Compétence territoriale et clauses contractuelles : enjeux et implications

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Compétence territoriale et clauses contractuelles : enjeux et implications

L’Essentiel : La société HPL BASTILLE a assigné T2T BAT pour obtenir la résolution d’un contrat de maîtrise d’œuvre et des indemnités. T2T BAT a soulevé une exception d’incompétence territoriale, demandant le transfert de l’affaire au Tribunal Judiciaire de NANTES. HPL BASTILLE a contesté cette exception et demandé des dommages-intérêts. Le juge a rappelé que, selon le Code de procédure civile, il est compétent pour statuer sur les exceptions jusqu’à dessaisissement. Il a rejeté l’exception de T2T BAT, considérant la clause de compétence valable. Les dépens ont été réservés et les demandes fondées sur l’article 700 ont été rejetées.

Exposé de l’incident

La société civile de construction-vente HPL BASTILLE a assigné la société T2T BAT le 28 juillet 2023, demandant la résolution du contrat de maîtrise d’œuvre d’exécution signé le 4 décembre 2020 et l’indemnisation des préjudices. T2T BAT a, par la suite, soulevé une exception d’incompétence territoriale, demandant le dessaisissement du tribunal au profit du Tribunal Judiciaire de NANTES et la condamnation de HPL BASTILLE à verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. En réponse, HPL BASTILLE a demandé le rejet de cette exception et la condamnation de T2T BAT à lui verser la même somme. L’incident a été fixé pour plaidoirie le 2 décembre 2024, avec une décision attendue le 6 janvier 2025.

Motivation de la décision

Concernant l’exception d’incompétence, le juge a rappelé que selon l’article 789 du Code de procédure civile, il est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure jusqu’à son dessaisissement. L’article 42 précise que la juridiction compétente est celle du lieu de résidence du défendeur, mais le demandeur peut également saisir la juridiction du lieu de livraison ou d’exécution de la prestation. La clause de compétence territoriale dans le contrat stipule que les tribunaux du siège social du maître d’ouvrage sont seuls compétents. La société HPL BASTILLE, exerçant une activité commerciale, a été qualifiée de « commerçant », rendant la clause de compétence valable. Le juge a donc rejeté l’exception d’incompétence soulevée par T2T BAT.

Dépens et demandes fondées sur l’article 700

Le juge a statué que, selon l’article 790, il peut se prononcer sur les dépens et les demandes en vertu de l’article 700. Étant donné que la décision ne met pas fin à l’instance, les dépens sont réservés. Concernant les demandes fondées sur l’article 700, le juge a décidé de ne pas y faire droit, tenant compte de l’équité et de la situation économique des parties.

Conclusion

Le juge a rejeté l’exception d’incompétence territoriale de T2T BAT, réservé les dépens, et rejeté les demandes des deux sociétés sur le fondement de l’article 700. L’affaire a été renvoyée à la mise en état pour le 10 mars 2025, avec des conclusions à soumettre avant le 5 mars 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence territoriale applicable dans ce litige ?

La compétence territoriale est régie par plusieurs articles du Code de procédure civile.

L’article 42 alinéa 1 stipule que :

“la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.”

Cela signifie que, par défaut, le tribunal du domicile du défendeur est compétent pour juger le litige.

Cependant, l’article 46 du même code précise que :

“le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service définie contractuellement.”

Ainsi, le demandeur a la possibilité de choisir une autre juridiction en fonction des circonstances du contrat.

De plus, l’article 48 indique que :

“Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.”

Dans ce cas, la clause de compétence territoriale figurant dans le contrat de maîtrise d’œuvre stipule que :

“les Tribunaux du lieu du siège social du Maître d’ouvrage seront seuls compétents.”

Cela signifie que la société HPL BASTILLE a choisi de soumettre les litiges à la juridiction de son siège social, ce qui est conforme aux dispositions légales.

En conséquence, la compétence territoriale du Tribunal judiciaire de Lyon est justifiée, et l’exception d’incompétence soulevée par la société T2T BAT a été rejetée.

Quelles sont les conséquences des demandes formées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que :

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide.”

Cet article permet au juge d’allouer une somme à la partie gagnante pour couvrir les frais non compris dans les dépens.

Cependant, il est également précisé que :

“Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.”

Cela signifie que le juge a une certaine latitude pour décider de l’octroi ou non de cette somme, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire.

Dans le cas présent, le juge a décidé de ne pas faire droit aux demandes formées sur le fondement de l’article 700, en considérant que l’équité ne justifiait pas une telle condamnation.

Ainsi, les demandes de la société HPL BASTILLE et de la société T2T BAT sur ce fondement ont été rejetées, et les dépens ont été réservés dans l’attente d’une décision mettant définitivement fin à l’instance.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE LYON

Chambre 10 cab 10 H

N° RG 23/05943 – N° Portalis DB2H-W-B7H-YHJY

Notifiée le :

Expédition à :
Maître Florestan ARNAUD de la SELARL CARNOT AVOCATS – 757
Me Caroline CAUZIT – 2081

ORDONNANCE

Le 06 Janvier 2025

ENTRE :

DEMANDERESSE

Société SCCV HPL BASTILLE,
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Florestan ARNAUD de la SELARL CARNOT AVOCATS, avocats au barreau de LYON

ET :

DEFENDERESSE

S.A.R.L. T2T BAT,
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Caroline CAUZIT, avocat postulant du barreau de LYON et par Maître Florent LUCAS de la SELARL CORNET VINCENT SEGUREL, avocat plaidant du barreau de NANTES

EXPOSE DE L’INCIDENT

La société civile de construction-vente HPL BASTILLE a fait assigner la société à responsabilité limitée T2T BAT par acte de commissaire de justice signifié le 28 juillet 2023 aux fins, pour l’essentiel, de solliciter la résolution aux torts exclusifs de celle-ci du contrat de maîtrise d’oeuvre d’exécution signé le 4 décembre 2020 et l’indemnisation des préjudices allégués.

Aux termes de conclusions d’incident notifiées le 19 septembre 2024, auxquelles il sera envoyé pour un plus ample exposé des prétentions émises et des moyens soulevés, la société T2T BAT demande au juge de la mise en état, en vertu des dispositions du contrat précité et des articles 48 et 789 du Code de procédure civile, de :
déclarer l’exception d’incompétence territoriale soulevée recevable et bien fondée,y faisant droit, se dessaisir du présent litige au profit du Tribunal Judiciaire de NANTES et renvoyer en conséquence la cause et les parties devant cette juridiction,condamner la SCCV HPL BASTILLE à lui verser la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,condamner la même aux entiers dépens.
Aux termes de conclusions d’incident notifiées le 29 mars 2024, auxquelles il sera envoyé pour un plus ample exposé des prétentions émises et des moyens soulevés, la société HPL BASTILLE demande au juge de la mise en état, en vertu des dispositions du contrat précité et de l’article 48 du Code de procédure civile, de :
rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la société T2T BAT,débouter la société T2T BAT de l’intégralité de ses demandes,condamner la société T2T BAT à lui payer la somme de 2.000,00 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,condamner la société T2T BAT aux entiers dépens.
L’incident a été fixé à l’audience de plaidoirie du 2 décembre 2024, à l’issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 6 janvier 2025.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

Sur l’exception d’incompétence au profit du Tribunal judiciaire de NANTES
En application de l’article 789 du c+Code de procédure civile :

“Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ; (…).”

En parallèle, l’article 42 alinéa 1 dudit code prévoit que “la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.”

Toutefois et conformément aux dispositions de l’article 46 du Code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service définie contractuellement. De plus, en vertu de l’article 48 du même code, “Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.”

A cet égard, aux termes de l’article L. 121-1 du Code de commerce, “sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.”

L’article L. 110-1 2° du Code de commerce, dans la rédaction en vigueur du 30 janvier 2013 au 1er janvier 2022, énonce par ailleurs que la loi répute acte de commerce tout achat de biens immeubles aux fins de les revendre, à moins que l’acquéreur n’ait agi en vue d’édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux.

Sur ce, il résulte du contrat conclu le 4 décembre 2020 avec la société HPL BASTILLE, maître de l’ouvrage, que la société T2T BAT s’est vu confier des missions de maîtrise d’oeuvre d’exécution et d’ordonnancement, pilotage et coordination des entreprises trois corps d’état portant sur un ensemble immobilier de quarante maisons individuelles groupées et stationnements à édifier au sein du lotissement [Adresse 3], sur la commune de [Localité 4] (85).

Le contrat précité prévoit à l’article numéroté quinze que :

“Les parties conviennent d’essayer de régler amiablement leurs différends avant toutes saisines des juridictions.

A défaut, les Tribunaux du lieu du siège social du Maître d’ouvrage seront seuls compétents”.

Il ressort ensuite de l’extrait Kbis à jour au 4 décembre 2023 que la société HPL BASTILLE, société civile de construction-vente, à qui s’imposent conséquemment les dispositions du Code civil et du Code de la construction et de l’habitation, a pour activités principales “l’acquisition, en vue de la construction et de la vente, de tous biens ou volumes immobiliers situés en France, la réalisation de tous travaux de construction et de rénovation de tous immeubles, la vente, en totalité ou par lots, des constructions édifiées soit en l’état futur d’achèvement ou à terme, soit après achèvement”, ce qui caractérise une activité habituelle de nature commerciale, les opérations étant réalisées à fin de revente et de recherche de bénéfice. En effet, si le programme immobilier pour lequel le contrat litigieux a été conclu était destiné à être commercialisé en l’état futur d’achèvement, la société HPL BASTILLE a également pour activités principales l’achat de biens immeubles en vue de les rénover et de les revendre, soit des actes de commerce.

Il en infère que la société HPL BASTILLE, société civile exerçant habituellement une activité commerciale, doit être qualifiée de “commerçant”.

La société T2T BAT estime que la clause dérogeant aux règles de compétence territoriale ne figure pas en caractère très apparents dans le contrat de maîtrise d’oeuvre litigieux, sans expliciter son propos. Il apparaît, au reste, que cette clause est positionnée au dernier article du document précité, soit juste au-dessus de l’espace où les contractants doivent apposer leur signature, si bien qu’elle peut difficilement échapper à leur vigilance.

La formulation employée étant non équivoque, il peut être considéré que la clause dérogatoire d’attribution a été spécifiée “de façon très apparente” dans la convention.

C’est donc à bon droit que la société HPL BASTILLE en a fait application et a saisi le Tribunal judiciaire de LYON du litige l’opposant à la société T2T BAT.

En conséquence, l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société T2T BAT sera rejetée.

Sur les dépens et les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile
Aux termes de l’article 790 du code de procédure civile, “le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700.”

A cet égard, l’article 696 du code de procédure civile prévoit que “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.”

En l’occurrence, la présente décision ne mettant pas fin à l’instance, les dépens seront réservés.

L’article 700 dudit Code prévoit que :

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %.”

L’équité requiert de ne pas faire droit aux demandes formées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Nous, Juge de la mise en état, statuant publiquement après débats publics par ordonnance contradictoire rendue en premier ressort par mise à disposition au Greffe,

Rejetons l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société à responsabilité limitée T2T BAT ;

Réservons les dépens dans l’attente d’une décision mettant définitivement fin à l’instance ;

Rejetons les demandes formées dans le présent incident par la société civile de construction-vente HPL BASTILLE et la société à responsabilité limitée T2T BAT sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Renvoyons l’affaire à la mise en état du 10 mars 2025 à 09h30 pour les conclusions au fond de Maître Caroline CAUZIT ;

Disons que les messages et conclusions devront être notifiés au greffe avant le 5 mars 2025 à minuit, à peine de rejet ;

Rejetons toutes les autres demandes plus amples ou contraires.

La greffière la juge de la mise en état

Patricia BRUNON Marlène DOUIBI


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