Délai excessif et responsabilité de l’État dans le fonctionnement de la justice

·

·

Délai excessif et responsabilité de l’État dans le fonctionnement de la justice

L’Essentiel : Monsieur [L] [J] a été placé en redressement judiciaire le 2 avril 1993, en raison de difficultés financières, avant que la procédure ne soit convertie en liquidation judiciaire le 11 juin 1993. Après avoir dénoncé le délai excessif de cette procédure, il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui a reconnu une violation de ses droits, entraînant une indemnisation de 13.500€. En 2019, sa demande de clôture de la liquidation a été rejetée, et malgré un appel, la cour a confirmé le jugement. En 2022, il a assigné l’agent judiciaire de l’État pour préjudices, mais ses demandes ont été rejetées.

Ouverture de la procédure de redressement judiciaire

En raison de difficultés financières, Monsieur [L] [J] a été placé en redressement judiciaire par le tribunal de grande instance de Sens le 2 avril 1993. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 11 juin 1993. Pendant cette période, Monsieur [J] a perdu ses deux parents, et l’ouverture de la succession a eu lieu le 5 octobre 2005, alors que la liquidation judiciaire était toujours en cours.

Recours devant la Cour européenne des droits de l’homme

Monsieur [J] a dénoncé le délai déraisonnable de la procédure collective et a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 3 mars 2015, la CEDH a reconnu la violation des articles 6§1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme par le gouvernement français, ce qui a conduit à une indemnisation de 13.500€ pour Monsieur [J] en réparation de la durée excessive de la procédure.

Demande de clôture de la liquidation judiciaire

Le 3 juillet 2019, Monsieur [J] a demandé la clôture de la liquidation judiciaire, mais cette demande a été rejetée par le tribunal de Sens le 25 novembre 2019 pour insuffisance d’actif. Monsieur [J] a interjeté appel, et la cour d’appel de Paris a rouvert les débats, mais a finalement confirmé le jugement de première instance le 30 mars 2021, en soulignant que les difficultés de réalisation des actifs résiduels étaient dues aux délais de règlement des successions de ses parents.

Clôture des opérations successorales

Les opérations successorales des parents de Monsieur [J] ont été clôturées le 14 novembre 2022. Par la suite, le tribunal judiciaire de Sens a nommé un nouveau liquidateur judiciaire le 22 janvier 2024, mais celui-ci a refusé sa mission, entraînant la nomination d’un autre liquidateur le 18 mars 2024.

Assignation de l’agent judiciaire de l’État

Monsieur [L] [J] a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris le 2 juin 2022, invoquant des préjudices liés à la durée excessive de la procédure collective. Le 23 octobre 2023, le juge de la mise en état a rejeté certaines de ses demandes, tout en déclarant recevables d’autres.

Demandes de dommages et intérêts

Dans ses conclusions du 7 août 2024, Monsieur [L] [J] a demandé la condamnation de l’agent judiciaire de l’État à lui verser des dommages et intérêts pour un total de 293.951,73€, ainsi qu’une indemnisation pour préjudice moral et des frais de procédure. Il a soutenu avoir été privé de ses droits patrimoniaux pendant 31 ans et a dénoncé des vides procéduraux.

Réponse de l’agent judiciaire de l’État

L’agent judiciaire de l’État a demandé le rejet des demandes de Monsieur [L] [J], arguant que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée pour des fautes alléguées du liquidateur judiciaire. Il a également souligné que la durée de la procédure ne constituait pas en soi un déni de justice.

Position du Ministère public

Le Ministère public a également conclu au rejet des demandes de Monsieur [L] [J], précisant que celui-ci ne démontrait pas de carence particulière du juge commissaire et que ses griefs semblaient constituer une critique des décisions juridictionnelles rendues.

Décision du tribunal

Le tribunal a statué sur le déni de justice, précisant que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée que par une faute lourde ou un déni de justice. Il a constaté que les délais de la procédure collective étaient justifiés par les difficultés rencontrées dans le règlement de la succession. En conséquence, Monsieur [L] [J] a été débouté de ses demandes et condamné aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour obtenir un délai pour quitter les lieux selon l’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution ?

L’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution stipule que « le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation ».

Cela signifie que le juge a la possibilité d’accorder des délais pour quitter les lieux si l’occupant peut démontrer que son relogement ne peut pas se faire dans des conditions normales.

Il est important de noter que l’occupant n’a pas besoin de prouver un titre d’occupation pour bénéficier de ce délai.

Cependant, le juge doit évaluer la situation de l’occupant et les circonstances entourant son relogement, ce qui implique une analyse des efforts réalisés par l’occupant pour trouver un nouveau logement.

Comment le juge détermine-t-il la durée des délais accordés selon l’article L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution ?

L’article L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution précise que : « La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement.

Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés ».

Ainsi, le juge doit prendre en considération plusieurs facteurs, y compris la situation personnelle de l’occupant et les efforts qu’il a déployés pour se reloger.

La durée des délais doit être proportionnelle aux circonstances de chaque cas.

Quels sont les principes à respecter lors de l’octroi de délais pour quitter les lieux ?

Le juge doit respecter plusieurs principes lors de l’octroi de délais pour quitter les lieux.

Il doit établir un équilibre entre le droit de propriété du bailleur et le droit à un logement décent de l’occupant.

Cela implique de prendre en compte le caractère absolu du droit de propriété, ainsi que le principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine.

Le juge doit également tenir compte du droit à la vie privée et familiale, ainsi que du domicile.

Cette analyse doit se faire dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, afin de garantir que les droits de chaque partie sont respectés.

Quelles sont les conséquences de la décision du juge concernant les demandes de Madame [P] ?

Dans cette affaire, le juge a décidé de débouter Madame [P] de ses demandes de délai pour quitter les lieux.

Il a constaté que, bien qu’elle ait justifié de certaines recherches pour se reloger, elle n’a pas démontré l’impossibilité de se reloger à des conditions normales.

En effet, les logements qu’elle a envisagés nécessitaient des loyers égaux ou supérieurs à son loyer actuel, ce qui ne correspondait pas à sa situation financière.

De plus, le juge a noté qu’aucune demande de logement social n’avait été produite, alors que cela aurait été une solution plus appropriée compte tenu de ses revenus limités.

Ainsi, Madame [P] n’a pas réussi à prouver qu’elle ne pouvait pas quitter les lieux dans des conditions normales, ce qui a conduit à la décision de rejet de ses demandes.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile stipule que « le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Dans cette affaire, les époux [E] ont demandé la condamnation de Madame [P] à leur verser une somme de 2.500 euros sur le fondement de cet article.

Cependant, le juge a rejeté cette demande, considérant que l’équité ne commandait pas d’appliquer cet article dans ce cas précis.

Cela signifie que, bien que les époux [E] aient gagné leur affaire, le juge a estimé qu’il n’était pas justifié de leur accorder une indemnité pour couvrir leurs frais, ce qui peut être interprété comme une reconnaissance des circonstances difficiles de Madame [P].

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 22/06920 – N° Portalis 352J-W-B7G-CW6ZP

N° MINUTE :

Assignation du :
02 Juin 2022

JUGEMENT
rendu le 08 Janvier 2025
DEMANDEUR

Monsieur [L] [J]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Représenté par Me Sonia DIDAOUI, avocat postulant au barreau de HAUTS-DE-SEINE, [Adresse 7] et par Me Eglantine DUCONSEIL, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE, [Adresse 3]

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 6]
[Adresse 6]

Représenté par Me Sophie SCHWILDEN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire #PB139

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur
Décision du 08 Janvier 2025
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/06920 – N° Portalis 352J-W-B7G-CW6ZP

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 13 Novembre 2024
tenue en audience publique
Monsieur Benoit CHAMOUARD a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

A la suite de difficultés financières, le tribunal de grande instance de Sens a prononcé le redressement judiciaire de Monsieur [L] [J], par jugement du 2 avril 1993.

Par jugement du 11 juin 1993, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire.

Parallèlement à cette procédure de liquidation judiciaire, Monsieur [J] a perdu successivement ses deux parents.

L’ouverture de la succession est intervenue le 5 octobre 2005, soit en cours de procédure de liquidation judiciaire, de sorte que tous les biens concernés par la succession ont eu vocation à entrer dans ladite procédure.

Dénonçant le délai déraisonnable de la procédure collective, Monsieur [J] a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Par décision du 3 mars 2015, la CEDH a pris acte de la déclaration du gouvernement français reconnaissant la violation des articles 6§1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et rayé la requête du rôle, sans emporter de conséquences sur la liquidation judiciaire. En application de cette décision, Monsieur [J] a perçu la somme de 13.500€, en réparation de la durée excessive de la procédure, écoulée entre le 2 avril 1993 et le 3 mars 2015.

Par requête du 3 juillet 2019, Monsieur [J] a sollicité la clôture de la procédure de liquidation judiciaire auprès du tribunal de grande instance de Sens.

Par jugement du 25 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Sens a rejeté sa demande de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et ordonné l’emploi des dépens en frais de liquidation judiciaire.

Le 17 mai 2020, Monsieur [J] a interjeté appel du jugement, puis par arrêt du 10 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a ordonné une réouverture des débats, s’agissant des conditions de clôture de la liquidation judiciaire.

Par arrêt du 30 mars 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance et rejeté la demande de Monsieur [J], considérant notamment que la difficulté de réalisation des actifs résiduels tenait au délai de règlement des successions des parents de Monsieur [J] intervenues entre 2017 et 2020.

Le 14 novembre 2022, les opérations successorales des parents de Monsieur [J] ont été clôturées.

Par ordonnance du 22 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Sens a nommé un nouveau liquidateur judiciaire.

Ce dernier ayant refusé sa mission, le tribunal judiciaire de Sens a, par ordonnance du 18 mars 2024, nommé un autre liquidateur judiciaire.

C’est dans ce contexte que, par acte du 2 juin 2022, Monsieur [L] [J] a fait assigner l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Par ordonnance du 23 octobre 2023, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose transigée soulevée par l’agent judiciaire de l’Etat ; déclaré irrecevables les demandes formées par Monsieur [L] [J] tendant à l’indemnisation des préjudices résultant de la durée excessive de la procédure collective engagée à son endroit entre le 2 avril 1993 au 3 mars 2015 ; et déclaré recevable le surplus des demandes.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 7 août 2024, Monsieur [L] [J] sollicite du tribunal la condamnation de l’agent judiciaire de l’État à lui payer :
– la somme de 293.951,73€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, composé comme suit :
– 146.047,29€ au titre de la perte d’actif successoral ;
– 42.500,00 € au titre de la vente du hangar ;
– 99.289,60€ au titre des créances de salaire différé et droits à la retraite;
– 6.114,84€ au titre des frais de procédure engagés ;
– la somme de 43.200,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
– la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Il explique être privé de ses droits patrimoniaux depuis le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du 11 juin 1993, soit durant 31 ans. Il rappelle que l’écoulement du temps a eu pour conséquence la prise en compte des décès successifs de son père et de sa mère, justifiant ainsi la poursuite des opérations de liquidation du fait d’actifs résiduels pouvant être pris en compte. Il soutient n’avoir eu de cesse de relancer les différentes juridictions ainsi que le liquidateur judiciaire aux fins d’obtenir la clôture la procédure, laquelle a été refusée.

Monsieur [J] soutient qu’entre 1993 et l’ouverture de la succession en 2005, un délai déraisonnable de 15 ans s’était écoulé, alors même que l’affaire ne présentait aucune complexité. Il affirme que le tribunal de Sens pouvait par ailleurs passer outre l’inaction du liquidateur judiciaire en se saisissant d’office aux fins de clôture, conformément à l’article L 643-9 du code de commerce, ce qu’il n’a jamais fait en 31 ans de procédure.

Sur son comportement, il expose avoir transmis tous les documents qui ont pu lui être demandés ; avoir toujours été diligent et respectueux des délais qui lui étaient impartis par les différentes juridictions ; avoir toujours collaboré avec les organes de la procédure collective malgré l’absence de réponses de ces derniers ; avoir, enfin, toujours été de bonne foi contrairement aux dires du liquidateur et de l’agent judiciaire de l’Etat.

En réponse à l’agent judiciaire de l’Etat, il explique fournir toutes les pièces de la procédure mises à sa disposition, soutenant que l’ancien liquidateur judiciaire ne l’informait jamais de l’avancée de celle-ci de sorte qu’il ne dispose pas de l’entièreté de son dossier.

Il rappelle que le déni de justice qu’il dénonce ne concerne pas les magistrats du tribunal de grande instance de Sens, mais le juge commissaire en charge de la procédure collective ainsi que le procureur de la république, lesquels étaient capables d’ordonner la clôture de la liquidation judiciaire mais sont pourtant restés inactifs.

Il liste, aux termes de ses conclusions, plusieurs périodes de vide procédural durant lesquelles aucune diligence n’a été effectuée.

Au titre de ses préjudices financiers, il explique :
– sur la perte d’actif successoral : que la procédure de liquidation judiciaire aurait dû se terminer bien avant le décès de son père et de sa mère, la succession ayant été ouverte en 2005 soit plus de 15 ans plus tard ; que le liquidateur a agi au détriment de ses intérêts en appréhendant ses patrimoines successoraux et que les autorités judiciaires, en refusant toute clôture, ont participé au déni de justice invoqué ;
-sur la perte de son hangar : que le notaire a, à tort, intégré dans la succession un hangar appartenant à la SARL ULM, et dont il est le co-gérant ; que le juge commissaire n’a pas procédé à sa mission de surveillance de la mission du liquidateur judiciaire, de sorte que celui-ci a été vendu aux enchères le 13 mai 2024, à un moindre prix ;
-sur les créances de salaire différé sur la succession de ses parents et droits à la retraite : qu’il a travaillé sur l’exploitation familiale avec ses parents de 1965 à 1975 sans percevoir de rémunération ; qu’il était donc en droit de percevoir un salaire différé conformément à l’article L 321-13 du code rural ; qu’étant dessaisi de ses droits, il ne pouvait intenter une action au caractère patrimonial qui appartenait au liquidateur le représentant ; qu’en cas d’inaction de celui-ci, il revenait au tribunal de grande instance de Sens de valider cette créance de salaires pour que celle-ci soit prise en considération dans le partage de la succession ; que par ailleurs il n’a pu bénéficier d’aucun point retraite en raison de sa qualité d’aide familial, n’ayant pas cotisé, et que si cette dernière qualité lui avait été judiciairement reconnu, il aurait pu demander le rachat des années antérieures à sa majorité ;
-enfin, sur les frais de procédure engagés : qu’afin d’obtenir la clôture de la procédure, il a dû agir quatre fois en justice, entraînant d’importants honoraires.

Au titre de son préjudice moral, il affirme avoir été victime d’une mort civile pendant 31 ans du fait de la durée excessive de la procédure, ne pouvant ni profiter de ses biens, ni intenter aucune action pour se défendre, ce qui constitue une atteinte à sa dignité. Monsieur [J] explique avoir subi une pression et un stress importants durant toutes ces années, en raison de l’incertitude entourant la procédure, l’absence de réponse des organes de la procédure, du notaire, du président du tribunal de Sens, en sus du conflit avec ses frères et sœurs, et du décès de ses parents. Il verse par ailleurs un certificat médical attestant de son état d’anxiété.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 2 octobre 2024, l’Agent judiciaire de l’Etat demande au tribunal de :
-débouter purement et simplement Monsieur [L] [J] de l’intégralité de ses demandes ;
-statuer ce que de droit sur la charge des dépens.

Il rappelle que, conformément à l’ordonnance du juge de la mise en état rendue le 23 octobre 2023, seule la période s’écoulant à compter du 3 mars 2015 sera analysée, Monsieur [J] ayant été indemnisé devant la Cour européenne des droits de l’homme pour la période comprise entre le 2 avril 1993 et le 3 mars 2015.

Sur les dysfonctionnements allégués du service public de la justice il expose, à titre liminaire, que tout acte ou absence d’acte relevant d’un mandataire judiciaire n’engage que sa responsabilité propre, et que l’Etat ne saurait être tenu responsable des fautes alléguées du liquidateur judiciaire.

Sur la durée de la procédure, l’agent judiciaire de l’Etat explique qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l’existence du déni de justice allégué et que ce dernier ne peut tenter de renverser la charge de la preuve en lui demandant de produire des éléments de la procédure, dont il ne dispose pas. Il soutient qu’en l’espèce, le demandeur procède par affirmation sans apporter de preuve à l’appui de ses allégations ; qu’il ne fournit qu’une infime partie de la procédure ne permettant pas d’apprécier l’étendue des diligences effectuées ; qu’en tout état de cause la mission de réalisation des actifs prend de multiples facettes et explique qu’une procédure collective puisse s’étaler sur plusieurs années, voire plusieurs décennies. L’agent judiciaire rappelle que la durée d’une procédure ne peut constituer en soi la preuve d’un déni de justice, lequel s’apprécie notamment au regard :
– de la nature et du degré de complexité de l’affaire : qu’en l’espèce, la procédure litigieuse est une procédure collective, par nature complexe, imbriquée dans une procédure successorale conflictuelle ; que d’ailleurs la nature du projet d’acte de partage de la succession a conduit au recueil, dans la succession des époux [J], d’un actif non négligeable, permettant de désintéresser une partie substantielle des créanciers dans le cadre de la liquidation judiciaire ; que par ailleurs le changement de liquidateur judiciaire a nécessairement impacté la durée de la procédure ;
– des mesures prises par les autorités compétentes : qu’en l’espèce il apparaît que chaque fois qu’un tribunal ou une cour a été saisi d’une demande, une décision parfaitement motivée a été rendue dans un délai raisonnable ; que s’agissant de la procédure de partage de la succession des parents de Monsieur [J], le juge commissaire et la présidente de la juridiction ont suivi de près les opérations de liquidation partage;
-du comportement des parties, et notamment du demandeur : que Monsieur [J] critique les décisions de refus de clôture de la procédure, alors qu’il est de jurisprudence constante que l’inaptitude du service public de la justice ne peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué, et qu’en l’espèce Monsieur [J] n’a pas formé de pourvoi contre l’arrêt par ailleurs parfaitement motivé, de la cour d’appel de Paris du 30 mars 2021.

A titre subsidiaire, sur l’absence de préjudice matériel imputable à un déni de justice, l’agent judiciaire de l’Etat explique :
– s’agissant de l’intégration de l’héritage de Monsieur [J] dans l’actif de la liquidation judiciaire : qu’il s’agit là d’un mécanisme de la procédure mise en place par le législateur ; que dans le jugement du 25 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Sens indiquait que  » M. [L] [J] ne contest[ait] pas que son patrimoine sera[it], après liquidation de la succession à laquelle il concour[ai]t, susceptible de désintéresser tout ou partie des créanciers  » ; que ce dernier ne produit en tout état de cause aucune pièce concernant la situation financière, l’état de la procédure collective et l’intégration effective de cette somme à l’actif de la liquidation judiciaire ; qu’enfin cette demande indemnitaire est sans lien avec le dysfonctionnement allégué et surtout, ne peut qu’être dirigée contre le notaire, lequel engage sa responsabilité personnelle ;
-s’agissant de l’intégration de la valeur d’un hangar appartenant à la SARL ULM Sens dans l’actif de la liquidation judiciaire : qu’en sa qualité de gérant de cette société, il revenait au demandeur d’engager une action en justice s’il considérait que ce bien appartenait bien à ladite société ; que par ailleurs il peut toujours contester l’ordonnance du juge commissaire autorisant la vente aux enchères publiques alléguée dudit bien;
-s’agissant de la prise en compte des créances de salaire différé non intégrées lors du partage de la succession et les incidences sur sa retraite : que cette demande est sans lien avec un déni de justice et est dirigée contre le liquidateur, de sorte que la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée de ce fait ; qu’il en est de même pour les incidences sur sa retraite ;
– s’agissant des frais de procédure : que cette demande est sans lien avec le dysfonctionnement allégué.

Sur l’absence de préjudice moral, l’agent judiciaire de l’Etat expose qu’il appartient au demandeur de prouver son existence, et qu’en l’espèce celui-ci ne verse aucune pièce à l’appui de son affirmation, rappelant que les autorités judiciaires ne sont pas responsables de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à son encontre.

Par avis du 28 juin 2024, le Ministère public près le tribunal judiciaire de Paris conclut au rejet des demandes.

Il explique d’une part, s’agissant de la responsabilité du mandataire judiciaire, que le demandeur ne fait pas la démonstration d’une particulière carence du juge commissaire dans la surveillance des opérations de liquidation ou d’une période d’inaction, critiquant principalement le fait qu’aucune clôture de la liquidation judiciaire ne soit intervenue.

Il soutient d’autre part, s’agissant de l’absence de décision de clôture, que le demandeur ne saurait utiliser la présente action en responsabilité de l’Etat pour remettre en question les décisions juridictionnelles rendues, exposant que les griefs allégués semblent être une critique dissimulée desdites décisions.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 14 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur le déni de justice

Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Un déni de justice correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.

Il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux stipulations de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.

Il convient de rappeler que le juge de la mise en état a retenu que  » L’indemnisation retenue par la CEDH, sur proposition du gouvernement français, a entièrement réparé le préjudice résultant pour Monsieur [J] de la durée excessive de la procédure collective intentée à son endroit entre son ouverture en 1993 et la décision de la CEDH « . Ne sont donc recevables et ne seront donc examinés que les délais postérieurs au 3 mars 2015, date de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il ressort des pièces produites que Monsieur [J] a sollicité à de nombreuses reprises la clôture de la procédure de liquidation judiciaire le concernant, puisqu’il est justifié de demandes en date des 7 février 2012, 9 juillet 2015, 21 mars 2016, 27 novembre 2018 et 3 juillet 2019. Le tribunal de grande instance de Sens, puis la cour d’appel de Paris ont rejeté sa demande de clôture.

La clôture de la liquidation judiciaire est encadrée par l’article L643-9 du code de commerce. Sa version applicable à compter du 1er juillet 2014 et à la procédure collective concernant le demandeur dispose que  » dans le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, le tribunal fixe le délai au terme duquel la clôture de la procédure devra être examinée. Si la clôture ne peut être prononcée au terme de ce délai, le tribunal peut proroger le terme par une décision motivée.
Lorsqu’il n’existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, ou lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l’insuffisance de l’actif, ou encore lorsque l’intérêt de cette poursuite est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée par le tribunal, le débiteur entendu ou dûment appelé.
Le tribunal peut également prononcer la clôture de la procédure en désignant un mandataire ayant pour mission de poursuivre les instances en cours et de répartir, le cas échéant, les sommes perçues à l’issue de celles-ci lorsque cette clôture n’apparaît pas pouvoir être prononcée pour extinction du passif.
Le tribunal est saisi à tout moment par le liquidateur, le débiteur ou le ministère public. Il peut se saisir d’office. A l’expiration d’un délai de deux ans à compter du jugement de liquidation judiciaire, tout créancier peut également saisir le tribunal aux fins de clôture de la procédure.  »

Dans son arrêt du 30 mars 2021, la cour d’appel de Paris a constaté que  » la réalisation des actifs résiduels tient ainsi uniquement au délai de règlement des successions des parents de M. [J] « .

Elle précise qu’entre 2017 et 2019, le règlement de la succession a été ralenti par :
– les démarches infructueuses pour localiser l’unique héritière d’un des frères du demandeur ;
– l’introduction, par l’UDAF, d’une demande de renforcement de la mesure de protection concernant un frère du demandeur ;
– le décès d’un autre frère du demandeur le [Date décès 5] 2020.
La cour d’appel écarte enfin toute disproportion entre l’intérêt des poursuites et la difficulté de réalisation des actifs.

Il n’appartient pas au tribunal, saisi sur le fondement de l’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire, de remettre en cause l’appréciation de la cour d’appel concernant la proportionnalité, l’action en responsabilité de l’Etat ne pouvant avoir pour objet d’opérer un contrôle sur des décisions juridictionnelles.

Par ailleurs, il ressort des pièces produites que les parents du demandeur sont décédés le [Date décès 1] 2000 et le [Date décès 4] 2008. L’ouverture des opérations de compte, intégrant la succession de la mère de Monsieur [J], a été prononcée par jugement du 22 mai 2009 du tribunal de grande instance de Sens. L’acte de partage a été signé le 14 novembre 2022.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il est établi que les délais de la procédure collective entre la décision de la CEDH le 3 mars 2015 et l’acte de partage s’expliquent par les difficultés rencontrées par la procédure de règlement de la succession. Monsieur [J] ne critiquant pas le déroulement de cette dernière procédure, il n’établit pas de déni de justice concernant la procédure collective sur cette période.

Monsieur [J] reproche par ailleurs une absence de diligence dans la procédure collective depuis le 23 mai 2022.
Comme indiqué ci-dessus, le règlement de la succession a empêché la clôture de la procédure collective jusqu’au partage le 14 novembre 2022.
L’Agent judiciaire de l’Etat produit par ailleurs une requête afin de vente de gré à gré d’un actif immobilier du demandeur le 30 mai 2023, autorisée le 17 juillet 2023 par le juge commissaire.
Il convient de rappeler que les diligences incombent essentiellement au liquidateur, dont l’inaction éventuelle est en premier lieu de nature à engager sa propre responsabilité civile. S’il appartient au juge commissaire de veiller au déroulement rapide de la procédure, en application de l’article L 621-9 du code de commerce, aucun déni de justice n’est caractérisé entre le 14 novembre 2022 et le 14 octobre 2024, date de la clôture dans la présente instance, au regard de l’ordonnance intervenue et en l’absence de saisine par le demandeur du tribunal ou du juge commissaire.

Monsieur [J] sera débouté de ses demandes.

2. Sur les autres demandes

Monsieur [J], partie perdante, sera condamné aux dépens.

L’exécution provisoire de ce jugement est de droit, en application de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant par jugement contradictoire et susceptible d’appel, rendu par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE Monsieur [L] [J] de ses demandes,

CONDAMNE Monsieur [L] [J] aux dépens,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de ce jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 08 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon