L’Essentiel : La société en sauvegarde a été placée sous protection le 23 décembre 2019. Deux créanciers, à savoir une société de composites et une société de factoring, ont déclaré des créances liées à la vente de marchandises sous réserve de propriété. Le plan de sauvegarde a été arrêté le 30 décembre 2020, mais les déclarations de créances ont été contestées. Le juge-commissaire a admis certaines créances, mais a rejeté la revendication d’une des sociétés. La société en sauvegarde et ses mandataires ont contesté cette décision, arguant d’une mauvaise interprétation des déclarations de créances par le juge. La Cour a confirmé l’obligation de ne pas dénaturer les écrits.
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Contexte de la procédureLa société Labbe a été placée sous sauvegarde le 23 décembre 2019. Dans ce cadre, deux sociétés créancières, à savoir la société Yffiplast composites et la société Factofrance, ont déclaré des créances liées à la vente de marchandises sous réserve de propriété, revendiquant ainsi la propriété de ces marchandises. Déclarations de créances et contestationsLe plan de sauvegarde de la société Labbe a été arrêté le 30 décembre 2020. Les déclarations de créances des sociétés Yffiplast composites et Factofrance ont été contestées, car elles concernaient les mêmes factures. Le juge-commissaire a admis certaines créances des deux sociétés par une ordonnance du 15 septembre 2021, mais a également rejeté la demande de revendication de la société Factofrance. Recours et contestations judiciairesLa société Labbe, ainsi que ses mandataires judiciaires, ont contesté la décision du juge-commissaire qui les condamnait à payer à la société Factofrance le prix des marchandises existant à la date du jugement d’ouverture, mais qui avaient été consommées ou revendues par la suite. La somme en question s’élevait à 90 748,33 euros. Arguments des partiesLes arguments avancés par la société Labbe et ses mandataires reposaient sur le fait que le juge ne devait pas dénaturer les écrits qui lui étaient soumis. Ils ont soutenu que le juge-commissaire avait mal interprété les déclarations de créances, notamment en ce qui concerne les accords d’affacturage entre les sociétés Yffiplast composites et Factofrance. Décision de la CourLa Cour a souligné l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer les écrits. Elle a constaté que le juge-commissaire avait admis la créance de la société Factofrance en considérant qu’elle avait pris en charge un encours de 100 000 euros, correspondant à certaines factures. Cependant, la Cour a noté qu’aucun justificatif n’avait été produit pour identifier les créances transférées, ce qui a conduit à une dénaturation des termes clairs et précis de l’ordonnance. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conséquences juridiques de la mise en sauvegarde d’une société sur les créances déclarées ?La mise en sauvegarde d’une société, comme dans le cas de la société Labbe, a des conséquences importantes sur les créances déclarées. Selon l’article L620-1 du Code de commerce, la procédure de sauvegarde a pour but de permettre à une entreprise de poursuivre son activité tout en protégeant ses créanciers. En effet, l’article L620-1 stipule que : « La sauvegarde est une procédure collective qui a pour objet de permettre à une entreprise de poursuivre son activité, de maintenir l’emploi et d’apurer son passif. » Cela signifie que les créanciers doivent déclarer leurs créances auprès du mandataire judiciaire, et ces créances seront examinées et admises ou rejetées par le juge-commissaire. Dans le cas présent, les sociétés Yffiplast composites et Factofrance ont déclaré des créances, mais celles-ci ont été contestées en raison de leur nature redondante. L’ordonnance du juge-commissaire a donc joué un rôle crucial dans la détermination des créances admises au passif de la société Labbe. Comment le juge-commissaire doit-il traiter les déclarations de créances en cas de doublon ?Le juge-commissaire doit examiner les déclarations de créances avec rigueur, surtout en cas de doublon. L’article L622-24 du Code de commerce précise que : « Les créanciers doivent déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture. » Dans le cas où plusieurs créanciers déclarent des créances sur les mêmes factures, comme cela a été le cas avec les sociétés Yffiplast composites et Factofrance, le juge-commissaire doit procéder à une analyse minutieuse pour éviter les admissions de créances en double. L’ordonnance du 15 septembre 2021 a ainsi ordonné la jonction des instances et a admis les créances respectives des deux sociétés, tout en rejetant certaines demandes. Cela démontre que le juge-commissaire a respecté son obligation de ne pas dénaturer les déclarations de créances et de trancher en fonction des éléments fournis. Quelles sont les implications de la clause de réserve de propriété dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ?La clause de réserve de propriété permet au vendeur de revendiquer la propriété des marchandises vendues tant que le prix n’a pas été intégralement payé. L’article L624-16 du Code de commerce stipule que : « Les créanciers qui se prévalent d’une clause de réserve de propriété peuvent revendiquer les biens concernés dans le cadre de la procédure collective. » Dans cette affaire, la société Factofrance a revendiqué la propriété des marchandises livrées à la société Labbe, en se basant sur cette clause. Le juge-commissaire a reconnu que la société Factofrance avait conservé le bénéfice de cette clause, ce qui lui permet de revendiquer les marchandises même après l’ouverture de la procédure de sauvegarde. Cela souligne l’importance de la clause de réserve de propriété dans la protection des droits des créanciers dans le cadre d’une procédure collective, permettant ainsi à ceux-ci de récupérer leurs biens en cas de défaillance de l’acheteur. Comment le juge doit-il interpréter les accords d’affacturage dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ?Les accords d’affacturage doivent être interprétés avec soin, surtout lorsqu’ils impliquent des créances déclarées dans le cadre d’une procédure de sauvegarde. L’article L313-23 du Code monétaire et financier précise que : « L’affacturage est un contrat par lequel une entreprise cède ses créances à un établissement de crédit ou à une société de financement. » Dans cette affaire, la cour d’appel a considéré que la société Factofrance avait pris en charge un encours à hauteur de 100 000 euros, ce qui a été contesté par la société Labbe. Le juge-commissaire, dans son ordonnance, a noté qu’aucun justificatif n’avait été produit pour prouver les créances transférées, ce qui a conduit à une confusion dans l’interprétation des accords d’affacturage. Cela démontre que le juge doit s’assurer que les éléments présentés sont clairs et justifiés avant de prendre une décision sur les créances en question. |
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 69 F-D
Pourvoi n° C 24-10.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 FÉVRIER 2025
1°/ La société Labbe, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Ajire, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], en la personne de M. [T] [A] et de M. [L] [M], agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la société Labbe,
3°/ la société [V] Partners, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [W] [V] et de M. [K] [N], agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la société Labbe,
4°/ la société [F]-[U], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 7], en la personne de M. [E] [F] et M. [H] [U], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Labbe,
5°/ la société Slemj, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], en la personne de M. [P] [C], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Labbe,
ont formé le pourvoi n° C 24-10.103 contre l’arrêt rendu le 7 novembre 2023 par la cour d’appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Factofrance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Yffiplast composites, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société [D] [X] & associés, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], en la personne de Maître [J] [X], prise en qualité de liquidateur de la société Yffiplast composites,
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat des sociétés Labbe, Ajire, [V] Partners, [F]-[U] et Slemj, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Factofrance, et l’avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire en l’audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 7 novembre 2023) et les productions, la société Labbe a été mise en sauvegarde le 23 décembre 2019.
2. La société Yffiplast composites et la société Factofrance, à qui la première avait cédé des créances sur la société Labbe en exécution d’un contrat d’affacturage, ont chacune déclaré des créances correspondant au prix de vente de marchandises sous réserve de propriété et en ont revendiqué la propriété.
3. Le plan de sauvegarde de la société Labbe a été arrêté le 30 décembre 2020.
4. Les déclarations de créances des sociétés Yffiplast composites et Factofrance ont été contestées au motif qu’elles portaient sur les mêmes factures. Par une ordonnance du 15 septembre 2021, devenue irrecevocable, le juge-commissaire, a admis à concurrence d’une certaine somme les créances respectives des sociétés Yffiplast composites et Factofrance.
5. Par une ordonnance distincte, rendue le même jour, il a rejeté la demande en revendication de la société Factofrance, laquelle a formé un recours.
Enoncé du moyen
6. La société Labbe, les commissaires à l’exécution de son plan de sauvegarde et ses mandataires judiciaires font grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Factofrance le prix des marchandises existant à la date du jugement d’ouverture mais consommées ou revendues postérieurement, soit la somme de 90 748,33 euros, alors « qu’il n’est pas permis au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; que selon le dispositif de son ordonnance du 15 septembre 2021 relative à la contestation des créances, le juge commissaire a « ordonn[é] la jonction des instances enrôlées sous les numéros 2021001606 et 2021001608, rejet[é] la demande de disjonction de l’instance de la société Labbe, pr[is] acte de la jonction des instances en contestation des créances déclarées, débout[é] la société Factofrance de sa demande d’admission au passif de la procédure de sauvegarde de la société Labbe en qualité de subrogée dans les droits de la société DFG Transports, rejet[é] la créance déclarée par la société Factofrance à hauteur de 11 268,00 euros en qualité de subrogée dans les droits de la société DFG Transports, adm[is] la créance de la société Yffiplast Composites à hauteur de 90 021,70 euros à titre chirographaire, rejet[é] pour le surplus ; adm[is] la créance de la société Factofrance en qualité de subrogée dans les droits de la société Yffiplast Composites à hauteur de 91 549,61 euros à titre chirographaire, rejet[é] pour le surplus, débout[é] les sociétés Yffiplast et Factofrance de toutes fins, moyens et conclusions contraires, di[t] que la présente ordonnance sera notifiée par lettre recommandée avec avis de réception : au débiteur, aux créanciers et communiquée aux administrateurs judiciaires, aux mandataires judiciaires, au commissaire-priseur, di[t] que les frais de la présente ordonnance seront employés en frais privilégiés de justice de la procédure collective » : que dans les motifs de cette ordonnance, qui éclairent ce dispositif, le juge commissaire a retenu que « suivant courrier du 21 janvier 2020, la société Yffiplast Composites a déclaré sa créance entre les mains des mandataires judiciaires, pour un montant global de 209 599,31 euros et portant sur 6 factures ; ( ) parallèlement suivant courrier du 3 février 2020, la société Factofrance, société d’affacturage, a déclaré entre les mains des mandataires judiciaires une somme totale de 198 331,31 euros correspondant aux 5 factures mobilisées sur les 6 factures déjà déclarées par la société Yffiplast Composites, la différence de 11 268,00 euros correspondant à la facture du transporteur DFG ; ( ) face à ces déclarations de créances successives qui font doublon, les parties se sont rapprochées et ont demandé la jonction des instances en contestation de la société Yffiplast Composites et de la société Factofrance en qualité de subrogée dans les droits de la société Yffiplast Composites, ( ) la SAS Labbe ne s’est pas opposée à cette demande de jonction ; ( ) suivant ordonnance en date du 27 avril, la société Labbe a été autorisée à régler à la société Yffiplast Composites la somme de 16 760,00 euros TTC suite à une requête en revendication de la société Yffiplast Composites et correspondant aux marchandises subsistant au jour de l’ouverture de la procédure de sauvegarde, ( ) cette somme sera donc ( ) déduite du montant des créances déclarées ; ( ) concernant la facture de la société de transports, cette créance n’ayant pas été déclarée par ailleurs, la demande de disjonction de l’instance ne se justifie pas et sera donc rejetée ; ( ) pour cette facture, la société DFG Transport s’est prévalue des dispositions de la loi Gayssot et un règlement au profit de la société DFG Transports a été autorisé selon ordonnance du 15 juillet 2020 ; ( ) Factofrance en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la société Yffiplast Composites devra utiliser les voies de recours afin d’en obtenir le remboursement auprès de la société DFG Transports qui a été réglée ; ( ) cette créance de 11 268,00 euros sera donc rejetée ; ( ) de nombreuses discussions sur la répartition des créances déclarées tant par Yffiplast Composites que la société Factofrance se sont déroulées entre les deux sociétés, et ce sans communication par le créancier déclarant de justificatifs nécessaires à l’identification du paramètre ; ( ) dans ces conditions, les demandes d’admission au passif de la société Labbe émanant de la société Yffiplast Composites et Factofrance ne sauraient être retenues pour un montant supérieur aux créances dont elles se sont prévalues déduction faite des règlements intervenus au visa des ordonnances de Mme la juge commissaire ( ) les créances à retenir au passif de la société Labbe seront respectivement pour la société Yffiplast d’un montant de 90 021,70 euros (101 289,70 euros moins 11 268,00 euros créance DFG Transports rejetée) et pour la société Factofrance d’un montant de 91 549,61 euros » ; qu’il résulte des termes clairs et précis de cette ordonnance que le juge commissaire n’a pas évoqué des accords d’affacturage intervenus entre les sociétés Yffiplast Composites et Factofrance, ni une prise en charge par la société Factofrance de l’encours à hauteur de 100 000 euros correspondant aux factures F 1626 et F 1646 en totalité et la facture F 1657 en partie et n’a pas non plus affecté la créance de la société Factofrance à deux factures en totalité et à une troisième en partie ; qu’en considérant pourtant qu’il résulte de l’ordonnance du juge commissaire du 15 septembre 2021, confirmée sur ce point par l’arrêt du 5 juillet 2022, que dans le cadre des accords d’affacturage entre la société Factofrance et la société Yffiplast, la société Factofrance a pris en charge l’encours à hauteur de 100 000 euros, soit la totalité de la facture F1626 de 56 308,33 euros, la totalité de la facture F1646 de 34 440 euros et la somme de 9 251,67 euros sur la facture F1657 et qu’il est justifié que le juge commissaire, lorsqu’il a fixé la créance de la société Factofrance, l’a affectée spécifiquement à deux factures en totalité et à une troisième facture pour partie, de sorte que la société Factofrance a conservé les garanties attachées à ces factures, la cour d’appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. »
Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
7. Pour dire que la société Factofrance avait conservé le bénéfice de la clause de réserve de propriété attachée aux marchandises livrées à la société Labbe par la société Yffiplast composites, l’arrêt retient que le juge-commissaire, lorsqu’il a admis la créance déclarée par la société Factofrance subrogée dans les droits de la société Yffiplast composites, a considéré que l’affactureur avait pris en charge un encours à hauteur de 100 000 euros correspondant à la totalité des factures F1626 et F1646 et à une partie de la facture F1657.
8. En statuant ainsi, alors que, dans son ordonnance statuant sur les créances respectives des sociétés Yffiplast composites et Factofrance, le juge-commissaire, devant lequel il était soutenu que l’affactureur avait pris en charge un encours à hauteur de 100 000 euros correspondant à la totalité des factures F1626 et F1646 et à une partie de la facture F1657, a constaté qu’aucun justificatif des créances que la société Yffiplast composites avait transférées à la société Factofrance n’a été produit, de sorte qu’il n’était pas possible de les identifier, la cour d’appel, qui, en confondant l’exposé des moyens des parties et l’exposé des motifs de cette ordonnance, en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
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