Cautionnement et déchéance : limites de l’opposabilité entre débiteurs.

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Cautionnement et déchéance : limites de l’opposabilité entre débiteurs.

L’Essentiel : La banque créancière, représentée par BNP Paribas, a consenti un prêt à la société débiteur, SCI Carnot 6, par acte notarié en 2003, garanti par un cautionnement solidaire. Suite à des manquements de paiement, la banque a engagé une procédure de saisie-vente. La société débiteur a contesté la déchéance du terme, arguant qu’elle n’était pas partie au jugement antérieur. La Cour a rappelé que la caution solidaire n’est pas le représentant nécessaire du débiteur principal, et a annulé la décision de la cour d’appel, entraînant la nullité des décisions connexes.

Contexte du prêt

La société Fortis banque France, aujourd’hui représentée par BNP Paribas, a consenti un prêt à la société SCI Carnot 6 par acte notarié en date du 16 juillet 2003. Ce prêt était garanti par un cautionnement solidaire.

Procédure de saisie

Suite à des manquements de paiement, la banque a signifié à la société un commandement de payer en vue d’une saisie-vente, tout en l’informant de son intention de se prévaloir de la déchéance du terme. Par la suite, un commandement de payer valant saisie immobilière a été délivré, suivi d’une assignation à l’audience d’orientation d’un juge de l’exécution.

Contestation de la déchéance du terme

La société a contesté la décision de la cour d’appel qui l’a déclarée irrecevable dans sa contestation de la notification de la déchéance du terme. La cour a autorisé la vente amiable de ses biens immobiliers pour un montant minimum de 700 000 euros et a fixé la créance de la banque à 440 883,78 euros, incluant frais et intérêts.

Arguments de la société

La société a soutenu que la décision de déchéance du terme, prononcée dans un jugement antérieur, ne pouvait lui être opposée, car elle n’était pas partie à ce jugement. Elle a invoqué le principe selon lequel l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas à un débiteur principal qui n’a pas été impliqué dans la décision concernant sa caution solidaire.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que la caution solidaire n’est pas le représentant nécessaire du débiteur principal, et que la chose jugée à l’égard de la caution n’est pas opposable au débiteur. Elle a constaté que la cour d’appel avait erré en déclarant la société irrecevable, car celle-ci n’était pas partie au jugement condamnant la caution.

Conséquences de la cassation

La cassation de la décision de la cour d’appel concernant l’irrecevabilité de la contestation de la société entraîne également l’annulation des autres décisions qui en dépendent, conformément à l’article 624 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la déchéance du terme en matière de cautionnement solidaire ?

La déchéance du terme, en matière de cautionnement solidaire, est un mécanisme juridique qui permet au créancier de déclarer exigible la totalité de la créance en raison d’un manquement du débiteur principal.

Selon l’article 1200 du code civil, devenu 1313, il est précisé que « la caution est tenue de l’obligation du débiteur principal dans les mêmes termes que lui ».

Ainsi, la déchéance du terme prononcée à l’égard de la caution n’est pas opposable au débiteur principal, ce qui signifie que ce dernier peut contester cette déchéance même si la caution a été condamnée.

L’article 1351, devenu 1355, stipule que « la chose jugée n’est opposable qu’aux parties au procès ». Par conséquent, la société, en tant que débiteur principal, n’était pas partie au jugement ayant condamné la caution solidaire, ce qui lui permet de contester la déchéance du terme.

Quelles sont les conséquences de la chose jugée sur les coobligés solidaires ?

La notion de chose jugée a des implications importantes pour les coobligés solidaires. L’article 2021, devenu 2298, du code civil, précise que « la caution n’est pas le représentant nécessaire du débiteur principal ».

Cela signifie que les décisions rendues à l’égard de la caution ne peuvent pas être opposées au débiteur principal.

Dans le cas présent, la cour d’appel a commis une erreur en considérant que la décision rendue entre le créancier et la caution était opposable à la société, débiteur principal.

En effet, l’article 1351, devenu 1355, souligne que « la chose jugée n’est opposable qu’aux parties au procès », ce qui exclut la possibilité pour la banque de se prévaloir de la décision contre la société.

Comment la cour d’appel a-t-elle justifié sa décision concernant la contestation de la déchéance du terme ?

La cour d’appel a justifié sa décision en se fondant sur la théorie de la représentation mutuelle des coobligés solidaires. Elle a soutenu que la décision ayant constaté la déchéance du terme et condamné la caution était opposable au débiteur principal.

Cependant, cette interprétation est en contradiction avec les articles du code civil mentionnés.

L’article 1200, devenu 1313, indique que la caution n’est pas le représentant nécessaire du débiteur principal, ce qui implique que les décisions concernant la caution ne peuvent pas affecter le débiteur principal.

Ainsi, la cour d’appel a violé les textes en considérant que la société était irrecevable en sa contestation de la notification de la déchéance du terme, alors qu’elle n’était pas partie au jugement initial.

Quelles sont les implications de la cassation sur les décisions de la cour d’appel ?

La cassation de l’arrêt de la cour d’appel a des conséquences significatives sur les décisions prises à son égard.

Conformément à l’article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l’arrêt entraîne la cassation des autres chefs de dispositif qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Cela signifie que toutes les décisions prises par la cour d’appel, en lien avec la contestation de la déchéance du terme, sont annulées.

Ainsi, la société pourra faire valoir ses droits et contester la déchéance du terme sans être affectée par la décision rendue à l’égard de la caution solidaire.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2025

Cassation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 136 F-D

Pourvoi n° B 21-25.753

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025

La société SCI Carnot 6, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 9], représentée par son gérant, M. [M] [D], domicilié [Adresse 4], [Localité 10], a formé le pourvoi n° B 21-25.753 contre l’arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d’appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 8], venant aux droits de la société Fortis Banque France par suite du traité de fusion du 12 mai 2010,

2°/ au Trésor public de [Localité 11], dont le siège est [Adresse 1], [Localité 11], pris en la personne du trésorier principal de [Localité 11],

3°/ au syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 6], représenté par son syndic en exercice, la société Nexity Lamy, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 7],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de Me Brouchot, avocat de la société SCI Carnot 6, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas, et l’avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 16 septembre 2021) et les productions, par acte notarié reçu le 16 juillet 2003, la société Fortis banque France, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas (la banque), a consenti à la société SCI Carnot 6 (la société) un prêt garanti par un cautionnement solidaire.

2. Après avoir fait signifier à la société un commandement de payer aux fins de saisie-vente l’informant de ce qu’elle entendait se prévaloir de la déchéance du terme, la banque lui a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière puis l’a assignée à l’audience d’orientation d’un juge de l’exécution.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l’arrêt de la déclarer irrecevable en sa contestation de la notification de la déchéance du terme et en conséquence d’autoriser la vente amiable de ses biens immobiliers situés tels que désignés dans le cahier des conditions de vente et pour un prix qui ne saurait être inférieur à 700 000 euros net vendeur, de fixer le montant de la créance de la banque, arrêtée au 2 juin 2020, à la somme de 440 883,78 euros en principal, frais et intérêts, et de taxer les frais de poursuite engagés par la banque à la somme de 4 846,31 euros, alors « qu’est inopposable à une société, débitrice principale, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision ayant prononcé la déchéance du terme et condamné sa caution solidaire envers le créancier poursuivant ; que, pour déclarer la SCI Carnot 6 irrecevable en sa contestation de la notification de la déchéance du terme, la cour d’appel s’est fondée sur la décision rendue le 5 décembre 2011, par le tribunal de grande instance de Versailles, en ce qu’elle avait constaté la déchéance du terme et condamné la caution de la SCI Carnot 6, M. [D], à payer à la société BNP Paribas la somme de 373 959,45 euros ; qu’en opposant ainsi à la SCI Carnot 6, cette décision rendue uniquement entre le créancier poursuivant et la caution de la SCI Carnot 6, auquel ladite SCI était étrangère, la cour d’appel a méconnu le principe susvisé et violé les articles 1200, 1203, 1204 et 2021 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1200, devenu 1313, 1351, devenu 1355, et 2021, devenu 2298, du code civil :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que la caution solidaire n’étant pas le représentant nécessaire du débiteur principal, la chose jugée à l’égard de la caution solidaire n’est pas opposable au débiteur.

5. Pour déclarer la société irrecevable en sa contestation de la notification de la déchéance du terme, l’arrêt relève que la banque justifie d’un jugement irrévocable ayant constaté la déchéance du terme et condamné la caution solidaire de la société à lui payer une certaine somme et retient que c’est à juste titre que la banque lui oppose la théorie séculaire de la représentation mutuelle des coobligés solidaires et une fin de non-recevoir tirée de la chose jugée en soutenant que ce qui a été définitivement jugé entre le créancier et la caution solidaire, notamment sur l’exigibilité de l’obligation cautionnée, est opposable au débiteur principal.

6. En statuant ainsi, alors que la société, débiteur principal, n’était pas partie au jugement ayant condamné la caution solidaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l’arrêt déclarant la société irrecevable en sa contestation de la notification de la déchéance du terme entraîne la cassation des autres chefs de dispositif qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.


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