Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 9
ORDONNANCE DU 23 FEVRIER 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02137 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHA7M
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2022 Tribunal de Commerce de Paris –
RG n° 2022005134
Nature de la décision : contradictoire
NOUS, Madame Sophie MOLLAT, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Madame FOULON, Greffière.
DEMANDEUR
Monsieur [V] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
présent et assisté de Me Anne-charlotte BARBEDETTE, avocat au barreau de PARIS, toque E.713, avocat postulant et plaidant
DEFENDEURS
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 2]
[Localité 4]
SELARL AXYME, en la personne de Me Jean Charles DEMORTIER
en qualité de mandataire liquidateur de la SAS NEOGIA
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Sophie LEYRIE de l’AARPI KLEBERLAW, avocat au barreau de PARIS, toque : P159, substituée par Me Sally DIARRA, avocat postulant et plaidant
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 16 Février 2023 :
Exposé des faits et de la procédure
Le 2 novembre 2015, dans le but de développer une montre électronique permettant de collecter des données biométriques, M. [D] et M. [L] ont créé la société Fabulasys.
Le 12 août 2016, M. [D] et M. [L] ont créé la société Neogia, filiale de la société Fabulasys, afin de recentrer le développement de leur produit sur le secteur médical.
M. [V] [D] était désigné en qualité de directeur général alors que M. [L] devenait président de la SAS Neogia.
Par jugement du 6 février 2019, le tribunal de commerce de Paris ouvrait une procédure de redressement judiciaire sur déclaration de cessation des paiements et fixaitla date de cessation des paiements au 17 octobre 2018, correspondant à la première inscription de privilège.
Par jugement du 27 février 2019, la procédure de redressement judiciaire était convertie en procédure de liquidation judiciaire.
Au moment de sa liquidation, la société Neogia avait 3 ans d’ancienneté et comptait 21 salariés.
Le dernier chiffre d’affaires connu était de 285 975 euros pour l’exercice 2018 et le passif actualisé de 2 311 293 euros.
Aux termes des opérations de liquidation, l’insuffisance d’actif s’est élevé à 2 223 329 euros, l’augmentation de l’insuffisance d’actif pendant la période suspecte ayant été de 632 698 euros.
Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la faillite personnelle de M. [D] et a fixé la durée de la mesure à 7 ans. L’exécution provisoire a été ordonnée.
Le tribunal a retenu le grief de tenue incomplète ou irrégulière de comptabilité à son encontre, et le grief de détournement d’actif ou d’augmentation frauduleuse du passif.
Par déclaration du 8 décembre 2022, M. [D] a interjeté appel de jugement du tribunal de commerce de Paris.
Par assignation du 8 février 2023, M. [D] a assigné le procureur général près le tribunal judiciaire de Paris devant le premier président de la cour d’appel de Paris aux fins de l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Paris.
Aux termes de son assignation M. [D] demande au premier président de :
JUGER M. [D] recevable en sa présente assignation.
JUGER qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation du jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Paris à l’encontre de M. [D].
En conséquence,
ORDONNER l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal de commerce de Paris dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de Paris à intervenir.
En tout état de cause,
CONDAMNER le ministère public au paiement d’une somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNER le ministère public au paiement des entiers dépens.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2023, la SELARL Axyme, prise en la personne de Maître [E], en qualité de liquidateur judiciaire demande au premier président de :
JUGER M. [D] mal fondé en sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire.
L’en débouter à toutes fins qu’elle comporte.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l’article R. 661-1 du Code de commerce :
« Les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire.
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Toutefois, ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire les jugements et ordonnances rendus en application des articles L. 622-8, L. 626-22, du premier alinéa de l’article L. 642-20-1, de l’article L. 651-2, des articles L. 663-1 à L. 663-4 ainsi que les décisions prises sur le fondement de l’article L. 663-1-1 et les jugements qui prononcent la faillite personnelle ou l’interdiction prévue à l’article L. 653-8.
Les dispositions des articles 514-1 et 514-2 du code de procédure civile ne sont pas applicables.
Par dérogation aux dispositions de l’article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux.»
Sur les moyens sérieux d’infirmation du jugement de faillite personnelle
Sur le grief de la comptabilité
Il résulte de l’article L. 653-5 6° du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne pour avoir fait disparaître des documents comptables, pour ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l’obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
M. [D] fait valoir que le ministère public ne caractérisait aucunement les différents manquements qui permettraient de caractériser une défaillance dans la tenue de la comptabilité de Neogia et qu’il n’était pas en capacité de les imputer aux seuls agissements de M. [D], le procureur se contentant de procéder par généralité sans respecter les règles d’administration de la preuve.
M. [D] ajoute que le tribunal n’a pas non plus satisfait à son obligation de de motivation et de caractérisation de l’imputabilité du grief à M. [D].
Il rappelle qu’il exerçait le mandat de directeur général aux côtés du président M. [L], l’obligation de la tenue de la comptabilité de la société étant une compétence partagée.
M. [D] indique qu’il a essayé tant bien que mal de combler le mandat de l’expert-comptable absent mandaté par M. [L] mais qu’il s’est retrouvé dépassé. Il rapporte que M. [J], du cabinet Afigec désigné en 2018 a attesté que M. [D] a fourni ses meilleurs efforts pour l’aider dans sa mission et qu’il n’a relevé aucune faute de gestion.
M. [D] soutient que le seul fait qu’il tentait d’assurer la comptabilité de gestion en interne ne suffit pas à retenir ce grief à son encontre. Il prétend être un simple exécutant du président M. [L] qui était le seul à disposer du pouvoir de donner mandat aux experts-comptables et commissaires aux comptes de la société.
Le liquidateur judiciaire indique que le commissaire aux comptes a adressé à la société Neogia une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 novembre 2018 précisant que les cotisations URSSAF n’étaient pas réglées depuis avril 2018 et les cotisations de la caisse de retraite depuis janvier 2018, que les comptes de l’exercice 2017 n’étaient toujours pas arrêtés , que la comptabilité 2018 n’était pas à jour, ce qui était de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que M. [D] reconnaît que la tenue de la comptabilité incombait aux deux mandataires sociaux de la société Neogia, et dès lors à lui-même en sa qualité de directeur général.
Le liquidateur judiciaire précise qu’il ressort également de l’article 12.2 des statuts de la société Neogia que M. [D] était chargé de veiller à la tenue d’une comptabilité régulière. Il ajoute que l’argument selon lequel M. [D] a tenté tant bien que mal de gérer la comptabilité de la société Neogia doit être écarté dans la mesure où la faillite personnelle vient sanctionner des fautes commises par le dirigeant malhonnête ou gravement incompétent qui par ses agissements a conduit l’entreprise à sa perte.
Enfin, il dément que le commissaire aux comptes, M. [J], ait pu affirmer dans son attestation que M. [D] n’avait commis aucune faute de gestion.
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Sur ce
Monsieur [D] était directeur général de la société Neogia et avait à ce titre comme responsabilité au titre de son mandat social, mais également au regard des statuts de la société qui mettait à sa charge le fait de veiller à la tenue d’une comptabilité régulière, l’obligation de faire établir pour le compte de la société dont il était le dirigeant une comptablité.
Il n’est pas contesté que la société Neogia n’a pas été en mesure de présenter une comptabilité complète de telle sorte que les moyens avancés par Monsieur [D] pour soutenir que ce grief n’est pas établi contre lui n’apparaissent pas sérieux.
Sur le grief de détournement d’actif ou d’augmentation frauduleuse du passif
Il résulte de l’article L. 653-4 5° du code de commerce qu’il est possible de prononcer la faillite personnelle d’un dirigeant pour avoir détourné tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
M. [D] fait valoir que le ministère public n’a pas personnalisé le grief à son encontre et n’a pas identifié d’élément intentionnel en se contentant de viser de manière générale une prétendue augmentation de passif tirée des augmentations de capital réalisées au bénéfice de certains salariés de la société Neogia.
M. [D] soutient que M. [L] est le seul instigateur de l’augmentation frauduleuse du passif de la société. Il précise que M. [L] a convaincu en juillet 2018 trois salariés de souscrire à une augmentation de capital pour une somme de 302 020,20 euros alors que la société Neogia n’était plus en mesure de payer ses cotisations sociales.
En s’appuyant sur les attestations versées aux débats et les témoignages de salariés en première instance, M. [D] indique être étranger aux opérations et qu’aucun mandat ne lui a été confié pour rédiger les actes et procéder aux formalités de publicité et d’enregistrement.
Il en déduit que les opérations d’augmentation de capital ne peuvent lui être imputées.
Le liquidateur judiciaire indique que les sommes versées par les souscripteurs de l’augmentation de capital n’ont pas été bloquées mais immédiatement affectées au paiement des dépenses courantes de la sociétés, les salariés étant restés créanciers de la société et non actionnaires.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que M. [D] fait une interprétation erronée de ce qui lui est reproché en considérant ne pas être à l’initiative des augmentations de capital. Le liquidateur soutient que le grief porte sur l’usage qui a été fait des sommes versées par les investisseurs, caractérisant une augmentation frauduleuse de passif.
Sur ce
Le tribunal de commerce a retenu à l’encontre de Monsieur [D] le grief d’avoir détourné l’actif ou d’avoir augmenté de façon frauduleuse le passif, pour le seul motif de la non régularité juridique des augmentations de capital.
Il ressort de la motivation du tribunal que des salariés ont versé des sommes en numéraire pour entrer au capital de la société mais que ces sommes n’ont pas été bloquées chez un notaire ou à la caisse des dépôts ou consignations mais ont été versées sur les comptes courants de la société et utilisés pour le paiement des dépenses courantes -ce qui fait aujourd’hui des salariés des créanciers et non des actionnaires.
Cependant il n’est pas caractérisé les faits commis par Monsieur [D] dans le cadre de cette augmentation de capital proposée aux salariés, et en conséquence les moyens développés par Monsieur [D] concernant le fait que ce grief ne puisse lui être reproché apparaissent sérieux.
Sur le retard de déclaration de cessation des paiements
Le liquidateur judiciaire indique que M. [D] ne développe aucune argumentation sur ce point de sorte qu’il n’existe aucun moyen sérieux de à l’appui de l’appel venant remettre en cause ce grief.
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Le liquidateur judiciaire fait valoir que le grief est avéré en ce que la déclaration de cessation des paiements de la société Neogia a été déposée le 23 février 2019. Il rappelle que le tribunal de commerce l’a fixé au 17 octobre 2018, démontrant un retard de trois mois et demi.
Il soutient que l’état de cessation des paiements était antérieur au 17 octobre 2018 car l’URSSAF de Paris revendique une créance datant du mois d’avril 2018.
Il ajoute que le passif généré pendant la période suspecte s’élève à la somme de 632 697,93 euros.
Sur ce
Ce grief n’a pas été retenu par le tribunal puisque celui ci a sanctionné Monsieur [D] par une faillite personnelle et en conséquence la discussion concernant la caractérisation de ce grief à l’égard de Monsieur [D] est sérieuse.
Sur le principe de motivation et de proportionnalité
M. [D] indique qu’il a rapporté la preuve en première instance qu’il était la première victime de M. [L] en versant la plainte déposée à l’encontre de ce dernier. Il précise être à jour de ses obligations légales et avoir payé des dettes de la société Fabulasys pour assumer la conséquence de ses actes alors que M. [L] a fui en Angleterre. Selon lui, ces éléments n’ont pas été pris en considération par le tribunal en première instance.
Le liquidateur judiciaire soutient que la plainte pénale déposée à l’encontre de M. [L] en date du 5 février 2019 par les sociétés Fabulasys et Neogia, la veille du jugement d’ouverture, avait pour but de dédouaner M. [D] en se démarquant des agissements du président.
Sur ce
Il résulte de la jurisprudence de la cour de cassation que le tribunal qui prononce une mesure de faillite personnelle doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l’intéressé.
En l’espèce Monsieur [D] a démissionné le 18.12.2018, soit deux mois après la date de cessation des paiements retenu par le jugement d’ouverture.
Le rapport établi par l’administrateur judiciaire fait état du fait que Monsieur [L] a produit des faux dans le cadre de ses démarches auprès des partenaires de la société, d’investisseurs potentiels et des salariés s’agissant d’une autorisation de commercialisation censée émanée de la Food and Drug Administration ainsi que de relevés de compte falsifiés. En conséquence le moyen que fait valoir Monsieur [D] s’agissant du fait que lui aussi aurait été victime des agissements frauduleux de Monsieur [L] constitue un moyen sérieux de défense à examiner au contradictoire des éléments versés par le mandataire judiciaire pour rapporter la preuve de l’implication de Monsieur [D] dans les manoeuvres qui ont précipité la déconfiture de la société.
Il en résulte que bien que le moyen concernant le défaut de comptabilité n’apparaisse pas sérieux, les autres moyens développés au soutien de la défense de Monsieur [D] le sont et en conséquence il convient de prononcer la suspension de l’exécution provisoire.
La demande de condamnation du ministère public à verser au demandeur une somme sur le fondement de l’article 700 est infondée et hors de propos et sera rejetée.
Les dépens sont mis à la charge de Monsieur [D].
PAR CES MOTIFS
Ordonnons l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 22.11.2022 par le tribunal de commerce de Paris
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Déboute Monsieur [D] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Laisse les dépens à la charge de Monsieur [D].
ORDONNANCE rendue par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente
Cour d’appel de Paris Ordonnance du 23 Février 2023
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