Conflit de compétence entre juridictions dans le cadre de la garantie décennale des constructeurs.

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Conflit de compétence entre juridictions dans le cadre de la garantie décennale des constructeurs.

L’Essentiel : En 2007, le Département de la Charente a lancé l’aménagement d’un site archéologique à [Localité 6], incluant des ateliers pédagogiques. Après la réception des travaux en mars 2011, des désordres tels que le pourrissement d’un plancher ont été constatés en 2012. En juin 2021, le Département a saisi le tribunal administratif de Poitiers, entraînant la condamnation de plusieurs entreprises à indemniser le Département. En février 2024, l’APAVE a assigné les assureurs des constructeurs, demandant un sursis à statuer. Plusieurs parties ont demandé le dessaisissement au profit du tribunal d’Angoulême, mais l’APAVE s’y est opposée.

Aménagement du site archéologique

En 2007, le Département de la Charente a entrepris l’aménagement d’un site archéologique à [Localité 6], incluant la construction d’un bâtiment d’ateliers pédagogiques. Ce projet a impliqué plusieurs acteurs, notamment un groupement de maîtrise d’œuvre et divers entrepreneurs pour les différents lots de construction, chacun étant assuré par des compagnies d’assurance spécifiques.

Constatation des désordres

Après la réception des travaux en mars 2011, des désordres ont été constatés en 2012, notamment un pourrissement et un affaissement d’un plancher. Suite à une expertise d’assurance et une expertise judiciaire, le Département de la Charente a décidé de saisir le tribunal administratif de Poitiers en juin 2021 pour obtenir la condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.

Condamnation des constructeurs

Le tribunal administratif a condamné plusieurs entreprises à payer une somme de 99.135,90 euros au Département de la Charente et à garantir l’APAVE à hauteur de 90 % des condamnations prononcées. Cette décision a été prise en raison des désordres constatés et des responsabilités engagées des différents acteurs impliqués dans le projet.

Assignation des assureurs

En février 2024, l’APAVE a assigné les assureurs des constructeurs devant le tribunal judiciaire de Poitiers, demandant un sursis à statuer en attendant la décision définitive du tribunal administratif. L’APAVE a également demandé à être indemnisée pour les condamnations à son encontre.

Demandes de dessaisissement

Plusieurs parties, dont AREAS, EUROMAF, SMA SA et la MAF, ont demandé le dessaisissement du tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême, arguant que les affaires étaient liées et qu’il serait dans l’intérêt d’une bonne justice de les traiter ensemble.

Arguments pour le maintien de la procédure

L’APAVE s’est opposée à ce dessaisissement, soutenant que cela retarderait le règlement du litige. Elle a fait valoir que la procédure devant la juridiction administrative était terminée et que des discussions étaient en cours pour un règlement amiable des recours en garantie.

Décision du juge de la mise en état

Le juge de la mise en état a décidé de dessaisir le tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême, considérant que les affaires étaient liées et qu’il était préférable de les instruire ensemble. Le sort des dépens de l’incident a été décidé de suivre celui des dépens attachés au fond.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence du juge de la mise en état selon l’article 789 du code de procédure civile ?

L’article 789 du code de procédure civile précise que le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure.

Cela signifie que ce juge a un rôle exclusif dans la gestion des incidents de procédure, ce qui inclut la décision sur les demandes de dessaisissement.

Il est donc essentiel que les parties respectent cette compétence, car toute contestation sur des questions procédurales doit être adressée à ce juge jusqu’à ce qu’il soit dessaisi de l’affaire.

Quelles sont les conditions pour le dessaisissement d’une juridiction selon l’article 101 du code de procédure civile ?

L’article 101 du code de procédure civile stipule que s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction.

Cela implique que pour qu’un dessaisissement soit justifié, il doit y avoir un lien substantiel entre les affaires concernées, ce qui est le cas ici, puisque les deux affaires traitent des recours en garantie liés à des condamnations prononcées par une juridiction administrative.

Le juge doit alors évaluer si le renvoi est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, ce qui a été décidé dans le cas présent.

Quels sont les enjeux de la demande de dessaisissement formulée par les parties défenderesses ?

Les parties défenderesses, en demandant le dessaisissement au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême, soutiennent que cette instance est liée à celle pendante devant ce tribunal, concernant les recours engagés par les maîtres d’œuvre contre les assureurs.

Elles estiment que le renvoi permettrait une gestion plus cohérente des affaires, étant donné que les deux procédures visent à traiter des questions similaires de responsabilité et de garantie.

Cela pourrait également contribuer à réduire les délais de traitement des affaires, en évitant des décisions contradictoires entre deux juridictions sur des questions de fait et de droit similaires.

Pourquoi l’APAVE s’oppose-t-elle au dessaisissement ?

L’APAVE s’oppose au dessaisissement en arguant que cela alourdirait les délais et le coût du règlement du litige.

Elle souligne que la procédure devant la juridiction administrative est déjà terminée, sans appel du jugement prononcé, et que des discussions sont en cours entre les intervenants pour un règlement amiable.

L’APAVE considère donc que le maintien de la procédure devant le tribunal judiciaire de Poitiers est plus efficace pour parvenir à une résolution rapide des litiges, en évitant des retards supplémentaires qui pourraient découler d’un renvoi.

Quel est le sort des dépens dans cette affaire ?

Le sort des dépens de l’incident suit celui des dépens attachés au fond, comme le stipule la décision du juge de la mise en état.

Cela signifie que les frais engagés pour l’incident de dessaisissement seront pris en compte dans le cadre des dépens globaux de l’affaire principale.

Cette disposition vise à assurer une certaine équité dans la répartition des coûts entre les parties, en évitant que l’une d’elles ne soit pénalisée par des frais supplémentaires liés à des incidents procéduraux.

MINUTE N° :
DOSSIER : N° RG 24/00641 – N° Portalis DB3J-W-B7I-GIPW

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE POITIERS

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
EN DATE DU 09 JANVIER 2025

LE :

Copie simple à :
– Me FOUCHERAULT
– Me CLERC
– Me LE LAIN
– Me SABOURET
– Me LECLER CHAPERON
– Aux parties en LRAR

Copie exécutoire à :
– Me FOUCHERAULT

DEMANDERESSE A L’INCIDENT :

Société AREAS DOMMAGES
ès qualités d’assureur de la SA [O] [X] [W]
dont le siège social est sis [Adresse 3]

Représentée par Me Sébastien FOUCHERAULT, avocat au barreau de DEUX-SEVRES

DEFENDERESSES A L’INCIDENT :

SASU APAVE INFRASTRUCTURES ET CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la société APAVE SUDEUROPE
dont le siège social est sis [Adresse 4]

Représentée par Me Jérôme CLERC, avocat au barreau de POITIERS, avocat postulant et par Me Sylvie BERTHIAUD, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS
ès qualités d’assureur de la SAS [R] ET [I] et de la SARL KEROSENE ARCHITECTURE
dont le siège social est sis [Adresse 2]

Représentée par Me Marion LE LAIN, avocat au barreau de POITIERS

S.A. EUROMAF
ès qualités d’assureur de la société GROUPE ALTO
dont le siège social est sis [Adresse 2]

Représentée par Me Adeline SABOURET, avocat au barreau de POITIERS, avocat postulant et par Me Férouze MEGHERBI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

S.A. SMA SA
ès qualités d’assureur de la société LONGEVILLE
dont le siège social est sis [Adresse 5]

Représentée par Me Cécile LECLER-CHAPERON, avocat au barreau de POITIERS, avocat postulant et par Me Vanessa POISSON, avocat au barreau de la Charente, avocat plaidant

SA MMA IARD
ès qualités d’assureur de la société CORMENIER
dont le siège social est sis [Adresse 1]

Non constituée

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
ès qualités d’assureur de la société CORMENIER
dont le siège social est sis [Adresse 1]

Non constituée

COMPOSITION :

JUGE DE LA MISE EN ETAT : Stéphane WINTER, Vice-président

GREFFIER : Thibaut PAQUELIN, lors de l’audience
Marie PALEZIS, lors de la mise à disposition

Débats tenus publiquement à l’audience d’incidents du 26 septembre 2024.

EXPOSE DU LITIGE :

Le Département de la Charente a fait aménager le site archéologique de [Localité 6] (16) courant 2007, comportant notamment la construction d’un bâtiment d’ateliers pédagogiques, avec :
-une maîtrise d’oeuvre confiée au groupement conjoint constitué de la SA [P] [R], assurée auprès de la MAF, [Y] [I], architectes mandataires, de la SARL KEROSENE, architecte, assurée auprès de la MAF, de la SARL GROUPE ALTO, liquidée, assurée auprès d’EUROMAF,
-le contrôle technique confié à APAVE SUDEUROPE,
et les lots attribués à :
– gros oeuvre : la SAS LONGEVILLE assurée auprès de la SMA SA
-charpente métallique : la Société [O] [X] [W] assurée auprès d’AREAS DOMMAGES
-charpente bois : la SAS CORMENIER, liquidée, assurée auprès des MMA.

Après réception du 11 mars 2011 à date d’effet au 5 mai 2010, constat par le maître de l’ouvrage en 2012 de désordres (pourrissement et affaissement d’un plancher), expertise d’assurance, expertise judiciaire confiée à Monsieur [H] suivant ordonnances des 5 octobre 2015 et 9 février 2016, dont le rapport a été déposé le 23 novembre 2016, le Département de la Charente a saisi le tribunal administratif de Poitiers suivant requête du 8 juin 2021 aux fins de condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale.

Le tribunal administratif a condamné in solidum :
-la SAS [R] & [I], la SARL KEROSENE ATELIER d’ARCHITECTURE, la SELARL JSA (liquidateur de GROUPE ALTO), la SARL [O], la SAS [N], la SELARL [Z] (liquidateur de la SAS CORMENIER) à payer au Département de la Charente la somme de 99.135,90 euros,
-les mêmes à garantir et relever indemne l’APAVE aux droits de laquelle vient la SASU APAVE INFRASTRUCTURES ET CONSTRUCTION France (si après l‘APAVE) à hauteur de 90 % des condamnations prononcées à son encontre au profit du Département de la Charente.

Par actes des 23 février 2024, l’APAVE a fait assigner la MAF, EUROMAF, AREAS DOMMAGES, MMA IARD, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, SMA SA, en leurs qualités d’assureurs des constructeurs ci-dessus énoncés, devant le tribunal judiciaire de Poitiers aux fins qu’il :
-surseoit à statuer dans l’attente d’une décision définitive du tribunal administratif de Poitiers sur les réclamations du Département de la Charente,
-les condamne in solidum à la garantir de toutes condamnations mises à sa charge au profit du Département de la Charente,
-les condamne in solidum à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

*

Par ses dernières conclusions d’incident notifiées par RPVA le 3 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile s’agissant des moyens et arguments développés, AREAS a demandé au juge de la mise en état de dessaisir le tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême et de réserver les dépens.

Par ses conclusions d’incident signifiées par RPVA le 24 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile s’agissant des moyens et arguments développés, EUROMAF a demandé au juge de la mise en état de :

« Vu l’article 101 du code de procédure civile
[…]
Ordonner le dessaisissement de la présente juridiction au profit du Tribunal judiciaire d’Angoulême.
Réserver les dépens ».

Par ses dernières conclusions d’incident notifiées par RPVA le 26 juin 2024, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile s’agissant des moyens et arguments développés, la SMA SA a demandé au juge de la mise en état de dessaisir le tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême et de réserver les dépens.

Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 3 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile s’agissant des moyens et arguments développés, la MAF a demandé au juge de la mise en état de dessaisir le tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême et de joindre les dépens à ceux attachés au fond.

Par conclusions d’incident en réponse notifiées par RPVA le 26 juin 2024, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile s’agissant des moyens et arguments développés, la société APAVE a demandé au juge de la mise en état de rejeter la demande de dessaisissement et de réserver les dépens.

*

L’incident a été plaidé à l’audience du 26 septembre 2024, la décision mise en délibéré au 21 novembre 2024, date prorogée au 9 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION :

L’article 789 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour notamment statuer sur les exceptions de procédure.

L’article 101 du code de procédure civile énonce que s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction.

Les parties défenderesses sollicitent que la présente instance soit renvoyée devant le tribunal judiciaire d’Angoulême chargé de recours engagés par les maîtres d’œuvre à l’encontre d’assureurs d’intervenants au chantier litigieux pour les garantir des condamnations résultant de la procédure judiciaire initiée par le maître de l’ouvrage devant la juridiction administrative, considérant que cette instance à la même finalité que la présente, le lieu du litige étant situé dans le département de la Charente.

L’APAVE s’oppose à ce dessaisissement considérant qu’elle alourdirait les délais et coût du règlement du litige, exposant que la procédure devant la juridiction administrative est terminée, à défaut d’appel du jugement prononcé le 23 janvier 2024 fixant les condamnations au profit du maître de l’ouvrage, et que les discussions sont en cours entre les intervenants au chantier pour le règlement définitif au titre des recours en garantie.

Il n’est pas contesté que la présente instance est liée à celle pendante devant le tribunal judiciaire d’Angoulême, s’agissant du règlement des recours en garantie consécutifs aux responsabilités et condamnation en réparation prononcées par la juridiction administrative au profit du maître de l’ouvrage litigieux.

A ce stade, il ne peut être préjugé que les discussions sur la répartition de la charge des définitive des condamnations prononcées par le tribunal administratif, suivant décision présentée comme définitive, vont aboutir à un règlement amiable entre l’ensemble des parties, motif qui pouvait justifier le maintien de cette procédure connexe devant le tribunal judiciaire de Poitiers.

Dans ces conditions, et par souci d’une bonne administration de la justice, la présente instance sera renvoyée devant le tribunal judiciaire d’Angoulême qui pourra instruire et, le cas échéant, juger les deux affaires à la finalité identique.

Le sort des dépens de l’incident suivra celui des dépens attachés au fond.

PAR CES MOTIFS,

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance réputée contradictoire, et susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,

DESSAISISSONS le tribunal judiciaire de Poitiers au profit du tribunal judiciaire d’Angoulême par application de l’article 101 du code de procédure civile,

DISONS que le sort des dépens de l’incident suivra celui des dépens attachés au fond.

La Greffière Le Juge de la mise en état


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