective, n’était pas couverte par la garantie souscrite.
Seule l’absence d’aléa, et non son caractère rare, prive le contrat d’assurance d’objet ou de cause.
La proposition d’un avenant à l’assuré par courrier en date du 17 septembre 2020 par la société Axa, qui exclut de la garantie toutes les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l’analyse du contrat litigieux, si ce n’est qu’elle atteste que ce dernier n’avait pas été envisagé par les parties au regard d’une épidémie telle que celle de la covid-19.
Il en résulte que l’exclusion de garantie, relevant d’une fermeture administrative, découlant d’une épidémie, lorsque celle-ci n’est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve, ne vide pas de sa substance la garantie, étendue, des pertes d’exploitation souscrite, et partant, n’a pas pour objet ou effet de créer un déséquilire significatif entre les parties ; elle est parfaitement valable.
En conséquence, la demande de la société L et L Brasserie tendant à voir déclarer non-écrite la clause d’exclusion relative aux pertes d’exploitation, figurant dans le contrat d’assurance multirisque professionnelle n°6451871504, sera rejetée ainsi que les demandes d’indemnisation subséquentes, y compris pour résistance abusive.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
3 – sur les autres demandes
La société L et L Brasserie, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel et au vu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 1 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Rejette la demande tendant à faire écarter des débats les conclusions et pièces communiquées par la SA Axa France Iard le 3 février 2023,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Narbonne en date du 15 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne la SARL L et L Brasserie à payer à la SA Axa France Iard la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la SARL L et Brasserie fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL L et L Brasserie aux dépens d’appel.
le greffier, La conseillère faisant fonction de président,
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