Compétence juridictionnelle et résistance abusive dans le cadre d’une indemnisation pour préjudice corporel

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Compétence juridictionnelle et résistance abusive dans le cadre d’une indemnisation pour préjudice corporel

L’Essentiel : Madame [O] [L] [Z] [E] a assigné la SA CARREFOUR en référé pour obtenir des sommes provisionnelles suite à un accident survenu dans un magasin le 13 juillet 2020. Elle réclame 5.578,93 euros pour un protocole d’indemnisation et 2.000 euros pour résistance abusive. Malgré un accord entre assureurs, le paiement n’a pas été effectué. Lors de l’audience finale le 6 décembre 2024, la SA CARREFOUR a soulevé une exception d’incompétence, mais le juge a confirmé la compétence du tribunal judiciaire. La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a été condamnée à verser 1.000 euros à la demanderesse pour frais de justice.

Exposé du litige

Madame [O] [L] [Z] [E] a assigné la SA CARREFOUR en référé pour obtenir le paiement de sommes provisionnelles suite à un accident corporel survenu dans un magasin CARREFOUR le 13 juillet 2020. Elle réclame 5.578,93 euros pour l’exécution d’un protocole d’indemnisation et 2.000 euros pour résistance abusive, ainsi qu’une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Malgré un accord d’indemnisation entre les assureurs, la société CARREFOUR n’a pas effectué le paiement dans les délais convenus.

Déroulement de l’audience

L’affaire a été entendue à plusieurs reprises, avec une audience finale le 6 décembre 2024. Madame [O] [L] [Z] [E] a maintenu ses demandes, se désistant de la demande provisionnelle après le paiement intervenu. En défense, la SA CARREFOUR a soulevé une exception d’incompétence, arguant que le tribunal de proximité devait être saisi, tout en demandant le rejet des demandes de Madame [O] [L] [Z] [E].

Arguments des parties

La SA CARREFOUR et la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ont soutenu que la demande d’indemnisation ne relevait pas de la compétence du tribunal judiciaire, invoquant un montant inférieur à 10.000 euros. Elles ont également contesté la résistance abusive, affirmant que le paiement n’avait pas été effectué en raison de l’absence de retour de la quittance signée par la demanderesse.

Décisions du juge

Le juge a reçu l’intervention de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES et a rejeté l’exception d’incompétence, affirmant que le tribunal judiciaire était compétent pour les litiges relatifs à l’indemnisation du préjudice corporel. La demande d’indemnisation pour résistance abusive a été rejetée, car aucune résistance n’a été constatée. La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a été condamnée à verser 1.000 euros à Madame [O] [L] [Z] [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance.

Conclusion

La décision a été rendue le 7 janvier 2025, confirmant la compétence du tribunal judiciaire et rejetant les demandes de résistance abusive, tout en condamnant la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à indemniser la demanderesse pour les frais de justice.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence du tribunal judiciaire en matière d’indemnisation du préjudice corporel ?

Le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des actions en réparation d’un dommage corporel, conformément à l’article L.211-4-1 du code de l’organisation judiciaire. Cet article précise que :

« Le tribunal judiciaire connaît des actions en réparation d’un dommage corporel. »

Ainsi, même si la demande initiale porte sur une somme inférieure à 10.000 euros,

la nature de l’objet de la demande, qui concerne l’indemnisation d’un préjudice corporel, confère au tribunal judiciaire une compétence exclusive.

L’article D.212-19-1 du même code, qui stipule que les actions personnelles ou mobilières jusqu’à la valeur de 10.000 euros relèvent des chambres de proximité, ne s’applique pas ici.

En effet, le principe d’immutabilité de la demande signifie que le désistement de la demanderesse de sa demande principale n’affecte pas l’objet de la demande,

qui reste lié à l’indemnisation du préjudice corporel. Par conséquent, le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur cette affaire.

Quelles sont les conditions pour établir une résistance abusive ?

L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile stipule que :

« Dans les cas où l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Pour qu’une résistance abusive soit reconnue, il faut établir le caractère incontestable de l’obligation et l’existence d’un abus de droit.

L’article 32-1 du même code précise que :

« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »

Dans le cas présent, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a payé la quittance indemnitaire après la délivrance de l’assignation,

ce qui signifie qu’aucune résistance n’est constatée. De plus, Madame [O] [L] [Z] [E] n’a pas prouvé avoir transmis l’offre indemnitaire signée,

ni produit l’accusé de réception de la mise en demeure. Par conséquent, la demande d’indemnisation pour résistance abusive a été rejetée.

Quels sont les critères pour l’octroi d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ?

L’article 700 du code de procédure civile dispose que :

« La partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Cette disposition permet au juge d’accorder une indemnité à la partie gagnante pour couvrir ses frais de justice.

Les critères pour l’octroi de cette indemnité incluent la nature de l’affaire, la situation financière des parties, et l’équité.

Dans cette affaire, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a été condamnée à payer une indemnité de 1.000 euros à Madame [O] [L] [Z] [E] en application de l’article 700,

car elle a été considérée comme partie succombante, ayant payé la somme demandée à titre principal en cours d’instance.

Le juge a estimé que cette somme était équitable au regard des circonstances de l’affaire.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français

Tribunal judiciaire d’EVRY
Pôle des urgences civiles
Juge des référés

Ordonnance du 7 janvier 2025
MINUTE N° 25/______
N° RG 24/00500 – N° Portalis DB3Q-W-B7I-QCFC

PRONONCÉE PAR

Carol BIZOUARN, Première vice-présidente,
Assistée de Fabien DUPLOUY, greffier, lors des débats à l’audience du 6 décembre 2024 et de Alexandre EVESQUE, greffier, lors du prononcé

ENTRE :

Madame [O] [L] [Z] [E]
demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître Pascal HORNY de la SCP HORNY-MONGIN-SERVILLAT, avocat au barreau de l’ESSONNE

DEMANDERESSE

D’UNE PART

ET :

S.A. CARREFOUR
dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Charlotte GUITTARD de la SCP DAMOISEAU ET ASSOCIÉS, avocate postulante au barreau de l’ESSONNE, et par Maître Paul RICARD de la SELARL JP KARSENTY ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : R156

DÉFENDERESSE

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES
dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Charlotte GUITTARD de la SCP DAMOISEAU ET ASSOCIÉS, avocate postulante au barreau de l’ESSONNE, et par Maître Paul RICARD de la SELARL JP KARSENTY ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : R156

PARTIE INTERVENANTE

D’AUTRE PART

ORDONNANCE : Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort.

**************

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de commissaire de justice du 16 mai 2024, Madame [O] [L] [Z] [E] a assigné en référé la SA CARREFOUR devant le président du tribunal judiciaire d’Évry, au visa de l’article 835 du code de procédure civile, pour voir :
– Condamner la société CARREFOUR à lui payer à titre provisionnel les sommes de 5.578,93 euros au titre de l’exécution du protocole et 2.000 euros au titre de la résistance abusive ;
– Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal et que les intérêts seront capitalisés annuellement ;
– Condamner la société CARREFOUR à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu’elle a été victime d’un accident corporel dans les allées du magasin CARREFOUR, le 13 juillet 2020, dont l’indemnisation a fait l’objet d’un accord entre la société PACIFICA, son assureur protection juridique, et l’assureur de la société CARREFOUR. Une expertise amiable a été réalisée dont les conclusions n’ont pas fait l’objet d’observation. Elle indique qu’à l’issue des échanges entre les parties, la société CARREFOUR a tardé à lui faire une offre et que c’est seulement en fin d’année 2022 qu’elle lui a adressé la quittance définitive d’un montant de 4.578,93 euros, qu’elle a elle-même signée le 21 décembre 2022. Pourtant, alors que les fonds devaient être versés sous trente jours, aucun paiement n’a été effectué au jour de l’assignation.

L’affaire a été appelée à l’audience du 4 juin 2024 puis a fait l’objet de plusieurs renvois à la demande des parties et a été entendue à l’audience du 6 décembre 2024.

A l’audience, Madame [O] [L] [Z] [E], représentée par son avocat, a soutenu son acte introductif d’instance, déposé ses telles que visées dans l’assignation, et se référant à ses conclusions écrites visées par le greffe, s’est désistée de sa demande provisionnelle au titre de la quittance, en raison du paiement intervenu en cours d’instance, et a maintenu ses autres demandes.

Répondant à l’exception d’incompétence soulevée en défense, elle en a sollicité le rejet au motif que le contentieux de l’indemnisation du préjudice corporel est de la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

En défense, la SA CARREFOUR et la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, partie intervenante, représentées par leur avocat, se référant à leurs conclusions écrites complétées oralement, ont sollicité :
– Se déclarer incompétent au profit du tribunal de proximité ;
– Débouter Madame [O] [L] [Z] [E] de sa demande au titre de la résistance abusive ;
– La débouter de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner à payer à la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Elles font valoir que la SA CARREFOUR doit être mise hors de cause au profit de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES qui intervient volontairement à l’instance. Elles indiquent qu’en application de l’article D.212-19-1 du code de l’organisation judiciaire, les actions personnelles ou mobilières inférieures à 10.000 euros sont de la compétence du tribunal de proximité. A titre subsidiaire, elles précisent que si elles n’ont pas payé l’indemnité offerte, c’est uniquement parce que la demanderesse n’a jamais retourné l’exemplaire signé portant acceptation de l’offre et qu’elles ont donc régularisé ce paiement en cours de procédure lorsque cette acceptation a été confirmée, de sorte qu’aucune résistance abusive ne peut leur être imputée.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience ainsi qu’à la note d’audience.

A l’issue des débats, il a été indiqué aux parties que l’affaire était mise en délibéré au 7 janvier 2025 et que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur la procédure

Il convient de recevoir l’intervention volontaire de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, laquelle n’est en l’espèce pas contestée.

En revanche, en application de l’article 768 du code de procédure civile, le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Dès lors, les moyens développés à l’appui de la mise hors de cause de la SA CARREFOUR ne donnant lieu à aucune demande dans les termes du dispositif des écritures des défenderesses, il n’y a pas lieu de les examiner.

Sur l’exception d’incompétence

L’article 75 du code de procédure civile prévoit que s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée.

En application de l’article D.212-19-1 du code de l’organisation judiciaire, l’annexe Tableau IV-II dispose que les actions personnelles ou mobilières jusqu’à la valeur de 10.000 euros et les demandes indéterminées qui ont pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 10.000 euros, en matière civile sont de la compétence des chambres de proximité.

Mais l’article L.211-4-1 du même code précise que le tribunal judiciaire connaît des actions en réparation d’un dommage corporel, ce qui constitue une compétence exclusive.

Or, si c’est l’objet de la demande qui permet de déterminer lequel de ces articles doit, en l’espèce s’appliquer, cet objet est fixé par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense.

Au cas présent, la demande initiale porte sur l’indemnisation du préjudice corporel subi par Madame [O] [L] [Z] [E] tel qu’il a fait l’objet d’une offre d’indemnisation par l’assureur des défenderesses.

Dès lors, en application du principe d’immutabilité de la demande, le désistement de la demanderesse de sa demande principale est sans incidence sur l’objet de la demande. Il en résulte que s’agissant bien d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice corporel, le tribunal judiciaire se trouve compétent.

L’exception sera donc rejetée.

Sur la demande d’indemnisation pour résistance abusive

L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que dans les cas où l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Le constat d’une résistance abusive nécessite que soit établi le caractère incontestable de l’obligation et l’existence d’un abus de droit qui ne peut consister dans la simple résistance à une action en justice.

Au cas présent, il apparait que la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a payé la quittance indemnitaire litigieuse après la délivrance de l’assignation en date du 16 mai 2024. Aucune résistance n’est donc constatée dans le cadre de la présente procédure.

S’agissant de la période antérieure à l’assignation, si Madame [O] [L] [Z] [E] démontre avoir signé l’offre indemnitaire le 21 décembre 2022, elle n’établit pas l’avoir transmise à sa débitrice qui en conteste la réception. En outre, elle ne produit pas l’accusé de réception de la mise en demeure datée du 13 septembre 2023 adressée par son conseil à la société CARREFOUR.

Dès lors, elle échoue à démontrer l’existence d’une résistance abusive de la SA CARREFOUR ou de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES et sera déboutée de sa demande.

Sur les frais et dépens

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ayant payé la somme demandée à titre principal dans le cadre de la présente procédure, en cours d’instance, elle sera considérée comme partie succombante et condamné aux dépens de la présente procédure de référé.

En application de l’article 700 du code de procédure civile la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES sera condamnée à payer à Madame [O] [L] [Z] [E] une indemnité de procédure qu’il est équitable de fixer à la somme de 1.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés, statuant, après débats en audience publique, par ordonnance contradictoire rendue par voie de mise à disposition au greffe et en premier ressort,

RECOIT l’intervention volontaire de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ;

REJETTE l’exception d’incompétence et se déclare compétent pour statuer sur la demande ;

CONSTATE le désistement de Madame [O] [L] [Z] [E] de sa demande de paiement provisionnel ;

REJETTE la demande d’indemnisation au titre de la résistance abusive ;

CONDAMNE la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à Madame [O] [L] [Z] [E] une somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES aux dépens de l’instance en référé ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit.

Ainsi fait et prononcé par mise à disposition au greffe, le 7 janvier 2025, et nous avons signé avec le greffier.

Le Greffier, Le Juge des Référés,


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