En cas de reproduction non autorisée d’une photographie l’action en responsabilité extra-contractuelle peut s’avérer efficace.
D’après l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”. L’article 1241 du même Code dispose que “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”. Ainsi, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut lui causer un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du Code civil. Sans droit patrimonial ou moral, subsiste un droit économique. En effet, le photographe professionnel s’il ne peut exiger que son nom figure, que son cadrage soit respecté, que son cliché ne soit pas modifié, peut réclamer comme n’importe quel acteur économique, une rémunération de son travail. S’agissant de l’évaluation de son préjudice, le demandeur ne peut toutefois pas invoquer l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose en son alinéa 2 que “la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”. Cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux oeuvres protégées au titre de la propriété intellectuelle, ce qui n’est précisément pas le cas de la photographie litigieuse, ainsi que jugé précédemment. Elle ne peut donc recevoir application en l’espèce. |
→ Résumé de l’affaireEn octobre 2002, le photographe [B] [Y] a pris une photo d’un bateau de croisière pour un reportage, qui a ensuite été utilisée sans autorisation dans plusieurs articles d’OUEST FRANCE en août 2018. En février 2021, un accord d’indemnisation a été signé pour une utilisation antérieure de la même photo. En février 2022, [B] [Y] a assigné OUEST FRANCE en justice pour contrefaçon, demandant une indemnisation de 26 000 € pour violation de ses droits d’auteur. OUEST FRANCE conteste le caractère original de la photo et affirme que le préjudice a déjà été indemnisé. Les deux parties demandent des dommages et intérêts, et OUEST FRANCE accuse [B] [Y] de procédure abusive.
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→ Les points essentielsSur la demande principale en contrefaçon : la question de l’originalitéL’article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”. L’article L. 112-1 du même code prévoit quant à lui que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”. Une oeuvre peut dès lors bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix libres et créatifs et empreinte de sa personnalité. Surtout, il revient au juge de vérifier dans chaque cas d’espèce, que l’oeuvre est bien une création intellectuelle de l’auteur répondant à ces critères, mais il appartient aussi et d’abord à celui qui revendique la protection du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de l’oeuvre. L’originalité doit cependant être distinguée du savoir-faire technique, qui ne relève que de la compétence de l’artiste à réaliser une oeuvre, indépendamment de tout choix dicté par sa personnalité. Il convient donc d’analyser les choix esthétiques qu’avance monsieur [Y] pour affirmer que sa photographie est originale (pièce n°6 DEM). S’agissant de sa mise en scène et de sa composition, [B] [Y] prétend avoir étudié le trajet du bateau et patienté plusieurs jours afin de le photographier en un lieu déterminé sous une météo propice. Il précise lui-même que l’idée était de “susciter l’envie de réaliser cette croisière” (pièce n°6 DEM, p.2). Cependant, si ces efforts traduisent un indéniable savoir-faire de monsieur [Y], ils ne permettent en aucun cas de démontrer l’originalité de la photo, car tout photographe compétent aurait suivi le trajet du bateau et choisi un lieu adéquat. L’explication selon laquelle le décor a été réfléchi pour représenter fidèlement les bords de Rance n’affecte pas ce raisonnement, car la représentation fidèle d’un lieu n’a rien d’original, bien qu’elle nécessite une compétence certaine. En outre, le choix d’une météo ensoleillée pour susciter l’envie de réaliser une croisière est un choix évident pour toute personne normalement diligente, car peu nombreux seraient les envieux d’une croisière sous la pluie. L’argumentaire de monsieur [Y] détaille plusieurs démarches qu’il a été contraint d’effectuer dans sa recherche du cadre parfait, telles que “prendre sa voiture”, “avoir un temps d’avance sur le bateau”, ou choisir parmi les différents clichés pris, autant de démarches qui ne sont que la suite logique de sa tâche de photographier un bateau en mouvement. Si monsieur [Y] n’avait pas “un temps d’avance sur le bateau”, il aurait été bien en peine de photographier quoi que ce fût. De surcroît, si l’occurrence que le cliché résulte d’un reportage commandé à monsieur [Y] par le propriétaire du bateau ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’absence d’originalité, elle n’en demeure pas moins un indice supplémentaire en ce sens, d’autant que les propres explications de monsieur [Y] laissent entendre que ses choix ont pu être dictés par la mise en valeur du bateau. S’agissant du cadrage et de l’atmosphère, monsieur [Y] décrit avec précision l’appareil photo et le paramétrage utilisés pour prendre le cliché. Là encore, cette description n’est qu’une preuve de son savoir-faire, car les éléments qu’il fournit ont trait aux réglages permettant d’obtenir la photographie souhaitée, sans que celle-ci en soit pour autant originale. Tout bon photographe devrait être à même de décrire les réglages qu’il a utilisés pour parvenir à ses clichés. L’objectif avancé par monsieur [Y] dans ses conclusions, de créer une atmosphère “estivale et authentique” n’est pas non plus de nature à démontrer l’originalité de la photographie, car les clichés de bateau à l’atmosphère estivale et authentique sont communs. Au surplus, toute personne ayant pris une photographie, même accidentelle, pourrait retrouver les réglages précis de sa photographie et en faire un argument d’originalité. Au demeurant, le cadrage et l’atmosphère n’apparaissent pas particulièrement marquants ou inhabituels visuellement. S’agissant du tirage, [B] [Y] soutient avoir décidé de ne pas supprimer le véhicule et sa remorque visibles dans le coin inférieur gauche de la photographie, expliquant que leur présence était “la raison d’être” de la photographie, car permettant de situer le lieu et de sous-entendre sa facilité d’accès. Ce “choix” ne permet pas non plus de démontrer l’originalité de la photo car ce véhicule et sa remorque ne sont qu’un détail de la photographie, d’autant que la distance entre l’appareil photo et le véhicule lors de la prise de vue ne permet même pas l’identification du modèle. Avancer que leur présence permet de présenter la facilité d’accès du lieu ne fait que démontrer l’utilité pratique de cette photographie, et non son originalité. Ainsi, il ressort de tout ce qui précède que la photographie, si elle fait état d’un savoir-faire certain, ne peut être considérée comme originale, et ne peut donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur. Par conséquent, aucun acte de contrefaçon ne peut être reconnu. Ce moyen sera par conséquent rejeté et les demandes de publication afférentes seront rejetées. Sur la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité extra-contractuelleD’après l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”. L’article 1241 du même Code dispose que “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence”. Ainsi, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut lui causer un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du Code civil. Sans droit patrimonial ou moral, subsiste un droit économique. En effet, le photographe professionnel s’il ne peut exiger que son nom figure, que son cadrage soit respecté, que son cliché ne soit pas modifié, peut réclamer comme n’importe quel acteur économique, une rémunération de son travail. S’agissant de l’évaluation de son préjudice, le demandeur invoque l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose en son alinéa 2 que “la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée”. Or, d’une part il convient de relever que cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux oeuvres protégées au titre de la propriété intellectuelle, ce qui n’est précisément pas le cas de la photographie litigieuse, ainsi que jugé précédemment. D’autre part, s’agissant du préjudice économique invoqué par monsieur [Y], il n’est pas contesté que la photographie a été publiée sur le site de OUEST FRANCE, ainsi que dans son journal papier sans le consentement de son auteur, sans crédit photo et sans rémunération. Cet oubli constitue un manque à gagner susceptible d’indemnisation pour le photographe. Enfin, la conclusion d’un protocole d’indemnisation concernant la même photographie n’affecte pas la présente instance, dès lors que celui-ci concernait des publications différentes qui ne font pas l’objet de poursuites en l’espèce. En conséquence, en ne rémunérant pas monsieur [Y] pour l’utilisation de sa photographie, OUEST FRANCE lui a causé un dommage, matérialisé par un manque à gagner qu’il convient de réparer. * S’agissant du prétendu préjudice moral allégué par monsieur [Y], il convient de relever que son indemnisation est sollicitée à titre principal sur le fondement de la contrefaçon et n’a donc pas vocation à être octroyée puisque ce fondement a été écarté. Toutefois, le tribunal note que les arguments avancés au soutien du préjudice moral, n’ont que peu à voir avec la contrefaçon proprement dite puisque davantage liés aux tracas subis du fait de la défense plus générale de son travail et de l’attitude procédurale de la défenderesse. Cependant, n’est pas rapportée la preuve que OUEST FRANCE s’est livrée à une attitude provocatrice, notamment au regard du protocole d’indemnisation signé entre les parties en 2021 et matérialisant la propension OUEST FRANCE à oeuvrer à un règlement amiable du litige. En outre, monsieur [Y] avance être contraint de surveiller différents sites internet afin d’éviter toute appropriation de son travail, une attitude qui ne saurait trouver sa cause dans les agissements de OUEST FRANCE, puisque monsieur [Y] surveille différents sites hors de portée de toute influence de OUEST FRANCE. Sur la procédure abusiveL’article 1240 du Code civil dispose que “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”. En outre, l’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que “celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile (…) sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés”. L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol. Il s’en déduit que celui qui commet une faute en abusant de son droit d’agir, doit indemniser les préjudices découlant de cet abus et pour ce faire, il faut caractériser une faute de sa part qui soit de nature à faire dégénérer en abus. En l’espèce, l’action de monsieur [Y] étant au moins en partie fondée si bien qu’il n’est pas possible de la considérer abusive. Ce moyen sera par conséquent rejeté. Sur les demandes accessoires Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”. La société OUEST FRANCE succombant à l’instance, elle en supportera par conséquent les dépens. L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : L’équité commande de condamner OUEST FRANCE à payer à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des frais non répétibles qu’il a exposés pour faire valoir ses droits. Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement”. Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition. Les montants alloués dans cette affaire: – La société OUEST FRANCE est condamnée à verser à [B] [Y] la somme de 1.500 € en réparation de son préjudice économique
– La société OUEST FRANCE est condamnée à verser à [B] [Y] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile |
→ Réglementation applicable– Code de la propriété intellectuelle
– Code civil – Code de procédure civile Article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle: Article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle: Article 1240 du Code civil: Article 1241 du Code civil: Article 32-1 du Code de procédure civile: Article 696 du Code de procédure civile: Article 700 du Code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Lucie MARCHIX de la SELARL ALIX AVOCATS
– Maître Jérôme STEPHAN de la SCP VIA AVOCATS |