Conflit d’intérêts et impartialité dans l’exécution des engagements de caution

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Conflit d’intérêts et impartialité dans l’exécution des engagements de caution

L’Essentiel : Le 10 décembre 2008, le Crédit maritime Bretagne Normandie a accordé un prêt de 281 000 euros à la société Chasseur, garanti par M. [E] et Mme [O] en tant que cautions solidaires. En raison de manquements de paiement, le 2 juin 2016, le Crédit maritime a assigné la société et ses cautions. La société Chasseur a été placée en redressement judiciaire le 9 février 2018, suivie d’une liquidation le 7 septembre 2018. M. et Mme [E] ont contesté une décision de la cour d’appel, mais la Cour de cassation a déclaré leur moyen irrecevable, soulignant leur renonciation à contester.

Prêt consenti par le Crédit maritime

Le 10 décembre 2008, la société Crédit maritime Bretagne Normandie a accordé un prêt de 281 000 euros à la société Chasseur. Ce prêt a été garanti par M. [E] et Mme [O], qui se sont portés cautions solidaires jusqu’à hauteur de 140 000 euros, incluant le principal, les intérêts et les pénalités éventuelles.

Non-paiement et actions judiciaires

Le 2 juin 2016, suite à des manquements de paiement, le Crédit maritime a assigné la société Chasseur et ses cautions pour exiger l’exécution de leurs engagements. En parallèle, le 7 décembre 2017, le Crédit maritime a fusionné avec la Banque Populaire Grand Ouest.

Procédures collectives

Le 9 février 2018, la société Chasseur a été placée en redressement judiciaire, avec M. [D] comme mandataire judiciaire. Le 28 mars 2018, le Crédit maritime a déclaré sa créance auprès de ce mandataire. La société a ensuite été mise en liquidation judiciaire le 7 septembre 2018, avec M. [D] désigné comme liquidateur.

Assignations en intervention forcée

Le 4 septembre 2020, la Banque Populaire a assigné M. [D] en intervention forcée, poursuivant ainsi les démarches judiciaires liées à la créance.

Contestation des époux [E]

M. et Mme [E] ont contesté la décision de la cour d’appel qui les a condamnés à payer 54 357,76 euros à la Banque, arguant d’un manque d’impartialité du tribunal. Ils ont souligné que l’affaire avait été jugée par un magistrat ayant déjà eu connaissance d’une procédure antérieure impliquant leur société.

Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation a déclaré irrecevable le moyen des époux [E], précisant qu’ils n’avaient pas exercé leur droit de récusation du magistrat avant la clôture des débats. La cour a ainsi considéré qu’ils avaient renoncé à faire valoir cette violation de leurs droits.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre d’un procès ?

L’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, établi par la loi, qui décidera, soit en matière civile, soit en matière pénale, des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, ou du bien-fondé d’une accusation en matière pénale ».

Cet article garantit le droit à un procès équitable, ce qui inclut le droit d’être entendu par un tribunal impartial.

Dans le cas présent, les époux [E] ont contesté la composition de la juridiction qui a statué sur leur affaire, arguant que l’un des magistrats avait déjà eu connaissance d’une affaire les concernant.

Cependant, la Cour a jugé que les parties avaient la possibilité de récuser le magistrat concerné, conformément à l’article 341, 5° du code de procédure civile, mais qu’elles ne l’avaient pas fait avant la clôture des débats.

Ainsi, elles ont renoncé à faire valoir ce droit, ce qui a conduit à l’irrecevabilité de leur moyen.

Quelles sont les implications de l’article 341, 5° du code de procédure civile concernant la récusation des magistrats ?

L’article 341, 5° du code de procédure civile dispose que « la récusation d’un magistrat peut être demandée pour cause de lien de parenté ou d’alliance avec l’une des parties, ou pour tout autre motif qui pourrait affecter son impartialité ».

Cet article permet aux parties de contester la présence d’un magistrat dans une affaire si elles estiment qu’il existe un motif légitime d’impartialité.

Dans le cas des époux [E], ils auraient dû exercer ce droit de récusation dès qu’ils ont eu connaissance de la composition de la juridiction.

En ne le faisant pas, ils ont implicitement accepté la composition de la cour, ce qui a eu pour effet de rendre leur contestation irrecevable.

La Cour a ainsi souligné que le respect de la procédure est essentiel pour garantir l’équité du procès, et que les parties doivent agir rapidement pour faire valoir leurs droits.

Comment l’article 16 du code de procédure civile s’applique-t-il dans le cadre de la décision de la Cour ?

L’article 16 du code de procédure civile stipule que « le juge doit, en toutes circonstances, faire respecter le droit à un procès équitable et veiller à ce que les parties soient en mesure de faire valoir leurs droits ».

Cet article impose au juge une obligation de vigilance quant au respect des droits des parties tout au long de la procédure.

Dans le cas présent, la Cour a relevé d’office le motif d’irrecevabilité, conformément à cet article, après avoir donné avis aux parties.

Cela signifie que la Cour a pris l’initiative de s’assurer que les droits des époux [E] étaient respectés, même si ceux-ci n’avaient pas agi pour contester la composition de la juridiction.

Cette démarche souligne l’importance de la protection des droits des parties dans le cadre d’un procès, tout en rappelant que les parties ont également des obligations procédurales à respecter.

COMM.

FM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2025

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 26 F-D

Pourvoi n° K 23-15.764

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025

1°/ M. [J] [E],

2°/ Mme [N] [O], épouse [E],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° K 23-15.764 contre l’arrêt rendu le 14 mars 2023 par la cour d’appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Banque Populaire Grand Ouest, société coopérative de banque populaire, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [I] [D], domicilié [Adresse 1], pris en sa qualité de liquidateur de la société Chasseur.

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. et Mme [E], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Banque Populaire Grand Ouest, après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 14 mars 2023), par un acte du 10 décembre 2008, la société Crédit maritime Bretagne Normandie (le Crédit maritime) a consenti à la société Chasseur (la société) un prêt, d’un montant principal de 281 000 euros.

2. Le même jour, M. [E], gérant de la société, et Mme [O], épouse [E] (M. et Mme [E]), se sont rendus cautions solidaires du remboursement de ce prêt dans la limite de la somme de 140 000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard.

3. Le 2 juin 2016, à la suite du non-paiement de plusieurs échéances du prêt, le Crédit maritime a assigné la société et les cautions en exécution de leurs engagements.

4. Le 7 décembre 2017, le Crédit maritime a fait l’objet d’une fusion-absorption par la société Banque Populaire Grand Ouest (la banque).

5. Le 9 février 2018, la société a été placée en redressement judiciaire, M. [D] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.

6. Le 28 mars 2018, le Crédit maritime a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.

7. Le 14 août 2018, il a assigné en intervention forcée M. [D], ès qualités.

8. Le 7 septembre 2018, la société a été placée en liquidation judiciaire, M. [D] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

9. Le 4 septembre 2020, la banque a assigné en intervention forcée M. [D], ès qualités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. M. et Mme [E] font grief à l’arrêt de les condamner à payer à la banque la somme de 54 357,76 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2016, en exécution d’un engagement de caution, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué qu’il a été rendu par une juridiction composée notamment de Mme Clément, présidente de chambre, après que l’affaire a été évoquée devant un magistrat unique, M. [T], qui a tenu seul l’audience, et ce, alors que Mme [Y] avait eu à connaître quelques mois plus tôt, en qualité de présidente du tribunal judiciaire de Quimper, d’une affaire relative à la procédure collective de la SCI Chakaser, dont les époux [E] étaient gérants, M. [E] ayant été entendu à l’audience, et qui avait donné lieu à un jugement du 7 juin 2022, aux termes duquel il avait été décidé de renouveler la période d’observation de la SCI Chakaser plutôt que de statuer sur la faisabilité d’un plan de redressement, au motif que les époux [E] et leur fils « ont fait l’objet d’une procédure pénale diligentée par la DIJP de Brest avec audience fixée le 9 février 2023 et que la SCI Chakaser a fait l’objet d’une saisie pénale immobilière » et « qu’il n’y a aucun fait suspect dans le cadre de la procédure mais il convient de rester vigilant jusqu’au terme de la période d’observation » ; qu’en statuant ainsi, dans une composition comportant un magistrat ayant déjà tranché un litige en prenant en compte le comportement des époux [E], la cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Les débats ayant eu lieu devant une formation collégiale dont la composition pouvait être connue des parties, celles-ci ne sont pas recevables à invoquer devant la Cour de cassation la violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors qu’elles n’ont pas fait usage de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant le magistrat concerné par application de l’article 341, 5° du code de procédure civile et qu’en s’abstenant de le faire avant la clôture des débats, elles ont ainsi renoncé sans équivoque à s’en prévaloir.

12. Par ce motif de pur droit, relevé d’office après avis donné aux parties conformément à l’article 16 du code de procédure civile, le moyen est irrecevable.


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