Conflit d’interprétation sur l’autorité de la chose jugée et l’évolution des droits d’action.

·

·

Conflit d’interprétation sur l’autorité de la chose jugée et l’évolution des droits d’action.

L’Essentiel : La communauté de communes de Val Couserans a confié à la société Rigaronne la construction d’un complexe sportif, assurée par Allianz IARD. Suite à la liquidation judiciaire de Rigaronne en 2010, des actions judiciaires ont été engagées. En 2015, un tribunal a condamné Allianz à verser 15 450 euros pour des travaux, mais d’autres demandes ont été rejetées. En 2017, Rigaronne a été condamnée à payer 371 571 euros à la communauté. En 2018, le maître de l’ouvrage a assigné l’assureur, mais sa demande a été déclarée irrecevable en 2019, ce que la Cour a contesté, reconnaissant un droit d’action directe.

Contexte de l’affaire

La communauté de communes de Val Couserans, représentée par la communauté de communes Couserans-Pyrénées, a confié à la société Rigaronne la construction d’un complexe sportif. Cette société était assurée par Allianz IARD.

Liquidation judiciaire de la société Rigaronne

Le 25 février 2010, un tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Rigaronne, qui avait précédemment été placée en redressement judiciaire.

Actions judiciaires et décisions antérieures

Le 15 avril 2013, le maître de l’ouvrage a engagé une action directe contre l’assureur. Le 4 février 2015, un tribunal de grande instance a condamné l’assureur à verser 15 450 euros pour la réfection de la charpente, sous condition de responsabilité de la société Rigaronne, tout en rejetant d’autres demandes.

Jugement du tribunal administratif

Le 20 décembre 2017, un tribunal administratif a condamné la société Rigaronne à payer 371 571 euros à la communauté de communes de Val Couserans, avec intérêts, à compter du 28 mars 2013.

Nouvelle assignation de l’assureur

Le 11 juin 2018, le maître de l’ouvrage a assigné l’assureur en paiement des sommes dues par la société Rigaronne, suite au jugement du tribunal administratif.

Irrecevabilité de la demande

Le 4 décembre 2019, le tribunal a déclaré la demande du maître de l’ouvrage irrecevable, invoquant l’autorité de la chose jugée par le jugement du 4 février 2015.

Arguments du maître de l’ouvrage

Le maître de l’ouvrage a contesté cette irrecevabilité, arguant que son droit d’action directe était né d’une décision postérieure du tribunal administratif, ce qui justifiait une nouvelle demande.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’aux demandes identiques et que des événements postérieurs peuvent modifier la situation. Elle a constaté que le droit d’action directe du maître de l’ouvrage était fondé sur la décision du tribunal administratif, ce qui aurait dû écarter l’autorité de la chose jugée du jugement de 2015.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’autorité de la chose jugée selon l’article 1355 du code civil ?

L’article 1355 du code civil stipule que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement.

Il est nécessaire que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que les parties soient identiques, formées par elles et contre elles en la même qualité.

Ainsi, l’autorité de la chose jugée est attachée au seul dispositif de la décision.

Elle ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice.

Cela signifie que si un nouveau droit ou une nouvelle situation juridique émerge après un jugement, cela peut justifier une nouvelle demande, même si elle concerne des éléments similaires à ceux déjà jugés.

Comment la cour d’appel a-t-elle appliqué l’article 480 du code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 480 du code de procédure civile dispose que les jugements ont autorité de la chose jugée dans les limites de leur dispositif.

Dans cette affaire, la cour d’appel a retenu l’autorité de la chose jugée par le jugement du 4 février 2015, qui avait rejeté la demande d’indemnisation du maître de l’ouvrage contre l’assureur.

Ce rejet était fondé sur le fait que, faute de réception des travaux, la responsabilité décennale de l’assuré ne pouvait être recherchée sur ce fondement.

Cependant, la cour a également constaté que le tribunal administratif avait statué le 20 décembre 2017 sur la responsabilité de la société Rigaronne.

Cette décision a déterminé la nature du risque qui s’est réalisé et a consolidé le droit d’action directe du maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur.

En ne tenant pas compte de ces éléments, la cour d’appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, ce qui constitue une violation de l’article 480 du code de procédure civile.

Quelles conséquences juridiques découlent de la décision du tribunal administratif du 20 décembre 2017 ?

La décision du tribunal administratif du 20 décembre 2017 a eu pour effet de fixer définitivement la créance du maître de l’ouvrage à l’égard de la société Rigaronne.

Cette décision a également déterminé irrévocablement la nature du risque qui s’est réalisé, ce qui est un élément crucial dans le cadre du contrat d’assurance.

En effet, selon le droit des assurances, la nature du risque est déterminante pour l’application des garanties.

Ainsi, le droit d’action directe du maître de l’ouvrage contre l’assureur est né de cette décision, ce qui constitue un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée du jugement du 4 février 2015.

Cela signifie que le maître de l’ouvrage pouvait légitimement introduire une nouvelle demande contre l’assureur, fondée sur des éléments qui n’étaient pas en cause lors de la première instance.

En conséquence, la cour d’appel aurait dû reconnaître la recevabilité de cette nouvelle demande, en tenant compte des évolutions juridiques et factuelles survenues depuis le jugement initial.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 21 novembre 2024

Cassation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 1073 F-B

Pourvoi n° Q 22-17.351

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

La communauté de communes Couserans-Pyrénées, représentée par son président en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 2], substituant la communauté de communes Val Couserans, a formé le pourvoi n° Q 22-17.351 contre l’arrêt rendu le 4 avril 2022 par la cour d’appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige l’opposant à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la communauté de communes Couserans-Pyrénées, substituant la communauté de communes Val Couserans, de la SCP Duhamel, avocat de la société Allianz IARD, et l’avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 octobre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 4 avril 2022), la communauté de communes de Val Couserans, aux droits de laquelle vient la communauté de communes Couserans-Pyrénées (le maître de l’ouvrage), a confié à la société Rigaronne, assurée auprès de la société AGF assurances, devenue Allianz IARD (l’assureur), la construction d’un complexe sportif.

2. Par un jugement du 25 février 2010, un tribunal de commerce a converti la procédure de redressement judiciaire de la société Rigaronne en liquidation judiciaire.

3. Saisi le 15 avril 2013 de l’action directe du maître de l’ouvrage contre l’assureur, un tribunal de grande instance, par un jugement du 4 février 2015, a condamné l’assureur à payer au maître de l’ouvrage la somme de 15 450 euros au titre de la réfection de la charpente au cas où son assurée serait reconnue responsable par le tribunal administratif saisi et a rejeté les autres demandes.

4. Par un jugement du 20 décembre 2017, rendu entre le maître de l’ouvrage et la société Rigaronne, représentée par son liquidateur, un tribunal administratif a, notamment, condamné cette dernière à payer à la communauté de communes de Val Couserans la somme de 371 571 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2013.

5. Le 11 juin 2018, le maître de l’ouvrage a assigné l’assureur devant un tribunal de grande instance en paiement des sommes mises à la charge de la société Rigaronne par le tribunal administratif.

6. Par un jugement du 4 décembre 2019, dont le maître de l’ouvrage a relevé appel, sa demande a été déclarée irrecevable en raison de l’autorité de la chose précédemment jugée par jugement du 4 février 2015.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. Le maître de l’ouvrage fait grief à l’arrêt de déclarer sa demande irrecevable du fait de l’autorité de la chose jugée de la décision prononcée le 4 février 2015, alors « que s’il incombe aux parties de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature à fonder celles-ci, elles peuvent toutefois présenter de nouvelles demandes, au cours d’une instance ultérieure, dès lors que celles-ci sont fondées sur l’existence d’un droit né après la décision rendue à l’issue de l’instance initiale ; qu’en déclarant irrecevable l’action de la Communauté de communes Couserans-Pyrénées en raison de l’autorité de chose jugée attachée à la décision du tribunal de grande instance de Foix du 4 février 2015, après avoir pourtant constaté que le droit d’action directe de la Communauté de communes Couserans-Pyrénées était né de la décision rendu par le tribunal administratif de Toulouse du 20 décembre 2017, qui avait fixé définitivement sa créance à l’égard de la société Rigaronne, assurée auprès de la société Allianz, ce qui déterminait irrévocablement, au regard du contrat d’assurance, la nature du risque qui s’est réalisé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 480 du code de procédure civile, ensemble l’article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1355 du code civil :

8. Selon ce texte, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement et il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

9. Attachée au seul dispositif de la décision, l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.

10. Pour retenir l’autorité de la chose jugée par le jugement du 4 février 2015, qui a rejeté la demande en indemnisation formée directement par le maître de l’ouvrage contre l’assureur au titre de la responsabilité décennale, au motif que faute de réception des travaux la responsabilité décennale de l’assuré ne pouvait être recherchée sur ce fondement, l’arrêt qui relève que le tribunal administratif a statué, le 20 décembre 2017, sur la responsabilité de la société Rigaronne, déterminant ainsi, au regard du contrat d’assurance, la nature du risque qui s’est réalisé et consolidait le droit d’action directe du maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur, retient que le maître de l’ouvrage n’a pas introduit de procédure en révision, à la supposer recevable ni fait appel du jugement du 4 février 2015.

11. En statuant ainsi, après avoir constaté que le droit d’action directe de la Communauté de communes Couserans-Pyrénées était né de la décision du tribunal administratif du 20 décembre 2017, qui avait fixé définitivement sa créance à l’égard de la société Rigaronne, assurée auprès de la société Allianz, ce qui déterminait irrévocablement la nature du risque qui s’est réalisé, élément qui caractérisait l’existence d’un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée du jugement du 4 février 2015, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon