Cautionnement et disproportion des engagements : enjeux de responsabilité financière.

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Cautionnement et disproportion des engagements : enjeux de responsabilité financière.

L’Essentiel : La société Labat et Cie a cédé ses actions à JB Investissement, financé par un prêt de la Banque Pelletier, garanti par M. [U]. Suite à la liquidation de JB Investissement, la société Nacc a engagé une saisie-vente contre M. [U] pour son cautionnement. Ce dernier a contesté la validité de son engagement, arguant qu’il était disproportionné par rapport à sa situation financière. La Cour a rappelé que, selon le code de la consommation, un cautionnement manifestement disproportionné ne peut être opposé, mais a noté que M. [U] n’avait pas prouvé cette disproportion, remettant en question la diligence de la banque.

Contexte de l’affaire

Les associés de la société Labat et Cie ont cédé leurs actions à la société JB Investissement le 23 novembre 2009. Ce transfert a été financé par un prêt consenti par la société Banque Pelletier, garanti par un cautionnement de M. [U].

Développement de la procédure

Suite à la mise en redressement puis en liquidation judiciaire de la société JB Investissement, la société Nacc, ayant acquis les droits de la Banque Pelletier, a engagé une procédure de saisie-vente contre M. [U] pour exécuter son engagement de caution. En réponse, M. [U] a contesté la validité de son cautionnement, arguant qu’il était manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus.

Arguments de M. [U]

M. [U] a soutenu que le cautionnement ne pouvait être opposable, car son engagement était disproportionné à sa situation financière au moment de sa conclusion. Il a également fait valoir que la banque aurait dû prendre en compte l’ensemble de ses engagements financiers, y compris ceux envers d’autres établissements, pour évaluer la validité de son cautionnement.

Décision de la Cour

La Cour a rappelé que, selon l’article L. 341-4 du code de la consommation, un créancier ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné, sauf si la caution peut faire face à son obligation au moment où elle est appelée. La Cour a constaté que M. [U] n’avait pas fourni suffisamment d’éléments pour prouver que son engagement était disproportionné, tout en notant que la banque n’avait pas vérifié l’existence d’autres engagements de caution souscrits par M. [U].

Conclusion de la Cour

La Cour a conclu que la décision de la cour d’appel n’était pas suffisamment fondée, car elle n’avait pas examiné si la Banque Pelletier avait connaissance des autres engagements de M. [U] au moment de la souscription du cautionnement. Cela a conduit à une absence de base légale pour déclarer le cautionnement opposable.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article L. 341-4 du code de la consommation concernant la disproportion manifeste d’un cautionnement ?

L’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016, stipule que :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Cet article vise à protéger les cautions, en leur permettant de contester la validité de leur engagement si celui-ci est manifestement disproportionné par rapport à leur situation financière au moment de la conclusion du contrat.

Il est important de noter que la disproportion doit être appréciée non seulement en tenant compte du montant du cautionnement, mais également de l’ensemble des engagements financiers de la caution. Cela inclut les autres cautionnements et dettes qui pourraient affecter sa capacité à honorer l’engagement pris.

Ainsi, la cour d’appel a commis une erreur en ne prenant pas en compte l’ensemble des charges pesant sur M. [U], ce qui aurait pu démontrer la disproportion manifeste de son engagement de caution.

Comment la cour d’appel a-t-elle interprété la charge de la preuve dans le cadre de la disproportion du cautionnement ?

La cour d’appel a estimé que M. [U] ne fournissait pas suffisamment d’éléments pour justifier que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus au moment de la conclusion du contrat.

Elle a relevé que M. [U] avait produit une fiche patrimoniale mentionnant un salaire annuel de 60 000 euros, la propriété d’un appartement d’une valeur de 250 000 euros, ainsi que des comptes et placements d’un montant de 270 000 euros.

Cependant, la cour a également noté que M. [U] avait un emprunt pour l’appartement d’un montant de 120 000 euros, ce qui réduisait sa capacité financière.

En se basant sur ces éléments, la cour a conclu que M. [U] tentait d’inverser la charge de la preuve, qui lui incombait de démontrer que ses biens et revenus étaient insuffisants pour justifier la disproportion de son engagement.

Cette interprétation soulève des questions sur la manière dont la charge de la preuve est répartie entre le créancier et la caution, notamment en ce qui concerne la connaissance des engagements antérieurs de la caution par le créancier.

Quelles sont les implications de la décision de la cour d’appel sur la responsabilité des créanciers professionnels ?

La décision de la cour d’appel a des implications significatives pour la responsabilité des créanciers professionnels, notamment en ce qui concerne leur obligation de diligence lors de l’évaluation de la capacité financière des cautions.

L’article L. 341-4 impose aux créanciers de s’assurer que l’engagement de caution n’est pas manifestement disproportionné par rapport à la situation financière de la caution. Cela signifie que les créanciers doivent prendre en compte l’ensemble des engagements de la caution, y compris ceux souscrits auprès d’autres établissements.

En ne vérifiant pas si la Banque Pelletier avait connaissance des autres engagements de M. [U], la cour d’appel a manqué de considérer la responsabilité du créancier dans l’évaluation de la situation financière de la caution.

Cette omission pourrait inciter les créanciers à adopter une approche plus rigoureuse dans l’analyse des situations financières des cautions, afin de se prémunir contre des contestations ultérieures de la validité des cautionnements.

Ainsi, la décision souligne l’importance pour les créanciers de mener des enquêtes approfondies sur la situation patrimoniale des cautions avant d’accepter un engagement de cautionnement.

COMM.

SH

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2025

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 29 F-D

Pourvoi n° Q 23-22.093

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JANVIER 2025

M. [H] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 23-22.093 contre l’arrêt rendu le 5 septembre 2023 par la cour d’appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l’opposant à la société Veraltis Asset Management, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Nacc, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [U], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Veraltis Asset Management, anciennement dénommée Nacc, et l’avis de M. Bonthoux, avocat général, après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 5 septembre 2023), par un acte du 23 novembre 2009, les associés de la société Labat et Cie ont cédé les actions qu’ils détenaient dans cette société à la société JB investissement (la société), dont le gérant était M. [H] [U].

2. Par un acte notarié du même jour, la société Banque Pelletier a consenti à la société un prêt destiné à financer cette acquisition, garanti par le cautionnement de M. [U].

3. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société Nacc, nouvellement dénommée Veraltis Asset Management, venant aux droits de la société Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique par contrat de cession de créance du 4 février 2016, elle-même venant aux droits de la société Crédit commercial du Sud-Ouest par fusion-absorption du 11 mars 2015, elle-même venant aux droits de la société Banque Pelletier par fusion-absorption du 10 novembre 2011, a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente à l’encontre de M. [U] en exécution de son engagement de caution.

4. M. [U] a assigné la société Nacc en caducité et en inopposabilité de son engagement en raison de sa disproportion manifeste à ses biens et revenus.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

5. M. [U] fait grief à l’arrêt de lui déclarer opposable le cautionnement qu’il avait souscrit auprès de la Banque Pelletier, aux droits de laquelle est venue la société Nacc, nouvellement dénommée Veraltis Asset Management, alors :

« 1°/ qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que la disproportion manifeste du cautionnement litigieux au moment de sa conclusion doit s’apprécier à cette date, non pas en comparant le montant de ce seul engagement au regard des biens et revenus de la caution, mais en tenant compte de l’endettement global de celle-ci, ce qui inclut notamment l’ensemble des cautionnements pesant sur cette dernière ; qu’en se fondant néanmoins, pour écarter la disproportion de l’engagement de caution souscrit par M. [U] au profit de la Banque Pelletier, sur une comparaison des biens et revenus de la caution avec ce seul engagement, et non avec l’ensemble des cautionnements invoqués par M. [U] au titre des charges pesant sur lui, notamment ceux consentis au profit des autres banques ayant, aux côtés de la Banque Pelletier, accordé les prêts nécessaires au financement de l’acquisition de la société Labat et Cie par la société JB Investissement dont il était le dirigeant, la cour d’appel s’est déterminée par une motivation impropre à justifier sa décision et a ainsi violé l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 ;

2°/ qu’au-delà des mentions d’une fiche de renseignements établie par la caution, la banque doit tenir compte des informations dont elle a connaissance par ailleurs, tels les engagements déjà souscrits par la caution à son profit ou ceux souscrits auprès d’autres établissements ayant participé au financement de la même opération ; qu’en se bornant néanmoins, pour apprécier la disproportion manifeste de l’engagement de caution litigieux, à relever les mentions d’une fiche de renseignements et l’absence de production par monsieur [U] d’éléments justificatifs autre que des avis d’imposition et bulletins de salaires, sans vérifier, comme la caution l’y invitait par ses dernières écritures d’appel, si, au-delà des mentions de cette fiche de renseignements – émise au demeurant au profit d’une banque distincte, au titre d’un cautionnement distinct, en garantie d’un prêt distinct –, la Banque Pelletier n’avait pas connaissance de l’existence des engagements de caution souscrits au profit des autres banques ayant participé, à ses côtés, au financement de l’acquisition de la société Labat et Cie par la société JB Investissement, notamment en ce que ces banques étaient réunies pour le financement litigieux dans un « pool bancaire » et que les actes concernés comportaient une clause dite de pari passu, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 :

6. Aux termes de ce texte, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

7. Pour déclarer le cautionnement opposable à M. [U], l’arrêt, après avoir relevé que celui-ci ne communiquait aucun autre élément justificatif de l’ensemble de sa situation patrimoniale au moment où il a souscrit son engagement de caution, retient que la fiche patrimoniale produite par la société Nacc, datée du 19 octobre 2009, mentionne un salaire annuel de 60 000 euros, la propriété d’un appartement situé à [Localité 3] d’une valeur de 250 000 euros grevé d’une hypothèque de 110 000 euros sur 14 ans, des comptes et placements auprès de la Société Générale pour un montant de 270 000 euros et un emprunt pour l’appartement d’un montant de 120 000 euros moyennant remboursement de 900 euros par mois. L’arrêt ajoute que M. [U] reproche à la banque de n’avoir pas pris la peine de se renseigner sur la réalité de son patrimoine et de ses charges et engagements, et en déduit qu’il tente ainsi d’inverser la charge de la preuve qui lui revient, s’agissant d’établir qu’au moment où le cautionnement a été souscrit, ses biens et revenus étaient manifestement insuffisants au regard de cet engagement.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’il lui était demandé, si, à la date du cautionnement, la Banque Pelletier ne pouvait ignorer l’existence d’autres engagements de caution consentis par M. [U] auprès d’un pool d’établissements bancaires dont elle faisait partie, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.


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