En sa qualité de chef cuisinier, propriétaire de plusieurs restaurants, pâtisseries ou chocolaterie dans Paris, homme de télévision, auteur de livres de recettes, Cyril Lignac est une personne publique.
Toutefois, l’annonce de son mariage en couverture d’un magazine People, accompagnée d’une photographie du couple qu’il forme avec sa compagne sur les 3/4 de la couverture, l’annonce de l’article dans les toutes premières pages du journal avec 2 autres photographies et des sous-titres en rose fluorescent et jaune, couleurs particulièrement voyantes, insistant sur le caractère exclusif des photographies de nature à attirer encore davantage la curiosité des lecteurs par la mention d’un ‘SCOOP’, est attentatoire à sa vie privée puisqu’il n’est nullement allégué d’une part que Cyril Lignac a lui même fait auparavant l’annonce de cette relation amoureuse ou de son mariage qui ne concernent que sa vie privée, d’autre part qu’il s’agirait d’un sujet d’actualité relevant d’un débat d’intérêt général (cette relation n’avait pas un caractère officiel).
Atteinte au droit à l’image
Quant aux photographies publiées à l’insu de l’intéressé, qui révèlent une proximité physique du couple et pour au moins deux d’entre elles, une tendresse partagée, totalement étrangères à l’activité de chef cuisinier/chef d’entreprise/auteur/homme de télévision de Cyril Lignac, la seule dont il fasse état publiquement au travers des interviews qu’il donne régulièrement à la presse, elles portent effectivement atteinte à son image.
Préjudice limité
Cependant, Cyril Lignac, qui prétend être particulièrement pudique sur sa vie intime, participe volontiers à de nombreux événements médiatiques en y faisant des déclarations (sur l’existence de ‘sa fiancée’, sur le fait qu’il ne peut vivre seul), donnant des informations qui l’exposent nécessairement à une certaine exploitation journalistique, habituellement mêlée d’extrapolations qui doivent nécessairement être relativisées car elles sont conformes à la ligne éditoriale des publications incriminées.
Dans ces conditions, les préjudices ont été suffisamment indemnisés par l’allocation à titre provisionnel des sommes de 2 000 euros en réparation de l’atteinte à la vie privée et de 500 euros en réparation de l’atteinte au droit à l’image.
Droit au respect de la vie privée
Pour rappel, il résulte des dispositions combinées des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et de son image, et qu’elle est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Elle dispose en outre sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa diffusion, sauf son autorisation.
L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit pour sa part l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ce droit essentiel de la personnalité et de cette liberté fondamentale conduit à limiter le droit à l’information du public, d’une part, aux éléments relevant pour les personnes publiques de la vie officielle, d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.
Par ailleurs, l’article 9 alinéa 2 du code civil permet au juge des référés sans préjudice de la réparation du dommage subi, d’ordonner des mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée en cas d’urgence.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
14e chambre
ARRET DU 28 JANVIER 2021
N° RG 20/02404 – N° Portalis DBV3-V-B7E-T3XV
AFFAIRE :
X, Z Y
C/
S.A.S. CMI PUBLISHING
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 27 Mai 2020 par le Président du TJ de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 20/00627
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Mélina PEDROLETTI,
Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT
TJ NANTERRE
LE VINGT HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur X Y
né le […] à […]
de nationalité Française
[…]
[…]
Représenté par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 24894
Assisté de Me Roland PEREZ de la SELARL GOZLAN-PEREZ & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
S.A.S. CMI PUBLISHING prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 324 286 319
[…]
[…]
Représentée par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 – N° du dossier 20200156
Assistée de Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Décembre 2020, Madame Nicollette GUILLAUME, présidente ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Nicolette GUILLAUME, Président,
Madame B LE BRAS, Conseiller,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sophie CHERCHEVE
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. X Y est un chef cuisinier étoilé et dirige plusieurs restaurants, pâtisseries et chocolateries situés à Paris. Il participe également à des émissions de télévision et est auteur de livres de recettes.
La SAS CMI Publishing, éditrice notamment de l’hebdomadaire ‘Public’, a publié un article annoncé en page de couverture du magazine avec une photographie de M. Lignac en compagnie d’une femme prénommée ‘Déborah’ sous le titre ‘ Cyril Lignac – Marié dans l’année !’ dans le numéro 860, daté du 2 janvier 2020.
Par acte d’huissier de justice délivré le 5 février 2020, M. Lignac a fait assigner en référé la société CMI Publishing aux fins d’obtenir principalement sa condamnation à lui verser, à titre de dommages et intérêts provisionnels, les sommes de 20 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à la vie privée et de 20 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image, ainsi que la publication d’un communiqué judiciaire sous astreinte.
Par ordonnance de référé contradictoire rendue le 27 mai 2020, le président du tribunal judiciaire de Nanterre a :
— condamné la société CMI Publishing à payer à M. Lignac une indemnité provisionnelle de 2 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte au droit à la vie privée par la publication du numéro 860 du magazine Public daté du 2 janvier 2020,
— condamné la société CMI Publishing à payer à M. Lignac une indemnité provisionnelle de 500 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte au droit à l’image par la publication du numéro 860 du magazine Public daté du 2 janvier 2020,
— rejeté le surplus des demandes,
— condamné la société CMI Publishing à payer à M. Lignac la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— débouté la société CMI Publishing de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— rappelé que la présente décision est exécutoire par provision,
— condamné la société CMI Publishing aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 4 juin 2020, M. Lignac a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition sauf en ce qu’elle a débouté la société CMI Publishing de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 août 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. Lignac demande à la cour, au visa des articles 9 alinéas 1 et 2 du code civil, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 699 du code de procédure civile, de :
— juger que la société CMI Publishing, en sa qualité d’éditrice du magazine Public n°860 daté du 3 janvier 2020, a incontestablement porté atteinte à ses droits à l’image et à la vie privée, par la publication de quatre photographies volées le représentant, dont une en page de couverture, laquelle est reproduite deux fois, et d’un article annoncé en Une de couverture, en page de sommaire, et développé sur deux pleines pages intérieures ;
en conséquence,
— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a estimé que la société CMI Publishing, en sa qualité d’éditrice, a porté atteinte à ses droits à l’image et à la vie privée, par la publication du magazine Public n°860 daté du 3 janvier 2020 ;
— le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;
— infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société CMI Publishing, en sa qualité d’éditrice du magazine Public n°860 daté du 3 janvier 2020, à lui verser les sommes de 2 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à la vie privée et de 500 euros pour l’atteinte portée à son droit à l’image ;
— déclarer la société CMI Publishing mal fondée en son appel incident ;
— débouter la société CMI Publishing de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions soulevées à son encontre ;
et, statuant à nouveau,
— condamner la société CMI Publishing, en sa qualité d’éditrice de l’hebdomadaire Public n° 860, à lui verser une indemnité provisionnelle d’un montant de 15 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à la vie privée ;
— condamner la société CMI Publishing, en sa qualité d’éditrice de l’hebdomadaire Public n° 860, à lui verser une indemnité provisionnelle d’un montant de 15 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image ;
— condamner la société CMI Publishing à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais engagés en cause d’appel ;
— condamner la société CMI Publishing aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Maître Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 23 juillet 2020 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société CMI Publishing demande à la cour, au visa des articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de :
à titre principal,
— infirmer l’ordonnance de référé rendue le 27 mai 2020 en ce qu’elle l’a condamnée à verser à M. Lignac la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts provisionnels et celle de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
et statuant à nouveau,
— débouter M. Lignac de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
— ordonner à M. Lignac de lui restituer les sommes auxquelles elle a été condamnée par l’ordonnance rendue le 27 mai 2020 ;
à titre subsidiaire,
— dire que le préjudice subi par M. Lignac doit être évalué à un euro symbolique ;
— ordonner à M. Lignac de lui restituer les sommes ou la différence des sommes auxquelles elle a été condamnée par l’ordonnance rendue le 27 mai 2020, et celles que la cour voudra fixer définitivement ;
— débouter M. Lignac de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
à titre infiniment subsidiaire,
— confirmer l’ordonnance de référé rendue le 27 mai 2020 en ce qu’elle a estimé le préjudice de M. Lignac suffisamment réparé par l’allocation de la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts provisionnels ;
— débouter M. Lignac de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;
en tout état de cause,
— condamner M. Lignac à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 de code de procédure civile, ainsi qu’en tous frais et dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 novembre 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ‘constater que’ ou ‘juger que’ qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques.
M. Lignac sollicite l’infirmation de la décision critiquée sur les montants des dommages et intérêts qui lui ont été accordés pour les atteintes portées à ses droits à l’image et à la vie privée.
Il entend rappeler que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du code civil garantissent à tout personne, quelle que soit sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, une protection de la vie privée à laquelle est traditionnellement rattaché le droit à l’image.
Il insiste sur sa discrétion concernant ses relations sentimentales, sur son absence de complaisance vis-à-vis des média et sur la répétition depuis plusieurs années, des atteintes portées à ses droits qu’il s’emploie systématiquement à dénoncer, encore dans le cadre de la présente procédure, et particulièrement de la part de l’intimée. Il rappelle l’existence de condamnations précédentes pour violation de ses droits à l’image et à la vie privée.
Il indique que l’article annoncé dès la page de couverture sous le titre : « SCOOP » « Cyril Lignac Marié dans l’année ! » et le sous-titre : « A 42 ans, il a choisi : Déborah sera la femme de sa vie », est attentatoire à sa vie privée et à son image, comme la photographie captée à son insu qui y figure sur plus de la moitié de la page, et comme le sont encore l’annonce de l’article en page 3 sous le titre : «Cyril Lignac : Il va épouser Déborah », le contenu de l’article qui figure en page 9 et la même photographie de couverture et les deux autres qui l’accompagnent dans la partie supérieure de la page prises également sans son consentement dans un moment de détente et de loisirs.
Il prétend que le contenu de l’article est particulièrement intrusif, avec ses titres et sous-titres et qu’il constitue une immixtion dans sa sphère privée, les journalistes s’étant forcément adressés à ses proches pour se renseigner.
Il relève que la place et la présentation du sujet dans le magazine, l’importance de son lectorat y compris par le relai de l’article sur plusieurs sites internet, participent à l’aggravation des atteintes à ses droits et à son préjudice moral qui en résulte.
Il fait état de son sentiment de colère mêlé d’exaspération et d’impuissance face aux attaques répétées dont il fait l’objet, qui augmente ce préjudice.
Sur son préjudice moral, il estime qu’il est caractérisé du seul fait du constat des atteintes et qu’il ouvre donc droit à réparation, sans obligation de sa part de rapporter la preuve matérielle de la souffrance ou du désagrément ressentis. Il fait valoir qu’il est augmenté par la réitération des atteintes perpétrées par l’éditeur, récemment encore en mai 2020, l’importance du lectorat et la popularité du magazine en cause, la place consacrée au sujet et sa présentation, et la surveillance rapprochée dont il a fait l’objet au cours du week end.
La société CMI Publishing sollicite l’infirmation de l’ordonnance querellée qui l’a condamnée à payer des dommages et intérêts à M. Lignac pour atteinte à la vie privée et au droit à l’image.
Elle insiste sur les interventions fréquentes de M. Lignac dans les media ou sur les réseaux sociaux, essentiellement en rapport avec son activité professionnelle, mais aussi sa vie privée, ses goûts, en enfance, son parcours, sa famille.
Elle cite des publications sur sa vie sentimentale, soutenant que M. Lignac n’a d’ailleurs pas craint de se montrer publiquement avec ses compagnes successives, des photographies étant parues dans le magazine Closer daté du 31 janvier 2020 accompagné d’un article en pages 12 et suivantes.
Selon l’intimée, M. Lignac a déclaré dans une interview : « Moi, je suis comme les chevaux, je ne peux pas vivre seul » et dans son émission intitulée ‘Tous en cuisine’ diffusée le 6 mai 2020 devant 2,1 millions de spectateurs : « oui, j’ai une fiancée », en réponse à une question d’une téléspectatrice.
Quant au contenu de l’article que l’éditeur qualifie de particulièrement bienveillant et qui ne témoignerait selon lui d’aucune surveillance particulière, il entend faire valoir qu’il fait suite à un certain nombre d’autres parus depuis l’été 2019 qui avaient révélé sa relation sentimentale avec une jeune femme originaire de Saint-Tropez, étant acquis que l’appelant y avait un projet d’installation d’un nouvel établissement, et rappelle ses déclarations sur ses ‘envies de paternité’.
L’intimée estime disproportionnées ses demandes en dommages et intérêts, faute de préjudice avéré et alors qu’il ne dissimule pas cette relation en l’invoquant récemment dans une interview donnée au Journal du Dimanche.
Sur ce,
Il résulte des dispositions combinées des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et de son image, et qu’elle est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Elle dispose en outre sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa diffusion, sauf son autorisation.
L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit pour sa part l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ce droit essentiel de la personnalité et de cette liberté fondamentale conduit à limiter le droit à l’information du public, d’une part, aux éléments relevant pour les personnes publiques de la vie officielle, d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.
Par ailleurs, l’article 9 alinéa 2 du code civil permet au juge des référés sans préjudice de la réparation du dommage subi, d’ordonner des mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée en cas d’urgence.
En l’espèce l’appelant sollicite des dommages et intérêts et le juge des référés, par la combinaison de cet article et de l’article 835 alinéa 2, a le pouvoir de prendre toutes mesure propres à réparer le préjudice résultant des atteintes à la vie privée et au droit à l’image en lui allouant une provision.
En sa qualité de chef cuisinier, propriétaire de plusieurs restaurants, pâtisseries ou chocolaterie dans Paris, homme de télévision, auteur de livres de recettes, M. Lignac est une personne publique.
L’annonce de son mariage en couverture de magazine, accompagnée d’une photographie du couple qu’il forme avec sa compagne sur les 3/4 de la couverture, l’annonce de l’article dans les toutes premières pages du journal avec 2 autres photographies et des sous-titres en rose fluorescent et jaune, couleurs particulièrement voyantes, insistant sur le caractère exclusif des photographies de nature à attirer encore davantage la curiosité des lecteurs par la mention d’un ‘SCOOP’, est attentatoire à sa vie privée puisqu’il n’est nullement allégué d’une part que M. Lignac a lui même fait auparavant l’annonce de cette relation amoureuse ou de son mariage qui ne concernent que sa vie privée, d’autre part qu’il s’agirait d’un sujet d’actualité relevant d’un débat d’intérêt général.
Il ne résulte en effet pas de ses déclarations récentes notamment au Journal du Dimanche ou dans une émission de télévision le 6 mai 2020 rapportées ci-dessus, que cette relation a un caractère officiel et que ce projet de mariage est abouti.
Outre l’annonce de son prochain mariage, le contenu de l’article qui se concentre sur la vie privée de M. Lignac, évoquant « le parfait amour » qu’il filerait avec sa compagne depuis leur rencontre « coup de foudre de l’été dernier », les allers retours entre leurs deux domiciles « à tour de rôle », leurs occupations du week end, leurs projets d’enfant et de mariage, est une immixtion dans sa vie privée qui caractérise et aggrave l’atteinte portée à ses droits, même si au regard de la ligne éditoriale du magazine, il n’offre aucun effet de surprise.
En revanche, les caractères en italique ‘Cyril veut un enfant avec Deborah, confie l’un de ses proches. Quant à elle, déjà maman de trois enfants, elle se verrait bien avoir un petit quatrième… cela pourrait se faire très bientôt’, apparaissent trop vagues, les faits étant au surplus évoqués au conditionnel, pour qu’un lecteur suffisamment attentif puisse y voir le résultat d’investigations sérieuses dans l’entourage l’intéressé. Aucune transgression des droits de M. Lignac ne peut donc en résulter.
Quant aux photographies publiées à l’insu de l’intéressé, qui révèlent une proximité physique du couple et pour au moins deux d’entre elles, une tendresse partagée, totalement étrangères à l’activité de chef cuisinier/chef d’entreprise/auteur/homme de télévision de M. Lignac, la seule dont il fasse état publiquement au travers des interviews qu’il donne régulièrement à la presse, elles portent effectivement atteinte à son image.
Il découle de ces éléments que tant l’atteinte à la vie privée de M. Lignac que l’atteinte à son droit à l’image sont caractérisées, justifiant les demandes de mesures réparatoires.
En application des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.
Le montant de la provision qui peut être allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Si la seule constatation de l’atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, il appartient toutefois à l’appelant de justifier du dommage allégué.
L’importance du lectorat de cet hebdomadaire à fort tirage et le relai offert par internet, sont de nature à accroître les atteintes portées aux droits et les préjudices causés à M. Lignac, essentiellement sur l’annonce d’un mariage dont il n’a pas contrôlé la parution et qui lui a donc échappé.
La réitération des atteintes perpétrées par l’éditeur alourdit nécessairement son préjudice moral en ce qu’elle provoque sa colère et même son exaspération légitimes. En revanche, ces atteintes sanctionnées systématiquement par les poursuites engagées par l’intéressé et l’obtention de dommages et intérêts y compris devant cette cour, n’est pas compatible avec le sentiment d’impuissance face à la dépossession de ses droits décrit par l’appelant. En outre, M. Lignac, qui prétend être particulièrement pudique sur sa vie intime, participe volontiers à de nombreux événements médiatiques en y faisant des déclarations (sur l’existence de ‘sa fiancée’, sur le fait qu’il ne peut vivre seul), donnant des informations qui l’exposent nécessairement à une certaine exploitation journalistique, habituellement mêlée d’extrapolations qui doivent nécessairement être relativisées car elles sont conformes à la ligne éditoriale des publications incriminées.
Dans ces conditions, les préjudices seront suffisamment indemnisés par l’allocation à M. Lignac à titre provisionnel des sommes de 2 000 euros en réparation de l’atteinte à la vie privée et de 500 euros en réparation de l’atteinte au droit à l’image, l’ordonnance étant donc confirmée.
Sur les demandes accessoires
L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Chacune des parties perdantes pour partie en appel, elles garderont la charge de leurs frais irrépétibles et celle des dépens par elles engagés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l’ordonnance rendue le 27 mai 2020,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Rejette toute autre demande,
Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens d’appel par elle engagés, dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame CHERCHEVE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président