Construction et obligations contractuelles : enjeux de paiement et garanties.

·

·

Construction et obligations contractuelles : enjeux de paiement et garanties.

L’Essentiel : La SCCV LE LUTECE a engagé la SAS HERVE pour la construction d’un immeuble de 89 logements, avec un contrat signé le 25 février 2015. Les travaux, réceptionnés avec réserves le 31 mars 2017, ont donné lieu à un décompte général notifié le 29 janvier 2018, incluant des pénalités de retard. La SAS HERVE a contesté ce décompte, mais le tribunal a prononcé sa liquidation judiciaire en mars 2020. En mars 2023, la SAS HERVE a assigné la SCCV LE LUTECE pour obtenir le paiement d’un solde de 858.966,40 €. Le tribunal a finalement condamné la SCCV à verser 208.183,23 € TTC.

Contexte du Litige

La SCCV LE LUTECE a engagé la SAS HERVE pour la construction d’un immeuble de 89 logements, avec un contrat signé le 25 février 2015 pour un montant de 10.800.000 € TTC. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 31 mars 2017, et un décompte général définitif a été notifié par la SCCV LE LUTECE le 29 janvier 2018, incluant des pénalités de retard et des contestations sur des frais.

Contestation et Liquidation Judiciaire

La SAS HERVE a contesté le décompte général le 16 mars 2018, et la SCCV LE LUTECE a rejeté ces contestations tout en proposant une garantie de paiement. En mars 2020, le tribunal de commerce a prononcé le redressement puis la liquidation judiciaire de la SAS HERVE, désignant un liquidateur judiciaire pour gérer la situation.

Propositions de Règlement

Le cabinet ARGOS CONSTRUCTION a proposé un solde de marché de 585.926 € à la SCCV LE LUTECE, proposition qui a été rejetée. En mars 2023, la SAS HERVE, par l’intermédiaire de son liquidateur, a assigné la SCCV LE LUTECE pour obtenir le paiement d’un solde de 858.966,40 € et une caution bancaire de 714.735 €.

Décisions du Tribunal

Le 20 novembre 2023, le juge a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la SCCV LE LUTECE et a ordonné la fourniture d’un cautionnement solidaire de 424.696 € en faveur de la SAS HERVE. L’instruction a été clôturée le 11 septembre 2024, avec une audience prévue pour le 4 novembre 2024.

Demandes des Parties

La SA HERVE a demandé la condamnation de la SCCV LE LUTECE au paiement d’un solde de marché de 901.892 € et des intérêts moratoires, tandis que la SCCV LE LUTECE a demandé le rejet des demandes de la SAS HERVE et la limitation des intérêts au taux légal.

Motifs de la Décision

Le tribunal a examiné les demandes en fonction des dispositions du Code civil et des clauses contractuelles. Il a constaté que la SCCV LE LUTECE devait rembourser des frais de voirie et a déterminé les montants dus, y compris les pénalités de retard, tout en prenant en compte les travaux supplémentaires et les moins-values.

Conclusion et Condamnations

Le tribunal a condamné la SCCV LE LUTECE à payer 208.183,23 € TTC à la SAS HERVE, augmentée des intérêts moratoires, et à fournir un cautionnement solidaire. La SCCV LE LUTECE a également été condamnée aux dépens de l’instance et à verser 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations contractuelles des parties selon le Code civil ?

Les obligations contractuelles des parties sont régies par l’article 1134 du Code civil, qui stipule que :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Cet article souligne que les parties doivent respecter les termes de leur contrat et agir de manière loyale.

En l’espèce, la SCCV LE LUTECE a confié à la SAS HERVE la construction d’un immeuble, et les obligations de paiement et d’exécution des travaux sont donc clairement établies par le contrat signé le 25 février 2015.

Il est également important de noter que, selon l’article 1315 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Cela signifie que la SAS HERVE doit justifier ses demandes de paiement en fournissant des preuves adéquates des travaux réalisés et des montants dus.

Comment sont régis les travaux supplémentaires dans le cadre d’un contrat de construction ?

Les travaux supplémentaires sont régis par l’article 1793 du Code civil, qui précise que :

« Lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire. »

Cet article impose que tout travail supplémentaire doit être préalablement autorisé par écrit.

Dans le cas présent, le décompte général définitif notifié par la SCCV LE LUTECE mentionne des travaux modificatifs, ce qui, selon la jurisprudence, constitue une acceptation expresse des travaux supplémentaires réalisés par la SAS HERVE.

Ainsi, la SCCV LE LUTECE est tenue de payer pour ces travaux, augmentant le montant total du marché.

Quelles sont les conséquences des pénalités de retard selon le CCAP ?

Les pénalités de retard sont régies par l’article 37.2 du CCAP, qui stipule que :

« Si les travaux ne sont pas achevés dans le délai global prévu, l’Entreprise responsable subira une pénalité définitive pour chaque jour calendaire de retard. Cette pénalité HT sera égale au 1/1.000 du montant TTC du marché de l’entreprise, augmentée de 150 € HT par jour calendaire de retard. »

Cet article précise que les pénalités ne peuvent excéder 5 % du montant TTC du marché au décompte général définitif.

Dans cette affaire, la SCCV LE LUTECE a invoqué des retards dans l’achèvement des travaux, et les pénalités ont été calculées en fonction des jours de retard.

Il a été établi que la réception des travaux a eu lieu avec réserves, ce qui a conduit à l’application de ces pénalités, plafonnées à 554.502,09 €.

Quelles sont les obligations de garantie de paiement selon l’article 1799-1 du Code civil ?

L’article 1799-1 du Code civil stipule que :

« Le maître de l’ouvrage qui conclut un marché de travaux privé doit garantir à l’entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret. »

Cet article impose au maître d’ouvrage de fournir une garantie de paiement, généralement sous forme de cautionnement, pour les sommes dues à l’entrepreneur.

Dans le cas présent, la SCCV LE LUTECE est tenue de fournir un cautionnement solidaire en garantie de la somme due à la SAS HERVE, ce qui a été ordonné par le tribunal.

Cette obligation de garantie est d’ordre public et ne peut être écartée par des conventions particulières entre les parties.

Comment sont déterminés les frais de voirie dans le cadre d’un contrat de construction ?

Les frais de voirie sont généralement régis par les clauses spécifiques du contrat, notamment dans le CCTP.

Dans cette affaire, le CCTP stipule que :

« Les frais de voiries seront remboursés par le Maître d’Ouvrage sous réserve de validation par ce dernier des sommes imputables. »

Cela signifie que le maître d’ouvrage doit rembourser les frais de voirie engagés par l’entrepreneur, à condition que ces frais soient validés.

Il a été établi que la SCCV LE LUTECE est contractuellement tenue de rembourser les frais de voirie avancés par la SAS HERVE, ce qui a été confirmé par les documents présentés en justice.

Le tribunal a donc ordonné le remboursement d’une somme déterminée au titre des frais de voirie, en tenant compte des justificatifs fournis.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 13 JANVIER 2025

Chambre 6/Section 4
AFFAIRE: N° RG 23/02865 – N° Portalis DB3S-W-B7H-XOFK
N° de MINUTE : 25/00009

Maître [O] [E] [N] pour la SELARL [N], en sa qualité de Liquidateur Judiciaire de la Société HERVE SA
domicilié : chez SELARL [N]
[Adresse 1],
[Localité 3]
représenté par Me Alexandre COUYOUMDJIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1274

La S.A.S. HERVE SA, représentée par son liquidateur judiciaire Maître [O] [E] [N] pour la SELARL [N]
domiciliée : chez Maître [O] [E] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Alexandre COUYOUMDJIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1274

DEMANDEURS

C/

La SCCV LE LUTECE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Rémi BAROUSSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2156

DEFENDEUR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Charlotte THIBAUD, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

DÉBATS

Audience publique du 04 Novembre 2024, à cette date l’affaire a été mise en délibéré au 13 Javier 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THIBAUD, assistée de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat conclu le 25 février 2015, la SCCV LE LUTECE a confié à la SAS HERVE en tant qu’entreprise générale tous corps d’état la construction d’un immeuble de 89 logements situé [Adresse 6] à [Localité 5], moyennant la somme 10.800.000 € TTC.

Ces travaux ont fait l’objet d’une réception avec réserves le 31 mars 2017.

La SAS HERVE a notifié son mémoire définitif à la SCCV LE LUTECE le 9 octobre 2017.

Le 1er décembre 2017, le maître d’œuvre, après vérification, a adressé à la SCCV LE LUTECE un décompte général définitif.

Le 29 janvier 2018, la SCCV LE LUTECE a notifié à la SAS HERVE le décompte général définitif vérifié comprenant notamment des pénalités de retard, des moins-values et contestant la refacturation de la redevance d’occupation du domaine public.

Le 16 mars 2018, la SAS HERVE a contesté ce décompte général définitif.

Par courrier adressé en recommandé avec accusé de réception en date du 5 avril 2018, reçu le 6 avril 2018, la SCCV LE LUTECE a rejeté les contestations de la SAS HERVE et proposé une garantie de paiement à hauteur de 107.634,70 €.

Selon jugements en date du 20 mars 2020 et du 1er septembre 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé le redressement puis la liquidation judiciaire de la SAS HERVE et désigné la SELARL [N] en la personne de Maître [O] [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance en date du 13 octobre 2020, le juge commissaire a autorisé Maître [O] [E] [N] à se faire assister techniquement par le cabinet ARGOS CONSTRUCTION dans les arrêtés de chantiers et la clôture des affaires non reprises et non soldées.

Le 14 décembre 2020, le cabinet ARGOS CONSTRUCTION a adressé à la SCCV LE LUTECE une proposition amiable d’arrêté de compte avec un solde de marché restant à lui devoir de 585.926 €, proposition renouvelée le 15 février 2022.

La SCCV LE LUTECE a rejeté ses propositions.

C’est dans ces conditions que par acte d’huissier de justice en date du 13 mars 2023, la SA HERVE représentée par Maître [O] [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire a fait assigner la SCCV LE LUTECE devant le tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins d’obtenir sa condamnation notamment à leur payer la somme de 858.966,40 € au titre du solde du marché ainsi qu’à fournir une caution bancaire d’un montant de 714.735 €.

Par ordonnance en date du 20 novembre 2023, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SCCV LE LUTECE, rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à demander la fourniture de la garantie prévue à l’article 1799-1 du code civil et a condamné la SCCV LE LUTECE à fournir un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d’assurance ou un organisme de garantie collective au sens de l’article 1799-1 du code civil en garantie de la somme de 424.696 € au profit de la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire et ce sous astreinte.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 11 septembre 2024 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 04 novembre 2024.

***

Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par RPVA le 12 juillet 2024, la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [E] [N] demande au tribunal de :
« DONNER ACTE que la société SCCV LE LUTECE justifie avoir contesté dans le délai de 20 jours les observations et le décompte notifié par la société HERVE le 16 mai 2018, pour un solde dû de 1.061.206,42 € TTC ;
CONDAMNER la société SCCV LE LUTECE au paiement du solde de marché de la société HERVE, tel que vérifié par le cabinet ARGOS CONSTRUCTION, pour la somme de 901.892 € TTC ;
CONDAMNER la société SCCV LE LUTECE au paiement des intérêts moratoires sur le solde du marché de la société HERVE, soit 901.892 €, conformément à l’article 36 du CCAP, soit le taux légal majoré de 7 points, à compter du 9 octobre 2017 ;
CONDAMNER la société SCCV LE LUTECE, sous astreinte de 300 € par jour de retard, à fournir à Me [N], es qualité de Liquidateur judiciaire de la société HERVE, une caution bancaire d’un montant qui ne saurait être inférieur à 714.738 € dans l’hypothèse où la décision à intervenir serait porté à hauteur de Cour ;
DEBOUTER la SCCV LE LUTECE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause et si par impossible, une pénalisation pour retard devait être retenue ;
RAPPELER que le montant des pénalités définitives, toutes causes confondues, est contractuellement plafonné à 5% du montant du marché au décompte définitif, soit 554 502 € ;
FAIRE APPLICATION du pouvoir de modération des clauses pénales accordé au juge, au regard de l’absence de préjudice justifié par son créancier et ramener la pénalisation des retards à 1 € symbolique ;
CONDAMNER la société SCCV LE LUTECE au paiement de la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens ;
DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.»

***

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 04 août 2024, la SCCV LE LUTECE demande au tribunal de :
«1. DÉBOUTER Maître [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Hervé de toutes ses demandes en paiement, et, en tout état de cause, LIMITER les intérêts au taux légal et à compter de l’assignation ;
2. DÉBOUTER Maître [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Hervé de sa demande de fourniture d’un cautionnement bancaire, et, à titre subsidiaire, SAISIR pour avis la Cour de cassation ;
3. DIRE n’y avoir lieu à exécution provisoire ; 4. CONDAMNER Maître [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Hervé à payer à la société Le Lutèce la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
5. CONDAMNER Maître [E] [N] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Hervé aux dépens.»

***

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties, il sera renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

La décision a été mise en délibéré au 13 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire

Aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Or ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir « constater », « dire », « juger » ou « donner acte », en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d’emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que le tribunal n’y répondra qu’à la condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à « dire et juger » lorsqu’elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).
Conformément aux dispositions de l’article 9 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le présent contrat ayant été conclu avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, le 1er octobre 2016, il demeure soumis aux dispositions du Code civil antérieures à cette date.

Sur les demandes principales de la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire

Sur la demande en paiement du solde du marché

Aux termes de l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi.

En application de l’article 1315 du code civil dans sa version applicable au présent litige, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation.

Sur les travaux supplémentaires

Selon l’article 1793 du code civil, lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

En application de ce texte, lorsqu’un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un ouvrage, il ne peut réclamer le paiement de travaux supplémentaires que si ces travaux ont été préalablement autorisés par écrit et leur prix préalablement convenu avec le maître d’ouvrage ou si celui-ci les a acceptés de manière expresse et non équivoque, une fois réalisés (3ème civ. 8 juin 2023 pourvoi n°22-10.393).

La notification par le maître de l’ouvrage des décomptes définitifs à l’entreprise, incluant le coût de certains travaux supplémentaires vaut acceptation expresse et non équivoque desdits travaux et par voie de conséquence ratification de ceux-ci malgré l’absence d’accord préalable du maître d’ouvrage avant la réalisation de ceux-ci (3ème civ. 11 mai 2023 pourvoi n°21-24.884 et 21-25.619).

En l’espèce, selon le contrat conclu le 25 février 2015, la SCCV LE LUTECE a confié à la SA HERVE la construction tous corps d’état de 89 logements, [Adresse 6] à [Localité 5] moyennant le prix de 9.000.000 € HT soit 10.800.000 € TTC, « ce prix s’entend forfaitaire, ferme, non actualisable et non révisable ». Il s’agit donc d’un marché de travaux à forfait.

Or, le décompte général définitif notifié par la SCCV LE LUTECE le 29 janvier 2018, mentionne :
« I MONTANT DU MARCHE

OS n°1 de démarrage des travaux de 25/02/2015 Total HT 9.000.000 €

II TRAVAUX MODIFICATIFS

OS n°02 du 05/10/2015 35.000 €
* Forfaitisation de l’incidence des fondations conformément à l’étude géotechnique mission G2 de SOLER CONSEIL en date du 15 avril 2015

OS n°03 du 05/10/2015 23.870 €
*fourniture et pose de volets roulants électriques motorisés par commande hertzienne. La prestation comprend la mise en œuvre des alimentations électriques à proximité des coffres, compris protection par différentiels en tableau Abonné, le raccordement depuis l’attente électrique jusque dans le coffre, la commande individuelle à l’entrée des pièces et la commande centralisée dans le séjour.

OS n°04 du 05/10/2015 ANNULE

OS n°05 du 12/04/2016 182.000 €
*Réalisation des travaux de fondations superficielles selon le rapport géotechnique mission G2 de SOLER CONSEIL en date du 6 mai 2015.

*Mise en œuvre d’un dispositif de rabattement de nappe. La prestation comprend les équipements tels que pointes filtrantes, réseaux collecteurs des eaux, pompes, un clapet anti-retour, ainsi que les frais et redevances de rejet au réseau d’assainissement.

*Fourniture et pose d’un tapis drainant type SOMETUBE sous le dallage.
La prestation comprend la réalisation de tranchées drainantes, la mise en œuvre de regards sur les dévoiements, la confection d’une fosse de récupération et la fourniture (alimentation électrique incluse) de 2 pompes de relevage.

*Suppression selon le DQE Marché :
Des faux plafonds sur les paliers en élévation des Bâts A, B et C
Des conduits double flux (2*300*400mm) des commerces
Des éclairages de sécurité et des équipements alarme incendie des Commerces

OS n°06 du 12/04/2016 831,60 €
*Remplacement d’une baignoire par un bac à douche muni d’une paroi d’angle coulissante dans le lot A52. »

Ainsi ce décompte général définitif, faisant expressément référence à des travaux modificatifs, qui sont précisément décrits et évalués à la somme globale de 241.701,60 €, dès lors qu’il est signé et notifié par le maître d’ouvrage vaut acceptation expresse et non équivoque de sa part des travaux supplémentaires, de sorte que la SCCV LE LUTECE en doit le paiement à la SA HERVE, ce qui porte le montant total du marché à la somme de 9.241.701,60 € soit 11.090.041,92 € TTC.

Sur les frais de voirie

sur le principe de l’obligation à la dette
Le marché de travaux conclu le 25 février 2025 entre les parties mentionne expressément qu’ « il est précisé que le bureau de contrôle Qualiconsult établira sont RICT et ses préconisations sur la base d’un dossier marché (incluant le Cahier des clauses Techniques Particulières des lots) qui sera finalisé en mars 2015 et complété par une étude acoustique des façades réalisée par la société AT3E ». Ainsi, à la date de signature du contrat, le CCTP n’est ni établi, ni transmis à la SA HERVE.

Le cahier des clauses techniques particulières du lot « gros-œuvre », versé aux débats uniquement par la demanderesse, mentionne « MARCHE – MARS 2015 » et prévoit à l’article 02.121 intitulé « Voies de chantier – Plate forme de travail – Grue » qu’ « il est précisé que les frais de voiries seront remboursés par le Maître d’Ouvrage sous réserve de validation par ce dernier des sommes imputables. ».

Il résulte d’un échange de mail du 02 avril 2015 entre [T] [R], représentant la SCCV LE LUTECE et d’ailleurs signataire du DGD, et [C] [J] de la SA HERVE, qu’à cette date du 02 avril 2015, le CCTP n’était pas finalisé. En effet, Monsieur [J] sollicite notamment l’ajout de la mention « étant ici précisé, que les redevances de voirie seront remboursées par le maître d’ouvrage sous réserve de validation préalable par le maître d’ouvrage des sommes pouvant être potentiellement concernées » et Monsieur [R] valide les demandes de Monsieur [J].

Pour contester l’application de cette disposition des CCTP, la SCCV LE LUTECE s’appuie sur la convention de mis à disposition anticipé de terrain signée le 03 mars 2015 avec la SA HERVE

Or, cette convention est antérieure à l’élaboration des CCTP qui ont été finalisés en avril 2015, elle ne peut donc valoir dérogations aux stipulations du marché.

Il résulte sans ambiguïté de l’ensemble des pièces susmentionnées que la commune intention des parties était que l’entreprise générale s’acquitte préalablement du paiement des frais de voiries auprès des autorités publiques à charge pour le Maître d’Ouvrage de les lui rembourser ensuite.

Contrairement aux affirmations de la SCCV LE LUTECE, le CCTP ne prévoit pas que le remboursement des frais de voirie est subordonné à la validation du titre d’occupation du domaine public, mais uniquement à celle « des sommes pouvant être potentiellement concernées ».

Dès lors, la SCCV LE LUTECE est contractuellement tenue de rembourser les sommes avancées par la SA HERVE au titre des frais de voirie pour le chantier concerné.

sur le quantum
En l’occurrence, la SA HERVE verse aux débats les pièces suivantes :
une demande d’autorisation de voiries en date du 10 février 2015 concernant le chantier de la [Adresse 6] pour 126 m² de surface ; l’arrêté du Maire de [Localité 5] du 30 mars 2015 autorisant l’occupation du domaine publique à la suite de cette demande du 10 février 2015 ; une demande d’autorisation de voiries en date du 24 avril 2016 concernant le chantier de la [Adresse 6] pour 6 m² de surface ; l’arrêté du Maire de [Localité 5] du 28 décembre 2016 autorisant l’occupation du domaine publique à la suite de cette demande du 24 avril 2016 ; une demande d’autorisation de voiries en date du 12 octobre 2016 concernant le chantier de la [Adresse 6] et [Adresse 4] pour 250 m² de surface ; l’arrêté du Maire de [Localité 5] du 28 décembre 2016 autorisant l’occupation du domaine publique à la suite de cette demande du 12 octobre 2016 ; quatre copies des titres exécutoires émanant du receveur municipal de [Localité 5], n°03475 émis le 13 octobre 2016 pour un montant de 37.800€ TTC, n°10407 émis le 22 novembre 2017 pour un montant de 8.316 €, n°10408 émis le 22 novembre 2017 pour un montant de 18.900 € et n°10409 émis le 22 novembre 2017 pour un montant de 52.500 € ; un justificatif en date du 16 mai 2024 émanant de la Ville de [Localité 5], de l’émission, de la facturation et du paiement par la SA HERVE de la redevance pour occupation du domaine public pour l’année 2015 d’un montant de 37.800 €, pour l’année 2016 d’un montant de 79.716 € et pour l’année 207 d’un montant de 55.992 € ; un extrait du compte bancaire de la SA HERVE mentionnant le débit d’un montant de 37.800 € par chèque n°1000302 le 22 décembre 2016 ; un mail émanant du service de gestion comptable des finances publiques de [Localité 5] indiquant que la SA HERVE a acquitté la somme de 79.716 € par chèque n°1000345 ; un extrait de
Il résulte de l’ensemble de ces documents que la SA HERVE a effectivement acquitté au titre des frais de voiries la somme globale de 173.508 € (37.800 € + 8.316 € + 18.900 € + 52.500 € + 55.992€).

En revanche, ainsi que l’indique la SCCV LE LUTECE, ces sommes correspondent à deux chantiers différents, d’une part, la construction par la SCCV HOTEL CONVENTION d’un hôtel de 117 chambres et 39 places de stationnement situés [Adresse 6] à [Localité 5] et d’autre part, la construction par la SCCV LE LUTECE de 89 logements situés [Adresse 6] à [Localité 5].

Ainsi, bien que situés au même endroit, ces chantiers ont donné lieu à deux marchés de travaux différents conclus avec deux maîtres d’ouvrage différents, la SCCV LE LUTECE et la SCCV HOTEL CONVENTION, de sorte que la SA HERVE ne peut solliciter le remboursement de l’intégralité de la somme de 173.508 € au titre du solde du marché conclu le avec la SCCV LE LUTECE.

Le chantier dont la SCCV HOTEL CONVENTION était le maître d’ouvrage ayant été réceptionné selon procès-verbal en date du 10 juin 2016, la redevance pour occupation du domaine publique après cette date concerne nécessairement exclusivement le chantier dont la SCCV LE LUTECE était maître d’ouvrage.

Aucune des pièces versées aux débats ne permet d’établir avec certitude quelle superficie concernait le chantier dont la SCCV HOTEL CONVENTION était le maître d’ouvrage et celle concernant le chantier dont la SCCV LE LUTECE était le maître d’ouvrage, de sorte qu’il sera procédé à un prorata par moitié.

Dès lors, le calcul du remboursement des frais de voirie s’établit comme suit :
55.992 € pour toute l’année 2017 ; 22.167,60 € (203/365 x 79.716 € /2) pour la seconde moitié de l’année 2016 ; 17.625,30 € (161/365 x 79.916 €/2) pour la première moitié de l’année 2016 les deux chantiers étant en cours ; 18.900 € (37.800/2) pour l’année 2015 les deux chantiers étant en cours. Soit la somme globale de 114.684,90 €.

Ainsi, qu’il résulte du justificatif de la Ville de [Localité 5] aucune TVA ne s’applique à cette redevance, il n’y a donc pas lieu de l’ajouter et il n’y a pas lieu non plus de tenir compte de la date d’achèvement contractuelle des travaux dès lors que la redevance est due et payée du fait de l’occupation effective de la voie publique.

En conséquence, la SCCV LE LUTECE doit rembourser à la SA HERVE la somme de 114.684,90 € au titre du remboursement de la redevance pour occupation du domaine publique.

Sur la retenue de garantie

En application de l’article 1 alinéa 3 de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971, toutefois, la retenue de garantie stipulée contractuellement n’est pas pratiquée si l’entrepreneur fournit pour un montant égal une caution personnelle et solidaire émanant d’un établissement financier figurant sur une liste fixée par décret.
Aux termes de l’article 35.4 du CCAP, l’entreprise peut substituer à la retenue de garantie une caution personnelle et solidaire d’un établissement financier figurant sur une liste fixée par décret.
En l’espèce, la SA HERVE affirme que la retenue de garantie légale de 5 % du montant des travaux a fait l’objet d’un cautionnement au bénéfice de la SCCV LE LUTECE, ce que cette dernière ne conteste pas. En outre, aux termes de ses dernières conclusions elle ne formule plus aucune demande au titre de la retenue de garantie.
Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’appliquer une retenue de garantie de 5%.
Sur les travaux en moins-value

Aux termes de l’article 1793 du code civil que lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

En application de ce texte, l’intangibilité du prix du marché à forfait s’applique également au maître de l’ouvrage qui ne peut soustraire du solde du marché le montant des travaux sur facturés.
Toutefois, les dispositions de l’article 1793 du code civil ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger.

En l’espèce, selon l’article 7.5.2 du CCAP « le Maître de l’Ouvrage ne doit aucun paiement supplémentaire si les ouvrages modifiés ont entraîné pour l’Entreprise des dépenses supérieures à celles afférentes aux ouvrages initialement prévus.
Il est en droit de diminuer le prix du marché du montant des économies si le coût des ouvrages modifiés est moins élevé que celui des ouvrages initialement prévus. ».

La SCCV LE LUTECE affirme que l’ossature bois initialement prévue pour le bardage a été remplacée par une ossature métallique et que les murs de clôture et la clôture du côté sud des bâtiments C et D n’ont pas été réalisés, le tout pour un montant de 38.067,92 € HT soit 45.681,50€ TTC, ce que la SA HERVE ne conteste pas.

Dans ces conditions la somme de 38.067,92 € HT soit 45.681,50 € doit être déduite des sommes dues à la SA HERVE par la SCCV LE LUTECE.

Sur les pénalités de retard

Aux termes de l’article 37.2 du CCAP « Si les travaux ne sont pas achevés dans le délai global prévu, l’Entreprise responsable subira une pénalité définitive pour chaque jour calendaire de retard. Cette pénalité HT sera égale au 1/1.000 du montant TTC du marché de l’entreprise, augmentée de 150 € HT par jour calendaire de retard.
Pénalité définitive HT = (Marché TTC 1/1.000) + 150 € par jour calendaire.
Ces pénalités définitives ne pourront toutefois excéder 5 % du montant TTC du marché au décompte général définitif. ».

L’article 16.8 du CCAP, prévoit que « le délai d’exécution est majoré, en cas d’intempéries, du nombre de jours pendant lesquels le travail a dû être suspendu de ce fait conformément aux dispositions de la loi du 21 octobre 1946. Il appartient à l’Entrepreneur qui est amené à justifier des retards consécutifs à ces intempéries d’en faire la preuve, en fournissant une attestation de la Caisse de Congés Payés du Bâtiment.
Cette attestation est la seule preuve prise en compte, à l’exclusion de tout autre justificatif. ».

L’article 25.3.1 du CCAP dispose que si la réception comporte des réserves, l’entreprise dispose d’un délai d’un mois à compter de la notification du procès-verbal de réception pour y remédier

Selon l’article 25.3.2 B du CCAP, « passé ce délai d’un mois et sans qu’il soit besoin d’une nouvelle mise en demeure, les pénalités de retard prévues à l’article 37.2 ci-après, commencent de nouveau à courir tant qu’il n’a pas été procédé à l’exécution de ces travaux, que ce soit par l’Entreprise ou par celle qui lui est substituée à la demande du Maître de l’Ouvrage agissant aux frais, risques et pour le compte de l’Entreprise.
Un procès-verbal constatant la levée ou non des réserves sera établi à l’expiration de la période contractuelle de garantie visée à l’article 26 ci-après. »

L’article 26 du CCAP rappelle que l’entreprise est tenue pendant à un an à compter de la réception des travaux de la garantie de parfait achèvement.

Il s’évince de ces dispositions que l’absence d’achèvement des travaux en ce compris la non-levée des réserves donne lieu à des pénalités de retard qui sont calculées selon les dispositions de l’article 37.2 et qui ne peuvent, en tout état de cause, dépasser 5 % du montant TTC du marché au décompte général définitif.

Il résulte du marché de travaux conclu le 25 février 2025 que « le délai d’exécution TCE est de 19,5 mois à compter du 25 février 2015, arrivée prévu sur le terrain le 03 mai 2015, soit fin des travaux TCE le 07 octobre 2016. Ce délai comprend les congés payés légaux, mais ne tient pas compte des intempéries non justifiées par la caisse des congés payées du bâtiment ».

Il ressort de l’ordre de service n°05 du 12 avril 2016 qu’eu égard à la commande de travaux supplémentaires entraînent un délai supplémentaire de 6 semaines, soit une fin des travaux TCE au 18 novembre 2016.

Aucun autre document versé aux débats ne permet d’établir que le maître d’ouvrage a validé un autre allongement du délai contractuel d’achèvement des travaux, lesquels ont été réceptionnés le 31 mars 2017 avec réserves.

En revanche, la SA HERVE produit 6 attestations de la Caisse de Congés Payés du Bâtiment établissant pour le chantier en question 12 jours d’intempéries, de sorte qu’il convient, en application des dispositions contractuellement arrêtées entre les parties et rappelées ci-dessus, d’ajouter 12 jours à la date du 18 novembre 2016 pour retenir une date d’achèvement des travaux au 06 décembre 2016.

Bien que ces attestations mentionnent indistinctement les deux chantiers menés en parallèle par la SA HERVE sur la ZAC de la Vache à l’Aise, il n’est pas sérieusement contestable que les intempéries ont nécessairement frappé les deux chantiers sur la même période de temps.

La réception des travaux étant intervenue selon procès-verbal du 31 mars 2017, seul un retard de 113 jours peut être imputé à la SA HERVE.

Si l’article 16.7 du CCAP prévoit que les retards imputables au Maître d’Ouvrage et ceux imputables à la liquidation des biens, au règlement judiciaire, au décès, au fait, à la faute ou à la défaillance de l’entreprise ouvrent droit à prolongation des délais d’exécution à la condition qu’ils aient été présentés par écrit ou sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, et si l’article 37.4 du CCAP prévoit que les pénalités de retard pourront être mises en œuvre sans mise en demeure préalable au titulaire du marché, ces clauses ne dispensent toutefois pas le Maître d’Ouvrage de rapporter la preuve de l’imputabilité du retard à l’entreprise.

Pour démontrer que les 113 jours de retard sont imputables à la SA HERVE, la SCCV LE LUTECE s’appuie d’une part, sur des courriers qu’elle a elle-même rédigés et qui dès lors ne peuvent constituer la preuve d’une quelconque imputabilité des retards à la SA HERVE et d’autre part, sur un unique compte-rendu de chantier n°50 en date du 10 mai 2016.

Ce document ne peut à lui seul établir que l’intégralité du retard est imputable à la seule SA HERVE.

En revanche, il est établi que les travaux de la SA HERVE ont été réceptionnés le 31 mars 2017 avec réserves et cette dernière ne démontre pas, alors que la preuve lui incombe, qu’elle a effectué la levée de ces réserves.

Dès lors, en application des dispositions du CCAP susvisées, la SA HERVE est redevable de pénalités de retard, l’achèvement de ses travaux n’étant pas acquis à la date du 6 décembre 2016 au regard de l’absence de levée des réserves dans le délai de la garantie de parfait achèvement soit le 31 mars 2018, qui se calculent comme suit :

11.090.041,92 € x 1/1.000 x 478 (113+365) = 5.301.040,04 €

Néanmoins, ces pénalités sont plafonnées à 5 % du montant du marché TTC soit 554.502,09 € (11.090.041,92 € x 0.05)

Cette somme de 554.502,09 €, dont le montant n’apparaît pas manifestement excessif eu égard à ce qui est usuellement pratiqué dans la profession et aux réclamations des acquéreurs des différents appartements, doit venir en déduction des sommes dues à la SA HERVE au titre du solde du marché.

Sur les comptes entre les parties

Au regard des développements précédents, les comptes entre les parties s’établissent comme suit :
– montant total du marché : 9.241.701,60 € soit 11.090.041,92 € TTC ;
– remboursement des frais de voirie : 114.684,90 € ;
Soit la somme de 11.204.726,82 € TTC et à laquelle il convient de déduire :

– au titre des travaux modifiés la somme de 38.067,92 € HT soit 45.681,50 € TTC ;
– au titre de la remise en état sur opération voisine la somme de 4314 €, selon conclusions concordantes des parties sur ce point ;
– au titre de la consommation d’eau la somme de 2.776 € selon conclusions concordantes des parties sur ce point ;
– au titre de la consommation de gaz la somme de 13.966 € selon conclusions concordantes des parties sur ce point ;
– au titre des pénalités de retard la somme de 554.502,09 € ;
– au titre des paiements déjà effectués la somme de 10.375.304 € ;
Soit la somme de 10.996.543,59 € TTC.

Soit 11.204.726,82 € TTC – 10.996.543,59 € TTC = 208.183,23 € TTC.

Dès lors, la SCCV LE LUTECE reste à devoir à la SA HERVE la somme de 208.183,23 € TTC, à laquelle elle sera condamnée.

Sur les intérêts moratoires

L’article L 441-6 alinéa 12 du code de commerce prévoit que les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage. Dans ce cas, le taux applicable pendant le premier semestre de l’année concernée est le taux en vigueur au 1er janvier de l’année en question. Pour le second semestre de l’année concernée, il est le taux en vigueur au 1er juillet de l’année en question. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire. Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l’égard du créancier, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification. Toutefois, le créancier ne peut invoquer le bénéfice de ces indemnités lorsque l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire interdit le paiement à son échéance de la créance qui lui est due.

Les pénalités dues par application de ce texte ne constituent pas une clause pénale et ne peuvent donc être réduites en raison de leur caractère abusif (Com. 2 novembre 2011 pourvoi n°10-14.677).

Selon l’article 36 du CCAP, « Après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, les retards de paiement du Maître de l’Ouvrage ouvrent droit, pour l’Entreprise, au paiement d’intérêts moratoires au taux légal majoré de 7 points ».

En l’espèce, ainsi qu’il résulte des développements précédents, la SCCV LE LUTECE reste à devoir un solde de marché de travaux à la SA HERVE.

Par courrier adressé en recommandé avec accusé de réception en date du 15 février 2022, reçu le 17 février 2022, la société Argos agissant pour le compte du liquidateur judiciaire de la SA HERVE a mis en demeure la SCCV LE LUTECE d’avoir à régler le solde du marché de travaux.

Dès lors, la SCCV LE LUTECE sera condamnée à payer à la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire, la somme de 208.183,23 € TTC, augmentée des intérêts au taux légal majoré de 7 points à compter du 17 février 2022.

Sur la demande de fourniture d’une caution de garantie

L’article 1799-1 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que :
« Le maître de l’ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l’article 1779 doit garantir à l’entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat.

Lorsque le maître de l’ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l’établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l’article 1779 tant que celles-ci n’ont pas reçu le paiement de l’intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l’ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l’ouvrage entre les mains de la personne ou d’un mandataire désigné à cet effet.

Lorsque le maître de l’ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu’il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d’une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d’assurance ou un organisme de garantie collective, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat. Tant qu’aucune garantie n’a été fournie et que l’entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l’exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l’issue d’un délai de quinze jours.

Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas lorsque le maître de l’ouvrage conclut un marché de travaux pour son propre compte et pour la satisfaction de besoins ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec ce marché.

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux marchés conclus par un organisme visé à l’article L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation, ou par une société d’économie mixte, pour des logements à usage locatif aidés par l’Etat et réalisés par cet organisme ou cette société ».

L’article 1799-1 étant d’ordre public, les parties ne peuvent y déroger par des conventions particulières (Civ 3ème, 1 décembre 2004, pourvoi n° 03-13.949).

Les sommes dues, au sens de l’article 1799-1 alinéa 1er, s’entendent du prix convenu au titre du marché initial ou d’un nouveau montant qui doit résulter d’un accord des parties (Civ 3ème, 4 janvier 2006, pourvoi n°04-17.226).

La garantie prévue par l’article 1799-1 peut être requise à tout moment, dès lors qu’il subsiste une différence entre le montant du marché et le cumul des acomptes versés par le maître d’ouvrage, même après la réalisation (Civ 3, 15 septembre 2016, pourvoi n°15-19.648) ou la réception des travaux (Civ 3ème , 24 avril 2003, pourvoi n°01-13.439), même en cas de contestation sur le montant des sommes restant dues (Civ 3ème, 17 juin 2015, pourvoi n°14-17.897), même après résiliation du marché (Civ 3ème, 18 mai 2017, pourvoi n°16-16.795). De même, la possibilité d’une compensation future avec une créance du maître de l’ouvrage, même certaine en son principe, ne dispense pas celui-ci de l’obligation légale de fournir la garantie de paiement du solde dû sur le marché (Civ 3ème, 11 mai 2010, pourvoi n°09-14.558).

En l’espèce, il résulte des développements précédents que la SCCV LE LUTECE reste à devoir à la SA HERVE la somme de 208.183,23 € TTC au titre du solde du marché, ce qui suffit à justifier la fourniture de la garantie prévue par l’article 1799-1 du code civil, peu important :

– le fait que les travaux aient été terminés ou le fait que l’entreprise soit en liquidation judiciaire ;
– le fait que certains travaux n’aient pas été réalisés ;
– la bonne ou mauvaise foi de l’entreprise ;
– les éventuelles créances dont le maître d’ouvrage seraient susceptibles de faire valoir par compensation, à titre de dommages et intérêts et/ou de pénalités contractuelles ;
– l’existence de la présente décision, aucun texte ne prévoyant l’impossibilité de cumuler un titre exécutoire et une garantie de paiement.

Dès lors, la SCCV LE LUTECE sera condamnée à fournir un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d’assurance ou un organisme de garantie collective, en garantie de la somme de 208.183,23 € au profit de la SA HERVE, dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte provisoire de 300€ par jour de retard pendant une durée de quatre mois ; rien ne justifie, pour le tribunal de se réserver la liquidation de ladite astreinte.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Succombant, la SCCV LE LUTECE sera condamnée aux dépens de la présente instance.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 1° du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe

CONDAMNE la SCCV LE LUTECE à payer à la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire la SELARL [N] prise en la personne de Maître [O] [E] [N], la somme de 208.183,23 € TTC (deux cent mille cent quatre-vingt-trois euros), augmentée des intérêts au taux légal majoré de 7 points à compter du 17 février 2022 ;

CONDAMNE la SCCV LE LUTECE fournir un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d’assurance ou un organisme de garantie collective, en garantie de la somme de 208.183,23 € au profit de la SA HERVE, dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte provisoire de 300€ par jour de retard pendant une durée de quatre mois ;

CONDAMNE la SCCV LE LUTECE aux dépens de la présente instance ;

CONDAMNE la SCCV LE LUTECE à payer à la SA HERVE représentée par son liquidateur judiciaire la SELARL [N] prise en la personne de Maître [O] [E] [N] la somme de 10.000 € (dix mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit et DIT n’y avoir lieu à l’écarter ;

DÉBOUTE les parties de l’ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions.

La minute a été signée par Madame Charlotte THIBAUD, Vice-Présidente, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon